Vidéo à la demande : la France s’adapte au dumping réglementaire

Le décret du 12 novembre 2010 impose des obligations de financement du cinéma français et européen aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Il prend en compte les inquiétudes du CSA, mais le risque de dumping réglementaire demeure.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, et Alexandre Entraygues, avocat, Gide Loyrette Nouel.

Le gouvernement français avait fustigé dès 2009 la distorsion de concurrence entre les plateformes de musique en ligne iTunes et AmazonMP3, lesquels paient la TVA au Luxembourg (3 % sur la part liée aux droits d’auteur, soit sur environ 75 % du prix de vente), tandis que la Fnac et Virgin paient la TVA en France à hauteur de 19,6 %. Cette menace d’un déséquilibre entre le dispositif français, réputé lourd et contraignant, et d’autres dispositifs plus “accueillants” est à nouveau revenue sur le devant de la scène à l’occasion du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAd).

TV : chaînes et fabricants en chiens de faïence

En fait. Le 23 novembre, 11 éditeurs de chaînes de télévision françaises ont rendu publique la « Charte des éditeurs sur les modalités d’affichage des contenus et services en ligne sur les téléviseurs et autres matériels vidéo connectés ».
Les dirigeants audiovisuels ont signé cette charte le 19 octobre.

En clair. La bataille pour prendre le contrôle du poste de télévision est engagée. Selon nos informations, le Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques (Simavelec) s’oppose à la charte « TV connectée » de TF1, France Télévisions, M6, Canal+ et autres NextRadioTV (BFM TV). « L’écran appartient au téléspectateur ! », réplique Bernard Heger, le délégué général de l’organisation professionnelle qui regroupe les fabricants de téléviseurs Samsung, Philips, Panasonic et encore LG Electronics.
Il s’insurge contre cette charte qui a été élaborée sans concertation avec les industriels. Les chaînes y exigent de pouvoir « continuer à exercer un contrôle total et exclusif sur
les contenus et services affichés en surimpression ou autour de leurs programmes diffusés ». Elles « s’opposent à toute démarche visant à tirer profit de leurs programmes ou de leur audience (et notamment des données d’usage) en redirigeant les téléspectateurs vers d’autres contenus et services sans accord préalable de la chaîne concernée ». Les chaînes mettent en avant le fait qu’elles sont « les seuls acteurs habilités à garantir la conformité des contenus affichés avec les contraintes réglementaires en vigueur ». En outre, elle prônent une solution technologique commune européenne : le HbbTV (1), même si la charte ne la mentionne pas expressément.
La charte porte non seulement sur les téléviseurs connectés mais aussi sur d’autres équipements vidéo connectés tels que les décodeurs TNT, des lecteurs-enregistreurs DVD ou Blu-Ray ou encore des consoles de jeux. « Les chaînes veulent contrôler et
la télévision enrichie au HbbTV et l’accès à Internet de cette même télévision. C’est inacceptable », indique Bernard Heger à Edition Multimédi@. Le Simavelec est sur la même ligne que Google, dont le projet de TV connectée va arriver en Europe. Lors du DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier en novembre (2), Carlo d’Asaro Biondo – vice-président de Google (3) – s’est fâché contre les chaînes de télévision qui, selon lui, veulent verrouiller l’écran. « C’est le consommateur qui décide de ce qu’il y a chez lui, sur sa télévision. Comme pour un robot mixeur, on peut faire de la viande hâchée ou des jus de fruits ! », a-t-il lancé invitant à les éditeurs de chaînes à se mettre autour de la table pour négocier. « Google TV n’est pas une alternative à la télévision mais une autre façon de la consommer », a-t-il ajouté. Le colloque que le CSA va organiser en avril sur la TV connectée promet d’être animé… @

Les ayants droits attendent les SMAd au tournant

En fait. Le 22 novembre, la Société civile des auteurs multimédias (Scam)
– dirigée par Hervé Rony depuis cet été – s’est « réjouie » de la publication
au JO le 14 novembre du décret sur les SMAd (VOD, catch up TV, …), malgré
des obligations « en-deçà » de celles imposées aux chaînes télévisions.

En clair. Décidément, à moins d’un mois de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2011,
le décret SMAd suscite toujours des réactions mitigées depuis que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en a limité la portée. Après la filière cinématographique (1) déçue par la nouvelle mouture officialisée (2), ce fut au tour des auteurs multimédias de regretter que les obligations de financement de la production de films français imposées aux SMAd (3) soient « endeçà des obligations auxquelles ont souscrit les télédiffuseurs linéaires ».
La Scam faisait partie des organisations d’ayants droits demandant que ces obligations soient alignées sur celles des chaînes de la TNT et du câble. Au-delà du fait que seuls sont concernés les services en ligne proposant au moins 10 films ou 10 œuvres audiovisuelles, la Scam avait estimé que le seuil de déclenchement fixé à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires était à lui seul suffisant pour prendre en compte le caractère émergent de la vidéo à la demande (VOD) : « Ce seuil permet déjà à la grande majorité des services concernés d’échapper aux engagements d’investissements qui sont ceux des autres diffuseurs ». La télévision de rattrapage (catch up TV) n’est pas concernée par ce seuil car elle est assimilée à la chaîne dont elle dépend. Mais le CSA a
« surenchéri » en instaurant une progressivité « qui a pour effet d’amoindrir encore les obligations des SMAD », selon la Scam. Résultat : le décret prévoit une montée en charge des obligations de production des services de VOD à l’acte et par abonnement. En effet, le décret indique que les taux pleins – à savoir la part du chiffre d’affaires annuel net consacrée à la production des films – sont atteints à la troisième année d’activité seulement après deux taux moindres applicables. Exemple : 8 % la première année, 10 % la seconde et 12 % la troisième pour les films français proposés après leur sortie en salle au-delà de 36 mois (4). Mais ce premier décret suffira-t-il à laisser ces services émergents devenir plus mature et plus solides financièrement pour affronter
la concurrence des Google TV, Apple TV et autres Hulu ? Rendez-vous dans 18 à 24 mois, prévoit le texte. En attendant, le CSA a lancé le 26 novembre un appel à candidatures pour des SMAd sur le multiplexe R3 de la TNT. Tandis qu’est attendu pour mi-décembre le rapport de Sylvie Hubac, conseillère d’Etat à qui le CNC a confié la mission de faire des propositions de « rémunération minimale garantie » pour l’exploitation de films de cinéma sur les SMAd. @

Neutralité du Net : les régulateurs n’attendent plus que les lignes directrices européennes

Le super-régulateur européen des télécoms (ORECE) a publié le 8 octobre 2010 sa réponse à la consultation publique de la Commission européenne sur la neutralité du Net. Il prône une approche prudente de la réglementation. En attendant des lignes directrices communautaires.

Par Winston Maxwell (photo), avocat, Hogan Lovells

Laisser une grande place à la concurrence pour régler d’éventuel dérives. Telle est la préconisation de l’ORECE, qui constate que
les incidents en matière de neutralité d’Internet sont rares en Europe. Ceux qui ont eu lieu ont pu être réglés rapidement sans l’intervention du régulateur. La neutralité stricte – à savoir le traitement non-discriminatoire de tous les flux – n’existe pas dans la réalité, car
des opérateurs appliquent d’ores et déjà tout genre de mesures
de gestion de trafic.

Futur décret SMAd : désaccord entre cinéma et vidéo

En fait. Le 26 octobre, NPA Conseil a organisé la 12e édition de son colloque
« Quelles stratégies industrielles pour les médias numériques ? », sur fond de multiplication des écrans (télé, PC, mobile, TV connectée…). Il a été beaucoup question de l’avis surprise du CSA contre le projet de décret SMAd.

En clair. L’avis défavorable que le CSA a rendu au gouvernement le 27 septembre sur
le projet de décret fixant les obligations d’investissement des SMAd (1) – vidéo à la demande et télévision de rattrapage – dans les films de cinéma français et européens, n’en finit pas de faire des vagues. La filière cinématographique (UPF, APC, SPI, ARP, …) a exprimé sa surprise et son désaccord avec le CSA. Lors du colloque «NPA Conseil-Le Figaro », Marc Tessier – président de Video Futur et président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVD) – s’est félicité de cet avis. « Le CSA a eu la sagesse d’adopter un taux progressif avec une clause de réexamen dans 18 ou 24 mois. Cela aurait été une anomalie que d’appliquer aux SMAd un taux [de contribution financière calculée sur le chiffre d’affaires] identique à celui de la télévision. Nous n’avons pas les mêmes marges ! », a-t-il souligné. Le président du CSA, Michel Boyon, a profité du colloque pour rappeler le caractère « nouveau » de ces services audiovisuels à la demande, lesquels affichent encore une « rentabilité fragile » et sont confrontés à une « concurrence frontale de services transnationaux », avec la crainte de voir débarquer en Europe les Google TV, Apple TV et autres Hulu. Si l’on y ajoute les « difficultés d’accès aux droits de diffusion », le régulateur a préféré conseiller au gouvernement de ne pas prendre le risque de voir les SMAd nationaux se délocaliser hors de France pour échapper à des « obligations excessives ». Et comme l’a relevé Laurence Franceschini, directrice générale de la DGMIC (2), « c’est la première fois que le CSA communique
sur l’aspect “défavorable” d’un avis ». Si les plateformes de VOD se sont dite rassurées, notamment par la voix de la Fédération française des télécoms demandant une progressivité des obligations sur sept ans, les chaînes de télévision – TF1, M6, Canal+, … –, qui misent aussi sur la délinéarisation, le sont aussi. Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, a profité du débat pour ironiser :
« Je soutiens l’avis du CSA car (…) lorsque la Mafia raquette une pizerria, elle attend qu’il y ait de l’argent. Alors qu’en France, on raquette la pizerria avant même de savoir si elle a de l’argent ! ». Ce qui n’a pas manqué d’agacer Hervé Rony et Pascal Rogard, directeurs généraux respectivement de la Scam (3) et de la SACD (4), soucieux de
« préserver la diversité culturelle ». @