Pour la reconnaissance faciale à distance ou locale, les enjeux éthiques ne sont pas les mêmes

Identifier un visage dans une foule soulève de sérieuses questions sur les libertés individuelles. Mais il existe de nombreux autres usages de la reconnaissance faciale, notamment la validation d’identité en local. Ces utilisations ont vocation à se développer mais posent d’autres questions éthiques.

Par Winston Maxwell* et David Bounie**, Telecom Paris, Institut polytechnique de Paris

L’utilisation de la reconnaissance faciale pour l’identification à distance constitue une menace pour les libertés individuelles, car cela tend à banaliser une société de surveillance. Selon le New York Times, une start-up américaine Clearview AI a déjà fabriqué des gabarits d’identification de 3 milliards d’individus à partir d’images copiées sur le Web (1). N’importe quelle force de l’ordre – mais pas le grand public (2) – peut utiliser le logiciel de Clearview AI et identifier les visages dans une foule. Cependant, plusieurs villes américaines ont temporairement banni cette utilisation de la technologie par leurs autorités publiques.

Google (Chrome), Firefox (Mozilla) et Safari (Apple) bannissent les cookies ; Criteo assure s’adapter

L’icône de la French Tech, Criteo, leader mondial du (re)ciblage publicitaire en ligne tente de rassurer sur sa capacité d’adaptation. Remplaçant depuis trois mois le fondateur Jean-Baptiste Rudelle à la direction générale de l’entreprise basée à Paris, Megan Clarken tente de rassurer les investisseurs.

Alors que les cookies – ces petits traceurs publicitaires déposés dans les terminaux des internautes pour mieux les cibler – ne sont plus en odeur de sainteté sur Internet, l’icône de la French Tech de la publicité en ligne, Criteo, a décidé de s’en détourner elle aussi. « Nous croyons que l’industrie aurait dû remplacer depuis longtemps les cookies utilisés pour personnaliser le ciblage publicitaire sur le Web, et nous nous réjouissons des efforts concertés pour aller au-delà de ces cookies de manière sécurisée », vient même de déclarer Megan Clarken (photo), directrice générale de Criteo depuis trois mois.

« Nous avons déjà des solutions » (dixit la CEO)
Cette Nouvelle-zélandaise, basée à Paris au coté du président du conseil d’administration de Criteo et fondateur Jean-Baptiste Rudelle, a passé quinze ans chez le géant américain du marketing Nielsen (1) où elle y est entrée en Australie. Megan Clarken prend les rênes de la Big Tech française (plus de 2,2 milliards de chiffre d’affaires en 2019 pour un bénéfice net de 96 millions de dollars) au moment où trois des principaux navigateurs web – Chrome de Google, Firefox de Mozilla et Safari d’Apple – ont décidé d’abandonner les cookies tiers. Mais la nouvelle CEO veut rester confiante quant à l’avenir de l’entreprise. « Nous sommes très bien positionnés pour ce changement. Toutes nos solutions sont développées sur le mode privacy-by-designet nous opérons strictement sous le consentement de l’utilisateur. Nous en sommes fiers », a-t-elle assuré lors d’une conférence téléphonique le 11 février dernier, à l’occasion de la présentation des résultats annuels.
« Nous sommes convaincus que les utilisateurs devraient également avoir un choix clair et individuel en ce qui concerne leur expérience publicitaire, que la publicité personnalisée apporte de multiples avantages à l’écosystème, y compris au niveau de l’utilisateur, et que les navigateurs ne devraient pas contrôler la portabilité des données », a ajouté la nouvelle patronne. Pour ne plus dépendre des cookies comme traceurs publicitaires et rassurer son avenir, Criteo affirme que près de la moitié de son activité est cookie-less. « Aujourd’hui, a précisé Megan Clarken, nous avons déjà des solutions grâce aux intégrations directes des éditeurs, nos solutions d’identification mobile, et le “retail media” (2) qui fonctionnent sans cookies ». Mais les investisseurs, eux, ne sont pas aussi confiants en l’avenir de Criteo. Certains d’entre eux voient dans la légère érosion historique du chiffre d’affaires (-1,7 %), à précisément 2,261 milliards de dollars en 2019, contre 2,300 milliards un an auparavant, le début de la fin pour Criteo. « Nous reconnaissons que pour les investisseurs, le sujet de l’identité plus large (3) peut sembler être une menace majeure pour nous, mais, pour être clair, nous ne voyons pas les choses de cette façon, s’est-elle inscrite en faux. Notre stratégie de résolution de l’identité, qui tire parti de nos actifs différenciés et prévoit quatre couches complémentaires, nous aidera à couvrir les 50 % restants (de nos activités) ».
Il y a un an, l’entreprise française avait déjà frôlé la catastrophe industrielle à la suite de changements technologiques opérés par Google et Facebook, Jean-Baptiste Rudelle ayant alors parlé de « choc exogène très violent » (4). Cotée au Nasdaq à New York depuis 2013, l’ex-licorne française a vu son cours de Bourse dégringoler à moins de 14 dollars l’action aujourd’hui (au 21-02-20), contre 54,80 dollars lors du pic de mai 2017. Sa capitalisation boursière est passée en-dessous de la barre du milliard de dollars à 868 millions de dollars – bien loin des plus de 2 milliards de mi-2014. Et ce, au moment où Google a annoncé le 14 janvier dernier sa décision de rendre « obsolètes » d’ici deux ans les cookies tiers pour les remplacer par une solution moins intrusive pour les utilisateurs, baptisée « Privacy Sandbox ». « Mais nous ne pouvons pas y arriver seuls, avait prévenu Justin Schuh, le directeur de Chrome Engineering chez Google, sur le blog « Chromium » du géant du Net (5). Et c’est pourquoi nous avons besoin de l’écosystème pour participer à ces propositions. Nous prévoyons de commencer les premiers essais initiaux d’ici la fin de cette année, en commençant par la mesure de la conversion et en poursuivant par la personnalisation ». Le premier des GAFAM se rend à l’évidence : les utilisateurs exigent une plus grande confidentialité, y compris la transparence, le choix et le contrôle sur la façon dont leurs données sont utilisées.

Craintes accrues des éditeurs et annonceurs
Aussi, l’écosystème du Web doit évoluer pour répondre à ces exigences croissantes de protection de la vie privée et des données personnelles. Certains navigateurs tels que Firefox ou Safari permettent le blocage des cookies tiers, lorsque ce ne sont pas des ad-blockers qui sont utilisés. La disparition annoncée des cookies fait encore plus frémir les éditeurs en ligne et les annonceurs, déjà très inquiets de l’entrée en vigueur de l’obligation de recueillir le consentement préalable des internautes avant de déposer ou pas les traceurs publicitaires. @

Charles de Laubier

A partir des années 2030, les lunettes de réalité augmentée pourraient remplacer les smartphones

La réalité augmentée sera la prochaine technologie de rupture, selon Mark Zuckerberg. Le changement de paradigme pourrait intervenir d’ici 2030. Les lunettes de réalité augmentée se substitueront aux téléphones mobiles. Les utilisateurs pourront déjouer l’espace-temps.

« Même si je m’attends à ce que les téléphones soient encore nos appareils primaires au cours de la majeure partie de cette décennie, nous aurons à un moment donné dans les années 2020 des lunettes de réalité augmentée qui vont redéfinir notre relation avec la technologie », a prédit Mark Zuckerberg, dans un post sur son compte Facebook le 9 janvier. Pour le patron cofondateur du réseau social devenu numéro un mondial, la réalité augmentée va être la technologie grand public des années 2030, après que le téléphone mobile l’ait été depuis les années 2010, précédé par le Web des années 2000, et encore auparavant par les ordinateurs de bureau à partir des années 1990.

Le sentiment d’être là, bien qu’ailleurs
« Chaque plateforme informatique devient plus accessible et naturelle pour que nous interagissions avec, a encore expliqué “Zuck” dans sa prévision décennale. La réalité augmentée et virtuelle consiste à donner un sentiment de présence — le sentiment que vous êtes juste là avec une autre personne ou dans un autre endroit. Au lieu d’avoir des appareils qui nous éloignent des gens qui nous entourent, la prochaine plateforme nous aidera à être plus présents les uns avec les autres et aidera la technologie à sortir du chemin ». Pour le président de Facebook, les appareils de réalité augmentée comme les lunettes voire les casques sont encore lourds ou gênants, mais il fait le pari que ces équipements deviendront à terme les « plateformes de technologies les plus humaines et sociales jamais construites ». Le fait d’avoir la capacité d’« être “présent” n’importe où » aidera chacun d’entre nous à répondre à quelques-uns des plus grands enjeux sociaux de nos journées. « Aujourd’hui, beaucoup de gens ont l’impression qu’ils doivent déménager dans les villes parce que c’est là que les emplois sont. Mais il n’y a pas assez de logements dans de nombreuses villes, donc les coûts immobiliers montent en flèche, alors que la qualité de vie diminue. Imaginez si vous pouviez vivre n’importe où et choisir n’importe quel travail ailleurs. Si nous livrons ce que nous sommes en train de construire, cela devrait être beaucoup plus proche de la réalité d’ici 2030 », a-t-il prévenu. Près de six ans après s’être emparée de la société Oculus VR, acquise en mars 2014 pour 2 milliards de dollars et à l’origine des casques de réalité virtuelle Oculus Rift Oculus Go, Oculus Quest et du Gear VR de Samsung, la firme de Menlo Park (Californie) voit désormais son avenir dans la réalité augmentée. Celle-ci s’avère plus prometteuse que la réalité virtuelle qui constitue encore un marché de niche. En décembre dernier, Facebook a même confirmé concevoir un système d’exploitation propriétaire qui sera utilisé pour ses futures lunettes de réalité augmentée dont le projet est en cours (1).
C’est Andrew Bosworth (photo), vice-président de la réalité augmenté (AR) et de la réalité virtuelle (VR) de Facebook qui l’a indiqué au site web The Information le 19 décembre : « Nous voulons vraiment être sûrs que la prochaine génération (de système d’exploitation) ait de la place pour nous. (…) Et nous allons le faire nous-mêmes ». Ce proche de Mark Zuckerberg a mis en place au sein du groupe, à partir de 2017, l’organisation « AR/VR » (2) qu’il chapeaute tout en s’occupant des matériels associés grand public comme Oculus, Portal (gamme d’écrans connectés) ou les nouveaux produits issus de Facebook Reality Labs comme le future Facebook OS (pour operating system). « La mission de l’organisation AR/VR est de donner aux gens les outils dont ils ont besoin pour se sentir connectés n’importe quand, n’importe où. Nous avons introduit notre première génération de produits de réalité virtuelle Oculus et nous nous engageons à faire progresser la technologie grâce à l’innovation continue au sein de Facebook Reality Labs. A l’avenir, nos lunettes AR fusionneront le monde physique et le monde numérique, mélangeant ce qui est réel avec ce qui est possible, ce qui donnera lieu à la prochaine technologie de consommation courante, indispensable et portable », promet déjà Facebook dans sa communication institutionnelle (3).

Réalités augmentée et virtuelle, ensemble
Facebook Reality Labs rassemble une équipe de chercheurs, de développeurs et d’ingénieurs triés sur le volet pour créer l’avenir de la réalité virtuelle et augmentée. Car pour le réseau social à la lettre « f » sur fond bleu « la réalité augmentée et la réalité virtuelle, ensemble, deviendront aussi universels et essentiels que les téléphones intelligents et les ordinateurs personnels aujourd’hui – et tout comme les ordinateurs personnels l’ont fait au cours des 45 dernières années, l’AR et la VR finiront par tout changer sur la façon dont nous travaillons, nous jouons et nous nous connectons ». L’équipe de développement de cette nouvelle plateforme va d’ailleurs s’installer – avec les effectifs des autres technologies d’avenir – dans un nouveau campus en cours de construction dans la petite ville californienne de Burlingame, en Californie, situé à une vingtaine de kilomètres au nord du siège social de Facebook (toujours dans la Silicon Valley).

Facebook a prévu de lancer en 2020 Horizon, un monde social en réalité virtuelle accessible à partir des casques Oculus. Dans cet « espace social », les utilisateurs pourront se rencontrer via leurs avatars respectifs – personnalisables à souhait.

Interface cerveau-machine pour l’AR/VR
« Nous développons toutes les technologies nécessaires pour permettre la percée des lunettes AR et des casques d’écoute VR, y compris l’optique et les écrans, la vision par ordinateur, l’audio, les graphiques, l’interface cerveau-ordinateur, l’interaction haptique [le sens du toucher, ndlr], le suivi des yeux/mains/visage/corps, la science de la perception et la vraie télé-présence. Certains d’entre eux avanceront beaucoup plus vite que d’autres, mais ils doivent tous arriver pour permettre la RA et la RV d’être si convaincantes qu’ils deviennent une partie intégrante de nos vies », assure Michael Abrash, chef scientifique de Facebook Reality Labs (4).
Pour garder son groupe sous contrôle au regard de tous ces développements d’avenir, Mark Zuckerberg entend assurer son indépendance technologique vis-à-vis des autres géants du Net rivaux tels que Google, Apple ou encore Amazon, que cela soit vis-à-vis des systèmes d’exploitation (Android ou iOS), mais aussi en matière d’assistant vocal (Assistant, Siri ou Alexa) et d’intelligence artificielle. « Nous ne pensons pas pouvoir faire confiance au marché ou à nos rivaux », a même indiqué Andrew Bosworth. Les futures lunettes intelligentes de réalité augmentée fonctionneront donc sur Facebook OS. Lorsqu’elle a acheté en septembre 2019 CTRL-Labs, une start-up newyorkaise spécialisée dans l’interface neurale, pour une somme située entre 500 millions de dollars et 1 milliard de dollars (selon des médias américains), la firme de Menlo Park a assuré que le cerveau est l’avenir de la machine. Cela passe notamment par un bracelet électronique. « Vous avez des neurones dans votre moelle épinière qui envoient des signaux électriques à vos muscles de la main en leur disant de se déplacer de manière spécifique comme pour cliquer sur une souris ou appuyer sur un bouton. Le bracelet va décoder ces signaux et les traduire en un signal numérique que votre appareil peut comprendre, vous donnant le contrôle de votre vie numérique, et nous ferons que compte Facebook, lors du rachat de CTRL-Labs. Ainsi, le bracelet « capture l’intention » de l’utilisateur qui le porte pour que celui-ci puisse par exemple « partager une photo avec un ami, en faisant un mouvement imperceptible ou juste en y pensant ». Facebook compte bien développer cette technologie neuronale « à grande échelle » et le proposer « rapidement » aux consommateurs, à la place de la souris (curseur) ou du toucher (à l’écran). La pensée pourrait devenir la télécommande de l’Internet de demain… « Je pense, donc j’interagis ! ». De l’AR à la VR, il n’y a qu’un pas. En novembre dernier cette fois, la filiale Facebook Technologies – nouveau nom de Oculus VR – a annoncé le rachat du studio de développement de jeux vidéo Beat Games, basé à Prague (Tchéquie) et éditeur du jeu vidéo en réalité virtuelle « Beat Saber ». Mike Verdu, le directeur des contenus AR/VR chez Facebook s’est félicité de cette acquisition et a indiqué qu’il y en aura d’autres – y compris dans le domaine de la réalité augmentée.
En outre, Facebook a prévu de lancer cette année Horizon, un monde social en réalité virtuelle accessible à partir des casques Oculus (il s’en serait vendu plus de 1 million d’unités en 2019). Dans cet « espace social », les utilisateurs pourront se rencontrer via leurs avatars respectifs – personnalisables à souhait. La version bêta test d’Horizon est prévue en ce début d’année, si Facebook respecte le calendrier annoncé en septembre dernier. Les environnements virtuels plus anciens comme Oculus Rooms (lancé en 2016) et Facebook Spaces (lancé en 2017) ont été fermés en fin d’année 2019. Mark Zuckerberg espère toujours attirer un jour 1 milliard de personnes dans les mondes virtuels. Selon le cabinet d’études SuperData Research (groupe Nielsen), le marché de l’immersion – réalité virtuelle et réalité augmentée comprises – a généré 6,6 milliards de dollars dans le monde en 2018 et devrait exploser de plus de 400 % d’ici à 2022 !

L’extinction du réseau de cuivre a déjà commencé, bien avant le calendrier 2023-2030 fixé par Orange

Depuis qu’Orange a annoncé le 4 décembre le « décommissionnement » du réseau téléphonique de cuivre à partir de 2023 et son extinction totale d’ici la fin de la décennie, le doute s’installe quant à la faisabilité d’une telle décision sur tout le territoire. L’ADSL convient encore à la majorité des Français.

Facile à dire, difficile à faire. L’extinction du cuivre sur huit ans maximum, de 2023 à 2030, est un ultimatum qui se le dispute à une gageure. L’objectif est inscrit dans le nouveau plan stratégique de l’opérateur historique Orange que le PDG Stéphane Richard (photo) a présenté début décembre. « La décision d’Orange d’arrêter le cuivre en 2030 est une décision de l’opérateur. L’Arcep a pour rôle d’encadrer cette fermeture qui a un impact sur les concurrents », indique le gendarme des télécoms à Edition Multimédi@.

Vers des zones de migration accélérée (ZMA)
Pour autant, « l’Arcep s’interroge sur les modalités concrètes de cette transition et l’introduction éventuelle de mécanismes incitatifs afin d’envoyer les signaux économiques pertinents ». Elle l’a indiqué lors de sa consultation publique « Accès fixe à haut et très haut débit » durant l’été dernier (1), en vue de la préparation des décisions pour le prochain cycle de régulation 2020- 2023. Car le régulateur y tient et y veillera : « La transition à venir doit donc être envisagée et préparée, sans pour autant négliger le caractère aujourd’hui toujours essentiel du réseau cuivre. Une qualité de service suffisante doit être assurée sur le réseau cuivre pour les utilisateurs qui en dépendent (…). Le réseau cuivre continue d’accueillir la plus grande partie des utilisateurs et sa qualité de service reste encore un enjeu systémique ». Et pour cause : le haut débit sur ADSL – voire le très haut débit sur VDSL2 – est encore largement plébiscité par les foyers français, qui sont encore près de 20 millions à être abonnés à une telle connexion sur paire de cuivre téléphonique. Pourquoi ? Parce qu’elle répond amplement à leurs besoins d’accès à Internet, de par la qualité du réseau de cuivre – probablement le meilleur au monde – et le tarif économique du triple play à 30 euros par mois depuis dix-sept ans. Alors que l’abonnement mensuel à la fibre optique coûte 40 à 50 euros (2). Résultat, selon les chiffres de l’Arcep au 30 septembre 2019 : seulement 6,3 millions de foyers sont passés à ce fameux FTTH (Fiber-To-The-Home), sur un total de 16,7 millions de foyers pourtant éligibles sur toute la France. « La qualité de service du cuivre demeure donc essentielle pour des millions d’entreprises et de foyers, pour des services de téléphonie fixe ou de haut débit. Pour assurer son maintien, un renforcement des garanties existantes apparaît souhaitable pour le prochain cycle d’analyse », prévient l’Arcep. Le gendarme des télécoms, qui restituera en 2020 le résultat de sa consultation et son analyse du marché, pourrait par exemple demander à Orange de donner « une vision d’ensemble des signalements et de leur traitement par territoire » provenant notamment de ses deux sites web Dommages-reseaux.orange.fr et Signal-reseaux.orange.fr.
Une autre proposition serait de définir des zones dites de « migration accélérée », ou ZMA, sur lesquelles l’orientation vers les coûts de l’accès à la paire de cuivre serait levée – favorisant ainsi la migration des opérateurs concurrents et de leurs clients vers la fibre optique. Mais ces ZMA seraient conditionnées à la présence d’une autre infrastructure que la boucle locale de cuivre, à la disponibilité d’offres de gros diversifiées pour les marchés du fixe résidentiel et professionnel, et au caractère opérationnel et fonctionnel du réseau. Ces ZMA viendraient logiquement dans le prolongement des endroits du territoire ayant déjà le statut de « zone fibrée », prévu par la loi de 2016 « pour une République numérique » pour constater la couverture complète d’une commune.
Quoi qu’il en soit, les modalités actuellement retenues par l’Arcep pour la fermeture technique de la boucle locale cuivre par l’opérateur historique prévoient « un délai de prévenance de cinq ans » avant la fermeture technique des lignes au niveau d’un NRA (nœud de raccordement d’abonnés) ou d’un SR (sous-répartiteur).

Préavis de 5 ans trop long, selon Orange
Ce préavis de cinq ans est « assorti d’un prérequis sur les “conditions techniques et économiques” des boucles locales optiques déployées et destinées à remplacer la boucle locale de cuivre, satisfaisantes pour permettre la réplicabilité des offres disponibles sur le réseau cuivre, en particulier s’agissant des options de qualité de service destinées au marché spécifique entreprises » (3). Ce délai de cinq ans est aussi exigé par l’Arcep pour l’arrêt de la technologie analogique RTC – le réseau téléphonique commuté – prévu par Orange (4) d’ici à fin 2023 (au lieu de 2021 initialement envisagé). L’opérateur historique demande au régulateur de réduire ce délai de cinq ans qui le gêne pour accélérer l’extinction du cuivre. « Nous pensons (…) que ce délai de cinq ans est trop long, et c’est la raison pour laquelle nous avons demandé à l’Arcep de raccourcir ce délai de façon que l’on puisse s’engager plus nettement dans un processus de disparition du cuivre », a fait valoir Stéphane Richard, lors de son audition du 18 décembre dernier au Sénat. L’opérateur historique prépare les esprits à l’extinction du cuivre qui débutera « réellement en 2023 » (dixit le PDG d’Orange) et qui sera complètement achevée en 2030.

Des collectivités inquiètes pour leur cuivre
Mais avant ce processus qui s’étale sur sept à huit ans, « une première phase d’expérimentation » donnera un avant-goût du tout-optique. Dans les faits, comme peut le constater Edition Multimédi@, le réseau de cuivre est déjà abandonné par endroits. En Ile-de-France par exemple, plusieurs communes procèdent avec le Sigeif (5) à l’enfouissement des réseaux aériens (électricité et télécoms) sous les trottoirs. Il est expliqué aux riverains que leurs lignes de cuivre « non-actives » (comprenez sans un abonnement en cours) ne seront pas réinstallées dans les goulottes sous-terraines. Seules les lignes de cuivre actives le seront. « L’ADSL, c’est fini. Place à la fibre », nous explique-t-on oralement, sans autre forme de préavis !
Sans attendre 2023, le retrait des paires de cuivre a donc déjà démarré depuis longtemps, comme l’a indiqué Stéphane Richard au Sénat : « Au cours des quatre dernières années, 80.000 tonnes de cuivre ont déjà été retirées de nos réseaux en France, en particulier dans les zones très denses, où la fibre a été largement déployée. (…) Chacun doit comprendre qu’on ne pourra conserver indéfiniment deux réseaux fixes en France : un réseau de fibre optique et un réseau de cuivre ». En attendant les obligations que lui imposera l’Arcep dans le cadre du prochain cycle de régulation 2020-2023, l’opérateur historique tente de rassurer : il « continuera d’optimiser son réseau cuivre en France » ; « cela se fera de manière très progressive de façon à accompagner l’ensemble des utilisateurs du réseau dans la transition vers la fibre ». L’opérateur historique est surtout tenu d’assurer sur toute la France le service universel téléphonique, selon lequel toute personne peut faire la demande de bénéficier d’un raccordement fixe et d’un service téléphonique de qualité à un tarif abordable. Stéphane Richard, lui, n’y voit que des inconvénients : « Le service universel est un peu surréaliste : personne ne peut le faire, et personne ne veut être candidat. Nous étions le seul candidat, et s’il n’y avait eu personne, nous aurions été contraints de le faire… Le service universel ne rapporte que des coûts et des ennuis » !
La perspective d’une extinction précipitée du réseau de cuivre inquiète nombre de communes qui n’en voient pas l’intérêt, alors même que la fibre optique est pour beaucoup d’entre elles encore une arlésienne. Et encore, même lorsque le FTTH est à proximité (via ses « prises raccordables »), les administrés ne se précipitent pas pour s’abonner pour les raisons déjà évoquées plus haut. Sans compter les communes – comme Betz et Ermenonville dans l’Oise, par exemple – qui refusent d’être fibrées ! « Trop coûteux », « Non prioritaire », « Attendons la 5G », expliquent les maires pragmatiques. Le régulateur tente de justifier et d’assurer que tout est sous contrôle : « La décision d’Orange est une décision anticipable, logique dans le contexte de déploiement massif du réseau fibre, et de la bascule bien engagée des abonnés sur cuivre vers la fibre, nous dit-il. Cela n’aurait pas de sens pour le secteur de financer durablement deux boucles locales. Plusieurs opérateurs alternatifs se sont d’ailleurs exprimés en ce sens récemment. C’est bien pour anticiper ce mouvement que l’Arcep a interrogé les acteurs du marché, Orange comme les opérateurs alternatifs ». Le groupe Iliad, maison-mère de Free, s’est dit sur la même longueur d’onde qu’Orange pour arrêter le cuivre le plus tôt possible. Leurs dirigeants l’ont exprimé lors de « Trip » organisé début novembre 2019 par l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca). Ce groupement de collectivités, qui représente 19 villes, 83 intercommunalités et syndicats de communes, affirme que 2.600 communes intégralement fibrées dans le cadre de réseaux d’initiative publique (Rip) pourraient d’ores et déjà se passer de cuivre.

VDSL2 : le très haut débit sur cuivre
Le décuivrage précipité de la France donnera en outre un coup d’arrêt au VDSL2 qui permet du très haut débit sur le réseau de cuivre pour les abonnés situés à proximité d’un sous-répartiteur. Au 30 septembre 2019, d’après l’Arcep, près de 6 millions de lignes téléphoniques bénéficient de cette technologie (5.946.000 précisément). Mais ce parc « VDSL2 » a atteint son maximum depuis plus d’un an (6). Pour la première fois, les abonnés FTTH (6.351.00) dépassent enfin ceux du VDSL2. @

Charles de Laubier

A la poursuite du droit à l’oubli et d’un équilibre par rapport aux autres droits fondamentaux

Le droit à l’oubli sur Internet – dont le droit au déréférencement sur les moteurs de recherche – n’est pas un droit absolu. Il s’arrête là où commencent d’autres droits fondamentaux comme la liberté d’informer – selon le principe de proportionnalité. Mais cet équilibre est à géométrie variable.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

L’oubli est une préoccupation récente aux racines millénaires. C’est d’abord un concept auquel notre civilisation est rompue depuis le code de Hammurabi (1). Cependant, l’effectivité de l’oubli a été profondément remise en cause par la révolution numérique car la donnée devient aujourd’hui indéfiniment apparente sur les sites web et immédiatement accessible par les moteurs de recherche. Dès lors, le législateur comme le juge œuvrent pour adapter un droit à l’oubli (2) à l’outil numérique.

Conditions du droit au déréférencement
Deux arrêts ont été rendus le 24 septembre 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui contribuent à en définir les modalités. Nous nous intéresserons à celui (3) qui apporte d’importantes précisions sur les conditions dans lesquelles une personne peut exercer son droit au déréférencement. Ce droit permet à une personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats qui apparaissent à partir d’une requête faite avec son nom et son prénom lorsque ces résultats renvoient vers des pages contenant des informations sensibles la concernant (par exemple, sa religion, ses opinions politiques ou l’existence d’une procédure pénale). Cette suppression concerne uniquement la page de résultats et ne signifie donc pas l’effacement des informations sur le site web source. Les informations continuent d’exister, mais il est plus difficile et long de les retrouver.
Au regard des textes successivement applicables (4), et des enseignements de la jurisprudence « Google Spain » (5) de 2014, la CJUE apporte les précisions suivantes :

Les interdictions et les restrictions au traitement de certaines données, comme les exceptions prévues par les textes, s’appliquent à l’exploitant d’un moteur de recherche à l’occasion de la vérification qu’il doit opérer à la suite d’une demande de déréférencement. Le rôle du moteur de recherche est décisif dans la mesure où, techniquement, il permet de trouver immédiatement, dans l’océan des données disponibles sur Internet, toutes les informations sur une personne dénommée, et, en les regroupant, de constituer ainsi un profil. La cour rappelle que l’exploitant d’un moteur de recherche n’est pas responsable des données existantes, mais uniquement de leur référencement et de leur affichage dans une page de résultats suite à une requête nominative. Cet exploitant doit respecter la législation sur le traitement des données comme les éditeurs de sites web. Tout autre interprétation constituerait « une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel » qui sont garantis par les textes.

L’exploitant d’un moteur de recherche a l’obligation de faire droit à la demande de la personne concernée… sauf si des exceptions (prévues par les textes) s’appliquent. La CJUE rappelle que les Etats membres doivent garantir aux personnes concernées le droit d’obtenir du responsable de traitement l’effacement des données dont le traitement n’est pas conforme aux textes. De même, en cas de demande de déréférencement, l’exploitant d’un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultats, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations sensibles relatives à cette personne, même si lesdites informations ne sont pas effacées préalablement ou simultanément de ces pages web, et même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite. Enfin, la cour rappelle que le consentement de la personne au traitement de ce type d’information est nécessaire et qu’il n’existe plus à partir du moment où ladite personne demande le déférencement. Il n’est donc pas nécessaire de prouver que le référencement cause un préjudice.

Droit absolu et principe de proportionnalité
Ce régime extrêmement protecteur, eu égard à l’importance de l’impact d’une telle publication pour l’individu, connaît néanmoins une exception de taille. En effet, l’ingérence dans les droits fondamentaux d’un individu peut cependant être justifiée par l’intérêt prépondérant du public à avoir accès à l’information (6) en question. Le droit au déréférencement des données à caractère personnel n’est donc pas un droit absolu, il doit être systématiquement comparé avec d’autres droits fondamentaux conformément au principe de proportionnalité. En conséquence, le droit à l’oubli de la personne concernée est exclu lorsqu’il est considéré que le traitement desdites données est nécessaire à la liberté d’information. Le droit à la liberté d’information doit répondre à des objectifs d’intérêt général reconnu par l’Union européenne ou, au besoin, de protection des droits et des libertés d’autrui.

Droits fondamentaux et liberté d’informer
Lorsqu’il est saisi d’une demande de déréférencement, l’exploitant d’un moteur de recherche doit donc mettre en balance, d’une part, les droits fondamentaux de la personne concernée et, d’autre part, la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche. D’après la CJUE, si les droits de la personne concernée prévalent, en règle générale, sur la liberté d’information des internautes, cet équilibre peut toutefois dépendre de la nature de l’information en question et de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée ainsi que l’intérêt du public à disposer de cette information. Or, cet intérêt peut varier notamment en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique, comme l’illustre la jurisprudence « Google Spain ».

Enfin, la CJUE aborde la question cruciale de la publication relative à une procédure judiciaire, notamment quand ces informations sont devenues obsolètes. Il s’agit des informations concernant une enquête, une mise en examen ou un procès et, le cas échéant, de la condamnation qui en a résulté. La cour rappelle que la publication de ces données est soumise à des restrictions particulières (7) et qu’elle peut être licite lorsqu’elle est divulguée au public par les autorités publiques. Cependant, un traitement initialement licite de données exactes peut devenir avec le temps illicite, notamment lorsque ces données apparaissent inadéquates, qu’elles ne sont pas ou plus pertinentes, ou sont excessives au regard des finalités du traitement ou du temps qui s’est écoulé. L’exploitant d’un moteur de recherche doit encore vérifier, au jour de la demande de déréférencement, si l’inclusion du lien dans le résultat est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés par l’accès à cette page web au moyen d’une telle recherche. Dans la recherche de ce juste équilibre entre le droit au respect de la vie privée des personnes, et notamment la liberté d’information du public, il doit être tenu compte du rôle essentiel que la presse joue dans une société démocratique et qui inclut la rédaction de comptes rendus et de commentaires sur les procédures judiciaires, ainsi que le droit pour le public de recevoir ce type d’information. En effet, selon la jurisprudence (8), le public a un intérêt non seulement à être informé sur un événement d’actualité, mais aussi à pouvoir faire des recherches sur des événements passés, l’étendue de l’intérêt du public quant aux procédures pénales étant toutefois variable et pouvant évoluer au cours du temps en fonction, notamment, des circonstances de l’affaire : notamment « la nature et la gravité de l’infraction en question, le déroulement et l’issue de ladite procédure, le temps écoulé, le rôle joué par cette personne dans la vie publique et son comportement dans le passé, l’intérêt du public à ce jour, le contenu et la forme de la publication ainsi que les répercussions de celle-ci pour ladite personne ».

Outre l’actualité ou le passé définitif, une difficulté demeure pour les informations obsolètes ou partielles. Par exemple, qu’en est-il pour une mise en examen annoncée sur Internet qui a aboutie à un non-lieu ? Ou pour une décision de condamnation frappée d’appel ? L’apport nouveau et essentiel de cet arrêt du 24 septembre 2019 est que la CJUE considère que même si la liberté d’information prévaut, l’exploitant est en tout état de cause tenu – au plus tard à l’occasion de la demande de déréférencement – d’aménager la liste de résultats, de telle sorte que l’image globale qui en résulte pour l’internaute reflète la situation judiciaire actuelle. Ce qui nécessite notamment que des liens vers des pages web comportant des informations à ce sujet apparaissent en premier lieu sur cette liste. Il s’agit là d’une précision essentielle, en théorie, mais qui peut s’avérer complètement inefficace en pratique. Pour apparaître dans les résultats, ces pages (sur la situation judiciaire actuelle) doivent… exister. Que se passe-t-il si des pages web ne comportent pas d’informations sur la suite de la procédure ? Souvent, la presse s’intéresse plus aux mises en examen qu’aux cas de nonlieu. La personne concernée devra-t-elle publier elle-même des pages web sur sa situation judiciaire actuelle ? Mais dans l’esprit du public, quelle force aura cette preuve pro domo (9) ? Devra-t-elle avoir recours à une agence de communication pour ce faire ? Enfin, les délais de traitement des demandes de référencement sont très longs, d’abord pour les moteurs de recherche puis au niveau des autorités de contrôle (la Cnil en France), et, pendant ce temps-là, les résultats de la recherche demeurent affichés ; le mal est fait. Avoir raison trop tard, c’est toujours avoir tort dans l’esprit du public.

Renverser la charge de la preuve ?
Dans ces conditions, pour ce type d’information d’une extrême sensibilité et, au moins, pour les personnes qui ne recherchent pas les suffrages du public, ne conviendrait-il pas de renverser la charge de la preuve ? D’imposer que l’exploitant du moteur de recherche ait l’obligation, à première demande, de déréférencer ces données ? Et s’il considère que la balance penche dans l’intérêt du public, l’exploitant devra saisir l’autorité de contrôle puis, en cas de refus, les tribunaux pour demander l’autorisation de re-référencer le lien. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.