Pourquoi Molotov.tv n’est pas (encore) le cocktail révolutionnaire qu’il prétend être pour la télé

Molotov.tv, le bouquet de chaînes en ligne lancé le 11 juillet dernier par Jean-David Blanc et Pierre Lescure, s’est offert une belle couverture médiatique.
Mais il reste à cette « télévision réinventée » à tenir ses promesses – comme
sur l’enregistrement numérique et la disponibilité multi-terminaux.

Bookmarks. Tel est le nom de la fonction d’enregistrement promise par le nouveau service en ligne lancé cet été par Jean-David Blanc (ex-fondateur d’Allociné), Pierre Lescure (ex- PDG de Canal+), Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers
(ex-Allociné). Molotov.tv en avait fait une fonctionnalité-phare, permettant aux internautes d’enregistrer dans un service de
cloud personnel les programmes de télévision de la grille qu’ils
ne pouvaient voir lors de leur passage à l’antenne. Contacté par Edition Multimédi@, Jean-David Blanc (photo) nous a assuré
que Bookmarks sera disponible « dans le courant de l’été ». Pourtant, le nouveau site de télé qui promettait d’« enregistrer en un clic » affirme que « cette fonctionnalité sera opérationnelle dès l’entrée en vigueur de la loi Création votée le 29 juin dernier » : l’indication était toujours affichée en juillet ! Or cette loi (1) a été promulguée au Journal Officiel le 8 juillet et… toujours rien chez Molotov. Les télénautes doivent encore patienter malgré la promesse séduisante : « D’un clic, “Bookmarkez” les programmes que vous aimez, et ils seront enregistrés. Retrouvez-les à chaque fois que vous vous connectez, disponibles pour vous aussi longtemps que vous le voulez. Impossible désormais de rater un épisode de votre série préférée ».

Toutes les chaînes de télévision ne signeront pas de convention avec Molotov
C’est que pour proposer en ligne un stockage audiovisuel à distance et pour un usage privé, la loi Création impose que le distributeur dispose d’« une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision » qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». C’est là que le bât blesse : toutes les chaînes ne sont pas disposées, loin s’en faut, à faire le grand saut dans le Cloud TV. TF1, M6 et Canal+ sont parmi les chaînes les plus méfiantes vis-à-vis de ce nouvel univers délinéarisé par un tiers, en particulier envers non seulement la fonction d’enregistrement numérique, mais aussi la mise à disposition de leurs programmes
en replay (rattrapage). Les dirigeants de Molotov.tv se sont finalement résolus à lancer leur service sans attendre que les négociations aboutissent avec certains éditeurs de chaînes encore hésitants, lesquelles pourront toujours par la suite saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de tout différend – ou casus belli – concernant la conclusion ou l’exécution de la convention en question.

« Amendement Lescure » et copie privée
« Molotov révolutionne la façon dont on accède à la télévision. Avec 35 chaînes dans sa version gratuite, et plus de 70 dans sa version étendue pour moins de 10 euros par mois, vous regarderez la télévision d’une façon radicalement nouvelle, intelligente, et intuitive », est-il expliqué. Mais pas de Canal+, malgré la « caution » Pierre Lescure (2), ni de BeIn Sport. Pas sûr que les négociations estivales aboutissent favorablement pour la rentrée de septembre. Bien avant Molotov, d’autres projets de ce type ont essuyé les plâtres face aux réticences des chaînes : Playtv.fr de Play Media (que France Télévisions a fait lourdement condamné en appel début 2016), Myskreen.com (liquidé en 2015), … Cette fois, s’agit-il d’un passage en force de la part de Molotov ? La fonction enregistrement de Molotov.tv partait pourtant dans de bonnes conditions réglementaires, puisque – grâce à un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes – la loi Création a prévu que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision (ou de radio) d’origine linéaire (3). Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition de l’article 15 de la loi Création permet à l’entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée (dans un cercle restreint ou familial).

Autrement dit : Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme Copie France la redevance, en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans avoir besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de la TNT. La société devra ainsi s’acquitter de la taxe « copie privée » en fonction non seulement du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, mais aussi des capacités de stockage mises à disposition de chacun. « Elle [la taxe “copie privée”] est intégrée dans nos coûts, de même que la bande passante, les serveurs, la clim, l’électricité, le chauffage, etc », nous précise Jean-David Blanc. Exemple : si le télénaute bénéficie de 500 Gigaoctets (Go) avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Mais force est de reconnaître que, pour l’heure, la commission « copie privée » chargée d’établir les barèmes des taxes applicables aux supports de stockages (DVD, clé USB, disque dur externe, smartphone, tablette, etc) n’a pas encore décidé ceux du cloud (la loi Création venant tout juste d’être promulguée). Mais tout incite Molotov à provisionner les sommes qui seront dues le moment venu, sachant que les 45 euros – assimilables actuellement aux « mémoires
et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels) » dans la nomenclature de la commission « copie privée » – pourront être amortis sur plusieurs années si l’abonné reste fidèle au service… De quoi lisser l’impact de la taxe « copie privée » pour ce service freemium. Molotov.tv brassera environ 20.000 programmes télé par mois, en live ou en replay : une sorte de « Netflix de la télévision », avec recommandation et personnalisation s’appuyant dans les coulisses sur des méta-données, des algorithmes, des cookies et des filtres de recherche. De quoi passer du zapping fastidieux à un zapping intelligent. Depuis son lancement le
11 juillet, Molotov.tv est une application téléchargeable à partir d’un ordinateur (PC
ou Mac), de la tablette iPad et de l’Apple TV – en attendant pour « bientôt » l’iPhone, Android de Google (pour smartphones et tablettes), les téléviseurs connectés de LG
et de Samsung. Donc, pas d’appli mobile lors du lancement… En dehors de la France, l’appli TV sera lancée dans six autres pays européens et, avec la bienveillance d’Apple, aux Etats- Unis – sous la responsabilité de Jean-Pierre Paoli, exdirecteur du développement international de TF1, de Canal+ et d’Eurosport.
Cette start-up, créée il y a près de deux ans maintenant (en octobre 2014), compte dans son tour de table – 10 millions d’euros en première levée – le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère) et des business angels (Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, Steve Rosenblum).

Seconde levée de fonds en vue
La seconde levée de fonds devrait porter cette fois sur 100 millions d’euros. « Nous communiquerons à la rentrée », nous indique Jean-David Blanc. Face à cette ambitieuse offre OTT (Over-The-Top), les chaînes ne sont pas les seules à hésiter à
lui confier le live, le replay et la relation client. Les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se demandent en tant que FAI (4) si Molotov n’est pas un cocktail lancé contre leurs « box », lesquelles sont en situation d’oligopole avec l’accès triple play incluant bouquet de chaînes, télévision de rattrapage et VOD. @

Charles de Laubier

Rejet du projet d’accord Canal+/BeIn Sportspar l’Autorité de la concurrence : rendez-vous dans… cinq ans

L’Autorité de la concurrence a rejeté la demande du groupe Canal Plus de lever l’injonction imposée en 2012 qui l’empêche de distribuer en exclusivité des chaînes sportives premium. Imposer des mesures sur cinq ans à l’heure d’une économie numérique à l’évolution fulgurante est-elle pertinente ?

1 – A savoir les groupes intégrés autour de NBC Universal, Sony
Pictures, 20th Century Fox, Walt Disney, Warner Bros. et
Paramount/CBS et leurs filiales, qui représentent 80 % de la
production de films et séries américaines.
• 2 – Injonction 1 (a).
• 3 – Engagement 2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 4 – Injonction 1 (b) de la décision 12-DCC-100.
• 5 – Injonction 1 (d).
• 6 – Injonction 7 (a).
• 7 – Vidéo à la demande à l’acte (VOD) et par abonnement(SVOD).
• 8 – Injonction 7 (c).
• 9 – Engagement 2.2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 10 – Engagement 2.6.
• 11 – Engagement 2.4.
• 12 – Engagement 2.3.
• 13 – Injonction 9 (a) de la décision 12-DCC-100.
• 14 – Injonctions 3 (a) et (b).
• 15 – Injonction 5 (a).
• 16 – Injonction 6 (a).
• 17 – Injonction 10 de la décision 12-DCC-100 et engagement 4 de la décision 14-DCC-50.

Olivier Huart, PDG de TDF, craint un « tsunami pour la télévision » et appelle les chaînes à jouer collectif

A la tête de TDF depuis maintenant plus de six ans, Olivier Huart a lancé le 14 juin dernier un appel à l’union aux éditeurs de chaînes de télévision afin de lancer en France une plateforme numérique commune – sur le modèle de Freeview en Grande-Bretagne, où toutes les chaînes sont accessibles.

« Pour la télévision de demain, il faut penser collectif – esprit collectif. Mon appel, je l’adresse à tous les acteurs de la télévision (…) : unissez-vous, unissons-nous. C’est comme ça que la vague du numérique ne se transformera pas en tsunami pour la télévision », a lancé le 14 juin Olivier Huard, le PDG de TDF (1). « La télévision de demain nécessite de basculer vers
un monde multipolaire, beaucoup plus hybride pour intégrer la TNT au cœur de l’écosystème digital. (…) Ce monde multipolaire impose également de travailler de manière beaucoup plus collaborative. Les chaînes seront encore puissantes dans vingt ans. Mais à une condition : qu’elles joignent leurs forces pour faire le saut numérique », a-t-il prévenu.

Plateforme TV commune en France ?
Le patron de TDF, qui intervenait à l’occasion d’une conférence organisée par l’institut Idate (2), a pris en exemple la plateforme TNT Freeview en Grande-Bretagne, qui, forte de ses 60 chaînes et jusqu’à 15 chaînes HD diffusées par voie hertzienne, a lancé en octobre 2015 « Freeview Play », un guide de programme en ligne permettant de voir et revoir en télévision de rattrapage (replay) tous les programmes. Et ce, gratuitement et dans un délai de sept jours, pour peu que le téléviseur ou le magnétoscope numérique soient connectés à Internet. Pour Olivier Huart, il est temps de lancer une telle plateforme TNT-replay en France. D’où son appel aux éditeurs de la télévision français, TF1, M6, France Télévisions, Canal+ et aux autres chaînes de la TNT qui en compte au total 26 gratuites. « Le modèle Freeview est très inspirant et répond à bon nombre de nos défis actuels. Freeview est une sorte de grand magasin, comme les Galeries Lafayette avec des corneurs de marques, qui vous permet d’accéder depuis un même endroit à l’ensemble des chaînes : Sky, ITV, BBC, Channel 4 et le TDF anglais Arqiva ont construit ensemble cette plateforme. Chaque chaîne garde sa marque, son style, son indépendance, son âme, dans une maison technologique commune », a-t-il expliqué. Et d’insister, avant de laisser sa place à Gilles Pélisson, PDG du groupe TF1 : « Cela concerne tout le secteur de la télévision. Et c’est cet appel que je lance pour qu’en France nous arrivions aussi à construire une plateforme similaire technologique. (…) L’immobilisme tue. L’avenir est quelque chose qui se surmonte (Bernanos). On ne suit pas l’avenir ; on le fait : alors y a plus qu’à… ».

TDF se verrait bien en fédérateur des chaînes françaises pour déployer une telle offre groupée. Par le passé, les discussions entre les chaînes privées autour d’un projet commun de télévision de rattrapage avaient abouti à une impasse. En 2009, M6, TF1
et Canal+ avaient en effet entamé des pourparlers en vue de se mettre d’accord pour le lancement d’une plateforme commune de replay. Mais ce fut sans lendemain. En mars 2013, M6 avait encore écarté toute plateforme commune avec les deux autres groupes privés de télévision (3). Pourtant, trois mois avant, il s’était montré ouvert à un partenariat SVOD avec TF1, dont le patron Nonce Paolini – le prédécesseur de Gilles Pélisson – nous avait dit que c’était « une idée intéressante ». En février 2014, Jean-François Mulliez, à l’époque directeur délégué de e-TF1, s’était dit en faveur d’un
« Hulu à la française ». De leur côté, des producteurs et des ayants droits du cinéma français avaient songé en 2013 à une plateforme commune de VOD/SVOD qui leur permettrait de maîtriser la diffusion des films en streaming à la manière d’Hulu (4) ou d’Epix (5). Pour l’heure, il n’existe qu’Universciné qui regroupe 30 à 40 producteurs (6). A noté que par ailleurs, la président de France Télévision, Delphine Ernotte, réfléchie depuis l’an dernier à un « Google de la création française » (sic), une plateforme audiovisuelle en ligne qui pourrait être lancée en 2017. « France Télévisions (…) et l’INA qui dispose de sa plateforme de SVOD devront être les moteurs de cette initiative. Mais elle sera ouverte à tous les autres diffuseurs privés. Ainsi, les Français auront un accès illimité et permanent à la création française, sur un modèle mixte payant et gratuit. Ce sera un véritable concurrent des Netflix, YouTube ou Amazon », avait-elle expliqué le 28 octobre dernier dans Le Figaro (7).

Fédérer les chaînes 4K sur un canal TNT
Dans l’immédiat, TDF voit dans l’ultra haute définition 4K une occasion d’unir les chaînes autour d’une même plateforme commune. « Sur ce sujet aussi, il serait bon
de s’unir. Nous travaillons chez TDF à un modèle d’”agrégateur 4K”. Le principe en
est simple : offrir un canal TNT dédié totalement au 4K en additionnant les contenus produits par les différentes chaînes. Cette initiative collective traduit bien les voie possibles pour que les chaînes construisent ensemble la télévision de demain ».
A suivre. @

Charles de Laubier

Films, musiques, sports, … : vers la portabilité transfrontalière des contenus en ligne

Le règlement européen sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne vient d’être approuvé par les ministres de la Concurrence, pour que l’accès aux œuvres culturelles et aux événements sportifs puisse se faire dès 2017 sans frontières au sein du marché unique numérique.

Les ministres européens de la Concurrence ont approuvé le 26 mai, lors d’un Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, le règlement qu’avait présenté la Commission européenne pour instaurer dès l’an prochain la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne. Les représentants permanents
des Etats membres l’avaient validé le 13 mai. Les négociations vont pouvoir commencer avec le Parlement européen, dont le vote devrait intervenir à l’automne prochain – a priori en octobre, selon nos informations.

Du roaming mobile au roaming audiovisuel
Il s’agit de lever les restrictions qui empêchent les Européens – lorsqu’ils se rendent dans un autre pays que le leur au sein du marché unique numérique – de se voir privés d’accès aux films, aux séries télé, à la musique, aux livres numériques, aux jeux vidéo ou encore aux retransmissions sportives, pour lesquels ils ont pourtant souscrit un service en ligne dans leur pays d’origine. Comme il s’agit d’un règlement, ses dispositions seront directement applicables par les Vingt-huit. La portabilité transfrontalière des contenus sera alors une réalité en 2017, soit la même année où
les frais d’itinérance mobile dits de roaming prendront fin dans l’Union européenne. Comme l’usage des smartphones et des tablettes 3G/4G est plébiscité (surtout par
la jeune génération) pour accéder à la vidéo à la demande (VOD), à la musique en ligne ou encore aux offres illimitées de livres numériques, le besoin de « roaming audiovisuel » sans surcoût se fait plus pressant.
De quoi accélérer la mise en oeuvre du marché unique numérique dont Jean-Claude Juncker (photo), président de la Commission européenne, a fait son cheval de bataille avec Andrus Ansip et Günther Oettinger (1). Leur objectif : élargir l’accès aux contenus culturels et sportifs dans toute l’Europe. Jusqu’alors, un abonné de Netflix en France qui se rend en Allemagne ne peut pas visionner les films proposés par Netflix aux abonnés allemands. De même, celui qui a l’habitude d’utiliser un service de VOD en France ne peut pas regarder les films désirés lorsqu’il est en voyage d’affaires au Royaume-Uni par exemple. Un abonnés français à Canal+ est lui aussi cantonné à l’Hexagone. Or, pour la Commission européenne et les ministres de la Concurrence, ces situations de géo-blocages pour des questions de propriété intellectuelle ne sont plus tenables. Les Européens doivent pouvoir bénéficier de la portabilité transfrontalière des contenus qu’ils paient, quels que soient les pays de l’Union où ils se rendent. Il s’agit en même temps de permettre une meilleure circulation des contenus, d’offrir un plus grand choix aux Européens et de renforcer la diversité culturelle. La Commission européenne entend en outre améliorer la distribution transfrontalière de programmes
de radio et de télévision en ligne, en réexaminant la directive « Câble et satellite » (2). Mais les industries culturelles et leurs ayants droit ont exigé que soit prévu dans le règlement « Portabilité transfrontalière » un critère temporel, c’est-à-dire que la présence de l’utilisateurs en dehors de son pays d’origine soit provisoire (passagère
et courte). Ce critère temporel vise à éviter une trop large interprétation qui risquerait, selon eux, d’être l’équivalent d’un accès permanent transfrontalier à leurs œuvres.
Ils y voit une violation du principe de territorialité, qui leur permettent par le jeu des exclusivités géographiques d’optimiser la monétisation de leurs contenus culturels.

Pour contourner les restrictions liées aux droits d’auteur, certains utilisateurs ont recours à des VPN (3) qui leur permettent de simuler une connexion provenant de France et d’accéder ainsi aux catalogues français depuis l’étranger. Ce contournement du filtrage géographique déplait non seulement aux ayants droits, mais aussi à… Netflix, qui doit se soumettre au géo-blocage exigé par ces premiers. La plateforme mondiale de SVOD est parti en guerre contre ces réseaux privés virtuels ou les serveurs dits proxy ou unblockers en bloquant les adresses IP associées. Par exemple, le prestataire technique NordVPN permet d’accéder en Europe à Netflix aux Etats-Unis.

Netflix contre les VPN anti-blocages
« Nous faisons des progrès dans l’obtention de licences d’envergure mondiale pour
les contenus et nous offrons maintenant notre service dans 190 pays, mais nous avons encore du chemin à faire avant que nous puissions offrir aux gens les mêmes films et séries TV partout dans le monde. (…) En attendant, nous continuerons à respecter et faire respecter l’octroi de licence de contenu par zone géographique », avait prévenu
en début d’année Netflix (4). Est-ce la fin du jeu du chat et de la souris ?
Le règlement « Portabilité transfrontalière » pourrait donner un coup de frein en Europe aux VPN, lesquels seront cependant toujours prisés. @

Charles de Laubier

Pourquoi l’opérateur télécoms SFR fait de la presse un produit d’appel comme la télé et la vidéo

Augmenter l’ARPU ! Tel est le leitmotiv d’Altice, la maison mère de SFR. Pour que ce revenu moyen par abonné soit plus élevé, l’opérateur télécoms remplit ses tuyaux de contenus. La presse devient un produit d’appel, comme la télé et la vidéo. Mais convergence rime-t-elle avec indépendance ?

« Informée de l’intégration du groupe Altice Media – auquel appartient Libération – dans le groupe SFR, la Société des journalistes et du personnel de Libération (SJPL) fait part de
sa vigilance quant aux conséquences de ce rapprochement »,
a prévenu le 26 avril dernier l’organisation de salariés du journal Libération, lequel avait été racheté par le milliardaire Patrick Drahi (photo de gauche) à l’été 2014.

La presse soluble dans la convergence
« Dans les prochains jours, la version numérique de Libération deviendra accessible aux abonnés SFR. Conscients de l’opportunité de diffusion que peut représenter une telle nouveauté, la SJPL tient néanmoins à rappeler l’impératif de totale d’indépendance de la rédaction inscrit dans le pacte signé en 2015 par les actionnaires et la direction
du journal. A l’intégration renforcée entre diffuseur et diffusé, doivent répondre des garanties d’indépendance très strictes », préviennent- elle, tout en craignant que ce nouvel écosystème qu’induit la convergence numérique soit un risque pour le quotidien – « celui de devenir dépendant d’un diffuseur numérique, d’autant plus qu’il s’agit de notre actionnaire majoritaire ».
Deux jours après les mises en garde de la SJPL, c’est au tour du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) de dénoncer cette fois les multiples conflits d’intérêts de la filialisation d’Altice Media Group (Libération, L’Express, L’Expansion, L’Etudiant, Stratégies, Point de vue, …), au sein de l’opérateur télécoms SFR. « Le projet de SFR soulève des questions déontologiques qui auront des répercussions sur l’ensemble du secteur. L’indépendance des éditeurs de presse à l’égard de tout intérêt extérieur aux médias est la clé du développement pérenne du secteur. (…) La convergence entre les “contenus” et les “contenants” – et la mise sous tutelle des premiers par les seconds – posent des questions sur le maintien d’une concurrence équitable au sein du secteur. (…) La liberté de distribution et l’égalité de traitement des différents titres, qui sont au fondement de la politique publique de régulation et d’appui à la diffusion de la presse écrite, sont menacées par un tel schéma », affirme Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil, syndicat créé en 2009 et réunissant aujourd’hui 150 éditeurs indépendants. Pour Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, rien de nouveau sous le soleil médiatique : « Altice Media Group, la société qui détient Libération, elle-même possédée par Patrick Drahi, va devenir la propriété de Numericable-SFR, société détenue par Patrick Drahi. Ce changement se résume ainsi pour Libération à un non-changement », a-t-il estimé dans un éditorial publié le 26 avril. Mais il a quand même tenu à préciser que « les statuts du journal,
et notamment la charte qui garantit son indépendance rédactionnelle, continuent de s’appliquer selon des modalités strictement identiques à ce qu’elles étaient depuis toujours, avec, en bout de chaîne, le même actionnaire de référence ». Et de justifier l’opération de fusion-absorption du contenu par le contenant en expliquant qu’« il s’agit en fait, non de modifier la gouvernance de Libération, mais de rapprocher, dans l’intérêt commun, un journal et un opérateur télécoms capable de lui offrir des possibilités nouvelles de diffusion ».
Même assurance du côté d’Alain Weill, PDG fondateur de NextRadioTV devenu le patron des médias et de la publicité du groupe multimédia SFR : « Tous les médias
du groupe resteront indépendants », y compris Libération qui devrait en outre avoir en 2017 sa propre chaîne « Libé Télé ». Le groupe NextRadioTV, qui comprend BFM TV, BFM Business RMC RMC Découverte (1), est détenu à hauteur de 49 % de son capital par SFR Médias depuis décembre 2015.

SFR veut « révolutionner » la presse
Ces interrogations légitimes, sur les risques que font peser la concentration et la convergence sur les médias en général et sur la presse en particulier, sont exprimées au moment où une proposition de loi vise à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (2) (*) (**) – dont l’adoption devrait intervenir d’ici l’été prochain (voir encadré page suivante).
Après s’être emparé de Libération en 2014, Patrick Drahi a ensuite racheté en février dernier L’Express et L’Expansion au groupe belge Roularta. Ainsi était né Altice Media Group, qui intégrait par ailleurs la chaîne d’information en continu israélienne i24 News.

Pour Michel Combes (photo de droite), le PDG de SFR, le deuxième opérateur télécoms français doit se diversifier dans les contenus et devenir un kiosque numérique à journaux ouvert à toute la presse. Pour ses 17 millions d’abonnés mobile, l’option est incluse dans le forfait. Pour les non-abonnés au kiosque de journaux en ligne, c’est 19,99 euros par mois. « Notre conviction est que les opérateurs mobile vont devenir
de nouveaux acteurs de la distribution de la presse, mais pour cela, il faut ouvrir les vannes », déclare-t-il dans Challenges daté du 28 avril, quitte à promettre que « SFR Presse va révolutionner l’accès et l’usage de la presse écrite ».

Les journaux payés à l’accès
Les journaux seront payés en fonction des consultations d’articles en ligne, que les cyberlecteurs pourront chercher par mots-clés. Cependant, rien n’empêche que le bouquet « presse » devienne un jour payant comme ce sera le cas à terme pour les bouquets « sport ». « Les médias permettent de rendre attractives les offres des opérateurs télécoms et les aider à fidéliser leurs clients », assure encore Michel Combes.
Mais le modèle de diffusion massive essentiellement financé par la publicité – évoqué dans les rédactions, dont celle de L’Express – peine à convaincre les journalistes qui émettent des doutes sur sa viabilité économique. « Drahi considère l’information comme un gadget, un cadeau Bonux pour les possesseurs de forfait mobile », regrette un journaliste de l’hebdomadaire fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, cité dans Marianne du 29 avril.
« SFR Presse » est le nom, qui pré-existait déjà jusqu’en septembre 2014, de ce nouveau kiosque numérique qui va proposer non seulement les dix-sept titres du groupe, mais aussi à terme d’autres journaux et magazines. Depuis près de deux ans, c’était la société LeKiosk qui assurait le service pour l’opérateur télécoms. Désormais, SFR Presse et LeKiosk vont cohabiter ; les cinq crédits par mois permettant d’accéder aux titres du second ne seront plus décomptés s’il s’agit de journaux ou magazines de l’ex-Altice Media Group. « En tant que client Extra SFR [l’option doit être activée, ndlr], vous avez accès en illimité en l’ensemble des titres de l’offre SFR Presse », précise LeKiosk.com. La presse devient un produit d’appel pour les télécoms, comme la vidéo
à la demande (VOD) et la télévision étendue au rattrapage (TVR), SFR ayant comme objectif de reconquérir des clients après en avoir perdu près de 1 million dans le mobile en 2015 et d’augmenter l’ARPU (3) stabilisé à seulement 21,8 euros par mois. Dans le fixe, la base d’abonnés est aussi en baisse à 6,3 millions pour un ARPU en recul à 33,9 euros par mois. Le paradoxe de cette convergence est que la presse en perte de vitesse devient un « cadeau Bonux » dans la grande « lessive » SFR, elle même en perte de vitesse depuis son rachat par Numericable en 2014 via la holding Altice de Patrick Drahi…
Il s’agit aussi de faire converger les données des activités télécoms, web médias et applications mobiles dans un Big Data, afin de mieux les monétiser par la publicité en ligne et ciblée. Cela relèvera de la responsabilité d’Alain Weill en concertation avec Michel Paulin, lequel dirige l’activité télécoms depuis le 9 mai dernier. Dans les contenus proposés par l’opérateur télécoms, SFR Presse côtoiera SFR News offrant les quatre chaînes existantes (BFM TV, BFM Business, i24news et RMC Découverte), auxquelles s’ajouteront les chaînes BFM Sport et BFM Paris (respectivement en juin et en octobre), ainsi que SFR Sport constitué de cinq chaînes consacrées aux sports, et SFR Play intégrant le service de SVOD Zive. Jean-Marie Messier en avait rêvé (4) ; Patrick Drahi veut le faire ! @

Charles de Laubier