Réforme de l’audiovisuel : plus de pouvoirs pour le CSAmais plus de fréquences pour l’Arcep

Le président de la République va continuer à nommer le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mais le projet de loi débattu cet été renforcera l’indépendance de l’audiovisuel public et le pouvoir de sanction du CSA. En attendant 2014 pour tenter de réguler Internet.

Spectrum Crunch ?

La gestion des ressources rares, au-delà d’alimenter des discussions savantes entre économistes, a toujours des répercutions sur notre vie quotidienne. Certaines, comme l’eau, l’air, les métaux précieux ou l’espace pour les transports urbains sont très concrètes et nous percevons chaque jour un peu plus leur rareté. D’autres sont très longtemps restées dans l’ombre. Les fréquences hertziennes sont de celles-là, invisibles et discrètes pendant des décennies, puis s’invitant régulièrement dans les débats avec l’explosion des services mobiles et la multiplication des chaînes de télévision. Une pression telle que certains n’hésitèrent pas à prédire l’écroulement des plans d’allocation des fréquences ! La pression est en effet montée régulièrement à partir des années 2000 et à chaque changement de réseaux hertziens. Le basculement d’un Internet fixe vers
un Internet mobile, l’usage massif de la vidéo et surtout le développement exponentiel
des usages et du nombre des mobinautes, ont engagé les opérateurs et les Etats dans une course à la puissance des réseaux mobiles. Une course en escalier, où chaque marche correspond à une nouvelle génération de réseaux : 3G, 4G et 5G. Et pour chaque transition, tous les dix ans en moyenne, la question incontournable des fréquences disponibles pour satisfaire cette faim dévorante de spectre radioélectrique. N’oublions pas que, depuis 2010, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles du monde entier a été multiplié par plus de 30, pour se monter aujourd’hui à 130 milliards de gigaoctets.

« Cette fameuse bande des 700 Mhz était
l’occasion de permettre une harmonisation spectrale
à l’échelle européenne mais aussi mondiale. »

La vague fut telle que les arbitrages rendus ont régulièrement été favorables à l’utilisation de nouvelles ressources spectrales. Il s’est agi tout d’abord de réallouer les fréquences libérées par l’extinction de la télévision analogique, d’abord dans la bande des 800 Mhz
en 2011 pour la France (premier « dividende numérique ») puis des 700 Mhz trois ans plus tard (second « dividende numérique »). Ces dernières fréquences ont d’ailleurs fait l’objet d’âpres discussions entre l’Etat, qui essayait d’avancer le calendrier pour récolter de nouveau les 3 milliards d’euros attendus de leur mise aux enchères, et les opérateurs télécoms qui déclaraient ne pas être pressés car devant faire face à une crise de croissance et de rentabilité inédite en Europe. Les chaînes de télévision de la TNT ont, elles aussi, voulu une partie de ces nouvelles fréquences libérées afin de pouvoir généraliser la HD et développer de nouveau services audiovisuels. Les nouvelles
normes de diffusion (DVB-T2, LTE, …) et de compression (Mpeg4, HEVC, …) ont
permis d’économiser du spectre et de pouvoir en allouer aussi bien aux télécoms qu’à l’audiovisuel.
Ces fréquences « basses », nouvelles pour les télécoms, étaient dites en or, par leur qualité particulière qui permet de diffuser les signaux plus loin en pénétrant mieux dans les bâtiments que les fréquences « hautes » initialement utilisées pour les communications mobiles. Elles avaient une autre qualité, peut-être plus importante encore : cette fameuse bande des 700 Mhz était l’occasion de permettre une harmonisation spectrale à l’échelle européenne mais aussi mondiale. Cela a en effet facilité le roaming international, mais surtout permis aux opérateurs de réaliser des économies d’échelle, si difficiles à concrétiser dans un contexte européen historiquement fragmenté. La bande des 700 Mhz avait déjà été allouée lors du premier dividende numérique sur tout le continent américain et en Asie. Elle le fut à l’occasion des allocations du second en Europe et pour la zone Afrique-Moyen Orient. Certains n’ont pas attendu que l’utilisation de la bande des 700 soit effective, il y a à peine cinq ans, pour poser bien avant la question de trouver de nouvelles fréquences pour le lancement cette année des premières licences 5G. Dès 2013, NTT Docomo testait au Japon une connexion à 10 Gbits/s dans une voiture en mouvement,
en utilisant des fréquences inhabituelles de 400 Mhz ! Tandis qu’au Royaume-Uni, le régulateur britannique Ofcom préparait le terrain pour disposer du spectre nécessaire,
dès 2020, permettant de faire oublier son retard sur la 4G en reprenant de l’avance sur
la génération suivante. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Publicité
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport :
« La bande des 700 MHz : une nouvelle harmonisation
des fréquences pour le LTE ? », par Frédéric Pujol.

Assises de l’audiovisuel : la bataille des 700 Mhz

En fait. Le 5 juin se sont tenues les Assises de l’audiovisuel, afin de préparer l’entrée de la régulation de l’Internet dans le grand projet de loi audiovisuel prévu l’an prochain. Mais se sont invités dans le débat les 700 Mhz que le CSA souhaite
« répartis équitablement » entre télécoms et télévisions.

Le CSA autorise TDF à expérimenter la diffusion multimédia mobile (B2M) sur la TNT

Selon nos informations, le CSA a autorisé TDF et ses partenaires du consortium B2M à expérimenter durant deux mois la diffusion audiovisuelle en DVB-T/T2 d’un bouquet de services multimédias (télévision, VOD, Catch up, presse, …) via un réseau de type broadcast, comme celui de la TNT.

ArchosC’est une révolution technologique à laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a donné son feu vert lors de sa séance plénière du 9 avril dernier.
Un an après avoir enterré la télévision mobile personnelle (TMP), en retirant les autorisations à seize éditeurs de chaînes de télévision délivrées en 2010 faute de modèle économique pour financer le réseau hertzien (1), le régulateur vient en effet d’autoriser TDF à expérimenter durant deux mois un projet encore plus ambitieux : B2M (Broadcast Mobile Multimedia).

Réception sur des tablettes Archos
Il s’agit de diffuser en mode « push VOD » ou en « filecasting » sur Paris, par voie hertzienne à partir de la Tour Eiffel et sur des fréquences UHF de la TNT, un bouquet de services multimédias en direction des terminaux mobiles (smartphones, tablettes, …).
Les émissions à la norme DVB-T/T2 (2) de ces flux « live » ou « on demand » débuteront avant l’été.
Une cinquantaine de mobinautes pourraient participer à cette phase exploratoire pour recevoir sur leur mobile – en l’occurrence une tablette du fabricant français Archos, partenaire du projet – plusieurs services : chaînes de télévision, vidéo à la demande (VOD), télévision et radio de rattrapage (catch up et podcast) ou encore une sorte de kiosque avec player pour lire la presse. Bref, tous les contenus multimédias qui peuvent être diffusés en mode broadcast vers des mobiles seront potentiellement concernés par ce système d’agrégation de contenus. Même des livres numériques pourraient être proposés à terme dans le bouquet B2M. TDF entend réussir là où la TMP avait échoué, comme l’explique Vincent Grivet, directeur à la direction de la stratégie et de l’innovation de TDF, à Edition Multimédi@ : « Contrairement à la TMP, où un seul service (la diffusion de chaînes de télévision linéaires) n’a pas permis de justifier l’utilisation d’un réseau broadcast, B2M permet de mutualiser les coûts de l’infrastructure sur un flux de contenus très large ». Toute la différence est là : diffuser sur mobile non seulement de la télévision linéaire mais aussi des services multimédias non linéaires. Cette expérimentation va permettre à TDF, et à sa filiale Cognacq-Jay Image, de faire connaître la plate-forme auprès de l’ensemble des acteurs qui pourraient être intéressés à utiliser cette solution
de distribution peu coûteuse. L’investissement pour couvrir par exemple 30 % de la population française (soit les plus grandes villes de France) serait, selon Vincent Grivet,
« bien inférieur à 50 millions d’euros ». L’autorisation du CSA s’inscrit dans un projet en gestation depuis 2011 et financé par le gouvernement – via les Investissements d’avenir (ex-Grand emprunt) et son Fonds national pour la société numérique (FSN) – à hauteur
de 30 % du budget total de 3 millions d’euros qui sont nécessaires à la mise au point de
ce prototype. Outre Archos qui a remplacé dans ses tablettes utilisées pour le test la réception 3G par la réception DVB-T/T2, sont partenaires du consortium B2M : l’Institut Télécom, Airweb (qui développe notamment le player), Parrot avec sa division Dibcom (qui fournit le circuit électronique du récepteur DVB), Expway (le middleware qui gère le mode « push »), et Immanens (pour l’édition électronique de contenus presse et la conception de kiosques numérique).
Quant aux opérateurs mobile, ils pourraient percevoir B2M et son réseau broadcast point-à-multipoint sur mobile comme un solution complémentaire à leurs réseaux 3G/4G mis à rude épreuve par la diffusion massive en mode point-à-point des contenus audiovisuels. TDF compte bien leur proposer de soulager leurs réseaux 3G/4G menacés de saturation face à l’explosion annoncée des flux de données. « Nous prônons la mise au point d’une technologie hybride entre le monde du broadcast traditionnel DVB (3) et le eMBMS (4)
qui arrive sur la 4G LTE. Une telle norme réunirait le meilleur des deux mondes : une intégration facile dans les terminaux grâce au LTE et une diffusion sur des zones plus grandes grâce aux atouts du broadcast traditionnel », nous précise Vincent Grivet. Son partenaire Expway a d’ailleurs présenté au Mobile World Congress de février dernier sa solution eMBMS qui permet aux opérateurs 4G d’alléger de 20 % le trafic de données sur leur réseau LTE.

Vers un réseau mixte DVB-T/eMBMS
Mais le eMBMS seul suffira-t-il face à l’explosion des vidéos sur mobile ? Le mixte des normes DVB-T/eMBMS apparaît donc comme la solution pour du broadcast mobile en haute définition et sans temps de latence. Comme TDF (5), France Télécom (Orange Labs) croit à cette technologique hybride et participe pour cela au projet M3 (Mobile MultiMedia) lancé en 2010 avec l’Agence nationale de la recherche. Le CSA, lui, pousse dans ce sens (6). @

Charles de Laubier

Opérateurs télécoms et chaînes de télé : trop de concurrence pour les « historiques » ?

Retour sur le DigiWorld Summit des 14-15 novembre : France Télécom et SFR ont regretté qu’il y ait, selon eux, trop d’opérateurs sur l’Hexagone, des prix trop bas et des OTT du Net envahissants. Les chaînes TV historiques, bien que quasi absentes à Montpellier, sont sur la même longueur d’ondes.

Paradoxe : alors que les consommateurs y trouvent leur compte depuis la libéralisation
de ces deux grands marchés (offres concurrentielles, prix attractifs, contenus abondants, …), les opérateurs télécoms et les chaînes de télévision historiques, eux, se plaignent au contraire de cette concurrence accusée d’être à l’origine du recul de leurs revenus traditionnels – rentes de situation, diront certains – et de l’érosion de leurs marges.

Trop d’opérateurs et de chaînes ?
« Le nombre d’opérateurs télécoms en France est trop élevé », a lancé Stéphane Roussel, PDG du groupe SFR, le 15 novembre au DigiWorld Summit de Montpellier (1). Cet « handicap », selon lui, se retrouve aussi à l’échelon européen : « Il y a plus de 80 opérateurs télécoms en Europe. Alors qu’aux Etats-Unis, ils sont 5 maximum ! ». Même son de cloche avec Stéphane Richard, PDG de France Télécom, intervenant le même jour : « Il y a fragmentation du marché européen : près de 100 opérateurs télécoms. L’Europe des télécoms est une exception dans le monde ». A combien la France devrait alors ramener le nombre de ses opérateurs télécoms ? Stéphane Roussel a répondu à Edition Multimédi@ : « A un seul, SFR ! [rires dans l’amphi]… A deux ou trois… Je ne
dis pas que le quatrième opérateur [Free] n’est pas le bienvenu… Le premier [France Télécom] et le dernier [Free] ne sont pas les plus menacés ». Faut-il que le second, SFR, et le troisième, Bouygues Telecom ou Numericable, fusionnent ? « Tout le monde discute avec tout le monde… ». Stéphane Richard pense lui aussi que la concentration du marché serait un remède à ce « trop de concurrence ». « La Commission européenne bloque les consolidations, alors qu’Orange en Autriche est prêt à être racheté par Hutchison. (…) C’est la poursuite têtue d’une régulation tournée en faveur du consommateur », a grogné le PDG de France Télécom (2). Son premier concurrent historique, SFR, ne dit pas autre chose : « En Europe, on est loin du compte », a déploré Stéphane Roussel.
Cette défiance des acteurs historiques se retrouve aussi chez les chaînes de télévision qui ont prospéré avant l’arrivée des nouvelles chaînes via la TNT, l’ADSL, le câble ou le satellite. En France, TF1, M6 et Canal+ et France Télévisions n’ont pas vu d’un très bon oeil cette libéralisation du paysage audiovisuel français (PAF) qui aboutit aujourd’hui à 235 chaînes au total (3). Quasi absentes au DigiWorld Summit, les chaînes de télévision historiques profitent d’autres tribunes – comme les colloques de NPA Conseil – pour se plaindre de ce soidisant trop-plein de concurrence audiovisuelle et de la fragmentation de leur audience (4). C’est ainsi que le 6 novembre le président du groupe TF1, Nonce Paolini, a lancé : « Pendant que le bateau prend l’eau, l’orchestre joue », laissant entendre que les 6 nouvelles chaînes de la TNT allaient tirer le PAF vers le fond… Il a en outre fait référence au secteur de la téléphonie mobile déjà touché par la crise, « espérant que l’audiovisuel ne serait pas le prochain secteur impacté ». Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, lequel est à l’audiovisuel ce qu’est SFR aux télécoms, ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur « l’augmentation du nombre de chaînes sur un marché publicitaire en baisse ».
Chaînes et opérateurs historiques ont ainsi des inquiétudes similaires. Leurs revenus traditionnels reculent. Et au-delà de leur concurrents immédiats se profile une deuxième concurrence, commune celle-là : les fameux OTT (Over The Top), alias les « GooTube » (Google + YouTube) , Netflix, Amazon et autres Apple. Là aussi, les acteurs du Net et de la VOD font le bonheur des consommateurs mais pas celui des chaînes ni des opérateurs historiques qui redoutent leur « dés-intermédiation ». S’ils ont tant de points communs, pourquoi ne convergent- ils pas ? « L’intégration verticale [réseau+audiovisuel] est un modèle dont la pertinence reste à démontrer. Aux Etats-Unis, Comcast est bien un groupe intégré mais cela s’explique d’abord par le quasi-monopole qu’il détient sur les zones où il est présent », répond Gilles Fontaine, DG adjoint de l’Idate, à EM@.

Les OTT : une chance historique
Et si les télécoms et l’audiovisuel faisaient fausse route en stigmatisant les acteurs du Net ? « Je récuse plutôt la vision que les acteurs de l’OTT sont un danger pour les historiques des télécoms et de la télévision, poursuit-il. Les telcos et les chaînes devraient intégrer l’Internet plutôt que s’y opposer un peu vainement ». Amazon/Lovefilm ou Google/YouTube sont peut-être, selon lui, moins à terme des concurrents que de nouvelles plateformes de distribution pour les groupes audiovisuels et de nouveaux contenus valorisant l’accès pour les opérateurs de réseaux. @

Charles de Laubier