Après Allbrary et Qobuz, Xandrie veut s’enrichir d’autres sites en ligne dans la culture et le divertissement

Déjà opérateur de la bibliothèque digitale Allbrary et nouveau propriétaire de la plateforme de musique en ligne Qobuz, la société Xandrie prévoit d’autres acquisitions « de sites d’information ou de ventes de contenus » pour devenir « le spécialiste international de la culture et du divertissement digital ».

Par Charles de Laubier

Denis Thébaud« Xandrie souhaite adjoindre à son offre d’autres sites dans le domaine de la culture et du divertissement, que ce soit des sites d’information ou de ventes de contenus. Nous prévoyons de nouvelles acquisitions en 2016 et 2017 ; nous avons plusieurs cibles. Notre scope est large, pour autant qu’il serve la stratégie Xandrie de devenir le spécialiste international de la culture et du divertissement », indique Denis Thébaud (photo), PDG de Xandrie, dans un entretien à Edition Multimédi@.
Fondateur de cette société créée en 2012, dont il détient environ 80 % du capital (1), il est aussi PDG du groupe Innelec Multimédia (coté en Bourse) qu’il a créé il y a 32 ans pour la distribution physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles ou encore objets connectés (2). Denis Thébaud a aussi créé il y a 20 ans la société Focus Home Entertainment (aussi cotée en Bourse), le troisième éditeur français de jeux vidéo (3) dont il est actionnaire à plus de 50 %.

« 15 millions d’euros dans Qobuz d’ici 2020 »
En faisant l’acquisition fin décembre de Qobuz, la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, Xandrie rajoute une corde à son arc – et prévoit d’autres acquisitions. « Notre premier projet est Allbrary qui, comme Qobuz, se veut être une verticale de Xandrie. Qobuz sera donc préservé au sein de notre groupe, avec son identité propre et ses équipes dédiées. Au-delà de la somme de reprise qui est raisonnable, nous allons consentir sur les cinq prochaines années des investissements pour développer cette pépite musicale qui a beaucoup d’avenir : 10 millions d’euros
en marketing et 5 millions en développement technique », nous précise-t-il (4).
Ainsi, d’ici à 2020, la société de Denis Thébaud injectera plus – soit un total de 15 millions d’euros – que les 13 millions d’euros levés par Qobuz auprès des fonds de capital-risque Innovacom et Sigma Gestion depuis sa création par Yves Riesel usqu’ici son PDG (5), et Alexandre Leforestier. Cette reprise de Qobuz par Xandrie fait suite à une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, le 29 décembre dernier, a prononcé la reprise des actifs de la plateforme musicale par Xandrie, à l’exception
du passif.

Qobuz : la pépite française donne de la voix
Qobuz avait été placé en redressement judiciaire le 9 novembre, après une période
de plus d’un an d’observation durant laquelle aucun repreneur ne s’était manifesté, après que les actionnaires de la plateforme musicale aient refusé de renflouer la société. Le report de l’entrée en Bourse de Deezer, décidé en octobre, a sans doute rendu sceptiques les investisseurs sur le modèle économique des services d’écoute
en ligne. Denis Thébaud nous a confié qu’il a regardé le dossier durant ces douze derniers mois, sans prendre de contact avant le mois d’octobre, tandis qu’une autre société (Son Vidéo Distribution) présentait une offre de reprise concurrente. « Notre offre était la mieux disante, elle garantissait la reprise de quasiment tous les salariés. C’est un challenge important que nous nous sommes fixés et nous voulons attendre l’équilibre en quatre ans », ajoute Denis Thébaud.
Une quarantaine de personnes travaillent aujourd’hui pour Qobuz, dont les locaux sont basés à Paris dans le 19e arrondissement. Le chiffre d’affaires de la plateforme musicale pour l’année en cours devrait dépasser les 10 millions d’euros, contre 7,5 millions en 2015 (au lieu de 12,5 millions espérés initialement…) et 6,4 millions en 2014. Les derniers chiffres connus sur Qobuz faisaient état d’environ 21.500 abonnés et de plus de 100.000 utilisateurs actifs par mois. « La clientèle que nous visons en Europe, d’abord, apprécie la musique haute qualité car elle a de l’oreille et dispose souvent d’équipements Hifi très performants. C’est une clientèle qui apprécie le streaming, qualité CD [16-Bit/44,1 Khz, ndlr], mais télécharge aussi beaucoup pour posséder sa musique et l’utiliser à sa guise. Notre abonnement “Sublime” à 219,99 euros par an,
qui est “notre offre la plus chère”, est plébiscitée par ces amateurs car elle offre le streaming qualité CD, et aussi des prix préférentiels sur le téléchargement en qualité Hi-Res 24 Bits », explique le PDG de Xandrie. En mai dernier, Qobuz a revendiqué être le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », label de haute qualité sonore – Hi-Resolution Audio (HRA) – décerné par la prestigieuse Japan Audio Society, association nippone des fabricants de matériel audio. Au printemps dernier, Qobuz avait d’ailleurs protesté contre l’utilisation trompeuse par le service de musique Deezer du terme « Haute-Résolution » pour qualifier la qualité de son service « Elite ». La plateforme française a en outre noué des partenariats avec des fabricants de matériels Hifi et hightech tels que Sony, LG, HTC, Samsung, Sonos, Devialet, Linn, Lumin, Bluesound ou encore Google (Chromecast). « Au-delà de la musique, nos amateurs apprécient la qualité de la documentation, les livrets, la présentation des artistes et tous les partis pris du site pour faire découvrir en permanence des perles musicales, classique, jazz, rock, etc. », ajoute Denis Thébaud. Qobuz et ses 30 millions de titres musicaux, assortis de métadonnées enrichies, vont migrer sur le cloud d’Amazon (AWS), tandis que l’été prochain sera lancée une offre familiale (Qobuz Family) et une solution « voiture connectée » avec CarPlay d’Apple
et Android Auto de Google.
Au sein de Xandrie, Qobuz et Allbrary seront deux marques complémentaires. Au-delà des synergies possibles entre les deux, il y aura une « mutualisation des moyens et des équipes » dans les fonctions supports : administration, finance, juridique, relations avec les ayants droits, systèmes d’information, … Les deux verticales vont continuer à se développer en Europe (pays anglophones et germanophones) et à l’international (6). Qobuz est déjà ouvert dans neuf pays (7). Quant à la marque « Allbrary The Digital Library », elle a été déposée sur les Etats-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Inde
et l’Algérie. Allbrary, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012 dans le cadre d’une interview exclusive avec Denis Thébaud (8), se veut la première bibliothèque digitale réunissant – dans sa version bêta – six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales. Viendront ensuite la presse et la musique. Et c’est en toute discrétion qu’Allbrary a ouvert un service de vidéo à la demande (VOD), en version bêta là aussi (allbrary.fr/vod), destiné au marché français et permettant dans un premier temps de louer et de visionner des films et séries. Les vidéos sont en effet proposées en streaming et sous forme de location en ligne (sur
48 heures), le téléchargement définitif étant prévu dès cette année, en attendant l’abonnement SVOD. Selon nos informations, Xandrie a choisi l’agrégateur VOD Factory, lequel édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution ou encore de
la Fnac.

Allbrary sortira de sa bêta mi-2016
La bibliothèque digitale sera accessible sur tous les écrans. « Allbrary est disponible sur Windows, Android et sera disponible sur iOS en mai prochain. Dans un mois environ [en février], nous aurons une nouvelle version bêta plus évoluée, et c’est vers mi-2016 que nous commencerons réellement notre développement commercial », nous a-t-il confié. Allbrary, qui dépasse les 80.000 références d’œuvres culturelles est accessible soit par le site web Allbrary.fr, soit par des applications pour smartphones et tablettes, et bientôt directement sur des terminaux et des téléviseurs connectés. @

Charles de Laubier

Affaire « New Media Online » : comment la CJUE a pris à revers son avocat général

Selon l’arrêt « New Media Online » du 21 octobre 2015 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’offre de vidéos sur le site Internet d’un journal peut relever de la réglementation des services de médias audiovisuels. Dans cette hypothèse, cette offre est soumise au contrôle du CSA et aux obligations associées.

La presse en ligne peut avoir à financer le cinéma !

En fait. Le 9 décembre prochain, se réunit la commission « Enjeux réglemen-taires » du Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste). Seront notamment abordées les conséquences de la décision « New Media Online » rendue par la CJUE le 21 octobre sur les vidéos des sites web de la presse.

Le président de Disney, Bob Iger, ne veut pas se faire « Netflixiser » et lance DisneyLife en Europe

Bien que la « Walt Disney Company » affiche une santé financière insolente pour la cinquième année consécutive (chiffre d’affaires et bénéfice net record cette année), son président Bob Iger constate une nouvelle perte d’abonnés à ses chaînes de télévision. Il veut les reconquérir directement sur Internet.

Robert Iger, dit « Bob » (photo), a de quoi être comblé. Le groupe qu’il dirige depuis maintenant 10 ans, depuis qu’il a été nommé le 1er octobre 2005 sixième PDG de
« la Walt Disney Company », est plus que jamais en pleine forme malgré la révolution numérique et les assauts d’Internet. Lui qui fêtera en février prochain ses 65 ans, il a encore de beaux jours devant lui puisque son mandat avait été prolongé jusqu’en juin 2018. Le groupe Disney aura alors 95 ans, né en 1923 sous le nom des « Disney Brothers Studios ».

50 Mds de dollars franchis en 2015
« Nous avons bouclé notre cinquième année de performance record. Au cours de notre exercice fiscal 2015 [achevée le 3 octobre dernier, ndlr], nous avons généré les plus hauts chiffre d’affaires et bénéfice net de l’histoire de la compagnie, ce qui reflète la puissance de nos marques et franchises, la qualité de nos contenus créatifs, notre innovation implacable pour maximiser la valeur provenant des nouvelles technologies », s’est félicité Bob Iger lors de la présentation des résultats annuels le 5 novembre. Le résultat net du groupe affiche une hausse de 12 % à plus de 8,3 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires en augmentation de 7 % à plus de 52,4 milliards de dollars. C’est la première fois depuis près d’un siècle d’existence que Disney franchit allègrement la barre des 50 milliards de revenus. Ce qui représente le double du chiffre d’affaire de l’année 2002 et plus six fois le bénéfice net de cette année-là ! Même si les analystes financiers espéraient encore un peu mieux, l’année 2015 est encore à marquer d’une pierre blanche.
L’activité « Media Networks » (les chaînes de télévision ESPN, ABC, Disney Channels, …) représente quelque 44,3 % des revenus du groupe, suivie de « Parks and Resorts » (les parcs d’attraction tels que Disneyland) pour 30 %. Viennent ensuite les activités
« Studio Entertainment » (studios et salles de cinéma, distribution audiovisuelle, SVOD) pour 15 % du chiffre d’affaires, « Consumer Products » (produits dérivés, licences) pour 8,5 %, et « Interactive » (jeux vidéo tels que Disney Infinity ou Tsum Tsum) pour 2,2 %. C’est d’abord l’activité télévision qui retient l’attention au regard de la montée en charge de l’audiovisuel sur Internet : selon Disney, le nombre cumulé d’abonnés à ses chaînes apparaît en croissance grâce au lancement de la dernière née de ses chaînes : SEC Network, ouverte en août 2014 dans le sillage du network sportif ESPN (1) pour diffuser des programmes régionaux sportifs. Mais à y regarder de plus près, le groupe de Bob Iger reconnaît une nouvelle fois « un déclin des abonnés à certaines chaînes ». C’est un signe qui ne trompe pas : Disney est, à l’instar de ses concurrents de l’audiovisuel classique (où le câble est dominant aux Etats-Unis), victime des premiers effets du cord-cutting (2) – les abonnés à des bundle câble-TV préférant résilier leurs abonnements aux chaînes pour se reporter sur des offres vidéo moins coûteuses sur Internet (VOD, SVOD, catch up TV, …). Le problème est que cette érosion du parc d’abonnés de Disney s’observe maintenant de trimestre en trimestre. Et comme l’icône des médias américains est très suivie par les analystes, la moindre faiblesse peut provoquer une réaction en chaîne sur d’autres groupes du secteur. Ce fut d’ailleurs le cas en août dernier lorsque, pour la première fois, Disney avouait une érosion de son parc d’abonnés, provoquant une baisse des valeurs médias en Bourse. « Pas de panique ! », dit aujourd’hui en substance Bob Iger pour tenter de rassurer, tout en voyant dans Internet et sa « bonne relation avec Netflix » de nouvelles « opportunités » pour distribuer ses contenus. Cependant, il n’exclut pas de changer son fusil d’épaule en les distribuant luimême directement aux consommateurs pour que Disney puisse
– à l’instar des services de télévision en ligne HBO Now et CBS All Access lancés
cette année – bénéficier lui aussi des nouveaux usages du streaming.

DisneyLife d’abord au Royaume-Uni
C’est dans cet esprit-là que le groupe lance – en novembre et dans un premier temps au Royaume-Uni « en avant-première mondiale » – DisneyLife (3), un service
« jeunesse » de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), qui a vocation à s’étendre sur toute l’Europe – à commencer par la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – à partir de début 2016 . Dans le Financial Times daté du 21 octobre,
Bob Iger a révélé que pour 9,99 livres sterling par moins (14 euros), DisneyLife allait proposer non seulement des films et séries pour enfants et toute la famille mais aussi des programmes télé, de la musique, des livres et des applications – provenant de Disney, ABC, ESPN, Marvel, Lucasfilm, Club Penguin ou encore Playdom. DisneyLife se veut le « Netflix » de toute la famille, en proposant jusqu’à six comptes pour que chacun puisse y trouver son bonheur en fonction de ses goûts culturels. Outre le Web, les grands classiques de Disney – « Le Livre de la Jungle », « La Belle et le Clochard », « Toy Story », « Monsters » ou encore « Le Monde de Nemo » (« Trouver Nemo » au Québec) – seront aussi proposés sur l’Apple TV ou le Chromecast TV de Google.

Œuvres, du producteur au consommateur
S’adresser directement aux internautes et mobinautes sans s’embarrasser d’intermédiaires (Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV, ….) qui rognent sa marge et le concurrencent avec leurs propres séries originales : telle est l’ambition de plus en plus affirmée par Bob Iger. « C’est l’avenir. Il y a une tendance générale que le monde aille dans ce sens. Il y aura de la télévision multicanaux et nous en ferons partie, mais les applications offrent beaucoup plus de niveaux et de richesse de contenus que les chaînes [linéaires] », a-t-il affirmé dans le quotidien de la City. C’est surtout le seul moyen pour un géant culturel comme Disney de ne pas se faire « Nexflixiser » et de garder la maîtrise de sa clientèle, de ses usages et de ses centres d’intérêt, les algorithmesmaison de recommandation faisant le reste. C’est aussi l’occasion de reconquérir des abonnés qui s’étaient désengagés de ses chaînes de télévision câblées. Le patron de Disney, qui a indiqué que les films de Marvel et Lucasfilm (comme « Star Wars ») ne seront pas disponibles dans l’immédiat en Europe, ne précise cependant pas quand DisneyLife sera lancé aux Etats-Unis. L’explication de
ce geoblocking – autrement dit cette restriction géographique des droits – est simple : Netflix détient les droits exclusifs de diffusion outre-Atlantique (Etats-Unis et Canada)
– de 2015 jusqu’en 2018, selon nos informations – pour les tous les nouveaux films Disney après leur sortie en salles. Cet accord rapporterait, selon des médias américains, environ 300 millions de dollars par an à Disney. En France, c’est Canal+
qui détient les droits de « première exclusivité » en vertu d’un accord signé initialement en 2012 et renouvelé en octobre dernier pour l’année 2016. Son service de SVOD CanalPlay enrichit au passage son catalogue.
Dans sa volonté d’aller sur Internet, Disney a renforcé son emprise sur Vice Media en y investissant en octobre quelque 200 millions de dollars, tandis que A&E – société commune entre Disney et Hearst – est monté à hauteur de 15 % du capital. Pourquoi ? Pour accompagner le développement du groupe de médias d’origine canadienne Vice Media sur le Web, avec notamment le lancement de la chaîne en ligne Viceland qui sera accessible aux Etats-Unis dans un premier temps, puis en Europe où le DG cofondateur de Vice Media, Shane Smith, a déjà annoncé fin octobre le lancement en 2016 d’une douzaine de chaînes ! En France, Vice Media a lancé il y a un an la version en français de son site d’information Vice News, lequel dispose aussi d’une émission quotidienne sur France 4. Aller directement à la rencontre de son public en ligne, Disney le pratique déjà depuis 2007 en partenariat avec deux autres majors américaines, Fox Entertainment (News Corp) et NBC Universal (Comcast), via la plateforme de streaming vidéo Hulu – dans laquelle Disney détient 33 % du capital (4). Des programmes télé et des films y sont là aussi diffusés par Internet gratuitement et financés par la publicité, lorsque ce n’est pas par abonnement sans publicité (Hulu Plus). Sur les 750 millions de dollars d’investissement décidés en juillet 2013, Disney
y a déjà contribué à hauteur de 134millions. Cette volonté des ayants droits des industries audiovisuelles et cinématographiques de proposer leurs oeuvres directement en OTT (Over-The-Top) se retrouve aussi dans l’offre de télévision Epix, une joint-venture créée en 2009 entre Viacom/Paramount, MGM/Metro-Goldwyn-Mayer et Lionsgate pour diffuser leurs contenus par câble, satellite ou sur Internet (Epix HD).
Les studios hollywoodiens veulent ainsi valoriser les titres de leurs catalogues et contrer par la même occasion le piratage de leurs œuvres (5). Par ailleurs, Disney poursuit tant bien que mal la promotion aux Etats-Unis et au Canada de sa propre
offre DVD-VOD (vous achetez une vidéo sur support physique ; vous pouvez aussi la télécharger en ligne) avec « Digital Copy + » (6) qui concurrence la solution UltraViolet lancée en juillet 2010 par les autres majors du cinéma américain et disponible, elle, en Europe (bien que sans grand succès).

Disney, un géant sur YouTube
Cette conquête d’Internet par Disney ne serait pas complet sans parler de son acquisition, pour 500 millions de dollars en mai 2014, de Maker Studios, l’un des plus importants réseaux multi-chaînes (ou Multi-Channel Network) sur YouTube (7) (*) (**). Et en fonction de performances fixées d’ici fin 2015, Disney pourrait verser 450 millions de dollars supplémentaires si ces objectifs étaient atteints. Selon l’institut de mesure d’audience ComScore, Maker Studios se place en 5e position aux Etats-Unis avec près de 40 millions de vidéonautes uniques par mois – derrière Google/YouTube, Facebook, Yahoo et Vevo (8). La bataille entre les ayants droits et les géants du Net ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Ebooks : Hachette, Editis, Madrigall et Média Participations passent à l’offensive face à Amazon, Apple et Adobe

Les quatre premiers groupes français de l’édition s’associent au sein de l’association EDRLab – présidée par Pierre Danet, bras droit « numérique » du PDG d’Hachette Livre, Arnaud Nourry – pour tenter d’imposer le standard ouvert ePub de livres numériques, face aux systèmes verrouillés d’Amazon, d’Apple et d’Adobe.

Le premier éditeur français Hachette Livre, partie intégrante du troisième groupe mondial de l’édition – Lagardère Publishing – présidé par Arnaud Nourry (photo), est la tête de file des cofondateurs et cofinanceurs d’une nouvelle association d’envergure européenne baptisée EDRLab (European Digital Reading Lab), créée l’été dernier et tout juste installée à Paris. Présidée par Pierre Danet, qui reporte directement à Arnaud Nourry en tant que directeur de l’innovation numérique d’Hachette Livre, cette association a pour mission de développer des logiciels libres (open source), permettant une interopérabilité totale des livres numériques fonctionnant sous le standard ouvert ePub 3, quel que soit le terminal utilisé par l’utilisateur et lecteur : smartphone, tablette, ordinateur, liseuse, … Il ne s’agit ni plus ni moins que de s’attaquer aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés, sont non-interopérables. Outre Hachette Livre, l’association EDRLab – à but non lucratif – compte parmi ses membres fondateurs les trois autres plus grands éditeurs français : Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus, …).

EDRLab : initiative française sous tutelle américaine
En plus de ces quatre groupes français de maisons d’édition traditionnelles, il y a aussi dans les fondateurs présents au « conseil d’administration » d’EDRLab le Syndicat national de l’édition (SNE), lequel représente 650 membres actifs en France, le syndicat Cercle de la Librairie (CL) et le Centre national du livre (CNL), ainsi que le ministère de la Culture et de la Communication, avec le soutien d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique. A cela s’ajoute le pôle compétitivité d’Ile-de-France, Cap Digital, qui héberge les bureaux nouvellement installés d’EDRLab et l’aide dans son financement auprès des pouvoirs publics. Pierre Danet est d’ailleurs aussi vice-président de Cap Digital (1). Ensemble, ces cofondateurs publics-privés ont injecté pas moins de 1,3 million d’euros dans l’association, officiellement déclarée au J.O. du 29 août 2015, pour qu’elle puisse accélérer ses développements logiciels en étroite collaboration avec deux organisations américaines dont elle dépend étroitement.

Budget initial de 1,3 million d’euros
Il s’agit d’une part de l’International Digital Publishing Forum (IDPF), qui a établi le format standard ouvert ePub (electronic publication) et ses évolutions pour le livre numérique, et d’autre part de la fondation Readium, qui, en tant qu’émanation de l’IDPF (2), a en charge de mettre à disposition des kits de développement logiciel – ou SDK (3) – pour accélérer l’adoption de ce standard ouvert pour ebooks sur l’ensemble des plateformes numériques du monde entier. Le format ePub permet ainsi de lire des livres numériques quel que soit l’appareil de lecture utilisé (sous Android, Windows, iOS, OSx ou Web), sans verrouillages ni restrictions, en toute interopérabilité. L’EDRLab, qui est ainsi sous double tutelle de l’IDPF (basé à Seattle, Etat de Washington) et de Readium (domicilié à Wilmington, Etat du Delaware), compte dans son conseil d’administration deux représentantes à la fois d’IDPF et de Readium : Cristina Mussinelli, experte du
« SNE » italien auprès du gouvernement italien, et Bente Franck- Sætervoll, directrice de Bokbasen en Norvège. Pour être membre d’EDRLab, il faut être membre d’IDPF ou de Readium. « Nous sommes l’état major d’IDPF et de Readium en Europe. Et une force de frappe qui va être significative pour l’open sourceautour de la lecture numérique », a assuré Pierre Danet, lors des 15es Assises du livre numérique organisées le 13 novembre dernier par le SNE, où fut présenté à cette occasion Laurent Le Meur fraîchement recruté fin octobre comme directeur technique d’EDRLab. Venu de la plateforme de VOD UniversCiné, ancien d’Allociné et du Medialab de l’AFP, il va « créer une petite équipe de développeurs – une sorte de commando [sic, ndlr] – pour accélérer le développement des logiciels Readium, sorte de ‘’moteurs de lecture’’ qui ne sont pas des logiciels de lecture complets de type ereader, mais plutôt leur ‘’réacteur’’ permettant de lire ces ebooks au format ePub 3 et de développer
facilement. ». Ces logiciels open source sont basés sur le principe du copyleft (4).

En ligne de mire : les systèmes dits « propriétaires » d’Amazon et d’Apple, respectivement AZW (ou mobi) et iOS, incompatibles entre eux mais aussi avec Android de Google et vice versa. Face à ces systèmes fermés (walled gardens) d’acteurs du Net dominants, il s’agit d’opposer le format ePub 3, dont la version 3.0.1 actuellement en vigueur a été mise au point en juin 2014 et s’appuie sur le langage HTML5 du World Wide Web Consortium (W3C) – en attendant l’ePub 3.1 pour l’an prochain (5). « La validation de l’ePub 3.1 devrait avoir lieu vers octobre 2016. Un ou plusieurs drafts sont prévus d’ici là », indique Laurent Le Meur à Edition Multimédi@. En matière de protection, via le chiffrement des livres numériques, il s’agit aussi de s’émanciper des carcans imposés par les géants du Net. « Il faut sortir de cette logique des silos que l’on connaît aujourd’hui avec Amazon et Apple, et doter les logiciels Readium du système de protection LCP (Lightweight Content Protection) qui est
une alternative plus légère d’emploi par rapport à la solution DRM (Digital Rights Management) d’Adobe. Nous devons nous mettre en ordre de bataille pour pouvoir certifier des solutions de protection LCP développées par d’autres, et assurer l’interopérabilité de ces solutions de DRM pour que tous les types de logiciels compatibles LCP puissent le lire un livre numérique », a prévenu Laurent Le Meur. Objectif : ne plus être obligé de s’inscrire auprès d’une société précise (Amazon,
Apple, Adobe, …), ni de devoir être en ligne pour débloquer son livre numérique,
et de pouvoir le lire sur un nombre illimité d’appareils.
Le standard ePub 3.0 et les logiciels Readium apporteront même la possibilité aux maisons d’édition d’intégrer dans les livres numériques des enrichissements interactifs et multimédias tels que les vidéos, les animations, les fenêtres pop-up pour les notes, ou encore des fonctionnalités pour les personnes handicapées visuelles. Plus nombreuses seront les plateformes numériques à l’adopter, plus rentables seront les développements de ces ebooks enrichis. Ainsi l’ePub 3 pourrait donner un coup de vieux aux « livres noirs » digitaux (ceux édités en texte noir sur blanc uniquement), encore dominants.

Premier « ePub Summit » à Paris en avril 2016
Fort de ses soutiens publics-privés en France et de l’intérêt que lui porte la Commission européenne dans le cadre de son Agenda numérique, lequel vise notamment à favoriser l’interopérabilité et l’accessibilité des contenus digitaux (6), l’EDRLab vient
de se voir confier par l’IDPF et Readium l’organisation à Paris en avril 2016 – pour la première fois dans le monde – de la toute première édition d’un « ePub Summit ».
C’est Pierre Danet qui l’a révélé lors des Assises du livre numérique, tout en précisant que « l’EDRLab a établi un business plan sur trois ans, avec pour objectif de passer d’un financement public à un financement privé par les services du laboratoire ».
Et d’ajouter : « C’est le challenge pour 2018. Il y aura trois sources de revenu : la certification pour les implémentations de LCP ou de toute technologie, la formation,
et les événements ». Cette offensive des grands éditeurs français pourrait faire décoller le livre numérique en France, qui pèse encore seulement 6,4 % des ventes totales de l’édition en 2014 – soit 161,4 millions d’euros. @

Charles de Laubier