Fortune faite en vingt-cinq ans d’Iliad, Xavier Niel poursuit son odyssée à la conquête du monde

Alors que le groupe Iliad a tenu son assemblée générale le 20 mai, Xavier Niel – premier actionnaire à hauteur de 55 % du capital – s’enrichit encore un peu plus grâce aux performances de son groupe et à ses récentes acquisitions internationales. Le milliardaire autodidacte est aussi copropriétaire du Monde
et de L’Obs. Et après ?

Xavier NielIl y a près de vingt-cinq ans, Xavier Niel (photo) rachetait la société Fermic Multimédia, un éditeur de services de Minitel rose créé dans les années 1980, et la rebaptisait Iliad. Il y a quinze ans, il développait un accès à Internet gratuit : Free. Et c’est en novembre 2002 qu’il introduisait en France le concept de triple play – où le téléphonie, l’Internet et la télévision devenaient accessibles à partir d’un boîtier unique, la « box ». La Freebox était née.
Puis, il y a dix ans, Free se mettait à proposer – en partenariat avec Canal+ – la première offre de vidéo à la demande (VOD) en France. Free Mobile, lancé il y a plus de trois ans et atteignant aujourd’hui 15 % de parts de marché, est venu compléter les actifs de Xavier Niel, qui est resté depuis le début de l’odyssée d’Iliad l’actionnaire majoritaire – 54,7 % du capital et 69,19 % des droits de vote.

Vers un patrimoine de 10 milliards d’euros
Free compte, au 31 mars, 16,5 millions d’abonnés, dont 10,5 millions dans le mobile
et plus de 5,9 millions dans le haut débit fixe. Aujourd’hui, son groupe pèse autant en Bourse que le groupe Bouygues (incluant les activités BTP, TF1 et son grand rival Bouygues Telecom) : soit plus de 12,5 milliards d’euros !
Sa valorisation boursière a même dépassé un temps celle de Bouygues après la publication, mi-mai, de bons résultats au premier trimestre et d’un objectif confirmé de croissance (1) de 10 % en 2015. L’action a été multipliée par 13 depuis son introduction en 2004. Bien qu’il soit rémunéré seulement 180.000 euros sans aucune partie variable, l’autodidacte milliardaire tire de cette part du lion au capital du groupe qu’il a fondé l’essentiel de sa fortune personnelle.
L’assemblée générale des actionnaires du groupe Iliad a décidé, le 20 mai dernier, de verser aux actionnaires du groupe Iliad a décidé, le 20 mai dernier, de verser aux actionnaires 0,39 euro par action, soit 22,9 millions d’euros après avoir approuvé les comptes de l’année 2014 : pour la première fois, le chiffre d’affaires a dépassé les 4 milliards d’euros (+ 11,2 % sur un an), tandis que le bénéfice net s’est amélioré à 278,4 millions (+ 4,9 %). Selon nos calculs, Xavier Niel devrait empocher en juin la coquette somme de 12,5 millions d’euros en tant que principal actionnaire (détenteur de 32 010 913 actions au 31 décembre 2014). Il est la neuvième fortune de France en 2014 avec un patrimoine de 8,5 milliards d’euros – en progression de 44,5 % en un an (2). Sa fortune personnelle pourrait atteindre les 10 milliards d’euros cette année. Si Free en constitue la grosse partie, Monaco Telecom – racheté l’an dernier à hauteur de 55 % du capital (3) pour 322 millions d’euros via sa holding personnelle NJJ Capital – est venu grossir les avoirs du milliardaire.

Business angel : start-up et médias
Mais c’était sans compter une autre acquisition intervenue en toute fin de l’an dernier : Orange Suisse, racheté en décembre 2,6 milliards d’euros – toujours par NJJ Capital – et rebaptisé Salt. Xavier Niel était même prêt à mettre 15 milliards de dollars sur la table – via cette fois son groupe Iliad – pour s’emparer de T-Mobile aux Etats- Unis auprès de Deutsche Telekom, mais cette tentative de prise de contrôle a échoué l’été dernier. Son appétit pour les télécoms à l’international s’est affirmé dès 2011, lorsqu’il lance avec Michaël Golan – alias Michaël Boukobza, ancien directeur général d’Iliad (jusqu’en 2007) – le 5e opérateur mobile en Israël : Golan Telecom.
Sur le marché français des télécoms en pleine consolidation, le patron de Free se verrait bien acquéreur de son rival Bouygues Telecom, mais ses relations exécrables avec Martin Bouygues n’ont pas facilité les discussions il y a un an – après que Vivendi ait préféré vendre SFR au groupe Altice-Numericable du Franco-Israëlien Patrick Drahi. Et le patron du groupe Bouygues, Martin Bouygues, a très vite fait savoir qu’il ne comptait pas se défaire de son activité télécoms (4). Ironie de l’histoire, Michaël Boukobza a la double nationalité franco-israélienne comme Patrick Drahi, aux côtés duquel il a travaillé pour ses débuts en Israël après avoir quitté la direction d’Iliad… Parallèlement, Xavier Niel investit dans des start-up Internet. En mars 2010, il a créé Kima Ventures, son propre fonds d’investissements via lequel il investit dans 50 à 100 start-up par an dans différents pays (à raison de 125.000 à 250.000 euros par dossier). En outre, il a annoncé en septembre 2013 la création du « plus grand incubateur de start-up au monde », baptisé « 1000 start-up @la Halle Freyssinet », qui ouvrira ses portes fin 2016 à Paris (5). Xavier Niel a obtenu le soutien total de la mairie de Paris grâce à Jean-Louis Missika qui fut administrateur d’Iliad à partir de 2004, puis vice-président de la maison mère de Free en janvier 2007, avant de démissionner en avril 2008 lorsqu’il devint conseiller de Paris et adjoint au Maire de Paris (6) – pour éviter tout conflit d’intérêt…
Quelque 200 millions d’euros y sont investis, dont 5 % à 10 % pris en charge par la Caisse des dépôts. « Moi, d’abord j’adore ce pays [la France]. Je pense que c’est le plus merveilleux pour créer une entreprise. C’est parce que j’ai investi dans des entreprises du monde entier que je le sais, pas parce que c’est là où j’ai réussi. Bien sûr, le système français n’est pas parfait », avait déclaré Xavier Niel le 22 octobre dernier (7), le jour où François Hollande a posé la première pierre de ce projet sans précédent. Par ailleurs, en mars 2013, le patron de Free a créé une école informatique baptisée 42 – qu’il a souhaitée pour former « en grand nombre » les informaticiens
dont les entreprises innovantes ont besoin. Gratuite et ouverte à tous (de 18 à 30 ans), la formation repose sur le concept du « peer-to-peer learning » qui est une sorte d’apprentissage collaboratif entre élèves.
Xavier Niel, qui a toujours été dans des relations de « Je t’aime, moi non plus » avec les médias, s’est par ailleurs personnellement investi dans la presse française en manque de capitaux. En novembre 2010, il est devenu coactionnaire du journal Le Monde avec Pierre Bergé et Matthieu Pigasse – via leur holding Le Monde Libre (LML) qui a pris le contrôle de la Société éditrice du Monde, dont Xavier Niel est un des membres du conseil de surveillance. Ensemble, les trois propriétaires du journal ont apporté 100 millions d’euros. Actuellement, le trio « BNP » – Bergé-Niel-Pigasse – est confronté à une crise avec la rédaction du quotidien qui a écarté leur candidat Jérôme Fenoglio – ex-rédacteur en chef de LeMonde.fr – pour devenir directeur du « Monde » (il n’a pas obtenu les 60 % des votants le 13 mai). Les actionnaires rencontrent à nouveau la rédaction le 27 mai prochain.
En fait, depuis leur arrivée à la tête du groupe Le Monde, la défiance s’est installée entre eux et la rédaction, non seulement sur la réorganisation entre le papier et le numérique mais aussi sur l’indépendance éditoriale de la rédaction (8). Il y a un an,
la directrice du Monde Natalie Nougayrède – qui avait succédée à Erik Izraelewicz – démissionnait pour être remplacée par Gilles van Kote en tant que directeur par intérim.

Le Monde et L’Obs « libres »
Outre le groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, Courrier International, La Vie Catholique), la holding LML a aussi jeté son dévolu il y a un an sur le groupe Nouvel Observateur (L’Obs, Rue 89) en s’emparant de 65 % du capital pour 13,4 millions d’euros (son fondateur Claude Perdriel gardant 35 %). Le nouveau groupe de presse
« Le Monde Libre » ainsi constitué du Monde et de L’Obs aura son futur siège près de la Gare d’Austerlitz à Paris. Déménagements prévus au cours de l’été 2017. Xavier Niel n’est pas prêt de s’arrêter en si bon chemin. @

Charles de Laubier

France Télévisions veut accroître ses services payants, malgré la redevance audiovisuelle

Delphine Ernotte Cunci, qui sera présidente de France Télévisions à partir du
22 août prochain, veut accroître les services payants tels que la TV de rattrapage, la VOD et même la SVOD. Cela revient à faire payer deux fois les Français qui s’acquittent déjà de la redevance audiovisuelle.

« Afin de créer une passerelle directe avec les usagers, une nouvelle plateforme numérique, basée sur un algorithme de recommandation doit rendre la télévision
de rattrapage plus accessible, sur le modèle de Netflix
par exemple. (…) Il faut aller plus loin et penser une offre numérique plus riche, qui n’est plus uniquement liée à l’antenne. Le catalogue doit être complété en mettant notamment à disposition tous les épisodes d’une série
ou en s’adaptant au rattrapage séquencé », a notamment expliqué Delphine Ernotte Cunci (photo), lors de la présentation de son projet stratégique pour France Télévisions, devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

« Monétiser » les contenus
Selon celle qui a été désignée le 23 avril dernier comme future présidente du groupe public de télévisions, le modèle économique à suivre est celui de Netflix, le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) basé sur profilage et la recommandation « personnalisée ». « France Télévisions doit repenser son modèle économique. (…) La première voie à défricher est la monétisation de la seconde vie des contenus », a-t-elle encore déclaré. Le développement des services payants, émanant d’un groupe public aux contenus « gratuits » déjà financés par la redevance audiovisuelle, est clairement l’objectif de son projet baptisé « Audace 2020 ».
Sans évoquer l’actuelle plateforme payante PluzzVàD (1) de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci laisse entendre que télévision de rattrapage et vidéo à la demande payantes – à l’acte (VOD) ou par abonnement (SVOD) – seront intensifiées.
« Adapté à la télévision de rattrapage, il s’agit d’avoir une offre pour tous les publics et tous les rythmes de vie. Le catalogue vaste en programmes pour la jeunesse est une première piste à explorer. France Télévisions peut agir seule sur la [VOD] jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou CanalPlay », a-t-elle expliqué, en évoquant aussi par la suite la même démarche dans d’autres domaines que la jeunesse. Selon les cabinets NPA Conseil et GfK, la vidéo à la demande en France (VOD et SVOD) n’a progressé que de 3,8 % sur un an, à 248,9 millions d’euros en 2014. C’est un peu mieux que l’année 2013 qui affichait pour la première fois un recul du chiffre d’affaires de 4,7 %, à 239,8 millions d’euros. « Il n’est pas absurde de viser une certaine part de marché pour France Télévisions en dépit de la contrainte actuelle des 42 mois de durée d’exclusivité de ses droits », a assuré Delphine Ernotte Cunci, tout en évoquant deux pistes pour bâtir un catalogue indépendant : un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) ou bien un partenariat avec les autres chaînes gratuites pour « une proposition commune ». A moins qu’elle ne songe à un partenariat avec son employeur de toujours, Orange France, dont elle est jusque-là directrice exécutive (2).
La future présidente de France Télévisions est donc prête à aller sur le terrain de la SVOD où le président sortant Rémy Pflimlin n’avait osé s’aventurer. Interrogé en novembre 2012 par Edition Multimédi@ à propos de ce segment de marché, il avait répondu : « Il n’y a pas de réflexion dans ce sens, ni sur d’autres services payants
car, vous le savez, nous sommes un service public. Le seul service payant que nous proposons est la VOD à l’acte » (3). Le groupe de télévisions publiques n’a pas attendu Delphine Ernotte Cunci pour se lancer dans la VOD payante à l’acte. Lancée dès 2010 pour proposer la télévision de rattrapage pour les chaînes du groupe public, la plateforme Pluzz s’est en effet mise aussi au payant en lançant deux ans après la
VOD à l’acte.

France Télévisions Distribution (FTD)
« La VOD représente une part de plus en plus importante du chiffre d’affaires de l’activité d’édition de FTD [France Télévisions Distribution, ndlr] : 2,2 % en 2009, près de 15 % en 2012 et sans doute plus de 20 % en 2013. Le montant reste cependant modeste (3,1 millions d’euros en 2013) et ne représente que 1,5 % du chiffre d’affaires total de la VOD en France », souligne un rapport de la Cour des comptes sur FTD, révélé en décembre dernier (4) mais resté confidentiel. Les magistrats de la rue Cambon s’interrogent sur le modèle économique de cette filiale chargée notamment de la vente de DVD et de VOD, dont le chiffre d’affaires devait atteindre en 2015 les 65 millions d’euros. L’actuel PDG de FTD, Yann Chapellon, avait même dit en 2012 qu’il visait les 130 millions d’euros (5). On en serait bien loin : il devrait être cette année inférieur à 50 millions d’euros… « Une réflexion plus fondamentale sur l’activité de FTD et sur son intégration dans celle de France Télévisions doit être conduite », estime la Cour des comptes.

Service public gratuit et payant
Mais l’audace de Delphine Ernotte Cunci d’étendre le payant de France Télévisions à
la SVOD semble aller dans le sens du rapport Schwartz de mars dernier, du nom de l’ex-directeur financier de France Télévisions, Marc Schwartz. Il y explique ceci : « Un enjeu important de France Télévisions résidera dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue des plateformes numériques, au-delà des sources actuelles
de revenus. Sans oublier que le modèle économique du groupe repose sur une forte proportion de ressources publiques, il est légitime d’attendre à l’avenir un meilleur taux de couverture des charges du numérique, avec une réflexion qui peut être ouverte sur le partage entre offres gratuites et services payants ».
Bref, selon lui comme pour Delphine Ernotte Cunci, rendre payants des services publics ne serait pas incompatible avec la redevance audiovisuelle. Le seul moment où cette dernière évoque la redevance audiovisuelle, c’est pour dire que « les 65 millions de Français, par leur contribution à la redevance publique, sont en droit d’être traités comme 65 millions d’abonnés »…

Pourquoi les contribuables-téléspectateurs auraient à payer deux fois la télévision publique ? La redevance audiovisuelle, que Bercy appelle la contribution à l’audio-visuel public (CAP), est en hausse cette année de 2,2 % à 136 euros pour la France métropolitaine (86 euros pour les départements d’outre-mer). Elle va rapporter à l’audiovisuel public 3,67 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 3,3 % sur un an. France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public à en bénéficier, à hauteur de plus de 2,3 milliards d’euros – soit 64,3 % de cette manne « fiscale » (car collectée avec la taxe d’habitation en novembre). Viennent loin derrière Radio France (64,4 millions d’euros, soit 16,7 %), Arte France (267,2 millions, soit 7,4 %), France Médias Monde (6) (247,1 millions, soit 6,7 %), suivis de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et TV5 Monde. C’est en contrepartie de cette redevance audiovisuelle – obligatoire pour tout foyer détenteur d’un poste de télévision – que les contribuables sont en droit de recevoir gratuitement les chaînes de télévision et les stations radios publiques.
L’incursion de France Télévisions dans le payant ne pose pas seulement un problème vis-à-vis de la redevance audiovisuel que les téléspectateurs ont déjà payée pour un accès « libre » aux chaînes publiques, cela pourrait soulever aussi quelques problèmes en terme de concurrence. Ce fut par exemple le cas en Allemagne pour la plateforme de VOD payante « Germany’s Gold », commune aux chaînes publiques ARD et ZDF. Après un avis de l’autorité de la concurrence allemande, accusant les deux groupes de distorsion de concurrence avec cette offre, leur plateforme a été forcée de s’arrêter en septembre 2013.
Derrière ce dilemme du gratuit et du payant pour l’audiovisuel public, se pose aussi
une autre interrogation : celle du bien fondée de la redevance audiovisuelle, au moment où l’audience des chaînes publiques voient leurs audiences baisser au profit des nombreuses autres chaînes de la TNT et des vidéos sur Internet – pendant que les ressources issues de la contribution à l’audiovisuel public ont, elles, cru de 18 % entre 2005 et 2014 en euros constants (33 % en euros courants). Les chaînes publiques enregistrent en effet une érosion continue de leur part d’audience, passant de 39,5 % en 2003 à 28,6 % dix ans plus tard. Et une érosion peut en cacher une autre. Avec
la nouvelle génération, le taux d’équipement des foyers en téléviseur (96,7 %) tant à diminuer au profit d’autres écrans pour regarder la télévision linéaire ou non (tablettes, smartphones, phablettes). Ce qui fait peser à moyen terme un risque d’érosion de l’assiette de la redevance, assise actuellement sur le seul téléviseur.

Pourquoi payer deux fois ?
Si le groupe audiovisuel public est moins regardé et se finance de plus en plus avec des services payants, les Français ne seraient-ils pas en droit de voir leur redevance diminuer sérieusement – plutôt que de la voir augmenter constamment. Et est-il raisonnable d’envisager, comme le préconise le rapport Schwartz, d’élargir son assiette aux nouveaux supports ? Une réflexion de fond est assurément à mener sur la vocation publique et le financement de France Télévisions. Sinon, les Français risquent de ne plus comprendre pourquoi ils paient deux. @

Charles de Laubier

Orange mise sur son réseau, agrégateur de contenus

En fait. Le 17 mars, Stéphane Richard, PDG du groupe Orange, a présenté son nouveau plan stratégique baptisé « Essentiels 2020 », lequel succède au plan
« Conquêtes 2015 » – avec 15 milliards d’euros d’investissement à la clé dans
ses réseaux très haut débit fixe et mobile. Et les contenus ?

La francophonie numérique veut s’imposer face à un Internet colonisé par les pays anglophones

Ayant succédé au Sénégalais Abdou Diouf en tant que secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors du XVe Sommet de la francophonie de novembre 2014, la Canadienne Michaëlle Jean (photo) a présenté le 18 mars dernier à Paris le premier rapport sur la « francophonie numérique ».

Par Charles de Laubier

Michaëlle JeanIl y a aujourd’hui 274 millions de francophones dans le monde. Ils seront 700 millions en 2050, soit une personne sur treize. Au moment où est célébrée, ce 20 mars, la Journée internationale de la francophonie (1), le rapport sur la « francophonie numérique » dresse pour la première fois un état des lieux de la langue française et des francophones sur Internet.
« A première vue, on peut penser que les francophones sont bien servis dans l’univers du numérique. Bien qu’ils ne constituent que 3 % de l’ensemble des internautes, 4 % de l’ensemble des contenus qu’on trouve sur Internet sont en français », constate-t-il.
L’anglais, sureprésenté sur Internet
Mais à y regarder de plus près, l’anglais est la langue la plus surreprésentée sur Internet : « Il y est deux fois plus présent que ne paraît le justifier sa proportion du nombre d’internautes ». Les utilisateurs de langue anglaise représentent en effet 27 % de l’ensemble des internautes, alors que les contenus en anglais pèsent 56 % sur Internet – soit une offre deux fois plus importante que la demande.
Les francophones, eux, ne représentent que 3 % des internautes mais disposent de contenus en français en proportion avec leur nombre. Encore faut-il que les habitants des 57 pays membres de la francophonie – sur cinq continents – aient bel et bien accès à des contenus numériques de qualité, particulièrement pédagogiques. «Pour que la quantité de contenus numériques de qualité en français et en langues partenaires s’accroisse sur Internet et ailleurs, les acteurs francophones doivent continuer d’investir dans leur production et leur diffusion », recommande vivement ce rapport présenté le 18 mars par secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Michaëlle Jean (photo). Face aux Etats-Unis qui produisent le plus de contenus sur Internet, portés par les GAFA américains (3), l’OIF en appelle aux gouvernement des pays francophones pour que leurs populations aient accès à des contenus en langue française. Cela passe par la production de contenus, le développement de technologies en français, le soutien à la créativité artistique francophone, mais aussi la production dynamique de contenus en mode collaboratif, à l’image de ceux de l’encyclopédie Wikipédia ou du système de base mondiale de données géographiques OpenStreetMap. « Il faut publier des livres numériques en français. Il faut publier des vidéos en français sur YouTube. Il faut produire des logiciels en langue françaises, notamment dans le logiciel libre [voir tableau ci-contre, ndlr]», a insisté Réjean Roy, chargé de la rédaction du rapport de l’OIF et expert canadien en technologies de l’information.

Droit d’auteur et domaine public
La question du droit d’auteur à l’ère du numérique est également posée, dans la mesure où les internautes et mobinautes francophones peuvent créer de nouveaux contenus et services en se servant de ce qui existe. « En fait, il n’a jamais été aussi facile de combiner différents films pour en créer un nouveau, d’enrichir un jeu vidéo
de ses propres idées, de produire une nouvelle chanson en modifiant le rythme d’un classique, de modifier un livre existant pour le mettre au goût du jour et ainsi de suite.
Il existe cependant un grand obstacle à la créativité potentiellement sans fin des internautes et des utilisateurs des TIC : le manque de matériel qu’il leur est possible d’exploiter librement », relève le rapport de l’OIF, au moment où la Commission européenne s’apprête de son côté à réformer la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Il y a bien le Réseau numérique francophone (RNF), créé à Paris en 2006 par les bibliothèques nationales de différents pays avec pour mission d’assurer la présence du patrimoine documentaire francophone sur le Web. Ce sont ainsi plus de 800 000 documents en français qui sont accessibles sur le site Rfnum.org : journaux, revues, livres, cartes et plans, documents audiovisuels. Il y a aussi le Calculateur du domaine public, dont la version bêta est en ligne : créé à l’initiative de la France en partenariat avec l’Open Knowledge Foundation, il s’agit d’un outil de valorisation des œuvres qui ne sont plus protégées par un droit de propriété littéraire et artistique. Cet outil s’appuie sur les métadonnées des établissements culturels pour identifier, explorer et valoriser les oeuvres du domaine public. Mais ces initiatives ont encore une portée limitée. « D’autres contenus ne peuvent être exploités de façon optimale par les utilisateurs des TIC, parce que le mode de protection intellectuelle sélectionné volontairement ou involontairement par les créateurs les empêche de le faire. Pour contourner ce problème, les francophones gagnent à recourir à de nouveaux instruments comme les licences Creative Commons», explique le rapport de l’OIF (4).
Par exemple, un cinéaste pourra choisir une licence Creative Commons pour laisser d’autres artistes intégrer des extraits de ses films dans leurs propres productions et vendent ces dernières. Ou un photographe pourra laisser les internautes reproduire et distribuer ses clichés librement, à condition que ces derniers ne soient pas modifiés, que l’on indique qu’ils sont de lui et qu’aucune utilisation commerciale n’en soit faite.
A noter que depuis janvier 2012, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et la Creative Commons Collective Societies Liaison ont un accord pour permettre aux artistes de mettre à disposition, notamment sur Internet, leurs œuvres pour une utilisation non commerciale.

Vers un plan numérique de la francophonie ?
L’année 2015 marque en tout cas une prise de conscience des enjeux culturels de la francophonie numérique, au moment où c’est justement en octobre prochain que va être fêtée les dix ans de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Signée le 20 octobre 2005 à Paris, où se situe aussi le siège de l’OIF, ce texte international doit faire l’objet de « directives opérationnelles » pour prendre en compte le monde digital (5). Le rapport de l’OIF montre bien que la francophone numérique dépend aussi à des infrastructures d’accès à Internet (6). Selon l’Internet Society, cité dans le rapport, « la faible connectivité entre les fournisseurs de services Internet (FAI) se traduit souvent par le routage du trafic local vers des liens internationaux coûteux, simplement pour atteindre ensuite des destinations dans le pays d’origine. Ces liens doivent être payés en devise étrangère. De fait, les FAI doivent payer les taux d’expédition internationale pour une livraison locale. Il y a une solution internationalement reconnue à cette inefficacité. Il s’agit d’un point d’interconnexion Internet ou IXP ». Or, sur plus de 400 IXP dans le monde, il sont seulement 60 à être situés dans des pays membres de l’OIF – surtout en Europe et au Canada.
Côté financements, afin de favoriser l’incubation dans l’investissement numérique, notamment auprès de projets et start-up francophones innovantes, le Fonds francophone des inforoutes (FFI) – créé en 1998 – vient d’être transformé en Fonds francophone de l’innovation numérique (FFIN), dont les capacités financières seront renforcées. « Un appel à projets va être lancé prochainement », a indiqué Eric Adja, directeur de la francophonie numérique à l’OIF. Le Réseau francophone de l’innovation (Finnov (7)), créé en juillet 2013, recense pour l’instant 64 incubateurs dans les pays francophones. De là à imaginer un « plan numérique de la francophonie » (dixit Louis Houle, président du chapitre québécois de l’Internet Society), il n’y a qu’un pas… Peut-être d’ici le prochain Sommet de la francophonie prévu à Madagascar en 2016. @

Charles de Laubier

Comment Webedia (Fimalac) entend venir en aider à l’industrie culturelle française

Webedia prévoit de doubler son chiffre d’affaires à 100 millions d’euros en 2015. Pour Véronique Morali, sa présidente, la filiale digitale de Fimalac – holding de son compagnon Marc Ladreit de Lacharrière – veut être le porte-drapeau numérique de l’industrie culturelle française dans le monde. Les acquisitions vont se poursuivre.

(Depuis la publication de cet article, Le Monde révèle le 1er avril que Fimalac « semble aujourd’hui le candidat le plus probable »  pour les 49 % de Dailymotion, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, préférant des partenaires européens)

Véronique Morali« Notre vision est que nous pouvons être facilitateur de la transformation digitale des filières dans le divertissement et l’industrie culturelle. Et le cinéma est un bon exemple. Nous avons trouvé qu’il était judicieux de devenir partenaire du CNC (1) quand
il a lancé (en janvier dernier) son offre de mise en avant des films français [http://vod.cnc.fr, ndlr], en apportant notre savoir-faire digital dans le cadre de la recomposition de place qu’il est en train de mener », a déclaré Véronique Morali (photo), présidente du directoire de Webedia et présidente de Fimalac Développement, devant l’Association des journalistes médias (AJM), le 9 mars dernier (2).
Le site web Allociné – que Webedia a acquis en juillet 2013 – propose aux internautes de voir les films en les louant ou les achetant sur des plateformes tierces de vidéo à la demande (VOD) vers lesquelles ils sont orientés. A terme, les télécharger directement pourrait être proposé.

Cinéma, jeux vidéo, mode/beauté, cuisine/gastronomie et tourisme
Webedia veut qu’Allociné soit plus qu’un simple site web de référence du cinéma. « Plutôt que d’organiser en tant que CNC le référencement des offres légales, nous lui avons dit de profiter (en se mettant en dessous) de ce que l’on fait depuis vingt ans chez Allociné pour les fiches-films. Tous les mois sur Allociné, il y a environ 250 millions de fiches-films qui sont consultées par mois, et sur lesquelles les offres de VOD dites vertueuses sont référencées », a expliqué Cédric Siré, PDG de Webedia, présent aux côtés de Véronique Morali.
En revanche, Webedia ne compte pas aller sur le terrain de la VOD : « Car entrer sur ce marché, cela demande un premier investissement de 30 et 40 millions d’euros à mettre sur la table pour se payer aujourd’hui un catalogue (de films) à distribuer. Ce n’est pas notre modèle. Nous préférons le modèle média », a justifié le fondateur de Webedia.
Le cinéma fait partie des cinq thématiques verticales – avec les jeux vidéo, la mode/beauté, la cuisine/gastronomie, et le tourisme – sur lesquelles le groupe Fimalac a décidé d’investir en Europe et à l’international (3). « Avec nos verticales, nous voulons être partenaire de la recomposition digitale de filières pour le divertissement. L’industrie culturelle est beaucoup travaillée par le groupe Fimalac, avec tout un pôle entertainment [production de spectacles et exploitation de salles (4), ndlr]», a indiqué Véronique Morali. Et Cédric Siré de poursuivre : « Nous avons choisi ces cinq thématiques où l’on est capable de devenir des numéros un mondiaux et où nous estimons que la France a une légitimité, voire une forme d’exception ». Sur chacune
de ces cinq domaines culturels, Webedia s’appuie sur un triple modèle économique :
la publicité (e-pub programmatique, vidéo, opérations spéciales, …), les services (aider notamment les marques à devenir elles-mêmes des médias), et le e-commerce (comme la billetterie). Cédric Siré a aussi dit que les cinq verticales n’avaient pas vocation à aller jusqu’à faire de la presse papier (« Nous ne savons pas faire »).

En revanche, après avoir investi 240 millions d’euros depuis l’acquisition de Webedia (Pure People, Allociné/Côté Ciné, Jeuxvidéo.com/Millenium, 750g, …), Fimalac va
plus que jamais continuer à faire des acquisitions dans chacun de ces cinq secteurs culturels du divertissement. « Nous avons un actionnaire en quête de pépites et de développement, dans le cadre d’un capitalisme familial bien compris (donc très rigoureux dans la gestion et la rentabilité). On ne peut pas dire que l’on ait des limites. On ne peut pas acheter Google, c’est clair ! », a lancé Véronique Morali. Et pourquoi pas Dailymotion ? « Ce n’est pas à vendre, d’abord. C’est une belle affaire mais ce n’est pas à vendre pour Orange », a-t-elle répondu (5). « Au niveau mondial, on est déjà le deuxième groupe français digital derrière Dailymotion », s’est en tout cas félicité Véronique Morali. S’il n’y pas de limite, une acquisition à 1 milliard d’euros ? « Je ne sais pas, franchement… Si vous avez de bonnes idées, vous me les passez. Ce que
je peux vous dire, c’est qu’on étudiera cette offre ! Nous n’avons pas de limites, si ce n’est la limite de la liquidité de Fimalac. Et encore, Marc de Lacharrière dirait que l’on des capacités d’emprunts qui sont intactes puisque l’on a zéro dette », a-t-elle poursuit.

Fimalac, consolidateur culturel
Dans un univers du divertissement très fragmenté, Fimalac affirme ainsi son ambition d’être un acteur numérique de l’industrie culturelle française et un consolidateur sur le mode build-up (6) (dixit Véronique Morali). Le groupe du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière en a les moyens, notamment depuis la cession en décembre de 30 % de l’agence de notation Fitch, dont il détient encore 20 %. Ce qui lui a rapporté l’équivalent de plus de 1,5 milliards d’euros. @

Charles de Laubier