Stream ripping : la question de la licéité de la copie privée à l’ère du streaming reste posée

Le streaming s’est imposé face au téléchargement sur Internet. Si mettre en ligne une oeuvre (musique, film, photo, …) nécessite l’autorisation préalable des ayants droit, les internautes ont-ils le droit à la copie privée – exception au droit d’auteur – lorsqu’ils capturent le flux (stream ripping) ?

L’Autorité de la concurrence et le CSA devraient avoir leur mot à dire sur la chronologie des médias

Depuis que l’accord entre Canal+ et le cinéma français a été prorogé l’an dernier jusqu’au 28 février 2015, celui sur la chronologie des média tarde à être signé malgré un projet d’avenant « définitif » adressé par le CNC le 27 janvier aux professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et du numérique.

Qui a dit : « Confier le soin de fixer certaines règles du jeu aux professionnels du cinéma et de la télévision revient à demander à un prêtre intégriste de célébrer un mariage pour tous » ? C’est Pascal Rogard, directeur général de la SACD (1), l’une des principales sociétés de gestion collective des droits d’auteur en France. Et de suggérer le 9 février sur son blog que l’Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) puissent avoir un droit de regard sur cette chronologie des médias : « Le droit absolu d’autoriser et d’interdire des modes d’exploitations ne devrait pas être exercé par des corporations, des groupements, des syndicats, ou pour le moins être revu tous les trois ans et faire l’objet d’un examen préalable par l’Autorité de la concurrence et le CSA ».

Des négociations laborieuses
Pour l’heure, les négociations sur cette réglementation rigide qui détermine les fenêtres de diffusion des films à leur sortie (voir schéma page suivante) se passent – mal – entre les professionnels du cinéma français, de l’audiovisuel et du numérique, bien que placées sous l’égide du CNC (2). Ces discussions à n’en plus finir, censées parvenir à la signature interprofessionnelle d’un « avenant n° 1 à l’accord du 6 juillet 2009 pour le réaménagement de la chronologie des médias », se passent d’autant plus difficilement qu’elles ont abouti à la fin de l’an dernier à un statu quo. Et ce début d’année n’est pas mieux…
Entre la réunion au CNC le 18 décembre dernier et l’envoi le 27 janvier d’un projet
« définitif » d’accord par ce même CNC – texte que Edition Multimédi@ met en ligne
(3) –, il y a en effet peu d’avancées dans la chronologie des médias. A cela s’ajoutent les exigences des organisations du cinéma français que sont le Blic (4), le Bloc (5), l’ARP et l’UPF (6), lesquelles se sont réunies le 28 janvier pour adresser un courrier
au CNC afin de poser leurs conditions avant toute évolution des fenêtres de diffusion. L’une d’elles est que les pouvoirs publics s’engagent de façon « interministérielle » à lutter contre le piratage sur Internet. Déjà, en octobre 2014, ces mêmes organisations avaient envoyé une lettre à la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin pour lui demander d’intercéder en leur faveur sur deux points sensibles : le dégel des droits et les fenêtres de diffusion glissantes. Ce qui n’avait pas plu à Canal+, premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (près de 200 millions d’euros par an), qui est de son côté en cours de renégociations avec le 7e Art français pour un accord qui lui procure des films en exclusivité. Cette initiative n’a pas arrangé les négociations déjà laborieuses sur la chronologie des médias.
D’autant que les points de blocage restent nombreux entre les multiples professionnels présents autour de la table (exploitants de salles de cinéma, producteurs de films, chaînes de télévision, distributeurs de films, auteurs, ….).
• Se pose la question du dégel des droits d’exploitation d’un film en vidéo à la demande (VOD) durant les fenêtres des chaînes de télévision, lesquelles détiennent actuellement une exclusivité (la VOD devant alors suspendre la commercialisation des films concernés…). Lors de la réunion du 18 décembre, TF1, M6 et France Télévisions (les chaînes gratuites) ont finalement accepté le dégel des droits durant leur diffusion,
à condition de pouvoir choisir elles-mêmes les plateformes de VOD.
Quant à la chaîne cryptée Canal+, elle reste contre le dégel des droits. Sa fenêtre s’ouvre actuellement au plus tôt à 10 mois (« première fenêtre ») grâce à un accord distinct en cours de renégociation avec le cinéma français.

Exclusivité de Canal+ en question
Mais le nouveau projet de chronologie des médias présenté fin janvier par le CNC
fait deux avancées applicables aux chaînes payantes (Canal +) : la limitation de ce
gel aux six premiers mois de leur fenêtre de diffusion, et le raccourcissement au plus
tôt à 8 mois au lieu de 10 – sous réserve d’un nouvel accord avec le cinéma français (7). En contrepartie du dégel des droits, Canal+ négocie avec le cinéma français un plus grand nombre de films à diffuser chaque année sur son antenne cryptée, et en
TV de rattrapage sur une période plus longue. Ce raccourcissement de deux mois est aussi proposé pour les chaînes gratuites. A savoir 20 mois, au lieu de 22, pour les chaînes gratuites qui consacrent 3,2 % de leur chiffre d’affaires dans le préfinancement du film (sinon 28 mois au lieu de 30).

Attention, fenêtres glissantes !
• Il y a le problème des fenêtres « glissantes » au profit notamment de la VOD
par abonnement (SVOD), laquelle reste – désespérément – à son délai actuel de 36 mois. Par « fenêtres glissantes », telles que les propose le CNC depuis décembre et
en tenant compte des ajustements de janvier, il faut comprendre un raccourcissement du délai de diffusion en SVOD – passant en l’occurrence de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois – pour certains films lorsqu’ils ne sont pas préfinancés par une chaîne (8) et qu’ils ne dépassent pas les 200.000 entrées en salles au bout de quatre mois. Et encore, faudra-t-il que l’éditeur de SVOD montre patte blanche pour bénéficier de cette dérogation. A savoir qu’il respecte pas moins de six obligations, allant de quotas de films européens et d’expression originale française (respectivement 60 % et 40 % de son catalogue), à une part de son chiffre d’affaires annuel consacré au financement de films européens et d’expression originale française (respectivement au moins égale à 21 % et 17 %), en passant par la taxe vidéo et une bonne exposition de ces films sur
sa page d’accueil.
• Reste toujours la fenêtre de la VOD, laquelle intervient seulement après les quatre mois d’exploitation de la salle. Alors que la simultanéité salles-VOD reste un sujet tabou en France, malgré les appels de la Commission européenne aux expérimentations comme peut le faire l’ARP (9) avec le projet Spide mais de façon très timide dans l’Hexagone (10), les quatre mois de la VOD restent – désespérément là aussi – figés dans le temps. Quant à la VOD en téléchargement définitif (ou EST pour Electronic Sell Through), elle aurait pu être ramenée à trois mois et demi comme l’envisageait le précédent projet. Mais dans la dernière mouture, cette perspective est renvoyée à plus tard et à d’hypothétiques expérimentations.
Reste à savoir enfin quand interviendra la signature : « L’accord ne pourra être signé que si les accords entre producteurs [de cinéma] et diffuseurs [de télévision] aboutissent », avait prévenu Frédérique Bredin, présidente du CNC, lors de ses vœux le 27 janvier. Alors d’ici le Festival de Cannes qui se tiendra du 13 au 24 mai 2015 ? Ce dernier sera pour la première fois sous la présidence de Pierre Lescure, celui-là même qui préconisait pourtant d’aller loin dans la réforme de la chronologie des médias… Cet accord du 6 juillet 2009 sur la chronologie des médias est entré en vigueur il y a plus de cinq ans et demi maintenant : une éternité à l’heure du Net ! Les dispositions de l’accord ont été rendues obligatoires par l’arrêté d’extension du 9 juillet 2009 pour les services de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) de type VOD ou catch up TV. A noter que la SACD, l’ARP et Free ne s’étaient pas joints à la signature. @

Charles de Laubier

Avec l’arrivée de Carrefour, le marché français de la VOD s’éclate encore un peu plus

Est-ce une bonne nouvelle pour le marché français de la vidéo à la demande (VOD) ? Carrefour a lancé le 27 janvier un service baptisé Nolim Films – sur Nolim.fr, déjà librairie en ligne. La France compte déjà plus de 80 offres VOD
à l’acte ou par abonnement, alors que les ventes ne décollent pas.

Carrefour arrive un peu tard sur un marché français de la VOD déjà saturé d’un trop plein d’offres légales de films et séries en ligne, aux catalogues qui laissent souvent à désirer en termes de qualité et de profondeur – sans parler du manque de fraîcheur liée aux contraintes réglementaires de la chronologie des médias. D’après le site Offrelegale.fr que gère l’Hadopi, il y a pas moins de
81 services de VOD (à l’acte) ou SVOD (par abonnement) en France (1) – sans compter Nolim Films non encore référencé.

En attendant Amazon Prime en France
Apple avec iTunes et les opérateurs télécoms (Orange, SFR, Numericable SFR, BBox VOD, …) dominent le marché, suivis des offres des chaînes de télévision (MyTF1 VOD, CanalPlay, …) et des acteurs indépendants (Videofutur, Filmo TV, Wuaki, MegaVOD, Jool Vidéo, …). Le lancement de l’offre SVOD de Netflix en France il y a à peine cinq mois n’a pas bousculé le marché, malgré une campagne de publicité soutenue et une couverture médiatique sans précédent (2). Ce qui devrait refroidir les ardeurs d’Amazon Prime qui lorgne la France.
Cet éclatement du marché du cinéma à la demande ne facilite pas la tâche des consommateurs qui se perdent dans les méandres des différents catalogues et qui éprouvent de la frustration à force de ne pas trouver les oeuvres recherchées – le nouveau portail http://vod.cnc.fr y remédiera- t-il ? Malgré la pléthore de plateformes, l’offre de films disponibles ne dépasse à peine les 12.000 oeuvres : 12.160 titres précisément à septembre 2014, selon le CNC. Ceci explique sans doute cela : il y a
une quasi stagnation du marché français de la VOD et un succès grandissant des
sites web favorisant le piratage. Selon les cabinets NPA Conseil et GfK, la vidéo à
la demande en France (VOD et SVOD) n’a progressé que de 5 % sur un an, à 225 millions d’euros de janvier à novembre 2014. C’est un peu mieux que l’année 2013
qui affichait pour la première fois un recul du chiffre d’affaires de près de 3 %, à 245 millions d’euros.

L’arrivée du géant de la grande distribution, avec sa force de frappe, donnera-t-il une nouvelle impulsion à la VOD sur l’Hexagone. « Nous voulons devenir le catalogue le plus large de vidéos digitales en France, nous aurons 3.000 références au lancement sur le site Nolim.fr (3), et chaque jour, nous ajouterons des dizaines de films et séries », a promis Emmanuel Rochedix (photo), directeur culture (physique et digital) de Carrefour depuis octobre 2012. Après une première expérience en 2008 avec Glowria (devenu par la suite Videofutur chez Netgem), Carrefour se lance à nouveau dans la VOD – sur Nolim.fr mais pas via les box des fournisseurs d’accès à Internet (FAI)…
A-t-il tardé à se relancer sur le marché de la vidéo dématérialisée pour préserver ses ventes de DVD et Blu-ray, dont il est le troisième distributeur de en France ? Impacté directement par la chute des ventes de vidéos sur supports physiques, un segment de marché en chute de 14 % en valeur cette année (4), l’enseigne de grande distribution se devait de réagir. D’autant que les ventes de vidéo en ligne sont encore loin de compenser la baisse continue de celles de la vidéo physique (divisées par deux en
dix ans).
Nolim Films propose notamment la solution dite UltraViolet. Ce standard développé
par le consortium international Derec (5), lequel réunit des industriels et les majors du cinéma NBC Universal, Paramount, Warner Bros et Sony Pictures (mais pas Disney), permet à Carrefour d’inciter ses clients à continuer à acheter des supports vidéo physiques en leur permettant de récupérer en ligne et sans surcoût la copie numérique du film ou de la série. Un coupon avec un code UltraViolet est placé à cet effet dans le boîtier. Aux Etats-Unis, où ce standard a été lancé en 2011, les grands distributeurs Walmart et Target l’ont adopté. Lancé discrètement en France fin 2013, avec comme partenaires Sony Pictures ou Flixster (jusqu’à l’arrivée de Carrefour), ce standard ne totalise pour l’instant que 120.000 comptes ouverts sur le marché français. Mais UltraViolet compte aujourd’hui quelque 21 millions de comptes ouverts dans le monde (dont 18,7 millions aux Etats-Unis).

Attrait du téléchargement définitif (EST)
En France, il pourrait contribuer à la démocratisation du téléchargement définitif ou EST pour Electronic Sell Through (6). Alors que la VOD à l’acte en France est à la peine et que la SVOD est encore embryonnaire, l’achat définitif de films et séries dématérialisés (achetés une fois pour le stocker chez soi) devrait prendre de l’ampleur en 2015. Selon le cabinet NPA Conseil, l’EST aurait généré l’an dernier 50 millions d’euros de chiffre d’affaire et pourrait atteindre en 2018 de 80 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Le financement de la création française face au Net

En fait. Le 23 janvier, la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, a réaffirmé son soutien (financier) à la création audiovisuelle (fictions, animations, documentaires) lors du 28e édition du Festival international de programmes audiovisuels (Fipa) à Biarritz. Contre les géants du Net ?

Nonce Paolini, PDG du groupe TF1, va lancer des chaînes sur YouTube mais sous leur propre marque

Alors que TF1 fête ses 40 ans cette année, son PDG Nonce Paolini prend très au sérieux la concurrence que peut faire le Web à la télévision. Au point de se lancer enfin sur le marché des réseaux multi-chaînes (ou MCN) avec plusieurs projets sur YouTube, mais « pas sous la marque TF1 ».

Nonce PaoliniTF1 entre enfin dans la danse des MCN (Multi- Channel Networks), ces réseaux multichaînes diffusés sur les plateformes vidéo telles que YouTube ou Dailymotion, et capables de fédérer de larges audiences en ligne recherchées par les annonceurs publicitaires.
Après Canal+, M6 et même France Télévisions, la filiale du groupe Bouygues se lance à son tour dans la télévision sur Internet. « Puisque l’on sait faire de la télévision, on devrait être capable aussi de faire des MCN dont on parle beaucoup. TF1 y travaille, même si cela est encore un travail de laboratoire. Nous avons devant nous tout un espace de création absolument formidable », a dévoilé son PDG, Nonce Paolini, lors d’un dîner-débat sur « le bel avenir de la télévision », organisé au Sénat le 8 janvier dernier par le Club audiovisuel de Paris.

Des chaînes sur YouTube et un atelier d’écriture
« Aujourd’hui, nous travaillons sur un certains nombre de chaînes de ce type. Ce sont des projets, parfois très avancés », a-t-il poursuivi. TF1 a donc changé d’avis, n’éprouvant pas jusque-là la nécessité de diffuser des contenus sur les plateformes vidéo et estimant sa propre plateforme Wat.tv suffisante (1).
Contrairement à M6, Canal+ voire Fimalac qui ont procédé par acquisitions ou prises de participations, la démarche de TF1 dans les MCN se veut « moins institutionnelle » et plus orientée vers les capacités internes du groupe et des talents extérieurs. « Dans le cadre de la Fondation TF1, on a créé un atelier d’écriture pour de jeunes auteurs issus de la diversité. C’est aussi dans le domaine de l’expérimentation. On est très ouverts à des idées, avec en même une économie générale très tendue. (…) Il faut quand même dire qu’il n’y a pas d’économie sur YouTube, en tout cas pas celle conventionnelle que l’on connaît. Les coûts sont très bas. Mais cela n’empêche pas la qualité. Un certain nombre de stars du Web l’ont fait avec des moyens de fortune. C’est un champ d’exploration assez fort », a expliqué Nonce Paolini.
L’atelier d’écriture de la Fondation d’entreprise TF1, laquelle fut constituée en 2007 pour oeuvrer en faveur de la diversité et l’insertion professionnelle des jeunes « des quartiers sensibles » (2), est placé sous la houlette de Samira Djouadi (coordinatrice) et de Nathalie Laurent (directrice artistique de la fiction française chez TF1), en partenariat avec notamment Alain Pancrazi (PM production).

Hache de guerre enterrée avec YouTube
L’intérêt pour une chaîne de télévision de lancer son propre réseau multi-chaîne et de pouvoir ainsi monétiser des chaînes sur Internet avec la publicité vidéo en plein boom. Les annonceurs en quête d’audiences en ligne sont au rendez-vous. Il s’agit aussi de se situer entre les vidéos amateurs que l’on trouve sur YouTube ou Dailymotion et les programmes professionnels diffusés à l’antenne. « Nous ne nous lancerons certainement pas sur le MCN sous la marque TF1 qui reste une marque avec des programmes premium et qui s’adresse au plus grand nombre en faisant ce que j’appelle le “populaire chic”. Ce seront des chaînes avec leur propre personnalité, qui toucheront leur propre public, avec leur propre identité. Mais pas sous la marque TF1 », a-t-il tenu à préciser.
Ironie de l’histoire : le réseau des réseaux a quarante ans, la première chaîne française aussi (3)… TF1 voyait jusqu’à maintenant Internet comme un repère de pirates, ferraillant notamment en justice contre YouTube et Dailymotion – les accusant de contrefaçon. « N’oublions pas que YouTube et Dailymotion ont fondé leur modèle économique au départ sur le piratage. En fin d’année dernière, nous avons mis un terme aux procédures (judiciaires) qui se sont engagées en 2008 contre eux. Nous avons gagné : nous avons passé une transaction avec Google [maison mère de YouTube, ndlr] qui ne voulait pas un jugement défavorable et nous avons fait condamner Dailymotion [à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage, ndlr] »,
s’est félicité celui qui fut nommé DG du groupe TF1 en mai 2007, puis PDG en août 2008. Le 14 novembre 2014, le groupe TF1 annonçait en effet que lui et YouTube
non seulement mettaient « fin au contentieux judiciaire qui les oppose depuis plusieurs années » mais aussi annonçaient « un partenariat relatif à la création par TF1 de chaînes et contenus originaux sur la plateforme ». Et le recours à la technologie Content ID de YouTube permettra à TF1 de protéger ses contenus vidéo contre le piratage. Selon nos informations, et contrairement à ce que laisse en entendre Nonce Paolini, c’est le groupe TF1 qui devait perdre son procès contre YouTube – à qui il réclamait 150 millions d’euros de dommages et intérêts.
Si la procédure en appel – initiée par TF1 – était allée jusqu’à son terme, il y a de grande chance que l’arrêt aurait confirmé le jugement prononcé le 29 mai 2012 par
le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, lequel a confirmé le statut d’hébergeur de la plateforme de partage vidéo de Google (4). La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite LCEN) prévoit en effet – depuis plus de dix ans maintenant – une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, ils sont obligés les retirer promptement. Or, le juge du TGI avait constaté que YouTube avait « systématiquement et avec diligence traité les notifications » qui lui ont été adressées par TF1. De plus, dès le 25 avril 2008, le géant du Web avait tendu la main à la chaîne du groupe Bouygues en lui proposant de recourir à sa technologie de reconnaissance de contenus, Content ID, afin d’empêcher la mise en ligne de copies non autorisées. Mais c’est seulement le
16 décembre 2011, soit plus de trois ans et demi après, que TF1 avait souscrit à Content ID de YouTube. C’est pour ne pas avoir suffisamment « promptement » retiré des contenus de la chaîne (des extraits d’un spectacle de Gad Elmaleh par exemple) que la plateforme Dailymotion a, elle, été condamnée par un arrêt de la Cour d’appel
de Paris du 2 décembre 2014 à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage.

TF1 pour les vieux, le Web pour les jeunes !
Maintenant que TF1 a enterré la hache de guerre avec YouTube, l’année 2015 sera celle de sa conquête du Web et de la reconquête de jeunes téléspectateurs qui se détournent de plus en plus de la télévision linéaire. Mais Nonce Paolini, en observant ses trois filles (voir Zoom), s’inscrit en faux contre cette fatalité : « On nous explique que les jeunes ne regardent plus la télévision. C’est évidemment faux ! Les
15-24 ans la regardent. Mais depuis 2008, c’est une télévision qui petit à petit se consomme non seulement sur le grand écran avec des programmes linéaires mais aussi de façon délinéarisée ».
S’il admet que des jeunes ne regardent plus le petit écran et se rendent sur Internet,
il ne perçoit pas cela comme une concurrence à TF1 : « Bien sûr que les jeunes vont sur YouTube. Mais ils n’y vont pas pour regarder le premium de TF1, qu’ils peuvent cependant visionner soit en piratant en streaming, soit en regardant en direct, soit en délinéarisé… Sur YouTube, la consommation n’est pas celle de programmes de chaînes premium. C’est une consommation qui est de courte durée par rapport à
des programmes comme les nôtres. C’est un mode de consommation qui est aussi complémentaires ». TF1 entend continuer à séduire la jeune génération, laquelle est majoritaire sur des émissions telles The Voice, Danse avec les Stars ou encore Kolanta. Quant à Wat.tv, plateforme vidéo du groupe TF1, elle continuera d’exister
mais avec les contenus premium des chaînes. Selon Médiamétrie, la mesure d’audience de la vidéo sur Internet en France sur le mois de novembre 2014 (derniers relevé disponible en date), Google/YouTube est toujours largement en tête avec plus
de 29,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 1,2 milliard de vidéos vues. TF1/Wat arrive en cinquième position (derrière Dailymotion, Facebook et Digiteka) avec plus de 9,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 54,3 millions de vidéos vues. Où l’on constate que YouTube constitue une source d’audiences nouvelles pour TF1.

L’échec de M6 (Rising Star) : leçon pour TF1
Mais Nonce Paolini veut rester prudent avec le Web : « Lorsque l’on veut faire des réseaux sociaux l’objet principal d’une émission, c’est un désastre… Rising Star
[sur M6] n’était pas une émission mais des votes par réseaux sociaux et promesse
de “trombine” à la télé ! Cela n’a pas marché. C’était une expérience. Rising Star fut
un échec. Il y a bien eu beaucoup de votes sur le Web, mais ce n’est pas cela une émission. Donc le défi qui nous est lancé est celui de notre propre créativité, notre propre capacité à faire des événements, à imaginer des séries et des soirées ». TF1
est restée en 2014 la chaîne de télévision la plus regardée de France, réalisant 95
des 100 meilleurs résultats d’audiences et une part d’audience qui se maintient tant bien que mal sur l’année : 22,9, contre 14,1 pour France 2, 10,1 pour M6 et 9,4 pour France 3. @

Charles de Laubier