Comment Netflix a volé la vedette au 70e Festival de Cannes et s’est offert une pub mondiale gratuite

Pour ses vingt ans, Netflix s’est offert une tribune internationale à l’occasion
du Festival de Cannes en bousculant le monde du 7e Art et sa chronologie des médias. Le numéro un mondial de la SVOD, fort de plus de 100 millions d’abonnés, investit plus que jamais – y compris en Europe.

Le numéro un mondial de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) a réussi son coup : faire parler de
lui partout dans le monde – avant et pendant le 70e Festival de Cannes,
et sans financer une quelconque campagne de publicité. Netflix a simplement poussé jusque dans ses retranchements le monde du cinéma, notamment français, arc-bouté sur sa sacro-sainte chronologie des médias, laquelle régit la sortie des nouveaux films à partir de la salle obscure toujours prioritaire.

Simultanéité salles-VOD
Le groupe américain dirigé par son cofondateur Reed Hastings (photo de gauche) a déclenché une vaste polémique en indiquant qu’il entendait diffuser ses deux films candidats en lice pour la Palme d’or – « Okja » du Sud-Coréen Bong Joon-Ho, et
« The Meyerovitz Stories » de l’Américain Noah Baumbach – à la fois sur sa plateforme numérique et dans des salles de cinéma. Alors que Netflix fête cette année ses vingt ans (Reed Hastings ayant lancé Netflix avec Marc Randolph en 1997 pour proposer des films à la location en ligne puis ouvrir ensuite le site web Netflix.com), la plateforme américaine s’est retrouvée au centre d’une polémique où elle est accusée de ne pas vouloir respecter la chronologie des médias.
En France, où s’est tenu durant douze jours à Cannes le Festival international du film, les réactions ont été les plus épidermiques dans la mesure où Netflix a prévenu qu’il
ne diffuserait pas en salles ses deux films sélectionnés pour la Palme d’or si la réglementation française persistait à lui interdire la simultanéité salles- SVOD (1). Comme la chronologie des médias n’a pas évolué en France depuis 2009, et que son évolution n’est pas pour demain après le récent échec des négociations (2), la salle
de cinéma garde son monopole de sortie de films et les plateformes de SVOD comme Netflix reste à… trente-six mois après. Face à la polémique, les organisateurs du Festival de Cannes – présidé par Pierre Lescure, pourtant partisan depuis longtemps d’une évolution de la chronologie des médias – ont modifié le règlement de la grand-messe du 7e Art pour imposer à partir de 2018 une sortie dans les salles françaises pour tout film concourant en compétition. Le patron de Netflix a aussitôt commenté cette décision sur son compte Facebook : « L’ordre établi serre les rangs contre nous. Les exploitants (de salles de cinéma) veulent nous empêcher d’être en compétition à Cannes ». Le 15 mai, à l’avant-veille du coup d’envoi du 70e Festival de Cannes, le directeur des contenus de Netflix, Theodore Sarandos (photo), avait – de Séoul où il présentait le film sud-coréen « Okja » – appelé le cinéma à s’adapter aux nouveaux usages : « Historiquement, de nombreux films arrivent au festival de Cannes sans aucune distribution. (…) Les spectateurs changent. Du coup, la distribution change. Du coup, les festivals (…) vont vraisemblablement changer. De nombreux films pourraient demain y arriver de manière différente ». Et le Content Chief Officer (CCO) d’assurer :
« Nous ne sommes pas opposés à la distribution en salle. Nous souhaitons que tous les films soient projetés en salle et sur la plateforme Netflix en streaming ».
A ses côtés, le réalisateur sud-coréen, a abondé dans son sens : « J’ai récemment vu un film français datant des années 1960 dans lequel un personnage se plaignait du fait que le cinéma était condamné à cause de la télévision. Mais regardez ce qu’il se passe maintenant : aujourd’hui, les gens regardent les films en salle, ou via Blu-ray, via des téléchargements légaux ou Netflix. Cela fait partie d’un combat pour trouver les meilleures manières de cohabiter. (…) Le streaming et la salle coexisteront
finalement ». Son film « Okja », entièrement financé par Netflix avec un budget de
50 millions de dollars et produit par Plan B Entertainment (maison de production fondée par la star américaine Brad Pitt), sortira en Corée du Sud le 29 juin prochain dans des salles de cinéma, puis aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ainsi que sur la plateforme SVOD dans les autres pays.

Abonnés hors-USA plus nombreux
Selon nos estimations, Netflix compte désormais aujourd’hui – en mai 2017 – plus d’abonnés en dehors des Etats-Unis qu’il n’en a sur son marché domestique : selon nos calculs, en fonction de la croissance des trimestres précédents, ils sont plus de 53.000 à l’international (hors pays d’origine donc) à avoir souscrit à la plateforme de SVOD, contre près de 52.000 aux Etats-Unis. C’est la première fois que non seulement les courbes se croisent (3) mais en plus que le total des abonnés de Netflix franchit la barre des 100.000 abonnés au total dans le monde – à 105.000 au mois de mai, toujours selon nos estimations, comparés aux 98.748 abonnés au 31 mars 2017.

Europe, Moyen-Orient et Afrique : renforts
Pour faire face à sa croissance internationale, le groupe de Los Gatos (Californie) a annoncé le 11 mai dernier l’agrandissement de son quartier général basé à Amsterdam (Pays-Bas) pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (EMEA), avec 400 créations d’emplois à la clé d’ici à fin 2018. Cet effectif sera affecté à une nouvelle plateforme multilingue de support à la clientèle – notamment pour ceux situés dans les onze pays européens où Netflix est présent. « L’Europe est un centre créatif pour des histoires géniales qui résonnent à travers le monde et nous continuons d’investir dans du contenu européen », a déclaré Reed Hastings à cette occasion. Netflix affirme avoir investi 1,75 milliard de dollars dans des productions européennes depuis son entrée sur le Vieux Continent en 2012, soit « plus de 90 productions originales à différents stades de développement ».
Après avoir lancé sa première série espagnole « La chicas del cable » (Les filles du câble), le champion mondial de la SVOD a prévu d’annoncer au moins six nouveaux projets originaux européens d’ici la fin de l’année. Netflix en a profité pour présenter deux nouvelles séries originales européennes : la production de la série française
« Osmosis » devrait commencer en France en 2018, tandis que la série « Dogs of Berlin » devrait être réalisée en Allemagne pour être disponible en 2018 également. Netflix n’en est pas à son premier coup d’essai en France. La seconde saison de
« Marseille » est en train d’être tournée. D’autres projets de séries françaises sont attendus.
Malgré l’engagement de la plateforme-productrice pour financer des œuvres françaises, les organisateurs du Festival de Cannes lui mettent une barrière en travers de sa route : la chronologie des médias français qui rend obligatoire la salle de cinéma pour la sortie d’un film. Pourtant, Thierry Frémaux, délégué général de l’Association française du Festival international du film (qui regroupe le Festival de Cannes, le Marché du Film et la Cinéfondation), admet que le cinéma doit changer : « Le cinéma lui-même se voit modifié. L’industrie du cinéma voit venir à elle de nouveaux entrants. Cela peut être des pays comme la Chine, ou de nouveaux producteurs et supports de diffusion, Netflix, Amazon, qui décident d’aider à la création de films. L’an dernier, c’est Amazon qui est venu à Cannes, avec quatre ou cinq films en compétition. (…) Et cette année, coïncidence, Netflix, l’autre grande plateforme, est venue nous proposer des films »,
a-t-il expliqué le 10 mai dernier, en pleine polémique sur Netflix (4). Le même jour, la présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Frédérique Bredin, taclait Netflix : « Je déplore profondément l’intransigeance de Netflix, qui a refusé toute sortie de ces films en salle. Cette décision empêche les spectateurs français de voir librement ces œuvres dans les cinémas, comme c’est la tradition. Il est donc indispensable, comme l’annonce le Festival de Cannes, de modifier le règlement de sa sélection. Dès 2018, tout film en compétition devra obligatoirement sortir dans les salles françaises ». Lors de sa première projection à Cannes, le film
« Okja » a été la cible de sifflets… mais aussi d’applaudissements. « Ce serait un énorme paradoxe que la Palme d’or ou un autre prix décerné à un film ne puisse pas être vu en salles », a estimé le réalisateur espagnol Pedro Almodovar. Rival de Netflix, Amazon était également présent à Cannes avec le film « Wonderstruck », en lice pour la Palme d’or, mais le groupe de Jeff Bezos n’a pas fait de vague sur la Croisette car le géant du e-commerce privilégie, lui, une sortie en salles suivie d’une mise en ligne. De son côté, la société civile des Auteurs-Réalisateurs- Producteurs (ARP) – présidée par Claude Lelouch – s’en est prise à la chronologie des médias : « Plus que jamais, notre régulation apparaît dépassée ». L’ARP avait d’ailleurs bénéficié du soutien financier de Creative Europe (programme MEDIA de la Commission européenne) pour expérimenter la simultanéité salles- VOD au travers des projets Tide en 2012 et Spide en 2014 (5). « Après plusieurs années de concertation sans résultats, nous demanderons au prochain gouvernement de s’emparer rapidement de ce dossier politique », a-t-elle lancé.

La directive SMA appelée à la rescousse
Le 22 mai, des cinéastes européens – dont Costa-Gavras en France et Wim Wenders en Allemagne – ont lancé de Cannes un appel pour « le maintien de la territorialité des droits (d’auteur) » et pour « l’intégration des géants de l’Internet dans l’économie de la création européenne (déterminante pour l’avenir du cinéma) ». Le 23 mai, le Conseil des ministres de la Culture de l’Union européenne a voté – dans le projet de directive SMA (6) – l’évolution de 20 % à 30 % du quota minimum de films européens imposé aux services de VOD/SVOD et le pays de destination pour obliger les « Netflix » à financer des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. Les négociations « SMA » avec le Parlement européen vont pouvoir commencer. @

Charles de Laubier

La VOD reste désespérément le parent pauvre de la consommation audiovisuelle en France

Les dépenses audiovisuelles des foyers français – cinéma, télévision (redevance comprise), DVD/Blu-ray, vidéo à la demande (VOD, SVOD) et jeux vidéo – s’élèvent à plus de 10,4 milliards d’euros en 2016. Mais le cinéma à la demande peine toujours à décoller. La VOD à l’acte décline.

Le marché français de la vidéo à la demande (VOD) n’a progressé que de 8,3 %
en 2016 à 344,1 millions d’euros. C’est toujours le poste le moins disant dans les dépenses en programmes audiovisuels des foyers français. En effet, ces derniers ont déboursé l’an dernier plus de 10,4 milliards d’euros que cela soit en cinéma, télévision (abonnements télé et redevance audiovisuelle), vidéo (physique et VOD), ou encore jeu vidéo (physique et dématérialisé).

VOD à l’acte, VOD définitive et SVOD
Ce budget global en programmes audiovisuels (hors matériels donc) a progressé d’à peine 0,9 % sur un an, selon les chiffres publiés le 11 mai par le CNC (1). Les dépenses en VOD, lesquelles incluent la VOD à l’acte (location dématérialisée), la VOD par téléchargement définitif (ou EST (2)) et la SVOD (par abonnement), restent toujours
la dernière roue du carrosse audiovisuel. Avec leurs 344,1 millions d’euros en 2016, elles n’arrivent qu’en sixième et dernière place des dépenses audiovisuel des Français. Malgré la chute continue des ventes de vidéo physique (DVD et Blu-ray), lesquelles sont en recul l’an dernier de 15,8 % à 595,5 millions d’euros et avant-dernier du classement, la VOD fait toujours moins bien. La progression du marché de la vidéo à
la demande ne compense toujours pas le recul du marché de la vidéo physique. Les dépenses en vidéo (physique ou dématérialisée) sont largement devancées par celles du cinéma en salles qui progressent de 4,2 % à plus de 1,3 milliard d’euros, elles-mêmes précédées par les recettes de la redevance audiovisuelle dite CAP de plus de 2,2 milliards d’euros (3). Quant aux abonnements télé et les jeux vidéo, ils s’arrogent les deux premières places des dépenses audiovisuelles en 2016 avec respectivement plus de 3,3 milliards d’euros et 2,5 milliards d’euros – les premiers étant en baisse de
5 % et les seconds en hausse de 9 %. Il y a d’ailleurs fort à parier que les dépenses en télévision (abonnements et redevance) représenteront – à l’issue de cette année en cours et pour la première fois – moins de la moitié des dépenses audiovisuelles.
Alors que le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad) a organisé du 11
au 14 mai derniers la 2e édition de « La Fête de la VOD » avec le soutien du CNC
(à 2 euros le film loué en ligne sur Arte VOD, Canal VOD, Filmo TV, Fnac Play, Imineo, MyTF1VOD, Nolim, Orange, France.tv, Club Vidéo SFR, UniversCiné et Vidéofutur),
le marché de la VOD n’est, lui, pas vraiment à la fête. La location à l’acte continue de reculer – de 4,4 % en 2016 – et passe pour la première fois sous la barre des 50 %
du marché avec une part de 48,6 %, à 167,23 millions d’euros (voir tableau ci-contre). Tandis que la vente définitive dite EST représente 19,8 % du marché après avoir progressé de 13,3 % l’an dernier. Rappelons que ces deux segments du paiement à l’acte continuent d’arriver quatre mois après la salle dans la chronologie des médias (lire EM@167, p. 6 et 7). Quant à la SVOD, toujours reléguée à trente-six mois après
la salle, elle progresse de 32,1 % entre 2015 et 2016, passant de 26,0 % à 31,7 % du marché. @

Charles de Laubier

Altice lâche la marque SFR pour tenter de redorer son blason en France et faire bonne figure face aux GAFA

Altice devient la marque unique du groupe de Patrick Drahi dans le monde. Les trois lettres SFR, héritées de la « Société française du radiotéléphone » créée il
y a 30 ans, passent par pertes et profits. Son image a été « abîmée ». Selon nos calculs, SFR a perdu 3,5 millions d’abonnés depuis son rachat en 2014.

Par Charles de Laubier

« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients. De plus, le groupe a évolué depuis quelques années dans sa stratégie en passant d’un opérateur de télécoms à un opérateur global : télécoms, médias, publicité. Et il n’intervient plus uniquement en France mais dans de multiples pays », a expliqué Michel Combes (photo), directeur général d’Altice, la maison mère de l’opérateur télécoms SFR dont il est le PDG, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le 17 mai dernier, soit six jours avant que Patrick Drahi n’officialise de New York l’abandon de la marque SFR pour Altice assorti d’un nouveau logo. A noter que Michel Combes s’était refusé
à confirmer ce jour-là l’information selon laquelle Altice devenait la marque unique du groupe. « Je ne vous ai pas dit de nom…, quel qu’il soit. Et si l’on devait en changer, nous le ferions avec beaucoup de délicatesse. J’ai fait beaucoup de changement de marques dans ma vie antérieure (Orange, Vodafone, …) », s’était-il contenté de dire devant l’Ajef. Altice sera donc bien cette marque unique, qui était avancée comme « logique » dans Les Echos dès avril (1) et qui a bien été annoncée en mai comme l’avait indiqué Satellifax (2). SFR va être rebaptisé Altice France, comme il existe déjà Altice Portugal, Altice Caribbean ou encore Altice Africa.

En finir avec le patchwork de marque et bénéficier d’économies d’échelle
Cette transformation sur tout le groupe sera menée d’ici à fin juin 2018. C’est que le groupe Altice, à force d’acquisitions tous azimuts, se retrouve avec une multitude de marques. Outre SFR en France, il y a Hot en Israël, Meo et M4O au Portugal, Tricom dans la République Dominicaine, ou encore Suddenlink et Optimum depuis les acquisitions aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision (3), sans parler des marques secondaires dans tous ces pays. A ce patchwork s’ajoute le fait qu’en République Dominicaine, Altice utilise la marque Orange dans le cadre d’un accord de licence avec son premier concurrent en France. Les marques Numericable et Virgin Mobile, elles, ont disparu. « Ce que nous observons, avait poursuivi Michel Combes, c’est que beaucoup de nos concurrents sont issus du monde digital et sont allés vers des marques uniques au niveau mondial pour pouvoir bénéficier d’effets d’échelle ». Cependant, demeureront les marques médias telles que BFM, RMC, Libération, L’Express ou encore i24News, ainsi que d’autres commerciales comme Teads dans la publicité vidéo et Red dans le mobile en France. Alors qu’Altice Media avait été rebaptisé SFR Presse en octobre 2016, ce sera bientôt l’inverse ! Alain Weill en restera le dirigeant.

Il y a urgence à redorer le blason
Dans son rapport annuel 2016 publié le 10 avril dernier, le groupe avait indiqué qu’il
« évaluait les bénéfices supplémentaires que pourrait générer l’adoption d’une marque globale, laquelle permettrait de communiquer plus clairement sur la stratégie globale d’Altice comme acteur innovant, disruptif et fournisseur de meilleurs services de nouvelle génération à ses clients ». Cette stratégie monomarque va donc passer par
« une harmonisation et un changement de marques existantes dans les pays où le groupe opère pour partager une nouvelle identité globale ». La marque Altice a l’avantage de ne pas être entachée de discrédit auprès d’une partie des clients français et de bénéficier d’une notoriété internationale. Certes, le siège social du groupe du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi n’est pas en France mais basé aux Pays-Bas (après l’avoir été au Luxembourg). L’entreprise est cotée en Bourse à Amsterdam (4), pas à Paris, et il est prévu que des actifs soient cotés aux Etats-Unis.
Mais Altice permettrait de tourner la page des années peu reluisantes de SFR en matière de relation clientèle et d’investissement dans son réseau, notamment lorsque l’opérateur télécoms était la pleine propriété de Vivendi de 2011 jusqu’à son rachat par Altice en avril 2014. Selon les calculs de Edition Multimédi@, le nouveau propriétaire
a été confronté à la perte de plus de 3,5 millions d’abonnés cumulés depuis trois ans
– dont 84,8 % dans le mobile et 15,2 % dans le fixe. Même si l’érosion de la base de clientèle a été freinée depuis le début de l’année, le parc total de clients a encore baissé sur un an au premier trimestre 2017, à 20,043 millions dans le mobile (14,513 million de particuliers et 5,529 millions de professionnels) et à 6,078 millions dans le fixe (voir tableau ci-dessous). A ce train-là, le groupe de Patrick Drahi pourrait repasser en France sous la barre des 20 millions de clients dans le fixe et sous les 6 millions dans le mobile – si ce n’est pas déjà fait à l’heure où nous publions. Selon l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), plus de la moitié des plaintes sont émises en 2016 par les clients de trois marques du groupe : SFR, Red et Numericable. Il y a donc en effet urgence à redorer le blason. Le rebranding est toujours une opération à risque et la filiale française d’Altice, à l’instar de toutes les autres entités du groupe concernées par ce changement d’image, va devoir investir
des dizaines de millions d’euros pour asseoir la nouvelle identité. Cette uniformisation génèrera aussi des économies d’échelle. C’est Publicis aux Etats-Unis qui a conçu le nouveau logo d’Altice.
La marque SFR, créée il y a 30 ans – en février 1987 sous le nom de Société française du radiotéléphone – par la Compagnie générale des eaux (devenue en 1998 Vivendi),
a vécu. La disparition de la marque au carré rouge aura aussi l’avantage de faire oublier les sanctions que lui a infligées l’Autorité de la concurrence telles que l’amende de 40 millions d’euros prononcée le 8 mars dernier pour non-respect de ses engagements pris lors du rapprochement Numericable- SFR  et atteinte à la concurrence (5). L’an dernier, SFR avait aussi écopé le 19 avril d’une amende de 15 millions d’euros engagements pris à La Réunion et à Mayotte.

54 milliards d’euros de dettes
Par ailleurs, SFR est synonyme de suppression d’emplois (6) et de grèves dans les boutiques SFR (en mars dernier). La multinationale Altice, créée en 2001 au Luxembourg, a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 20,7 milliards d’euros pour une perte nette de 1,8 milliard d’euros et un effectif de 49.732 personnes. Son endettement atteint près de 54 milliards d’euros. @

Charles de Laubier

L’échec des négociations sur la chronologie des médias démontre l’inertie du cinéma français

La énième évolution de la chronologie des médias – que le CNC a proposée le
28 avril lors d’une réunion de la dernière chance – a suscité plus de méfiance
des parties prenantes que d’adhésion. Le cinéma en France reste figé sur les règles obsolètes de 2009 toujours en vigueur.

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), présidé par Frédérique Bredin (photo), n’a pas réussi à mettre toute la filière du 7e Art français d’accord sur une nouvelle chronologie des médias, malgré sa énième proposition datée
du 24 avril – que Edition Multimédi@ s’est procurée (1) – et débattue lors de la dernière réunion de négociations le 28 avril. L’espoir d’annoncer de nouvelles fenêtres de diffusion des nouveaux films durant le 70e Festival de Cannes, qui se tient
du 17 au 28 mai, s’est évanoui en raison des dissensions professionnelles persistantes et irréconciliables.

Quid de la dérogation à trois mois ?
Cette réunion du 28 avril fut celle de la dernière chance, après plus de deux ans
de négociations où le statu quo se l’ait disputé au dialogue de sourds. Malgré des ajustements proposés dans les propositions du CNC d’avril par rapport à celles de février, que nous nous étions aussi procurées (2), aucun consensus ne s’est dégagé. Les grands gagnants de cet échec sont la puissante Fédération nationale des cinémas français (FNCF), laquelle représente les quelque 2.000 établissements exploitant en France plus de 5.700 écrans de cinéma, ainsi que la non moins influente Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF) où l’on retrouve de grands groupes à fois exploitants et distributeurs tels que Gaumont-Pathé, UGC ou encore MK2. Les deux fédérations, présidées respectivement par Richard Patry et Victor Hadida, ont défendu becs et ongles jusqu’au bout la sanctuarisation de la salle de cinéma qui bénéficie
d’un monopole de diffusion des nouveaux films durant les quatre premiers mois de
leur sortie.
Depuis l’accord de juillet 2009, qui du coup reste en vigueur en raison de l’échec des négociations, les salles obscures gardent leurs quatre mois d’exclusivité et par la même la primeur des nouveaux films. Il y a bien depuis près de huit ans une possibilité de dérogation à trois mois pour la vidéo à la demande (VOD) à l’acte et le DVD telle que prévue par un décret du 22 avril 2010 pour les films enregistrant moins de 200 entrées au cours de leur quatrième semaine, mais – comme l’a encore souligné le  28 avril l’Union des producteurs de cinéma (UPC) – « le champ et la complexité ont  fait qu[e cette dérogation] n’a jamais été mise en oeuvre ». En moyenne, il y a concentration des entrées sur la 1ère semaine : les films font en moyenne plus de 80 % du total de leurs entrées sur les 4 premières semaines, sur fond d’accélération du taux de rotation des films en salles. Résultat, de nombreux films – sur les quelque 700 qui sortent chaque année en France – sont quasiment mortnés. Comme le montre une enquête de l’auteur paru dans Le Monde : « La moitié des quelque 320 films français produits en 2015 ont fait moins de 20.000 entrées en salle, soit 50 % de plus qu’il y a dix ans. Et cinquante ont été vus par moins de 1.000 spectateurs » (3). Dans ses propositions de février,
le CNC prévoyait d’abandonner la dérogation à trois mois et de mettre la VOD en téléchargement définitif – dite EST (4) – à trois mois par rapport à la VOD à l’acte
(dite locative) qui restait, elle, à quatre mois. La raison est simple : un film se vend plus cher en EST (environ 20 euros) qu’en VOD (3 à 10 euros), le premier usage numérique rapportant plus aux ayants droits que le second usage.
Mais dans ses nouvelles propositions de fin avril, le CNC est contrainte de rectifier le
tir et réinstaure la dérogation à trois mois dont le seuil de déclenchement est relevé, à savoir une « exception à trois mois pour les films ayant réalisé moins de 20.000 entrées cumulées en salle à l’issue de la quatrième semaine ou moins de 1.000 entrées sur cette quatrième semaine ». Et dans cette ultime mouture d’avril, la VOD dite EST n’est plus proposée à trois mois mais à trois mois et demi (de même que le DVD), tandis que la VOD dite locative n’est plus à quatre mois mais repoussée à quatre mois et demi. Seule mesure qui semble faire l’unanimité : le dégel de la VOD sur toutes les fenêtres de diffusion suivantes. Cela veut dire que les plateformes de VOD et/ou de EST n’auraient plus eu à déprogrammer des films lorsque la chaîne payante – Canal+ en tête – les diffuse. Après s’y être opposée par le passé sous l’ère « Rodolphe Belmer », la chaîne cryptée de Vivendi avait finalement consenti au dégel sous la direction de Maxime Saada en contrepartie d’une avancée de la fenêtre de Canal+ à six mois au lieu de ses dix actuels (5). Finalement, rien ne bouge.

Neflix reste à trente-six mois
Quant à la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), telle que la plateforme de Netflix qui joue les trouble-fête à Cannes (6), elle reste reléguée à trente-six mois
faute de nouvel accord. Dans ses propositions de février, le CNC proposait de diminuer ce délai à trente-quatre mois, voire à vingt-huit mois en cas de contribution financière
à la production des films concernés – autrement dit un « alignement de la SVOD vertueuse sur les services de télévision », étant entendu que « la notion de SVOD vertueuse est à définir : elle doit prendre en compte des critères du décret SMAd [du
12 novembre 2010, ndlr (7)] voire d’autres éléments ». Dans ses nouvelles propositions d’avril, le CNC ne parle plus de passer à trente-quatre mois et repart des trente-six mois actuellement en vigueur en mettant en place une incitation des services de SVOD à contribuer à la production des films.

La « SVOD vertueuse » attendra
Ainsi, s’il avait eu accord le 28 avril, la « SVOD vertueuse » aurait pu « par exception » et « accord avec la profession » voir sa fenêtre ramenée à vingt-quatre mois, voire
à dix-huit mois (dans tous les cas en l’absence d’achat ou pré-achat de première et deuxième fenêtre payantes). « Les accords professionnels entre les diffuseurs et la profession sont la forme privilégiée pour marquer l’engagement du diffuseur à contribuer à la production, dans le domaine de la télévision payante et gratuite. Etendre cet instrument à la SVOD permet d’accompagner l’intégration de ces services dans
le système français de financement de la création. Un tel accord pourrait notamment reprendre, sous forme d’engagements, les obligations prévues par le décret SMAd »,
a précisé le CNC dans sa dernière mouture. Le décret SMAd de 2010 prévoit en effet des obligations pour les services de SVOD établis en France : outre la promotion substantielle des films français et européens sur la page d’accueil du service, l’investissement – à partir de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires (hors taxes mondial) – dans la production d’œuvres françaises et européennes.
L’article 4 de ce décret SMAd prévoit en effet que « les services par abonnement consacrent chaque année une part de leur chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, d’une part, et d’expression originale française, d’autre part, respectivement au moins égale à : (…) 26 % et 22 % lorsqu’ils proposent annuellement au moins 10 oeuvres cinématographiques de longue durée dans un délai inférieur à vingt-deux mois après leur sortie en salles en France ; (…) 21 % et 17 % lorsqu’ils proposent annuellement au moins 10 oeuvres cinématographiques de longue durée dans un délai inférieur à trente-six mois et égal
ou supérieur à vingt-deux mois après leur sortie en salles en France ; (…) 15 % et 12 % dans les autres cas ». Et à partir de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, au moins 25 % de ces investissements doivent être réalisés en préfinancement, dont 75 % en production indépendante. Dernière roue du carrosse « chronologie des médias », la VOD gratuite – éventuellement sur des plateformes vidéo telles que YouTube ou Dailymotion – reste à quarante-huit mois, délai qui aurait pu être ramené à trente mois « en l’absence d’achat ou préachat par une chaîne » ou même à vingt-quatre mois « en l’absence d’achat ou préachat par une chaîne et par un service de SVOD ». Faute d’accord le 28 avril, il n’en sera rien. Entre la VOD/EST et la SVOD/VOD gratuite, il y a toutes les fenêtres de diffusion des chaînes de télévision payantes ou gratuites. Canal+ avait proposé, lors de 26e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD) d’octobre dernier, de ramener sa fenêtre de dix à six mois. Ce à quoi le CNC a proposé un système complexe de « fenêtres coulissantes » – avec l’abandon de « fenêtres glissantes » – en guise de chronologie modulable en fonction des niveaux d’investissements des chaînes dans les œuvres cinématographiques.
Mais, selon nos informations, lors de la réunion du CNC le 15 février dernier, « il n’y a pas eu de soutien sur le fond car c’est un mécanisme trop compliqué ». L’objectif était, selon le CNC, de créer « un jeu de un à trois mois maximum », en avançant la fenêtre en fonction du préfinancement (coproduction et préachat) apporté par le diffuseur de film. Ainsi, précise la proposition de février, « les services TV payants de cinéma de première diffusion sous accord pourraient avancer jusqu’à six mois, réduisant la
fenêtre d’exclusivité de l’EST/VOD à l’acte au maximum à trois mois » ; « les principales chaînes en clair peuvent avancer jusqu’à dix-sept mois, réduisant la fenêtre d’exclusivité de la première TV payante au maximum à neuf mois » ; « les autres services de TV et la SVOD peuvent avancer au maximum à vingt-cinq mois, réduisant la fenêtre d’exclusivité des principales chaînes en clair au maximum à cinq mois ».

Des « fenêtres coulissantes » compliquées
Dans la nouvelle proposition d’avril, le CNC a affiné les modalités de ses fenêtres coulissantes : pour la première fenêtre de télévision payante de type Canal+ ou OCS (dix mois, sinon huit mois en cas d’accord avec les organisations professionnelles, délai qui peut être réduit de un à deux mois supplémentaires selon l’investissement de la chaîne payante dans le film – au maximum à six mois) ; pour la deuxième fenêtre de télévision payante (vingt-deux mois, sinon vingt mois en présence d’un accord avec
les organisations professionnelles), la première fenêtre payante disposant ainsi d’une fenêtre d’exclusivité de douze mois ; pour la télévision gratuite (vingt-six mois, sinon vingt mois ou quatorze mois en l’absence d’achat ou préachat par une chaîne payante de respectivement deuxième fenêtre et de première/deuxième fenêtre) ; pour les autres chaînes, notamment de la TNT (trente mois, sinon vingt mois en cas d’absence d’achat ou de préachat par une chaîne relevant d’une fenêtre précédente). Toutes ces fenêtres coulissantes ont finalement rajouté de la complexité à la mésentente générale. @

Charles de Laubier

La stratégie de Vivendi reste dans le flou artistique

En fait. Le 25 avril, lors de l’assemblée générale de Vivendi à L’Olympia, les actionnaires ont voté à 82 % des suffrages exprimés pour la reconduction pour quatre ans de Vincent Bolloré comme administrateur du conseil de surveillance du groupe qu’il préside depuis 2014. Mais pour quelle stratégie ?