Frédérique Bredin se veut prudente sur la sortie simultanée de films en salles et en VOD

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en pleine réforme de la filière et de la chronologie des médias face au numérique, veut mieux aider la VOD en France. A l’occasion du 67e Festival de Cannes, sa présidente nous répond aussi sur la sortie simultanée salles-VOD. Et elle souhaite une taxe sur la publicité en ligne.

Propos recueillis par Charles de laubier

Frédérique BredinEM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations
de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà été retenus ?

Frédérique Bredin : Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention. Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film.
Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative.
La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations (1) à l’occasion du Festival de Cannes [le 16 mai, ndlr].

Ce que disait Dominique Baudis il y a près de dix ans

En fait. Le 15 avril, ont eu lieu les obsèques de Dominique Baudis décédé le 3 avril. Ancien journaliste (débuts au Liban en 1971 pour l’ORTF) et présentateur du JT sur TF1 puis FR3, il fut – après 18 ans de politique – président du CSA. Alors aux Echos, l’auteur de ces lignes l’avait interviewé en 2005.

En clair. « C’est au législateur de préciser jusqu’où peut aller le CSA (1), notamment
dans le cas de la vidéo à la demande et des contenus sur Internet. Autant le site web d’une chaîne ou d’une radio est soumis aux mêmes obligations de contenu que sa ‘’maison mère’’, autant la capacité d’intervention du CSA n’est pas extensible à tous
les services interactifs ». Ainsi s’exprimait Dominique Baudis, alors président du CSA depuis janvier 2001, dans une interview accordée à Charles de Laubier pour La lettre des Télécommunications du groupe Les Echos parue en octobre 2005. « Entre une liberté totale sur le web (Etats-Unis) et le risque autoritaire de censure du web (Chine), je pense qu’il y a place en Europe pour une régulation mesurée des contenus ».

La fenêtre de Canal+ : un « monopole » en sursis

En fait. Le 26 mars, René Bonnell – producteur et auteur du rapport « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure
du numérique » – a réitéré devant le Club audiovisuel de Paris la nécessité
d’« arrêter de geler les droits » pendant la « fenêtre » de diffusion de Canal+.

En clair. « La stratégie de Canal+, de monopole à partir du 10e mois jusqu’au 22e interdisant toute exploitation à l’intérieur de sa fenêtre, s’explique par le niveau de ses obligations », a encore expliqué René Bonnell, cofondateur de Canal+ il y a 30 ans et aujourd’hui producteur (Octave Films). Mais ce « monopole » de Canal+ dans la chronologie des médias a vécu, selon lui : « Il faut arrêter de geler les droits pendant la période où une chaîne comme Canal+ a acheté les droits pour sa fenêtre de diffusion, à partir du 10e mois [après la sortie d’un film en salle de cinéma, ndlr] ». Ce gèle des droits au profit de la chaîne cryptée se fait au détriment de la vidéo à la demande (VOD) qui, après avoir ouvert sa fenêtre à 4 mois après la salle, doit obligatoirement la refermer au bout de six mois d’exploitation pour laisser place nette à Canal+.
Et le tunnel des droits exclusifs peut ainsi s’éterniser sur plusieurs années. « Et s’il y a en plus derrière Ciné+, cela peut geler les droits pendant 18 mois. La VOD butte là et ne peut pas se développer », dénonce René Bonnell. Selon GfK, le marché français de la VOD est en baisse de 3 % à 245 millions d’euros en 2013. Ceci explique peut-être cela. « Cette pratique du gel des droits peut même s’étendre jusqu’à 48 mois quand les maisons mères des chaînes historiques en clair regroupent leurs achats avec ceux de leurs filiales de la TNT », avait relevé le rapport Bonnell. Le pire est ce gèle des droits ne touche que la VOD. En effet, la vente des DVD et autres Blu-ray – eux aussi à 4 mois après la salle – peut continuer, de même que le téléchargement définitif où iTunes d’Apple s’arroge 95 % de parts de marché !

Numericable peine à recruter de nouveaux abonnés

En fait. Le 12 mars, Numericable – coté en Bourse depuis près de quatre mois –
a publié ses résultats 2013 : son chiffre d’affaires stagne (+ 0,9 %) à 1,3 milliard d’euros, tandis que son bénéfice net chute (- 32,3 %) à 65 millions d’euros. Malgré son marketing et ses contenus, les abonnés augmentent peu.

En clair. Numericable a beau avoir près de 10 millions de foyers « desservis » en France, c’est-à-dire qui peuvent être connectés au réseau du câblo-opérateur, seuls 17,2 % d’entre eux sont en réalité abonnés – soit 1,7 million au 31 décembre 2013.
Et ce ratio stagne puisqu’il était quasiment le même un an plus tôt, avec 1,6 million d’abonnés. Il était également identique trois ans auparavant, en 2009.
C’est qu’avec ses 1.709.000 abonnés individuels précisément, Numericable a conquis
en un an seulement 4,9 % de nouveaux abonnés – soit 81.000 de plus. « Ce rythme de croissance annuel est en ligne avec l’objectif du groupe d’augmenter sa base de clients
de 200.000 à 250.000 sur la période 2014-2016 », tient à rassurer le câblo-opérateur. Cependant, pour la première fois, la base d’abonnés dite « multiple play » dépasse le cap du million d’abonnés – à 1.041.000 abonnés précisément, grâce à une croissance de 7 %. Mais tous ne sont pas triple play (Internet-TV-téléphonie), beaucoup étant dual play (Internet-téléphonie, TV-téléphonie ou TV-Internet). Tandis que l’ARPU (1), elle, grimpe à 41,5 euros en moyenne par abonné et par mois – en hausse de 2 % sur un an.

Redevance audiovisuelle : services payants en plus ?

En fait. Le 27 février, Mathieu Gallet a été nommé président de Radio France
pour cinq ans (à partir du 12 mai 2014) par le CSA. Dans son « projet stratégique », il prévoit que « l’écoute différée » (podcasts et catch up radio) pourra « justifier l’acquittement d’une contribution, même modeste ».

En clair. Les Français vont payer deux fois ! Ils paient déjà la redevance audiovisuelle (133 euros cette année par foyer détenteur d’une télévision, contre 131 euros l’an dernier), laquelle va rapporter cette année 3,5 milliards d’euros. Si France Télévisions se taille la part du lion (plus de 70 %), Radio France en reçoit plus de 17 % – soit plus de 600 millions d’euros. Le reste est réparti entre l’Institut national de l’audiovisuel (INA), dont Mathieu Gallet est actuellement président jusqu’au 11 mai prochain, la chaîne Arte (elle-même détenue par France Télévision, l’Etat français, Radio France et l’INA), Réseau Outre-Mer 1re (ex-RFO) et France Médias Monde (avec RFI, France 24 et TV5Monde). Autant dire que l’audiovisuel public est quasi entièrement financé par le contribuable français, qui bénéficie « gratuitement » en contrepartie de ce prélèvement (1), couplé à la taxe d’habitation, de nombreuses chaînes de télévision et les multiples stations radios.