Les opérateurs télécoms préparent la fin des box

En fait. Depuis le 8 mai, SFR propose son application SFR TV sur les téléviseurs connectés Hisense. De son côté, Free a lancé le 23 avril son application Oqee sur les télé connectées LG. Orange, lui, expérimente depuis le 25 avril la « Smart TV d’Orange ». Bouygues Telecom s’y met. Samsung est aussi de la partie.

En clair. Les box TV des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont en passe d’être dématérialisées. Cela fait des années que la perspective de la « virtualisation des box » est évoquée. L’ancien patron d’Orange, Stéphane Richard, avait préparé les esprits dès 2017 à la disparition future de la Livebox, qui sera remplacée chez l’abonné par un routeur plus discret avec toutes les autres fonctions – dont l’audiovisuel – déportées sur le réseau intelligent de l’opérateur télécoms (1). Mais cette fois, le phénomène s’accélère en France.

La fibre pour tous ne devrait pas être réalité en 2025 : reporter la fin du cuivre serait logique

L’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) a estimé que « les statistiques de l’Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », tout en critiquant Orange de vouloir fermer le réseau de cuivre (ADSL) sans accélérer le déploiement de la fibre.

(Article publié dans EM@ n°307 du 2 octobre. A l’Université du très haut débit, les 12 et 13 octobre à Bourges, le ministre délégué aux télécoms Jean-Noël Barrot a pourtant réitéré l’objectif de « la fibre pour tous en 2025 »…)

« La volonté d’Orange de fermer le cuivre est proportionnellement inverse au rythme de complétude des déploiements FTTH (1). Aussi, vouloir pousser, comme le fait Orange, à la fermeture du réseau ADSL dans un nombre croissant de communes de la zone très dense, tout en y arrêtant les déploiements FTTH est, disons-le courtoisement, incompréhensible », avait dénoncé le 8 septembre l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), dont le délégué général est Ariel Turpin (photo). Alors que l’Arcep a organisé le 28 septembre sa conférence annuelle « Territoires connectés ». Ou « mal connectés », c’est selon…

« FTTH pour tous » en 2028, pas en 2025
« Les statistiques de Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », a regretté l’Avicca, qui représente 13 villes, 71 intercommunalités et syndicats de communes, 113 structures départementales et 21 régionales, soit 68 millions d’habitants. Cette échéance à 2025 du Plan France Très haut débit avait été fixée en 2017 par le gouvernement, au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. C’était un engagement de celui-ci lorsqu’il était candidat, promettant du très haut débit sur l’ensemble du territoire national d’ici fin 2022, en attendant « la fibre pour tous » pour 2025 – repoussant de trois ans l’objectif fixé par son prédécesseur François Hollande.

Après avoir échoué à remplacer M6, et à racheter Editis et La Provence, Xavier Niel se concentre sur Iliad en Europe

En mars, Xavier Niel voit Vivendi choisir Daniel Kretinsky pour lui vendre Editis. En février, il prend acte du rejet de son projet de chaîne Six. En octobre, La Provence lui échappe au profit de Rodolphe Saadé. Et dans les télécoms, où il poursuit des ambitions européennes, le fondateur de Free se fâche avec l’Arcep. Xavier Niel, le milliardaire magnat des télécoms et des médias, est tendu ces derniers temps. Cela se voit dans ses coups de gueule sur le marché français des télécoms. Pourtant, à 55 ans, tout semble lui sourire : sa fortune avait dépassé pour la première fois, en 2022, la barre des 10 milliards d’euros (1) ; sa vie privée se passe aux côtés de Delphine Arnault, fille de la plus grand fortune mondiale Bernard Arnault (2), PDG de LVMH (propriétaire du groupe Le Parisien-Les Echos) ; il a eu les honneurs de la République en étant fait le 31 décembre dernier chevalier de la Légion d’honneur par décret d’Emmanuel Macron (3) qu’il fréquente et apprécie depuis 2010 – l’Elysée préfèrerait même Iliad/Free à Orange (pourtant détenu à 22,9 % par l’Etat) pour ses ambitions européennes. Or, depuis quelques mois, les déconvenues et les échecs se succèdent pour le « trublion » des télécoms et tycoon des médias français. Mise à part la chute de sa fortune de 43 % au 5 avril (4) par rapport à 2022, dernière contrariété en date : la décision de l’Arcep d’augmenter le tarif du dégroupage de la boucle locale d’Orange, autrement dit le prix de location mensuelle payé par Free, Bouygues Telecom ou SFR pour emprunter le réseau de cuivre historique hérité de France Télécom pour les accès ADSL et le triple play Internet-TV-téléphone. « C’est une formidable rente de situation pour Orange », a-t-il dénoncé le 22 mars dernier devant les sénateurs de la commission des affaires économiques qui l’auditionnaient. Le « trublion » contrarié par l’Arcep et l’Arcom Mais avant de ruer dans les brancards des télécoms en attaquant les décisions tarifaires du gendarme des télécoms – présidé par l’ex-députée et ex-France Télécom/Orange Laure de La Raudière dont il avait considéré la nomination à tête de l’Arcep il y a plus de deux ans comme « aberrant pour la concurrence » (5) –, Xavier Niel avait enchaîné les déconvenues dans les médias et l’édition. Le rejet par l’Arcom de son projet de chaîne de télévision « Six ». C’est le 22 février 2023 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) recale son dossier de candidature pour son projet de chaînes « Six » dont l’ambition était de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT (télévision nationale diffusée par voie hertzienne terrestre en clair et en haute définition). Sans grand suspense, ce sont les autres « projets » qui sont « sélectionnés » par le régulateur de l’audiovisuel, à savoir TF1 (Télévision Française 1) et M6 (Métropole Télévision) dont les autorisations de continuer à émettre sur la TNT seront délivrées avant le 5 mai prochain. TV, édition, presse : des mises en échec Eliminé, Xavier Niel a noyé sa déception dans un même ironique posté sur Twitter le jour du verdict : « Comment te récupérer putain !? JAMAIS je pourrai la récupérer » (6). Un mois après, devant les sénateurs lors de son audition, le fondateur de Free et président du conseil d’administration de la maison mère Iliad, dont il est l’actionnaire principal, a regretté l’absence d’explication donnée par l’Arcom : « On ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été retenus. On l’a dit publiquement : on avait l’impression d’une procédure perdue d’avance. (…) Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l’on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux » (7). Son exclusion de la course au rachat d’Editis à Vivendi. Le 14 mars, Vivendi – maison mère du deuxième groupe d’édition en France – a annoncé son entrée en négociation exclusives avec International Media Invest (IMI), filiale de Czech Media Invest (CMI) du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Objectif de Vivendi appartenant à Vincent Bolloré : céder au Tchèque 100 % du capital d’Editis – chiffre d’affaires 2022 en baisse de 8,1 % à 789 millions d’euros avec sa cinquantaine de maisons d’édition, dont La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … – , afin d’obtenir d’ici juin prochain le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer de la totalité du groupe Lagardère, maison mère du premier éditeur français Hachette. Xavier Niel, copropriétaire depuis novembre 2010, du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, L’Obs, …) au côté du même Daniel Kretinsky, lui aussi coactionnaire de la holding Le Monde Libre (8), se serait bien vu en plus à la tête du deuxième éditeur français. Mais le Tchèque, lui aussi magnat des médias via sa holding CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Femme actuelle, Franc-Tireur, …, sans oublier 5 % détenu dans TF1 et un prêt consenti à Libération), lui a coupé l’herbe sous le pied. La candidature de Xavier Niel au rachat d’Editis avait été révélée le 25 novembre 2022 par La Lettre A, en lice face à deux autres prétendants : Reworld Media (9) et Mondadori. Editis est valorisé entre 500 et 675 millions d’euros, d’après le cabinet Sacafi Alpha. Avec un fonds d’investissement, qui pourrait être le new-yorkais KKR (Kohlberg Kravis Roberts) dont il est un administrateur depuis mars 2018, Xavier Niel aurait proposé un prix d’achat jugé insuffisant par Vivendi. • Son échec dans sa tentative de s’emparer du groupe La Provence. Le 30 septembre 2022, c’est le groupe maritime CMA CGM du nouveau milliardaire Rodolphe Saadé qui est confirmé pour reprendre les 89 % du groupe La Provence, comprenant aussi Corse-Matin. Xavier Niel, détenant les 11 % restant via sa holding personnelle NJJ, était pourtant considéré comme le « repreneur naturel » – y compris par feu son propriétaire Bernard Tapie (10) – du groupe La Provence, premier éditeur de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le patron de Free détient 11 % du capital depuis que le belge Nethys lui a vendu en 2019 sa participation (11). C’est aussi grâce à Nethys que Xavier Niel a pu faire tomber dans son escarcelle fin mars 2020 le groupe Nice-Matin (GNM), éditeur des quotidiens Nice-Matin, VarMatin et Monaco-Matin dans les Alpes-Maritimes et le Var (PACA toujours). Et ce, au détriment du favori – l’homme d’affaires Iskandar Safa (propriétaire de Valeurs Actuelles via Privinvest Médias) – qui a jeté l’éponge. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014) et une reprise par les salariés via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) grâce à un crowdfunding sur Ulule et le soutien de Bernard Tapie, GNM est propriété de Xavier Niel depuis trois ans. Le milliardaire-investisseur est aussi propriétaire de France-Antilles depuis mars 2020, et de Paris-Turf depuis juillet 2020. Cependant, en août 2020, il échoue avec Bernard Tapie à jeter son dévolu sur le quotidien historique La Marseillaise qui est alors repris par Maritima Médias. Mais c’est surtout l’échec de la tentative de Xavier Niel à prendre le contrôle du groupe La Provence, incluant Corse-Matin que GNM – dont il devenu propriétaire – avait acquis en 2014, qui sera cuisant. Dès le 24 février 2022, son offre de 20 millions d’euros est rejetée par les liquidateurs au profit de celle à 81 millions de Rodolphe Saadé (12). S’en suivra le 3 mars des échanges houleux entre Xavier Niel venu au journal marseillais et des salariés hostiles à sa visite. « Vous m’avez mis dehors », lancera-t-il au PDG du groupe La Provence, Jean-Christophe Serfati. Le tribunal de Bobigny, où est instruite l’affaire, confirmera CMA CGM sept mois après. Entre temps, il a investi dans L’Informé. Réussir ses télécoms en Europe Au-delà de ses démêlés en France avec l’Arcep, il reste encore au « trublion » des télécoms à faire d’Iliad un champion européen. La maison mère de Free est présente en Italie depuis 2018 et en Pologne depuis 2020. Après avoir échoué l’an dernier à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, le groupe de Xavier Niel s’est positionné pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (Telecom Italia). En outre, depuis 2014, il contrôle personnellement via NJJ l’opérateur suisse Salt et détient une participation de l’opérateur irlandais Eir aux côtés de son groupe Iliad. En février, via sa holding Atlas Investissement (13), Xavier Niel a porté sa participation au capital de l’opérateur luxembourgeois Millicom à 19,6 %. Cette même holding est entrée en septembre 2022 à 2,5 % dans Vodafone. Déjà confronté à Orange en France, Iliad veut rivaliser avec Orange en Europe. @

« Contribution équitable » aux réseaux des opérateurs télécoms : ce qu’en pensent les GAFAM

Les Google, Amazon, Facebook (Meta), Apple et autres Microsoft ont réagi à l’idée – soumise à consultation par la Commission européenne jusqu’au 19 mai – qu’ils « contribuent équitablement » aux investissements des réseaux des opérateurs télécoms. C’est injustifié et risqué pour la neutralité du Net. Les GAFAM et les « telcos », notamment les opérateurs télécoms historiques (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Telecom Italia, …), vont plus que jamais se regarder en chiens de faïence. Les grandes plateformes numériques de l’Internet vont avoir l’occasion de démontrer que « tout paiement pour l’accès aux réseaux pour fournir du contenu ou pour le volume de trafic transmis serait non seulement injustifié, étant donné que le trafic est demandé par les utilisateurs finaux et que les coûts ne sont pas nécessairement sensibles au trafic (notamment sur les réseaux fixes), mais aussi qu’il compromettrait le fonctionnement de l’Internet et enfreindrait probablement les règles de neutralité de l’Internet ». Droits et principes numériques à la rescousse C’est du moins en ces termes que la Commission européenne formule la position des GAFAM dans le questionnaire de sa « consultation exploratoire sur l’avenir du secteur de la connectivité et de ses infrastructures », ouverte depuis le 23 février et jusqu’au 19 mai (1). En face, les opérateurs télécoms – du moins les anciens monopoles d’Etat des télécommunications en Europe – « demandent la mise en place de règles obligeant les fournisseurs de contenus et d’applications, ou les acteurs numériques en général qui génèrent d’énormes volumes de trafic, à contribuer aux coûts de déploiements des réseaux de communications électroniques [sous la forme d’une] contribution [qui] serait “équitable”, étant donné que ces (…) acteurs numériques profiteraient des réseaux de qualité sans supporter le coût de leurs déploiements ». Prudente, la Commission européenne se garde bien de prendre parti, contrairement aux prises de position favorable aux « telcos » de son commissaire européen Thierry Breton, en charge du marché intérieur (2), qui fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005). Elle fait référence à la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique (DEDPN), telle que promulguée le 23 janvier 2023 au Journal officiel de l’Union européenne (3). Deux points de cette déclaration sont mentionnés dans le questionnaire de la Commission européenne : « Tous les acteurs du marché bénéficiant de la transformation numérique devraient assumer leurs responsabilités sociales et apporter une contribution équitable et proportionnée aux coûts des biens, services et infrastructures publics, dans l’intérêt de toutes les personnes vivant dans l’Union », indique l’exécutif européen. Remarquez que la DEDPN elle-même ne parle pas explicitement de « contribution équitable » comme le fait la Commission européenne, mais de « particip[ation] de manière équitable et proportionnée aux coûts » (4). « L’accent est également mis sur la protection d’un Internet neutre et ouvert dans lequel les contenus, les services et les applications ne sont pas bloqués ou dégradés de manière injustifiée, ce qui est déjà inscrit dans le règlement sur l’accès à un Internet ouvert ». Là, l’exécutif européen reste fidèle au passage de la DEDPN (5) mais en ajoutant la référence au règlement européen du 25 novembre 2015 qui ne parle pas explicitement de « neutralité de l’Internet » mais d’« Internet ouvert » (6). Donc : pas de blocage ni de ralentissement, ni de modification ni de restriction, ni de perturbation ni dégradation, ni de traitement de manière discriminatoire, hormis « des mesures raisonnables de gestion du trafic » (7). Aux différents acteurs du numérique (opérateurs télécoms et acteurs du numérique), la Commission européenne leur demande de lui indiquer, entre 2017 et 2021 puis leurs prévisions de 2022 à 2030, leurs « investissements directs dans des infrastructures de réseau et/ou d’autres infrastructures numériques [hébergement, transport de données, centres de données, CDN (8), etc] capables d’optimiser le trafic de réseau au sein des Etats membres de l’UE ou présentant un intérêt pour ceux-ci ». Il est notamment demandé aux opérateurs télécoms de dire dans quelle mesure la part des investissements dans les réseaux a dépassé les investissements qu’ils avaient prévus au cours des cinq dernières années, « y compris lorsqu’ils dépendaient d’obligations réglementaires (par exemple, le spectre radioélectrique) », et de quantifier l’augmentation du trafic (entrant/sortant) par leurs réseaux. « Top 10 » des réseaux et compression Chaque opérateur télécoms est aussi appelé à « indiquer nominativement les 10 principaux contributeurs et indiquer le pourcentage du trafic total qu’ils ont généré sur [son] réseau ». Pour autant, la Commission européenne ne veut pas faire l’impasse sur les nouveaux algorithmes de compression qui peuvent – « en partie » – compenser l’augmentation du trafic de données demandée par les mises à jour et les progrès réalisés dans ce domaine. Elle demande aux « telcos » de leur indiquer les modifications dans le volume de données transmis sur leur réseau « résultant de l’évolution des algorithmes de compression » au cours des cinq dernières années. Les réponses proposées sur les gains obtenus grâce à la compression vont de « pas de changement significatif » à « plus de 15 % » de diminution, en passant par « jusqu’à 5 % », « de 6 à 10 % » et « de 11 à 15 % ». Ce qui laisse supposer que la compression des données n’est sans doute pas négligeable. Les internautes vont payer deux fois (CCIA) La Computer & Communications Industry Association (CCIA), basée aux Etats-Unis et représentant notamment les GAFAM (le « F » étant devenu Meta) aux côtés de Twitter, Yahoo, Rakuten, eBay, Vimeo, Pinterest, Uber, Intel et d’autres, s’inscrit en faux contre cette idée de « redevances de réseau » (network fees). « L’introduction de frais de réseau est une idée terrible. Les Européens paient déjà les opérateurs télécoms pour l’accès à Internet ; ils ne devraient pas avoir à payer les télécoms une deuxième fois. Et[cela] minerait l’Internet ouvert », s’inquiète Christian Borggreen (photo de gauche), vice-président et directeur de la CCIA Europe. D’après elle, la Commission européenne donne l’impression d’avoir cédé aux sirènes des « telcos ». « Si les grands opérateurs télécoms de l’UE parvenaient à leurs fins, les entreprises du numérique seraient obligées de payer des redevances de réseau chaque fois qu’elles répondent aux demandes des utilisateurs d’Internet. (…) Le questionnaire (…) semble déjà accepter le principe de la fausse “juste part” [fair share] poussée par les grands opérateurs télécoms ». Pour la CCIA, cela revient à « justifier l’idée que les services de streaming et de cloud rencontrant un succès devraient (…) subventionner les opérateurs télécoms ». Or, rappellet-elle, l’Organe des régulateurs européens des télécoms (Orece ou Berec) « n’a trouvé aucune preuve que ce mécanisme [pour les redevances de réseau] est justifié » et a conclu que ces network fees « pourraient présenter divers risques pour l’écosystème Internet ». En effet, le Berec – dont fait partie l’Arcep en France – conclut dans sa note d’une quinzaine de pages datée du 7 octobre 2022 (9) qu’il « n’a pas de preuve que ce mécanisme [de “compensation directe” susceptible d’être payée par les plateformes aux opérateurs, ndlr] est justifié » et que « la proposition des membres de l’Etno [l’association européenne des opérateurs télécoms historiques, ndlr] pourrait présenter divers risques pour l’écosystème Internet ». La CCIA Europe met implicitement en garde la Commission européenne sur l’échec d’une telle mesure, en signalant « une expérience réglementaire similaire a déjà échoué en Corée du Sud » (10). Un autre lobby des GAFAM entre autres, appelé Dot Europe (ex-Edima) et basé lui aussi à Bruxelles, « encourage la Commission européenne à adopter une approche objective similaire » à celle du Berec. Selon Siada El Ramly (photo du milieu), directrice générale de Dot Europe, l’avis émis en octobre par le Berec constitue « déjà un bon point de départ (…) montrant qu’il n’y a pas de lacunes identifiables concernant l’investissement dans l’infrastructure de réseau ». En revanche, silence radio du côté de DigitalEurope (ex-Eicta), elle aussi organisation professionnelle des GAFAM entre autres Big Tech (11), que Edition Multimédi@ a contactée mais sans succès. En France, l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota) était montée au créneau en novembre dernier pour défendre – note du Berec à l’appui aussi – la neutralité de l’Internet qu’elle estime menacée par le projet d’un « Internet à péage » (12). Quant à l’Association des services Internet communautaires (Asic), basée à Paris et regroupant Google, Facebook, Microsoft ou encore Yahoo, elle a exprimé le 24 février « son refus catégorique de la mise en place d’un péage numérique en Europe, qui porterait atteinte à la neutralité du Net » et estime qu’« il n’y a actuellement pas de déséquilibre justifiant l’intervention du législateur dans la réglementation du peering payant ». Le président de l’Asic, Giuseppe de Martino (photo de droite) avait cosigné le 7 février – avec les présidents de l’Aota (Bruno Veluet), de l’Internet Society France (Nicolas Chagny) et de France IX Services (Franck Simon) – une tribune pour dire que « la création d’un péage numérique en Europe est une fausse bonne idée » (13). Contrairement à l’Etno (14) des opérateurs télécoms historiques et à la GSMA (15) des opérateurs mobiles, d’autres organisations représentatives des opérateurs télécoms alternatifs – comme nous l’avons vu avec l’Aota – son réticentes voire hostiles au renforcement des opérateurs de réseaux historiques dans leur rentabilité et dans leur position dominante. Gigabit Infrastructure Act : anti-concurrentiel ? Sans évoquer spécifiquement la question de la redevance « GAFAM », l’Ecta – association des opérateurs télécoms alternatifs (16) – s’en est pris plus globalement au « Paquet connectivité » présenté par la Commission européenne le 23 février (17). « Un #Gigabit Infrastructure Act (18) est inutile si la recommandation Gigabit est le clou final dans le cercueil de la concurrence. Les investissements en souffriront et les prix de détail augmenteront et alimenteront l’inflation. De nombreux citoyens de l’UE seront exclus et ne pourront pas se permettre la connectivité Gigabit », a tweeté l’Ecta (19). Parmi ses membres, il y a – outre l’Atoa – Bouygues Telecom, Iliad (Free), Colt, Transatel Sky, Fastweb ou encore Eurofiber. @

Charles de Laubier

Edward Bouygues, successeur putatif de son père Martin, vendra-t-il Bouygues Telecom ?

Pour Edward (38 ans), fils aîné de Martin Bouygues (70 ans) et président de Bouygues Telecom depuis le 21 avril, l’assemblée générale du groupe Bouygues – réunie le 28 avril – n’a été que pure formalité. Etant de la « génération Y », Edward tient l’avenir de l’opérateur télécoms entre ses mains. Alors que son père Matin Bouygues vient d’avoir 70 ans le 3 mai, Edward Bouygues, qui a eu 38 ans 14 avril dernier, prend du galon au sein du groupe Bouygues. L’assemblée générale des actionnaires du groupe Bouygues, qui s’est tenue au siège social de la filiale Bouygues Construction (site « Challenger » à Guyancourt dans les Yvelines), fut la première pour Edward Bouygues (photo) en tant que président de Bouygues Telecom, fonction qu’il occupe depuis le 21 avril. Toutes les résolutions ont été adoptées, notamment celle sur sa rémunération 2022 en tant que directeur général délégué de la maison mère : 1.680.000 euros maximum, dont une rémunération variable plafonnée à 180 % de la rémunération fixe qui est de 600.000 euros.

Edward brick-and-mortar et millennial Le fils aîné de Martin Bouygues a succédé à Richard Viel à la présidence de l’opérateur télécoms, le 21 avril, jour de la réunion du conseil d’administration de Bouygues Telecom qui l’a nommé à ces responsabilités très exposées. Mais il continue d’exercer ses fonctions de directeur général délégué du groupe Bouygues, qu’il occupe depuis février 2021. La filiale télécoms n’est pas inconnue pour lui, l’ayant rejoint dès février 2014 comme responsable marketing, après avoir exercé pendant cinq ans des fonctions de conducteur de travaux et des fonctions commerciales chez Bouygues Construction. Le « millennial » Edward a ainsi une culture « brick-andmortar » (1) et digitale. Chez Bouygues Telecom, il est monté en grade en devenant en janvier 2019 membre du comité de direction générale, puis en février 2021 vice-président en charge du développement. Depuis moins d’un mois (à l’heure où nous publions ces lignes), Edward Bouygues (« EB ») préside aux destinées du troisième opérateurs français, avec comme directeur général Benoît Torloting, à ce poste depuis 1er janvier 2022 (dans le cadre d’une dissociation des fonctions de président et de directeur général). EB est aussi en France président de Bouygues Telecom Flowers (2) et de Bouygues Telecom Initiatives (3), ainsi qu’en Belgique président du conseil d’administration de Bouygues Europe – lobby de toute la maison mère à Bruxelles. Le fils aîné succèdera-t-il à son père à la tête du conglomérat aux cinq métiers (Bouygues Construction, Bouygues Immobilier, Colas, TF1 et Bouygues Telecom) ? Outre ses fonctions de directeur général délégué du groupe Bouygues, en charge du développement télécoms, de la RSE (4) et de l’innovation, EB est surtout membre du conseil d’administration du groupe Bouygues et représentant permanent de la holding familiale SCDM – société contrôlée par Martin Bouygues, Olivier Bouygues (le frère de Martin) et leurs familles – laquelle détient 24,5 % du conglomérat industriel et médiatique (29,5% des droits de vote). Cela fait plus de six ans que Martin Bouygues prépare sa succession, ayant fait entrer début 2016 son fils aîné Edward et son neveu Cyril au conseil d’administration du groupe éponyme. Mais le patriarche ne veut pas précipiter les choses, ayant luimême été propulsé un peu trop tôt à son goût à la tête de l’empire familial, à 37 ans en 1989 – son père Francis Bouygues se consacrant alors à la production cinématographique jusqu’à sa mort en 1993. A 38 ans, EB devra patienter, si tant est qu’il soit désigné l’héritier du groupe. Martin Bouygues, qui prévoyait de désigner son successeur d’ici avril 2018, prend finalement le temps. Après plus de 30 ans comme PDG du groupe (les fonctions de président et de directeur général étant alors intégrées), il est depuis le 17 février 2021 « seulement » président du conseil d’administration du groupe, dont la direction générale est confiée à Olivier Roussat – ancien PDG de Bouygues Telecom (2013 à 2018). Celui-ci est épaulé depuis par deux directeurs généraux délégués : Edward Bouygues et Pascal Grangé (tous les deux pour un mandat de trois ans, jusqu’en février 2024). Que va faire au juste Edward Bouygues du troisième opérateur télécoms ? C’est toute la question, à l’heure où Orange et SFR ne cessent de prôner le passage de quatre à trois opérateurs en France.

Marier « BouyguesTel » avec SFR ou Free ? Free verrait bien Bouygues Telecom se marier avec SFR, alors que des rumeurs de discussions entre SFR et Free ont été démenti le 2 février dernier par Patrick Drahi, patron d’Altice, propriétaire de SFR, bien que ce dernier soit favorable à un « Big Three » (5). Pour Xavier Niel, président d’Iliad, il est encore trop tôt à son âge (54 ans) pour vendre Free qu’il a fondé il y a 23 ans (6). Quant à Martin Bouygues, il était nonvendeur en 2015 de sa filiale Bouygues Telecom (7), avant d’y être depuis 2018 favorable (8). Edward pourrait être celui qui soldera l’aventure de près de trente ans de son père dans les télécoms, à l’heure où les GAFAM mettent à mal le modèle économique des « telcos ». A moins que l’aîné de Martin ne lance Bouygues Telecom à l’international, au-delà de l’alliance Alaian (9) dans la 5G. @

Charles de Laubier