Des organisations et lobbies du numérique et des télécoms prennent position contre la guerre en Ukraine, d’autres non

De organisations professionnelles et lobbies du numérique, des réseaux et de la tech ont pris position contre la guerre en Ukraine. Leurs membres – que ce soit les GAFAM, les opérateurs télécoms ou les autres entreprises de services numériques – condamnent la Russie, soutiennent les Ukrainiens, voire prennent des sanctions.

« En cette période dramatique, Numeum tient à affirmer au nom de l’ensemble des entreprises qui le compose, sa pleine et entière solidarité avec le peuple ukrainien, ainsi que son total soutien aux pouvoirs publics français et européens qui gèrent cette crise difficile », a déclaré le 2 mars le syndicat professionnel de l’écosystème numérique en France, né en juin 2021 de la fusion de Syntec Numérique et de Tech in France. Numeum, qui compte 2.255 adhérents, le plus souvent des entreprises de services numérique (ESN), a en outre fait savoir qu’il avait saisi le gouvernement français d’« une demande officielle visant à faciliter l’octroi de permis temporaire de résidence et de travail à tout réfugié ukrainien opérant dans les technologies qui en fera la demande et avec l’accord des autorités ukrainiennes » (1).

Numeum, GSMA, Etno, DigitalEurope, CCIA…
En revanche, pas un mot sur la guerre en Ukraine dans d’autres organisations professionnelles du numérique en France telles que France Digitale ou l’Afnum, ni même la FFTélécoms, fédération française des télécoms. Mais cela n’empêche pas les quatre principaux opérateurs télécoms français de prendre depuis le 25 février des initiatives – tarifaires – en rapport avec l’Ukraine : Orange et SFR ont rendu les appels vers l’Ukraine gratuits ; Bouygues Telecom et Free ont baissé leurs tarifs en direction de ce pays en guerre contre l’invasion de la Russie. « Orange se mobilise pour permettre à ses clients grand public de rester en contact avec leurs proches en Ukraine », a indiqué sur son site web le premier opérateur télécoms français : gratuité durant deux semaines des appels internationaux, SMS et MMS émis depuis les mobiles Orange et Sosh en France Métropolitaine vers les numéros fixes et mobiles ukrainiens.
Lors de la grand-messe internationale de l’écosystème mobile, le Mobile World Congress (MWC), qui s’est tenue à Barcelone du 28 février au 3 mars derniers, la GSMA – qui l’organise – a « condamn[é] fermement l’invasion russe de l’Ukraine », tout en précisant qu’« il n’y [a] pas [eu] de pavillon russe » lors de cette édition 2022 (2). Représentant plus de 750 opérateurs mobiles dans le monde et 400 entreprises, la GSMA est basée à Londres et de son bras armé commercial à Atlanta aux Etats-Unis (3). En Europe, une autre association d’opérateurs télécoms – l’Etno dont sont membres les opérateurs de réseaux historiques tels que Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, ou encore Altice Portugal – a elle aussi pris position : « Alors que le peuple ukrainien endure ses plus dures épreuves, les entreprises européennes de télécommunications déploient des mesures pour faciliter les communications et soutenir les personnes en détresse », a déclaré le 28 février cette organisation basée à Bruxelles (4). L’Etno a ainsi listé une batterie de mesures – variant d’un opérateur à l’autre : des appels internationaux gratuits vers l’Ukraine aux connexions Wifi gratuites dans les camps de réfugiés, en passant par l’inclusion des chaînes de télévision ukrainiennes dans les forfaits IPTV sans frais supplémentaires (5). Toujours au niveau européen, le lobby DigitalEurope (ex- Eicta), qui est également installée à Bruxelles et qui représente les GAFAM (6) ainsi que Samsung, Huawei, Sony, Nvidia ou encore Dropbox, y est allé aussi de son statement : « Nous appuyons sans réserve les mesures prises par l’Union européenne (UE). Mais les sanctions ne sont pas suffisantes. L’Ukraine a besoin d’un soutien immédiat en matière de cybersécurité », a-t-il lancé le 24 février. Et de déclarer : « Nous, qui représentons 36.000 entreprises de la numérisation en Europe, exprimons notre pleine solidarité avec le peuple ukrainien face à l’agression russe actuelle. (…). Avec l’Otan [Organisation du traité de l’Atlantique Nord, à caractère politico-militaire, dont sont membres 30 pays (7), ndlr], les dirigeants de l’UE peuvent soutenir l’Ukraine en fournissant un soutien immédiat en matière de cybersécurité ». DigitalEurope appelle en outre les dirigeants – des pays de l’UE voire de l’Otan – à « accélérer le traitement de toutes les demandes de visa pour ceux qui fuient l’Ukraine – ils méritent tous notre soutien » (8). En revanche, un autre lobby des GAFAM (entre autres), appelé Dot Europe (ex-Edima) et agissant également à Bruxelles, ne dit mot. Aux Etats-Unis, cette fois, la Computer & Communications Industry Association (CCIA), dont sont membres les GAFA aux côtés de Twitter, Pinterest, Yahoo, Rakuten, eBay, Uber, Samsung, Intel et d’autres : «La CCIA condamne l’invasion, non provoquée, par le gouvernement russe de la nation souveraine de l’Ukraine, et se joint aux dirigeants du monde entier pour exiger que la Russie cesse immédiatement son agression ».

Des Big Tech suspendent des produits et services
En représailles, les entreprises membres de ce puissant lobby qu’est la CCIA, créée il y a un demi-siècle cette année (bien avant Internet) et basée à Washington, « ont suspendu de nombreux produits et services conformément aux sanctions financières de l’administration [Biden] visant à mettre fin à cette guerre insensée ». Et de fustiger l’attitude du Kremlin en visant sans le nommer Vladimir Poutine (photo) : « La CCIA condamne la censure continue des services de communications numériques par le gouvernement russe dans le but de dissimuler sa barbarie à son propre peuple […], marque d’un autoritarisme » (9). @

Charles de Laubier

La France s’apprête à mettre le Wifi 6E sur 6 Ghz

En fait. Le 20 juin se tient la journée mondiale du Wifi – World Wifi Day – organisé par la Wireless Broadband Alliance (WBA), dont font partie AT&T, Cisco, Google, BT, Comcast, Orange et bien d’autres. La France s’apprête à approuver la norme Wifi 6E et son utilisation dans la bande 6 Ghz. Complément de la 5G.

En clair. Un lobbying intense s’exerce actuellement sur les pouvoirs publics et les régulateurs des télécoms dans le monde pour que la bande de fréquences des 6 Ghz (entre 5.945 et 6.425 Mhz en Europe) soit allouée aux réseaux sans fil et ne nécessitant pas d’attribution de licence. Déjà présent dans les bandes 2,4 Ghz et 5 Ghz, le Wifi – dont l’utilisation fut cruciale en ces temps de pandémie et confinements (télétravail, enseignement à distance, téléconsultation, …) – veut offrir encore plus de débit aux particuliers et aux hotspots. Pour les opérateurs télécoms, cela leur fera faire des économies sur le déploiement de la 5G. Et pour les utilisateurs, des économies sur leur consommation de données Internet. Encore faudrait-il que la nouvelle norme Wifi 6E, version étendue de la sixième génération de Wifi actuelle, utilise la bande des 6 Ghz. Au niveau européen, l’harmonisation de la bande des 6 Ghz pour le Wifi a été actée en novembre 2020 par décision (1) – assorti de son rapport (2) – de la CEPT (3). Il ne reste plus qu’à la Commission européenne d’entériner cette avancée par une « décision d’exécution ». Deux utilisations sont acceptées dans les 6 Ghz : les Low Power Indoor (LPI) que sont les points d’accès Wifi et les box des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ; les Very Low Power (VLP) que sont les objets connectés comme les smartphones, les montres et lunettes. En France, un arrêté du Premier ministre daté du 4 mai 2021 et publié au J.O. a adopté le nouveau tableau national de répartition des bandes de fréquences (TNRBF) proposé par l’Agence nationale des fréquences (ANFr). Il donne la main à l’Arcep sur la bande 6 Ghz pour des services mobiles et octroie 480 Mhz de spectre supplémentaire pour les réseaux Wifi (Was/RLan) dans cette bande 5945-6425 Mhz.
La balle est donc dans le camp de l’Arcep, pour que soit ouvert ces nouvelles fréquences au Wifi 6E. C’est du moins ce qu’attendent les membres de la Wireless Broadband Alliance (WBA), dont est membre Orange – Cédric Gonin, dirigeant chez Orange Internationnal Carriers, étant lui-même trésorier de la WBA. De son côté, la «Wi-Fi Alliance » milite aussi pour Wifi 6E sur 6 Ghz. Elle a publié une étude de 497 pages (4) sur la valeur économique mondiale du Wifi de 2021 (3.300 milliards de dollars, dont 62,5 milliards en France) à 2025 (5.000 milliards de dollars, dont 104 milliards en France). @

Vie privée et télétravail : la consécration des VPN

En fait. Le 5 mai, la fondation Mozilla – créée dans la foulée du développement il y a vingt ans du navigateur Firefox – a rendu disponible en France sa solution de réseau privé virtuel, Mozilla VPN, pour permettre aux internautes de sécuriser et de masquer leurs connexions à Internet et de ne pas être géolocalisés.

En clair. Les VPN – Virtual Private Network – sont plus connus par les internautes des pays autoritaires ou dictatoriaux qui pratiquent la censure de contenus en ligne et les blocages d’accès à des plateformes étrangères. Mais échaudés par les atteintes en ligne à leur vie privée, le pistage de leurs navigations et géolocalisations à des fins publicitaires (sans parler des cookies), voire la fuite de leurs données personnelles, les internautes des pays démocratiques sont de plus en plus demandeurs de VPN. Le sigle fait même son entrée dans le Larousse 2022 !
« Pour vivre heureux vivons cachés » est le nouveau credo du Web, dont les connexions sécurisées « https » ne suffisent pas. Le VPN est une sorte de camouflage numérique et de bouclier en ligne, qui offre une sécurisation par chiffrement des données et masque l’adresse IP de l’internaute (une de ses données personnelles) pour ne pas être détecté, pisté ou identifié. Pratiqué de longue date par les technophiles, les réseaux privés virtuels se démocratisent au fur et à mesure que les offres de VPN grand public faciles d’utilisation sont proposées (NordVPN, IPVanish, Cyberghost VPN, Surfshark, etc). Et ce, moyennant paiement sur un mois (de 5 à 12 euros) ou sur six à trois ans (de 2 euros à 10 euros par mois selon la durée de souscription). Pour Mozilla VPN lancé le 5 mai en France et en Allemagne (1), les tarifs sont de 9,99 euros pour un mois, 6,99 par mois sur six mois ou de 4,99 euros pour douze mois (2). L’utilisation du navigateur Firefox n’est pas nécessaire, mais un compte Mozilla si. La fondation californienne à but non lucratif s’appuie pour cela sur la société suédoise Amagicom qui opère un réseau mondial de 750 serveurs (dans 30 pays) fonctionnant sur leur solution open-source de VPN, Mullvad, et sécurisé de bout-enbout (3) par le protocole de cryptage WireGuard. « Surfez, jouez, travaillez et streamez tout en préservant votre confidentialité sur Internet », promet la fondation Mozilla.
Depuis mars 2020, confinements successifs oblige, la Cnil (https://lc.cx/Cnil-VPN) et l’Arcep (https://lc.cx/Arcep-VPN) recommandent d’utiliser des VPN pour télétravailler ou se former en distanciel, et « éviter l’exposition directe sur Internet » (dixit la Cnil). Mais attention, « la combinaison de celui-ci [le VPN de l’employeur] avec votre Wifi peut engendrer un débit ralenti » (dixit l’Arcep). @

La GSMA accuse le « coût » de l’annulation de son Mobile World Congress 2020, mais son lobbying continue

Née il y a 25 ans en tant que GSM MoU Association pour promouvoir la norme européenne mobile GSM, devenue mondiale avec succès, la GSMA – que préside Stéphane Richard, PDG d’Orange – est aujourd’hui un puissant lobby des télécoms. Son méga-salon de Barcelone, annulé cette année pour cause de coronavirus, lui rapporte gros.

Au cours de son mandat de deux ans en tant que président de la GSM Association (GSMA), basée à Londres (désormais hors de l’Union européenne), et de son bras armé commercial GSMA Ltd (société basée à Atlanta aux Etats-Unis), Stéphane Richard (photo) n’aura finalement participé qu’à une seule édition de la grand-messe annuelle de l’industrie mobile. Celle-ci se tient depuis 2006 à Barcelone (en Espagne). L’annulation cette année d’un tel événement, qui était prêt à accueillir du 24 au 27 février dans la capitale de la Catalogne plus de 110.000 visiteurs professionnels venus du monde entier, est un coup dur pour les quelque 1.150 membres de la puissante association : 750 opérateurs mobile – dont plus de 200 européens – et près de 400 sociétés œuvrant pour l’écosystème mobile. Face à l’épidémie, c’était « la seule option » pour le président de la GSMA, PDG d’Orange, et pour les deux directeurs généraux qui l’entourent : John Hoffman, directeur général depuis 2007 de la société GSMA Ltd, organisatrice du Mobile World Congress (MWC) de Barcelone et de ses déclinaisons de moindre ampleur à Los Angeles et à Shanghai (1), et Mats Granryd, directeur général de l’association GSMA depuis 2016. Ce rendez-vous international devait donner le vrai coup d’envoi commercial de la 5G, laquelle est déjà chahutée par le bras de fer engagé depuis l’an dernier par les Etats-Unis avec la Chine autour du numéro un mondial des équipementiers de réseaux 5G, Huawei (2).

Orange : stratégie 2020-2025 et « raison d’être »

En fait. Le 21 novembre, Fabienne Dulac, directrice exécutive d’Orange France, est intervenue lors de la 30e édition du colloque NPA-Le Figaro. Si elle n’a pas évoqué le prochain plan stratégique 2020-2025 que Stéphane Richard dévoilera le 10 décembre prochain, elle en a donné un avant-goût de sa « raison d’être ».

En clair. Depuis que la loi « Pacte » (1) a été promulguée et publiée au Journal Officiel du 23 mai, Orange s’active pour préciser dans ses statuts sa « raison d’être » (principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité). Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, dévoilera le 10 décembre la « raison d’être » du groupe à la lumière des propositions faites par les salariés sollicités en amont. Cette grand-messe interviendra au moment où le nouveau plan stratégique 2020- 2025 sera présenté aux organisations syndicales (CGC-CFE, CFDT, CGT, FO, Sud et CFTC), et avant la réunion d’un comité extraordinaire du groupe prévu le 22 janvier 2020. Lors du colloque NPA du 21 novembre, Fabienne Dulac, directrice exécutive d’Orange France, a rappelé que le groupe a déployé depuis 2017 sa philosophie « Human Inside » (2), en replaçant l’humain au cœur de sa stratégie – après notamment « une crise sociale majeure vécue il y a dix ans ». La présentation de la « raison d’être » d’Orange précèdera d’ailleurs de dix jour le verdict – attendu le 20 décembre – du tribunal correctionnel de Paris dans le procès de France Télécom et de ses ex-dirigeants, dont l’ancien PDG Didier Lombard, jugés pour « harcèlement moral » – dix ans après les suicides de plusieurs salariés. « Essayer d’être une entreprise avec une vocation Tech for Good, c’est d’abord partir de ses équipes en les accompagnant et en donnant du sens », a assuré Fabienne Dulac.
Orange compte quelque 150.000 salariés dans le monde, dont 90.000 en France. Cela passe par l’inclusion numérique (réseau, équipement, usages), l’empreinte environnementale (consommation énergétique et émission de CO2) et le maintien de l’humain dans le processus décisionnel (emplois, métiers, futures compétences). Pour illustrer sa démarche misant sur « le collectif », la directrice d’Orange France est revenue sur la Livebox 5, première box « éco-conçue » (3) lancée en octobre : «Nous avons fait le choix de ne pas embarquer le Wifi 6 car seuls 1% des Français sont capables de l’utiliser aujourd’hui, 4% fin 2020. Le Wifi 6 consomme plus d’énergie et émet plus de CO2. La presse tech a considéré que les ingénieurs d’Orange s’endormaient et avaient oublié l’innovation ! Non, on ne l’a pas oubliée. Mais cette box n’anticipe pas cinq ou dix ans, avec une empreinte environnementale qui n’a pas de sens ». @