Manuel Alduy, directeur du cinéma de Canal+ : « La catch up TV revalorise les films »

Alors que Canal+ annonce le lancement en novembre sur SFR de son offre de VOD par abonnement, CanalPlay Infinity, le directeur du cinéma de la chaîne cryptée répond aux questions de EM@ : préfinancement, TV de rattrapage, Orange Cinéma Séries, SVOD, chronologie des médias, ou encore concurrence venant du Web.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le groupe Canal+ est historiquement le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français avec environ 200 millions d’euros investis par an dans le pré-achat de films : quel est montant exact à ce jour et comment a-t-il évolué ?
Manuel Alduy :
Conformément à ses accords avec le cinéma français, Canal+ préachète pour environ 200 millions d’euros par an de films français et européens. Ces acquisitions de droits incluent les droits de télévision de rattrapage, qui n’est qu’une nouvelle forme de la multidiffusion déjà pratiquée depuis vingt-sept ans par Canal+. Concernant l’évolution de nos investissements, nous devrions acquérir environ 115 films d’expression originale française cette année, soit un volume inférieur à l’an passé qui était exceptionnelle (130), mais supérieur à la moyenne des 6 dernières années (112), parmi les 500 projets qui nous ont été présentés.

Mipcom : le téléviseur tente de rester incontournable

En fait. Le 6 octobre s’est achevé le 27e Marché international des programmes audiovisuels (Mipcom) qui s’est tenu à Cannes durant quatre jours : 12.500 représentants de 4.211 sociétés, provenant de 102 pays, se sont retrouvés
pour vendre et acheté des droits de diffusion sur tous les écrans connectés.

En clair. Le Mipcom en automne et le MipTV au printemps (1), organisés par le groupe anglo-néerlando-américain Reed Elsevier (2), sont les plus grands marchés mondiaux
des programmes audiovisuels : « pilotes » (nouveautés) pour le premier, « formats » (déclinables dans différents pays) pour le second. Applications mobiles, Web, TV connectée, … Le téléviseur n’est plus le seul écran à être convoité par les producteurs
de programmes audiovisuels. Les chaînes souhaitent pourtant que la télévision reste
« le média autour duquel les autres gravitent », comme l’a exprimé Anne Sweeney, coprésidente de Disney Media Networks et président d’ABC Television. « Les technologies d’avenir vont s’appuyer sur la bonne vieille télévision », a abondé Kevin Reilly, président du divertissement de Fox Broadcasting. Cette filiale du groupe News Corp a diffusé cette année en avant-première sur iTunes et en VOD un épisode de sa nouvelle comédie New Girl. Résultat: plus de 2 millions de téléchargements et, grâce
à un bouche-à-oreille sur Twitter et Facebook, Kevin Reilly a expliqué que « la série
a démarré à l’antenne avec les meilleurs scores d’audience pour une comédie depuis
dix ans ».
Tous les chemins mènent à la télévision ? « Les frontières entre le contenu et la technologie sont en train de s’effacer », admet Anne Sweeney. Le studio Miramax, ancienne filiale de Disney, ne fait plus des chaînes de télévision un passage obligé.
Son directeur général, Mike Lang, multiplie les accords de distribution numérique : Netflix, Hulu, Facebook, Google TV. Apple, … Miramax est ainsi le deuxième studio
de cinéma américain à proposer certains de ses films sur Facebook, après Warner
Bros dès le mois de mars (3).
Netflix, la plateforme de VOD sur laquelle les séries TV représentent désormais 50
à  60 % des visionnages, achète de plus en plus de droits en première exclusivité
(« House of Cards », « Lilyhammer », «Borgia », …). Le public s’est en outre invité
au Mipcom, pourtant réservé aux professionnels, grâce au projet Entertainement Experience du cinéaste hollandais Paul Verhoeven. Il s’agit du premier format de divertissement multiplateformes (cross-media) articulé autour de la réalisation d’un film par des non-professionnels (crowdsourced). « C’est un tsunami qui se prépare », avait lancé Frédéric Mitterrand, lors du dernier MipTV (4). Rendez-vous le 1er avril 2012. @

VOD et exclusivités : Canal+ reste sous surveillance

En fait. Le 21 septembre, l’Autorité de la concurrence s’est surtout focalisée sur
la non mise à disposition immédiate de ses chaînes aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui le souhaitaient et sur la dégradation de TPS Star (cinéma et sports). Quand est-il de la VOD et des exclusivités ?

En clair. Le troisième des cinquante-neuf engagements que Canal+ a pris en 2006 devait donner un coup d’arrêt aux exclusivités des droits en matière de paiement à
la séance ou de vidéo à la demande (VOD). Il s’agissait de permettre à d’autres – fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou plateforme de VOD – de pouvoir diffuser les films américains récents notamment.
Or l’Autorité de la concurrence constate que là aussi Canal+ « a manqué à son engagement : en tardant à ouvrir les négociations avec plusieurs studios américains détenteurs de droits ; en les ouvrant sans les centrer explicitement sur la levée des exclusivités ; en reconduisant un contrat sans lever les exclusivités ». L’opération de concentration n’a donc pas favorisé l’accès des concurrents de Canal+ aux droits audiovisuels. Pourtant, les engagements étaient assortis d’un « encadrement de la
durée des contrats cadre » (1) conclus avec les grands studios américains et d’une
« interdiction de la conclusion de tels contrats avec les producteurs de films français ». Canal+, premier pourvoyeur de fonds du français, reste dans le collimateur de l’Autorité
de la concurrence. Dans sa décision du 16 novembre 2010, celle-ci a estimé qu’elle ne pouvait pas remettre en cause les exclusivités conclues par Canal+ avec TF1, M6 et Lagardère sur le satellite, la TNT et l’ADSL, malgré la plainte de France Télécom en 2008 notamment. Les sages de la rue de l’Echelle ont néanmoins gardé Canal+ sous surveillance pour toutes les exclusivités conclues postérieurement à 2006 : extension
des exclusivités à la fibre optique, à la télévision de rattrapage (catch up TV) et à « tout nouveau support de diffusion » (2).
L’instruction complémentaire continue, d’autant que la position dominante de Canal+ sur le marché français de la TV payante est de plus de 60 %. La filiale de Vivendi, qui va contester la décision du 21 septembre devant le Conseil d’Etat, estime que l’Autorité de la concurrence « ne prend absolument pas en compte l’univers nouveau qui résulte notamment de l’intervention massive sur le marché de la télévision des géants de l’Internet et des opérateurs télécoms » @

Décret SMAd : le CSA pourrait proposer des modifications à partir de juin 2012

Le CSA a environ un an pour élaborer son rapport sur l’application du décret
SMAd (VOD, TV de rattrapage, SVOD, …), entré en vigueur il y a maintenant huit mois, et le transmettre au gouvernement. Avec, à la clé, d’éventuelles modifications.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

Depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier dernier, du décret daté du 12 novembre relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il revient au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de contrôler l’application
de cette réglementation et de veiller au développement économique de ces nouveaux services.

Gestion collective et VOD : le vide juridique perdure

En fait. Le 5 septembre, la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP) a annoncé qu’elle réunira aux 21e Rencontres cinématographiques
(20-22 octobre à Dijon) « les patrons des chaînes historiques (TF1, France Télévisions, M6, …) et des nouveaux médias (Spotify, Dailymotion,
MySkreen, …) ».

En clair. Parmi les nombreux sujets qui préoccupent le monde du cinéma et celui du numérique, la gestion collective en faveur de la vidéo à la demande arrive en bonne place. Les 21e Rencontres cinématographiques, qu’organise le mois prochain l’ARP,
en débattront. « Suite à la dénonciation [en 2009] de certaines organisations professionnelles de producteurs [de films] du protocole de 1999 qui généralisait la gestion collective dans le domaine de la vidéo à la demande, nous assistons à un vide juridique qui nous impose une réflexion entre auteurs et producteurs », explique la société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs.
La gestion collective est une facilité et une sécurité juridique pour les éditeurs de services de VOD car il permet de reverser une « rémunération minimale » aux auteurs de films payés en pay per view ou achetés en ligne. La rémunération proportionnelle
de l’auteur pour l’exploitation VOD n’est en effet pas prévue dans tous les contrats d’auteur. L’accord du 12 octobre 1999, signé par plusieurs syndicats de producteurs de films (CSPEFF, UPF et SPI) avec la SACD, prévoyait bien cette rémunération minimale fixée à 1,75 % du prix HT payé par le client du service de VOD. Un arrêté du 15 février 2007 l’avait même étendu à tous les producteurs cinématographiques et audiovisuels. Peine perdue : trois syndicats de producteurs – le SPI, l’APC et l’UPF – ont dénoncé
en 2009 cet accord (1). Raisons invoquées : durée trop longue de l’accord, pas de reddition des comptes par la SACD (2), non reconnaissance de la SACD comme mandataire, dépossession des droits exclusifs, etc. Le rapport de Sylvie Hubac sur la VOD, remis au CNC en décembre 2010, tout en estimant « raisonnable » ce taux de 1,75 %, décrivait les conséquences de ce vide juridique : « Les éditeurs de services
de [VOD], ne sachant pas s’ils devaient reverser le pourcentage de rémunération des auteurs des oeuvres qu’ils exploitent à la SACD ou au producteur, ont en majorité choisi de provisionner cette rémunération. Les auteurs ne sont donc plus payés pour l’exploitation de leurs oeuvres en [VOD] depuis plus d’un an. Même si les sommes sont souvent modiques, un tel désordre ne peut durablement s’installer ».
Des renégociations et des clarifications s’imposent entre producteurs – seuls cessionnaires du droit d’auteur – et la SACD, laquelle ne peut négocier directement avec des éditeurs de plateforme de VOD. @