Les opérateurs télécoms appellent l’UE, présidée par la France, à imposer le peering payant aux GAFAM

La France préside le Conseil de l’Union européenne (UE) durant ce premier semestre 2022, alors que les négociations sur le Digital Markets Act (DMA) débutent. C’est l’occasion pour Orange, Deutsche Telekom, Telefónica ou encore Telenor de tenter d’imposer aux géants du Net le « peering payant ».

Un mois après avoir été approuvée par le Parlement européen, lors du vote en séance plénière du 15 décembre dernier à Strasbourg (1), la proposition de législation sur les marchés numériques – appelée Digital Markets Act (DMA) – va maintenant faire l’objet de négociations entre les eurodéputés et les vingt-sept gouvernements des Etats membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne (UE), lequel est présidé non pas par Emmanuel Macron mais par Charles Michel (photo). Cette approbation du projet de DMA vaut en effet mandat pour la négociation qui s’engage.

Les « telcos » se sentent exclus du DMA
« Les mesures horizontales comme le Digital Markets Act jouent un rôle crucial et, pour cette raison, nous les appuyons fermement. En outre, nous devons également tenir compte [du fait qu’]une partie importante et croissante du trafic du réseau est générée et monétisée par les plateformes des Big Tech, mais cela nécessite des investissements et une planification de réseau continus et intensifs de la part du secteur des télécommunications », ont fait valoir les principaux opérateurs télécoms historiques d’Europe réunis au sein de leur organisation de lobbying Etno (2).
Et la douzaine de signataires – Telekom Austria Vivacom (ex- Bulgarian Telecom), Proximus (ex-Belgacom), Telenor, KPN, Altice Portugal, Deutsche Telekom, BT Group, Telia Company, Telefónica, Vodafone, Orange et Swisscom – de suggérer de rééquilibrer les forces en présence en faisant mieux payer les GAFAM via le « peering payant » (même si cette facturation des interconnexions réseau n’est pas explicitement mentionnée) : « Ce modèle – qui permet aux citoyens de l’UE de profiter des fruits de la transformation numérique – ne peut être durable que si ces grandes plateformes technologiques contribuent également équitablement aux coûts du réseau ». Les opérateurs télécoms semblent avoir le sentiment d’être exclus du DMA et des négociations qui s’annoncent. « Les nouvelles stratégies industrielles [doivent] permett[re] aux acteurs européens – y compris les opérateurs télécoms – de rivaliser avec succès dans les espaces de données mondiaux, afin de développer une économie de données européenne fondée sur de véritables valeurs européennes », préviennent ils. Ce futur règlement européen DMA ne s’intéresse en effet qu’aux grandes plateformes de services en ligne dits « essentiels » et dont il dresse « une liste noire » – dixit le communiqué du Parlement européen (3) – de leurs pratiques : lorsqu’elles agissent comme des « contrôleurs d’accès » – ou gatekeepers : cela va des « économies d’échelle extrêmes », des « effets de réseau très importants », des « effets de verrouillage », à l’« intégration verticale » ou encore aux « avantages liés aux données », le tout combiné à des « pratiques déloyales ». Les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et bien d’autres géants de l’Internet – sont concernés au premier chef car ils peuvent abuser de leur position dominante « au détriment des prix, de la qualité, des normes en matière de vie privée et de sécurité, d’une concurrence loyale, du choix et de l’innovation dans ce domaine ». Griefs potentiels auxquels peuvent s’ajouter des « conséquences sociétales et économiques négatives ».
Aux yeux du Parlement européen, sont considérés comme des « services de plateforme essentiels » une flopée d’acteurs du numérique tels que, pêle-mêle : « les services d’intermédiation en ligne, les moteurs de recherche en ligne, les systèmes d’exploitation tels que les dispositifs intelligents, l’Internet des objets ou les services numériques embarqués dans les véhicules, les réseaux sociaux en ligne, les services de plateformes de partage de vidéos, les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation [les messageries instantanées ou les messageries d’e-mails, ndlr], les services d’informatique en nuage, les services d’assistant virtuel, les navigateurs web, la télévision connectée et les services de publicité en ligne » (4). Il n’en reste pas moins que les GAFAM sont les premiers visés puisque pour tomber sous le coup du règlement DMA et être qualifié de « contrôleurs d’accès », il faut réaliser 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel dans l’espace économique européen (5) et avoir une capitalisation boursière d’au moins 80 milliards d’euros (6), ainsi que totaliser au moins 45 millions d’utilisateurs finaux par mois ainsi que de plus de 10 000 entreprises utilisatrices.

Des garde-fous et des amendes salées
Outre le fait d’être un garde-fou des gatekeepers, le futur DMA – consacré aux «marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (7) – donne pouvoir à la Commission européenne pour mener des enquêtes de marché et appliquer des sanctions, lesquelles représentent « au moins 4 % et jusqu’à concurrence de 20 % de son chiffre d’affaires mondial total réalisé au cours de l’exercice précédent ». @

Charles de Laubier

Mais à quoi sert l’Ambassadeur pour le numérique ?

En fait. Du 11 au 13 novembre dernier, s’est tenue la 4e édition du Forum de Paris sur la Paix (qui est à cette dernière ce que le Forum de Davos est à l’économie). Parmi les quelque 350 intervenants et participants venus du monde entier : l’ambassadeur français pour le numérique, Henri Verdier.

En clair. Le Forum de Paris sur la Paix (1), organisé pour la quatrième année consécutive à l’initiative du président de la République française Emmanuel Macron, a été l’occasion de voir apparaître un personnage assez discret de la diplomatie française : l’ambassadeur pour le numérique, fonction qu’occupe Henri Verdier – ancien directeur interministériel du numérique (DINum) – depuis trois ans maintenant, ayant été nommé par décret présidentiel « à compter du 15 novembre 2018 » mais à la durée de mandat non précisée (2).
C’est le second ambassadeur pour le numérique en titre, à la suite de David Martinon qui fut son prédécesseur à partir du 23 novembre 2017. Mais que fait l’ambassadeur pour le numérique ? Question que nous nous étions d’ailleurs posées pour les « Digital Champion » au niveau européen (3). C’est une lettre de mission signée par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et « validée en interministériel le 3 juin 2019 », qui a délimité ses quatre domaines de « diplomatie numérique » : garantir la sécurité internationale du cyberespace et la régulation des contenus diffusés sur l’Internet ; contribuer à la gouvernance de l’Internet en renforçant son caractère ouvert et diversifié, tout en renforçant la confiance dans son utilisation ; promouvoir les droits humains, les valeurs démocratiques et la langue française dans le monde numérique ; renforcer l’influence et l’attractivité des acteurs français du numérique.
Henri Verdier doit notamment « coordonner l’élaboration des positions de la France sur les questions internationales touchant à cette transformation numérique, puis de les promouvoir auprès de [ses] partenaires internationaux comme auprès des autres acteurs publics et privés » (4). C’est ce qu’il a notamment fait lors des trois jours du Forum de Paris sur la Paix, au cours duquel la vice-présidente américaine Kamala Harris et la présidente européenne Ursula von der Leyen ont annoncé respectivement que les Etats-Unis et l’Union européenne soutenaient l’« Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » lancé en 2018 et rejoint depuis par 80 Etats (5). Parmi les autres initiatives : l’« Appel de Christchurch », lancé en 2019 à la suite de l’attentat en Nouvelle-Zélande, a permis de renforcer l’action du Forum mondial d’Internet contre le terrorisme (6). @

Rançongiciels et « double extorsion » : le paiement de la rançon ne doit surtout pas être la solution

Les rançongiciels, en plein boom, constituent un fléau numérique mondial qui pourrait coûter en 2021 plus de 20 milliards de dollars de dommages – rançons comprises. Or payer les sommes exigées – sans résultat parfois – ne fait qu’alimenter un cercle vicieux que seul l’arsenal juridique peut enrayer.

Par Richard Willemant*, avocat associé, cabinet Féral

Souveraineté numérique européenne : Microsoft se dit compatible

En fait. Le 19 mai, se sont tenues les 5es Assises de la souveraineté numérique, organisées par l’agence Aromates sur le thème cette année de « Quelle stratégie pour une 3e voie européenne ? ». Parmi les intervenants extra-européens : l’américain Microsoft, qui, par la voix de Marc Mossé, se dit eurocompatible.

En clair. Le directeur des affaires publiques et juridique de Microsoft – fonction que Marc Mossé (photo) a exercée pour la filiale française entre février 2006 et mai 2016 avant de passer à l’échelon européen (1) tout en restant basé à Paris et non au siège de Microsoft Europe à Dublin en Irlande –, était attendu au tournant. Lors de ces 5es Assises de la souveraineté numérique, le « M » de GAFAM a voulu montrer pattes blanches et démontrer que l’on pouvait être une « entreprise étrangère américaine » et être compatible avec la « souveraineté numérique européenne ». Antinomique ? Non. Marc Mossé, lui, parle de « ligne de crête » en rappelant les propos tenus par quatre femmes au pouvoir en Europe, Angela Merkel (chancelière d’Allemagne), Mette Frederiksen (Première ministre du Danemark), Sanna Marin (Première ministre de Finlande) et Kaja Kallas (Première ministre d’Estonie), dans une lettre adressée le 1er mars dernier à une cinquième femme de pouvoir, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne).

Presse d’information politique et générale : le fragile statut IPG soulève des questions juridiques

Particulier à la France, le statut dit « IPG » – assez fragile – divise la presse et amène l’Etat à aider plus certains journaux que d’autres, imprimés et/ou en ligne. Ce statut, aux frontières floues, soulève au moins trois questions juridiques, tant au niveau national qu’européen.

Par Emmanuelle Mignon*, avocate associée, August Debouzy