La grande réforme de l’audiovisuel est morte, vive la réforme de l’audiovisuel à la découpe !

La réforme de l’audiovisuel et la transposition de la directive SMA sont dans un bateau : la réforme de l’audiovisuel tombe à l’eau : qu’est-ce qui reste ? La crise sanitaire aura eu raison de la grande réforme voulue par Emmanuel Macron. Edition Multimédi@ fait le point sur ce revirement.

Emmanuel Macron (photo) en a rêvée en tant que candidat à la présidence de la République ; devenu chef de l’Etat il y a trois ans, il ne la fera finalement pas ! Il faudra « simplifier la réglementation audiovisuelle en matière de publicité, de financement et de diffusion, pour lever les freins à la croissance de la production et de la diffusion audiovisuelles et préparer le basculement numérique, tout en préservant la diversité culturelle », avait promis début 2017 celui qui était encore quelques mois plus tôt ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016).

Le coronavirus a encore frappé
« Nous renforcerons le secteur public de l’audiovisuel pour qu’il réponde aux attentes de tous les Français et accélère sa transformation numérique, en concentrant les moyens sur des chaînes moins nombreuses mais pleinement dédiées à leur mission de service public. Nous rapprochons les sociétés audiovisuelles publiques pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public », avait encore prévu dans son programme de campagne celui qui allait devenir en mai 2017, et à la surprise générale, le 8e président de la Ve République (1). Trois ans et deux mois de confinement après, la grande sur la réforme de l’audiovisuel – tant attendue et maintes fois reportée – ne sortira jamais des limbes parlementaires en un seul morceau.
Ce projet de loi de « communication audiovisuelle et souveraineté culturelle », sur lequel le gouvernement avait engagé la procédure accélérée, devait être examiné par les députés de l’Assemblée nationale du 31 mars au 10 avril. Mais les séances publiques avaient été annulées pour cause de coronavirus. Exit l’une des plus grandes réformes du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui aura épuisé sur ce texte à multiples sujets sensibles deux ministres de la Culture : Françoise Nyssen puis Franck Riester. Une première réunion s’est tenue le lundi 8 juin entre l’Elysée, Matignon et la rue de Valois, et une seconde le 17 juin avec Bercy, pour prendre acte du chamboulement du calendrier parlementaire à cause de la crise sanitaire et pour donner la priorité à l’urgence économique nécessitant un vaste plan de relance. Sur l’audiovisuel, il est urgent d’attendre… Les « fuites » auprès de certains médias et professionnels sont savamment distillées afin que les chaînes de télévision, les producteurs de l’audiovisuel et du cinéma, les plateformes de vidéo à la demande ou encore les organisations des ayants droits ne soient pas pris au dépourvu. C’est Le Monde qui, dès le 2 juin dernier, évoque « deux scénarios à l’étude » (2) où la réforme de l’audiovisuel public passerait dans tous les cas à la trappe : le premier scénario consisterait à recourir à l’été ou à l’automne à une loi a minima mais avec en parallèle des ordonnances pour des pans entiers tels que les services de médias audiovisuels (SMA), d’une part, et le droit d’auteur à l’ère du numérique, d’autre part. Ces deux gros morceaux doivent transposer deux récentes directives européennes : celle du 14 novembre 2018 sur « la fourniture de services de médias audiovisuels » (3) et celle du 17 avril 2019 sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » (4), lesquelles doivent être obligatoirement traduites dans la législation nationale par chaque Etat membre respectivement le 19 septembre 2020 et le 7 juin 2021 « au plus tard ». Le second scénario abandonnerait le recours à une loi, faute de temps pour les débats parlementaires, pour un passage en urgence par ordonnances de moultes mesures (droit d’auteur, SMA, modernisation de la TNT, …). Cinq jours après Le Monde, la veille de la première réunion d’arbitrage, c’est au tour du Figaro de faire état le 7 juin de certaines réflexions gouvernementales (5).
Désormais, « la loi audiovisuelle n’est plus une priorité » et « elle ne devrait donc pas être discutée » ! Et là encore, il semble clair que « le volet réforme de l’audiovisuel public est renvoyé aux calendes grecques ». Autrement dit, la grande réforme audiovisuelle d’Emmanuel Macron – censée renvoyer au musée législatif la loi dite « Léotard » du 30 septembre 1986 sur « la liberté de communication » (6) – est sacrifiée sur l’autel de la relance économique qui s’annonce vitale au moment où la France va traverser l’une des récessions les plus sévères de son histoire.

Médias et pub : « Je t’aime, moi non plus »
Le gouvernement envisagerait en outre des « mesures d’urgence » pour soutenir la presse, les médias et la production audiovisuelle et cinématographique, eux aussi touchés de plein fouet par qui l’arrêt d’activités, qui l’interruption des tournages ou qui la chute de recettes publicitaires. Outre les aides d’Etat dont bénéficie déjà une grande partie de la presse française, à hauteur de plus de 1,5 milliard d’euros par an (aides directes, crédit d’impôt, tarifs postaux, etc.), le gouvernement envisage un crédit d’impôt publicitaire pour inciter les annonceurs qui ont déserté les médias à y revenir. D’autres mesures pourraient être traitées dans une loi « post-covid 19 », telles que les relations entre les producteurs audiovisuels et les chaînes de télévision (détention des droits et production indépendante). Un crédit d’impôt « création » est aussi prévu.

De la grande loi aux ordonnances et décrets
Quant au décret sur la publicité ciblée – appelée aussi publicité adressée – à l’antenne, il est déjà prêt et a été transmis en début d’année au CSA pour avis. Mais la presse et les radios locales ont obtenu des garde-fous pour protéger leurs marchés publicitaires (pas d’adresse de revendeurs et maximum 2 minutes toutes les heures en moyenne). A défaut de débats parlementaires sur la désormais ex-grande réforme audiovisuelle, le gouvernement est décidé à passer les mesures d’urgence non seulement par ordonnances mais aussi par décrets. La transposition des directives européennes – SMA, Copyright et sans oublier le règlement « CabSat » adopté le 28 mars 2019 étendant la gestion collective obligatoire aux services audiovisuels en ligne, en live streaming ou en catch up (7) – se fera par projet de loi en juillet (SMA notamment) ou par ordonnances, tout comme la fusion de l’Hadopi et du CSA qui donnera bien naissance à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Concernant la directive SMA, qui est la priorité étant donné les trois mois restants pour la transposer en droit français (date butoir imposée par Bruxelles oblige), elle impose aux plateformes vidéo telles que les SVOD Netflix ou Amazon Prime Video de proposer au moins 30 % d’œuvres européennes et à préfinancer en France des films et séries à hauteur de 16 % minimum de leur chiffre d’affaires. A l’issue d’un échange en visioconférence le 6 mai dernier avec des artistes de différents horizons de la création et à l’occasion de l’annonce d’un « plan pour la culture », le chef de l’Etat s’est montré déterminé : « On a besoin de défendre une créativité à l’européenne. Il y aura des grands prédateurs : chinois, américains avec d’autres modèles, d’autres sensibilités. Donc dans cette phase, moi, je veux ici m’engager très clairement devant vous, à ce que, justement, les plateformes soient assujetties aux obligations de financement des œuvres françaises et européennes dès le 1er janvier 2021. La directive SMA le permet, le ministre l’a dit, on va passer plus vite, plus en force ». Le locataire de l’Elysée avait en outre demandé que le ministre de la Culture, Franck Riester, « avec le CNC », constitue « une task force de négociation pour agir très rapidement, régler tous les sujets qui étaient encore en suspens et pour qu’on puisse aller très vite et très fort là-dessus ». Et d’ajouter : « Parce que ce sera une contribution de ces plateformes à notre création. Ce sera une protection aussi de notre écosystème » (8).
Concernant cette fois la directive « Droit d’auteur », que Franck Riester souhaite voir transposer d’ici la fin de l’année (même la date butoire de Bruxelles est cette fois dans un an), elle est d’importance pour les industries culturelles dans la lutte contre le piratage de leurs œuvres sur Internet. En effet, elle ouvre une brèche dans la responsabilité limitée des plateformes numériques – YouTube et Dailymotion en tête : à défaut d’accord avec les ayants droits, les GAFAM seront responsables du piratage en ligne sans qu’ils puissent invoquer le régime de responsabilité limité d’hébergeur que continue de leur garantir par ailleurs la directive européenne « Ecommerce » (9).
L’Arcom aura des pouvoirs « anti-piratage » renforcés et allant au-delà de la réponse graduée actuelle. Par exemple, ses agents habilités et assermentés pourront enquêter sous pseudonyme et constater, par procès-verbal, les faits susceptibles de constituer des infractions. Ce nouveau gendarme du Net et de l’audiovisuel aura aussi pour mission de créer une « liste noire » de sites web portant atteinte « de manière grave et répétée » aux droits d’auteurs, tandis que les prestataires de la publicité et les fournisseurs de moyens de paiement devront rendre publique l’existence de relations commerciales avec une personne inscrite sur cette liste noire – selon un dispositif inspiré du « Follow the Money » et du « Name & Shame » (10).
Une chose est sûre dans ce chamboule-tout : la création de la holding audiovisuelle publique France Médias ne se fera pas. Elle devait regrouper France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Ina. Le rapprochement tant promis par Emmanuel Macron des sociétés audiovisuelles publiques – « pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public » – n’aura pas lieu.

Plus de « BBC à la française » ni d’« ORTF »
La « BBC à la française » passe donc à la trappe. France 4 et France Ô, les deux chaînes de France Télévisions qui devaient quitter la TNT début août, seraient finalement maintenues. La présidente du groupe de télévision public, Delphine Ernotte, prête à rempiler pour un second mandat de cinq ans, peut compter aller au bout puisqu’il n’a plus de réforme de l’audiovisuel public pour l’écourter. A moins qu’un des autres candidats, lesquels devront se déclarer d’ici le 10 juillet (c’est déjà fait pour Serge Cimino et Pierre-Etienne Pommier, mais pas encore pour des potentiels comme Christopher Baldelli ou Jean-Paul Philippot), soit nommé le 24 juillet au plus tard par le CSA. @

Charles de Laubier

Avec Covage racheté par SFR et Koscmenacé, la concurrence dans les télécoms s’amenuise

Va-t-on vers la fin des opérateurs télécoms alternatifs en France au profit d’un oligopole constitué par quatre opérateurs intégrés que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ? La question se pose, alors que le marché des réseaux de fibre optique et des télécoms d’entreprise se concentre.

Ce sont des opérateurs télécoms quasiment inconnus du grand public. Et pour cause Altitude, Covage et Axione (1) sont des opérateurs d’infrastructure de réseaux – de fibre optique le plus souvent – prospérant auprès des collectivités locales et à l’ombre des grands opérateurs nationaux que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, sans parler de TDF. Altitude et Covage sont des opérateurs alternatifs indépendants et neutres, garant d’une concurrence dans les territoires.

Opérateurs intégrés versus alternatifs
Ils sont, avec d’autres opérateurs alternatifs tels que Coriolis ou Kosc Telecom, aussi présents sur le marché des entreprises qui manque de dynamisme en France faute d’une concurrence suffisante. Sauf que l’un d’entre eux, Covage, va être racheté par SFR – via sa filiale SFR FTTH (2) – d’ici le premier trimestre 2020 si l’Autorité de la concurrence n’y trouve rien à redire. La filiale télécoms française du groupe Altice a en effet annoncé le 25 novembre dernier qu’elle était entrée en négociation exclusive avec les fonds d’investissement Cube Infrastructure et Partners Group, propriétaires de Covage, pour en racheter 100 % du capital pour 1 milliard d’euros. Opérateur d’infrastructure et wholesaler (3) très haut débit (marché de gros), Covage a été créé en 2006 et s’est développé en déployant des réseaux de fibre optique pour les collectivités locales. Il compte 46 réseaux d’initiative publique (RIP) ou privée, déployés en partenariat avec les collectivités locales, soit aujourd’hui 2,3 millions de prises très haut débit (fibre optique essentiellement), dont 600.000 sont en exploitation.
Covage se revendique comme le quatrième exploitant de réseaux de fibre en France. Son ambition est d’atteindre plus de 3 millions de prises à installer d’ici 2022. Les réseaux d’initiative publique (RIP), via des appels à manifestation « d’intention d’investissement » (AMII) ou « d’engagements locaux » (AMEL), coûtent très chers aux collectivités locales. Ces fameux RIP sont des délégations de service public destinées à déployer la fibre optique dans les zones peu ou moyennement denses, lorsque ce ne sont pas des zones rurales. Et ce, sous la responsabilité des collectivités locales, des départements et/ou des régions (l’argent des administrés), avec une participation financière non négligeable de l’Etat lui-même (l’argent du contribuable). S’ils sont financièrement lourds pour les collectivités, ces réseaux de fibre rapportent gros aux opérateurs d’infrastructures tels que Covage, Altitude, Axione, voire TDF. Pas étonnant que Covage, au cœur des délégations de service public de réseaux de fibres optiques, soit l’objet de toutes les convoitises depuis sa création de la part de fonds d’investissement tels que Cube Infrastructure ou Partners Group. Mais voir cet opérateur alternatif « historique » de la fibre optique en France tomber dans l’escarcelle de l’un des quatre grands opérateurs télécoms, en l’occurrence SFR dont la maison mère Altice est prête à se l’offrir pour 1 milliard d’euros, inquiète plus qu’il ne rassure dans les zones moins denses et les zones rurales. « Autant dire que le rachat d’un opérateur d’infrastructure dédié au marché de gros [Covage] par un opérateur intégré [SFR] peut légitimement inquiéter. Covage, c’est aussi un opérateur de gros FTTH (4) et, s’agissant de ce point précis, le rachat annoncé par SFR – s’il n’est pas exempt d’interrogations et d’inquiétudes – détonne moins dans le paysage des acteurs de l’aménagement numérique du territoire », a déclaré fin novembre l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca). Ce groupement de collectivités engagées dans le numérique, présidé par le sénateur (5) Patrick Chaize (photo), représente 19 villes, 83 intercommunalités et syndicats de communes, 110 structures départementales et 20 régionales, représentant 67 millions d’habitants.
Avec le rachat de Covage, l’Avicca parle de « disparition annoncée d’un opérateur d’infrastructures neutre » et prévient qu’elle « sera donc, aux côtés de l’ensemble de ses adhérents, très vigilante quant aux suites que donneront les services de l’Etat et de l’Autorité de la concurrence à cette opération ».

Le duopole du marché des entreprises
Au passage, l’Avicca s’inquiète en outre du sort de Kosc Telecom qui, lui, « est plus que jamais menacé de disparition ». Cet opérateur s’est lancé en 2016 sur le marché des télécoms d’entreprise en « apportant ainsi, dit-il, de la concurrence sur un marché verrouillé par un duopole historique constitué d’Orange et de SFR ». Confronté aujourd’hui à des problèmes de trésorerie et placé le 4 décembre dernier en redressement judiciaire (6), Kosc Telecom est aussi enlisé dans une bataille juridique engagée depuis sa création à la suite du rachat par ses fondateurs de l’opérateur Completel au groupe Altice – condition exigée par l’Autorité de la concurrence pour le rachat de SFR par Altice-Numericable en 2014. « Ce rachat [de Completel] est validé par l’Autorité de la concurrence en décembre 2015 et débouche sur la création de Kosc Telecom, rappelle la société dans un communiqué du 9 septembre dernier. La raison d’être du nouvel entrant sera, pour satisfaire aux exigences de l’Autorité de la Concurrence et permettre le développement d’un véritable marché concurrentiel des services numériques, de proposer une offre de gros de connectivité professionnelle à des opérateurs de services numériques aux entreprises ».

Autosaisine de l’Autorité de la concurrence
Kosc Telecom rappelle aussi que l’Arcep a constaté en 2018 les manquements volontaires d’Altice et le non-respect de ses engagements destinés à retarder le transfert effectif du réseau Completel. Ce qui a provoqué une autosaisine de l’Autorité de la concurrence. « Ce n’est que face à la montée de la pression médiatique et des questionnements de nombreux élus que l’Autorité de la concurrence précipite le rendu de sa décision [favorable à SFR qui contestait les modalités de cession de son réseau Completel, ndlr] pour la publier le 6 septembre 2019, quelques jours seulement après le refus de la Banque des Territoires [du groupe Caisse des dépôts, ndlr] de souscrire à une nouvelle augmentation de capital [de Kosc]. Un refus de toute évidence motivé par des informations émanant de l’Autorité de la concurrence, en parfaite contravention avec le secret de l’instruction », déplore la direction de Kosc Telecom qui récuse la décision du gendarme de la concurrence (7).
Le contentieux porte sur la réclamation, par SFR, du paiement de 20 millions d’euros pour le réseau Completel qui devait être cédé au 31 mars 2017 au plus tard. Kosc Telecom, estimant que le transfert n’a été effectif que 18 mois plus tard et évaluant son préjudice dû à ce retard à 65 millions d’euros, a refusé de payer l’intégralité de la facture correspondante. Le président de l’Arcep, lui, a apporté le 7 décembre dernier son soutien implicite à Kosc : « L’important, a dit Sébastien Soriano cité par la fédération InfraNum (8), c’est qu’une activité de gros volontariste soit structurellement garantie ». Le Sénat s’est inquiété le 11 décembre du sort de Kosc. Entre temps, l’Autorité de la concurrence a donc donné raison à SFR et à sa maison mère Altice qui a – selon les sages de la rue de L’Echelle – respecté ses engagements. Yann de Prince et Antoine Fournier, respectivement président et directeur général de cet opérateur alternatif, ont récusé le 9 septembre cette décision de l’Autorité de la concurrence et saisi le Conseil d’Etat, tout en s’estimant maintenant « la cible privilégiée d’une acquisition hostile » par des opérateurs télécoms intégrés souhaitant renforcer leurs positions sur le marché des entreprises. « Cette consolidation prévisible, voire probablement planifiée de longue date, refermerait de factole marché des télécommunications d’entreprises au détriment non seulement de l’écosystème de centaines d’opérateurs de services numériques aux entreprises mais aussi du début de rattrapage du retard en matière de numérisation des PME et TPE françaises », s’inquiètent les dirigeants de Kosc Telecom.
Ainsi, entre la disparition annoncée d’un opérateur d’infrastructure neutre (Covage) et le sursis d’un opérateur alternatif auprès des entreprises (Kosc Telecom), le marché français des télécoms est menacé de concentration et d’affaiblissement de la concurrence. Et ce, « dans un paysage national où la concurrence sur le marché professionnel des services de communications électroniques reste anémique ». Alors que les opérateurs télécoms intégrés et dominants – Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free – n’ont par ailleurs pas obtenu que le marché des mobiles passe de quatre à trois opérateurs (9), il semble que cette fois la concentration du marché de la fibre optique et des entreprises soit en marche. Même si elles sont largement majoritaires à ne pas avoir trouvé d’abonnés finals, les prises de fibre optique raccordables constituent un marché lucratif et très convoité. D’après l’Arcep, au 30 septembre 2019, la France compte seulement 6,3 millions d’abonnés à de la fibre jusqu’à domicile sur un total de plus de 16,7 millions de prises FTTH. Ce qui fait un ratio de seulement 37,7% de lignes de fibre activées.
Quoi qu’il en soit, la valorisation de Covage à plus de 1 milliard d’euros montre que cette « licorne » du FTTH en France a su surfer sur la vague des RIP et de leurs AMII ou AMEL. « La valorisation d’entreprise ressort à plus de 1,3 milliard d’euros en incluant la dette, soit près de 45 fois l’Ebitda (10), pour sa part chiffrée à environ 32 millions d’euros », indique CFNews. C’est à se demander si une bulle spéculatif privée n’a pas grossi grâce aux financements publics. Les 2,4 millions de prises raccordables de Covage s’ajouteront aux 5,4 millions de prises de SFR FTTH, soit un total de près de 8millions de prises.

Bulle « FTTH, RIP et Towers » spéculative
Entre l’entrée dans Covage de Cube Infrastructure en 2011 et la vente à SFR, la plus-value serait considérable. D’autant l’autre fonds actionnaire Partners Group, entré lui en 2016, cèderait aussi ses parts pour mieux monétiser la prise de contrôle par SFR. De son côté, TDF est aussi détenu part des fonds canadiens Brookfield et PSP, qui attendent la moindre occasion financière pour ventre à prix d’or tout ou partie de ses infrastructures, dont ses 18.000 pylônes pour téléphonie mobile et télévision TNT. De son côté, Orange a annoncé le 4 décembre vouloir céder les tours de son réseau mobile (40.000 towers en Europe). Mais c’est une autre histoire. @

Charles de Laubier

Le CSA n’est pas compétent pour mettre d’accord Radio France (Sibyle Veil) et Majelan (Mathieu Gallet)

C’est une polémique dont se serait bien passé l’ancien président de Radio France, Mathieu Gallet, pour le lancement le 4 juin de sa plateforme de podcasts Majelan. Surtout qu’il s’oppose à sa successeure à Radio France, Sibyle Veil,
vent debout contre la reprise des podcasts gratuits du groupe public.

« Contrairement aux services de VOD, les podcasts ne sont pas aujourd’hui dans le champ de la régulation audiovisuelle. Donc pas de possibilité de saisine du CSA en règlement des différends », indique Nicolas Curien, membre du CSA à Edition Multimédi@. A Mathieu Gallet (photo de gauche) qui estime pouvoir reprendre les podcasts gratuits de Radio France – déjà disponibles librement sur Internet via des flux de syndication publics dits RSS (1) – et les proposer à son tour gratuitement sur sa plateforme Majelan, Sibyle Veil (photo de droite) a fait savoir le 6 juin sur France Inter qu’elle s’y opposait.

Question d’« équité » ou de must offer ?
C’est un bras de fer engagé par la présidente de Radio France contre son prédécesseur devenu président fondateur de Majelan. « Les contenus gratuits du service public ne sont pas destinés à attirer des futurs clients sur des offres payantes,
a expliqué la présidente de la Maison Ronde. Donc, ceux qui aiment les contenus de Radio France peuvent les écouter sur l’application Radio France, sur nos sites. (…)
Ces plateformes sont en train d’utiliser nos contenus pour se faire connaître du public, c’est ça le vrai sujet ». Les hostilités, faute d’accord, se sont retrouvées sur la place publique le jour même du lancement de Majelan, le 4 juin. Le lendemain, Mathieu
Gallet lui répondait sur France Info : « Il faut regarder tout ce qui se passe sur toutes
les plateformes américaines. Il n’y en a pas beaucoup qui ont demandé une autorisation à une radio privée ou publique parce que c’est une technologie gratuite.
Ce sont des flux publics, et ce qui est gratuit partout doit être gratuit sur Majelan. C’est une histoire d’équité ». Mais le groupe de radio publique ne l’entend pas de cette oreille – c’est le cas de le dire ! Par la voix de son directeur du numérique et de la production, Laurent Frisch, la présidente de Radio France a opposé à son prédécesseur les
« conditions générales d’utilisation des sites (2) de Radio France », en mettant en garde sur Twitter le 5 juin : « Les RSS de podcasts sont une techno qui rend les contenus accessibles à tous. (…) Les pages web sont une techno qui rend les contenus accessibles à tous. Exact. Mais ça ne donne pas le droit de les reproduire librement. Cf les conditions générales d’utilisation [ndlr : https://lc.cx/CGU-RF]». Sur le respect des droits de propriété intellectuelle, il y est stipulé : « Tous les contenus présents sur les sites sont protégés par les législations françaises et internationales sur le droit de la propriété intellectuelle et/ou le droit de la presse, ainsi que les droits de la personnalité (droit à l’image). Par conséquent, l’utilisateur des sites s’engage à ce qu’aucun de ces contenus ne soit reproduit, modifié, rediffusé, traduit, exploité ou réutilisé à titre promotionnel ou commercial, de quelque manière que ce soit sans l’accord écrit préalable de Radio France et/ou des titulaires de droits concernés ». Et Laurent
Frisch d’ajouter dans un second tweet : « Google Podcasts avait pris les podcasts @radiofrance sans autorisation ; ils sont revenus en arrière. Amazon/Audible et Spotify ne l’ont pas fait. Nous choisissons, nous, ce que nous publions sur Apple Podcast,
et ce dans un cadre établi. Apple ne vient pas se servir ». Dans Les Echos du 4 juin,
le « Monsieur numérique » de Radio France se faisait un peu plus menaçant : « Nous leur avons demandé le retrait immédiat de nos podcasts et attendons leur réponse, nous aviserons en fonction ». Mais la Maison Ronde est-elle disposée à négocier et
à donner son autorisation à la reprise gratuite par des plateformes de podcasts telles que Majelan, Tootak ou encore Sybel (3) ? D’après ces trois start-up de l’audio, les négociations sont soit au point mort, soit dans l’impasse, soit sans lendemain. Reste
à savoir si le groupe public de radios financé par les Français via la redevance audiovisuelle peut s’opposer à toute reprise de ces contenus gratuits par des plateformes numériques qui les proposent gratuitement à leur tour. C’est la question
du must offer qui s’impose à l’audiovisuel public, jusque sur la TNT par exemple.

« Média ouvert » : manifeste du 10 juin 2019
« Le CSA a exprimé le vœu (4) que cette asymétrie réglementaire entre le non-linéaire visio et le non-linéaire audio soit corrigée dans la future loi audiovisuelle. S’agissant
du must offer, il ne peut s’appliquer à ma connaissance qu’entre un éditeur et un distributeur », nous précise Nicolas Curien. Pour l’heure, aucune plateforme à qui
Radio France a demandé le retrait de ses podcasts n’a obtempéré. Par ailleurs, des producteurs indépendants de podcasts ont mis en ligne le 10 juin un manifeste (5)
pour « un écosystème ouvert du média podcast » mais opposé « à toute intégration automatique, sans accord préalable, de nos contenus sur une plateforme ». C’est la bataille des oreilles… @

Charles de Laubier

Fréquences de la TNT : vers un troisième « dividende numérique » pour les opérateurs mobiles ?

C’est le 25 juin 2019 que s’achève le transfert, entamé il y a trois ans, des fréquences libérées par la TNT pour être remises aux opérateurs mobiles
pour leurs réseaux 4G. Mais l’Arcep, elle, souhaite « une volonté politique »
pour que soient libérées d’autres fréquences de la TNT pour, cette fois, la 5G.

Après le 29 juin, la télévision numérique terrestre (TNT) ne sera plus du tout diffusée sur la bande de fréquences dite des 700 Mhz (694-790 MHz) – celles que l’on appelait « les fréquences en or », issues du « deuxième dividende numérique ». Comme prévu il y a aura cinq ans cette année, dans un calendrier précisé le 10 décembre 2014 par le Premier ministre de l’époque (Manuel Valls), le transfert de la bande 700 Mhz de la diffusion de la TNT au secteur des télécoms s’achève en effet à cette date.

Passer la TV sur ADSL, VDSL2 ou FTTH
Ce que confirme à Edition Multimédi@ Gilles Brégant, le directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFr) : « Oui, effectivement, le mois de juin 2019 verra s’effectuer la dernière tranche de libération de la bande 700 Mhz au profit des opérateurs mobiles. Les réaménagements de fréquences correspondants s’effectueront à partir du mardi 25 juin dans une zone située à proximité de Grenoble. A partir du 1er juillet, la bande sera utilisable par les opérateurs mobiles partout en métropole ».
Ce 29 juin marque ainsi la treizième et dernière phase (1) de la libération par la TNT des dernières fréquences de la bande des « 700 » au profit d’Orange, de SFR, de Bouygues Telecom et de Free. Cela s’est donc fait progressivement depuis octobre 2017, sachant que la région Ile-de-France fut la première à opérer – dès le 5 avril 2016 (phase dit « zéro ») – ces changements de fréquences nécessaires à la libération de la bande en question pour les services mobiles.
Cela a pu se faire grâce à la généralisation de la norme de compression numérique Mpeg4 et le passage à la TNT HD (haute définition). Cette opération a permis de réduire le nombre de canaux nécessaires à la diffusion de la TNT. La manœuvre a consisté, et comme ce sera encore le cas le 29 juin, à « déplacer les canaux de diffusion de la TNT en dehors de la bande des 700 Mhz, pour les concentrer sur les fréquences restantes (bande 470-694 Mhz) ». Cela concerne les téléspectateurs recevant la télévision par antenne râteau, qu’elle soit individuelle, en maison, ou collective en immeuble. Dans certains cas où il y aurait une perte de chaînes, il faut alors effectuer une recherche et une mémorisation des chaînes de la TNT (2). A moins de faire « pivoter » le foyer vers une réception alternative à la TNT, à savoir la « box » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) déjà bien implantée sur tout le territoire (en mode ADSL, VDSL2, câble ou fibre optique), sinon le satellite. Pour les télécoms, c’est l’opportunité d’utiliser ce « deuxième dividende numérique », le premier dividende numérique ayant été celui de la bande des 800 Mhz que l’audiovisuel avait déjà dû en 2011 abandonner (3). Mais avec l’arrivée de la 5G prévue commercialement à partir du premier semestre 2020, soit dans un an, les deux dividendes numériques pourraient ne pas être suffisant. Reste à savoir si l’actuel Premier ministre, Edouard Philippe (photo de gauche), arbitrera en faveur d’un troisième dividende numérique issu de la TNT. Mais s’il ne reste maintenant à l’audiovisuel que sa seule bande 470-694 Mhz, où aller chercher ces nouvelles « fréquences en or » ? Tout simplement en basculant l’ensemble de la télévision sur les réseaux très haut débit pour libérer entièrement les fréquences restantes de la TNT au profit de la 5G ! C’est en substance ce que vient de suggérer au gouvernement le président de l’Arcep, Sébastien Soriano (photo de droite). Auditionné le 3 juin dernier devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, ce dernier a déclaré : «La 5G en zone rurale est un défi politique. Nous ne pouvons pas apporter de la 5G massivement en zone rurale tant que nous n’aurons pas plus de fréquences. Ne faudrait-il pas débloquer de nouvelles fréquences pour les opérateurs ? Il y a des fréquences basses utilisées par la TNT. Mais ces fréquences ne seraient-elles pas plus utiles pour la 5G ? ». Et Sébastien Soriano de faire un appel du pied au gouvernement : « C’est un choix politique, sous l’arbitrage du Premier ministre qui décide de l’attribution des fréquences entre les secteurs. Et à l’Arcep, nous serons ravis d’obtenir davantage de fréquences pour les financements ».

Devancer les discussions de la CMR 2023
Pourtant, en France, la loi modifiée de 1986 sur la liberté de communication prévoit que les fréquences audiovisuelles utilisées pour la TNT – affectées au CSA – ne peuvent pas être transférées à d’autres services « au moins jusqu’au 31 décembre 2030 ». Mais le président de l’Arcep semble vouloir lancer le débat dès maintenant, en prévision des discussions sur l’avenir de la bande UHF de la télévision à la conférence mondiale des radiocommunications (CMR) de fin 2023 et des rapports européens et français attendus pour 2025. @

Charles de Laubier

Comment le CSA va tenter d’amener Free à payer pour les chaînes gratuites d’Altice

Xavier Niel et Patrick Drahi se regardent en chiens de faïence. Free refuse de payer les chaînes gratuites de la TNT d’Altice, alors que leur accord de diffusion est arrivé à échéance le 19 mars à minuit. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) doit régler le différend.