Présidentielle : ce que François Hollande promet sur l’économie numérique et Internet

Depuis que Nicolas Sarkozy s’est déclaré, le 15 février dernier, candidat à la présidentielle de 2012, le duel entre les deux favoris bat son plein. A deux mois
des deux tours de cette élection quinquennale, Edition Multimédi@ fait le point
sur les positions de François Hollande sur l’économie numérique.

Dernière prise de position en date pour le premier challenger
de l’actuel président de la République : un appel au « refus de la ratification par le Parlement européen » de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) (1), lequel est contesté en Europe malgré la signature de plusieurs pays intervenue le 26 janvier (2). Par les voix de Fleur Pellerin (3), sa chargée de l’économie numérique, et de la députée socialiste Aurélie Filippetti, en charge de la culture, de l’audiovisuel et des médias, François Hollande a en effet dénoncé clairement ce texte international sur lequel le Parlement européen doit se prononcer d’ici juin prochain. « Originellement destiné à combattre la contrefaçon commerciale, ce texte a été progressivement détourné de son objectif, dans la plus grande discrétion et en dehors de tout processus démocratique », ont expliqué le 10 février dernier ses deux porte-parole sur le site web du candidat socialiste à l’élection présidentielle, lequel se dit « scandalisé par le manque de transparence qui caractérise les négociations, auxquelles les sociétés civiles n’ont nullement été associées ». Quant à la Commission européenne, elle a annoncé le 22 février son intention de saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

Le VDSL2 ne devra pas concurrencer le FTTH

En fait. Le 17 août est parue au Journal Officiel une circulaire de François Fillon adressée aux préfets de Région et de département pour « la mise en oeuvre du programme national très haut débit et de la politique d’aménagement numérique
du territoire ». Le gouvernement favorise la fibre optique.

En clair. Pas de neutralité technologique dans le très haut débit : l’Etat français mise sur le déploiement de la fibre optique jusqu’à domicile (FTTH) pour atteindre les objectifs fixés par le président de la République en février 2010, lors des Assises des territoires ruraux. A savoir : « que la totalité des ménages français disposent d’un accès Internet à très haut débit en 2025, et 70 % d’entre eux dès 2020 », rappelle la circulaire datée du 16 août. Mais entre « disposer » et « s’abonner », il y a un grand pas que
les Français ne sont pas encore prêts de franchir comme le démontrent les premiers chiffres du FTTH. Qu’à cela ne tienne, François Fillon demande aux préfets
d’« apport[er] une attention particulière à ce que les projets de “montée en débit” [entendez le VDSL2 permettant jusqu’à 100 Mbits/s sur le réseau téléphonique, ndlr] correspondent soit à une véritable étape intermédiaire vers le déploiement de réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH), soit à des zones où le FTTH n’arrivera pas à l’horizon de dix ans ».
Bien que l’Arcep s’apprête à autoriser – avant la fin de l’année – le VDSL2 sur la sous-boucle locale de cuivre de France Télécom (lire EM@40, p. 7), il s’agit pour le gouvernement de ne pas remettre en cause la concurrence dans l’ADSL sur le réseau téléphonique et surtout de ne pas retarder – plus qu’il ne l’est – le déploiement de la fibre optique sur le territoire national. Ce choix technologique et politique va coûter très cher à la France : près de 25 milliards d’ici à 2025. La circulaire ne fait pas état du coût global, mais elle précise que le gouvernement va consacrer 2 milliards d’euros du Grand emprunt au très haut débit, dont 900 millions d’euros en soutien aux collectivités locales dans les zones peu denses (1). Et pour ne pas tomber dans l’aide d’Etat illicite qu’interdit l’Union européenne, les préfets sont appelés à favoriser la concertation avec les opérateurs télécoms au sein de « commissions consultatives régionales pour l’aménagement numérique des territoires » (lesquelles avaient été annoncées dès le
9 juin par Eric Besson, ministre de l’Economie numérique, lors des 5e Assises du Très haut débit). L’Arcep, la CDC (2) et le Commissaire général à l’investissement, René Ricol (en charge du Grand emprunt) devront être associés à ce dialogue publicprivé.
« Les opérateurs (…) ont manifesté l’intention d’investir dans les principales agglomérations pour couvrir, au plus tard en 2020, 57 % des ménages », indique la circulaire. @

Financement du très haut débit : vers l’impasse ?

En fait. Le 13 juillet, la commissaire européenne Neelie Kroes – chargée du Numérique – a tenu sa dernière réunion avec une quarantaine de PDG des secteurs des télécoms, des médias et du Web pour tenter de trouver – en vain finalement – un consensus autour du financement des réseaux (très) haut débit.

En clair. Aucun consensus n’a été trouvé en quatre mois de confrontation des acteurs
du numérique, réunis depuis mars dernier par Neelie Kroes sur le financement du déploiement des réseaux très haut débit en Europe (1). Opérateurs de réseaux et équipementiers télécoms rechignent à mettre seuls la main à la poche pour financer la fibre optique. Dans leurs onze propositions remis à Neelie Kroes le 13 juillet, ils prônent une « meilleure gestion des ressources rares » de l’Internet, s’inquiètent d’une
« situation de déséquilibre » entre les opérateurs télécoms « support[a]nt seuls le fardeau » des investissements réseaux locaux et les fournisseurs de contenus du Web d’envergure mondiale. Ils demandent « des règles du jeu (…) suffisamment souples » et veulent pouvoir pratiquer « la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services, et répondre à la demande de niveaux de qualité différents ». Ils plaident pour des « modèles économiques (…) bifaces [où les acteurs économiques peuvent se rémunérer des deux côtés, ndlr], basés sur des accords commerciaux » : par exemple, les Google/YouTube, les Yahoo, Amazon et les
Dailymotion doivent, selon eux, payer un droit de passage en fonction de la qualité de service demandée sur les réseaux (très) haut débit. Ils veulent à ce propos une
« interconnexion IP avec garantie de qualité de service (par exemple avec la norme
IPX) ». La commissaire européenne en charge du Numérique va maintenant étudier
ce cahier de doléances et émettre – en septembre – des recommandations sur le calcul des tarifs d’accès à ces réseaux (très) haut débit, tout en lançant une consultation sur la non-discrimination. Les opérateurs télécoms veulent bien investir dans les réseaux de nouvelle génération (NGN/NGA) à condition de mettre un terme à la neutralité du Net,
afin d’avoir un retour sur investissement en faisant payer – aux fournisseurs de contenus et aux internautes – différents niveaux de services. Ces derniers veulent
au contraire le respect de la neutralité du Net. La France, elle, a proposé l’idée d’une
« terminaison d’appel data » qui ne fait pas l’unanimité. Le dialogue de sourds débouchera-t-il sur une impasse ? La Commission européenne propose d’injecter
9,2 milliards d’euros pour aider au financement des NGN/NGA de 2014 à 2020, en échange d’un engagement d’investissement de 100 milliards de la part du secteur privé. Mais il faudrait 300 milliards pour que tous les Européens aient au moins 30 Mbits/s d’ici 2020, dont la moitié à 100 Mbits/s. @

Jean-Ludovic Silicani, Arcep : « Le renouvellement complet de notre infrastructure numérique est justifié »

Président de l’Arcep depuis deux ans, Jean-Ludovic Silicani répond à Edition Multimédi@. Selon lui, les consommateurs « gagneraient à passer au très haut débit ». Des « indicateurs de qualité de service » sont en préparation. Parmi les nouveaux pouvoirs de l’Arcep : veiller à la neutralité du Net.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le nombre de foyers raccordables à la fibre optique à domicile (FTTH) dépasse tout juste
1 million en France, dont 140.000 seulement sont abonnés, soit 12 %. Comment expliquez-vous ce
peu d’engouement, alors que l’on va investir près
de 25 milliards d’euros sur 15 ans ?
Jean-Ludovic Silicani :
On a beaucoup parlé ces derniers temps de l’absence d’une application phare qui déclencherait un large besoin des consommateurs. Or, je constate que la plupart des services que nous utilisons aujourd’hui sont en train d’évoluer et nécessitent des réseaux offrant une plus large bande passante et une meilleure qualité de service : télévision HD puis 3D, multiécrans, démocratisation du cloud computing, consommation et partage croissants de vidéos haute définition sur Internet… Les consommateurs découvrent progressivement ce qu’ils gagneraient à passer au très haut débit.

Le « live » sur le Web va concurrencer les chaînes

En fait. Le 29 avril, a été retransmise en direct sur YouTube le mariage princier britannique. La famille royale avait ouvert pour l’occasion une « chaîne » de télévision, « Royal Channel (1), qui a diffusé en direct l’événement durant
quatre heures ». Résultat : plus de 17 millions de visites !

En clair. Le direct sur le Net n’en est qu’à ses débuts mais le « streaming live » affiche déjà des records d’audience à faire pâlir les plus grandes chaînes de télévision, tout en reléguant au musée de l’audiovisuel les retransmissions en mondovision chères à feu Léon Zitrone. En plein débat sur la neutralité du Net et sur la question du financement des réseaux face à l’explosion de la vidéo sur le Web, la performance mérite d’être soulignée. Le Palais de Buckingham peut se targuer d’avoir organisé l’un des événements les plus suivis sur le Web en mode de diffusion directe. Rien que sur la chaîne de la monarchie britannique créée sur YouTube, « William et Kate » ont attiré simultanément plusieurs millions d’internautes de par le monde. Ce mariage surmédiatisé a même coiffé au poteau le score de la Coupe du monde de football de juin 2010 et ses 1,6 million de visionnages simultanés, selon Akamai, qui a enregistré vendredi jusqu’à 5,4 millions fréquentations vidéo simultanément – dont 2 millions en provenance de l’Europe. « Il s’agit du sixième plus important événement mesuré sur notre index “News” qui rassemble les portails d’actualité les plus actifs pour lesquels Akamai délivre le contenu web », explique à Edition Multimédi@ Jérôme Renoux, directeur des ventes médias numériques d’Akamai Technologies France (2). Cette diffusion broadcast en direct sur le Web est sans précédent et démontre que le réseau des réseaux est capable de supporter un fort trafic de streaming vidéo dans provoquer de « black-out ». Tout juste certains sites ont été saturés comme celui de la BBC qui diffusait en direct le « show ». Le haut débit généralisé dans le monde, du moins dans les pays les plus développés, permet à Internet aujourd’hui de supporter une charge audiovisuelle digne d’un grand mass media. Avec l’arrivée du très haut débit (fibre optique et 4G), les diffusions « live » sur le Net devraient se multiplier. Au point de venir en concurrence frontale avec les chaînes de télévision hertzienne. YouTube n’en est pas à sa première expérience du « web live ». En mars dernier, la filiale vidéo de Google avait retransmis en direct le carnaval brésilien de Salvador de Bahia. Et depuis début avril, les internautes peuvent s’inscrire sur la « chaîne » Youtube.com/live (3) pour suivre en direct des concerts (U2 notamment, le 25 octobre 2009), des événements sportifs (cricket entre autres) ou de conférences de presse (de Barack Obama par exemple). Des spécialistes comme Livestream (4) sont aux avant-postes
du live. @