Autorité de la concurrence : ce que disait Isabelle de Silva sur le projet de fusion TF1-M6 avant la fin de son mandat

Isabelle de Silva a achevé le 13 octobre dernier son mandat de cinq ans à la présidence de l’Autorité de la concurrence. La conseillère d’Etat était candidate à sa propre succession, mais elle a été « un peu surprise » de ne pas être renouvelée. Etait-elle un obstacle à la fusion envisagée par TF1 et M6 ?

Le (ou la) président(e) de l’Autorité de la concurrence est nommé(e) par décret du président de la République. Le 14 octobre 2016, François Hollande avait ainsi placé Isabelle de Silva (photo) à la tête des sages de la rue de l’Echelle. La conseillère d’Etat paie-t-elle aujourd’hui le fait d’avoir succédé à Bruno Lasserre grâce au prédécesseur d’Emmanuel Macron ? Nul ne le sait. Une chose est sûre : l’actuel président de la République n’a pas renouvelé Isabelle de Silva dans ses fonctions et sans pour autant désigner de remplaçant (Emmanuel Combe assurant l’intérim). Et ce, malgré « ses compétences dans les domaines juridique et économique ». Cette conseillère d’Etat, à la double nationalité franco-américaine et polyglotte, qui plus est énarque sortie dans « la botte » en 1994, n’avait en rien démérité durant ses cinq années de mandat à l’autorité antitrust française – bien au contraire aux dires de nombreuses personnes des mondes politique, économique et médiatique. « Sur le moment, j’ai eu un petit peu de surprise (…) J’espérais continuer, c’est vrai (…) », a-telle confié le 11 octobre sur BFM Business. C’est sur Twitter qu’elle avait confirmé dès le 4 octobre son départ, alors qu’elle le savait depuis près de deux semaines auparavant.

Diluer le poids « pub » de TF1-M6 avec les GAFA ?
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il donc décidé de se passer de ses bons et loyaux services à la tête du gendarme de la concurrence ? N’avait-elle pas le soutien de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance ? La réponse est au palais de l’Elysée, d’où aucun commentaire sur cette non-reconduction n’a filtré ni aucun remerciement public à Isabelle de Silva n’a été formulé. Son départ s’apparente à une éviction à six mois de l’élection présidentielle et surtout en pleine instruction du dossier le plus sensible de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron : le projet de fusion entre les deux grands groupes privés de télévision, TF1 et M6. Or, lorsqu’elle était encore présidente de l’antitrust français, Isabelle de Silva n’avait pas caché que marier les deux n’allait pas de soi et que donner sa bénédiction à ces deux acteurs majeurs du paysage audiovisuel français (PAF) n’était pas évident.

La question du « marché pertinent »
Car, de deux choses l’une en termes de « marché pertinent » : soit l’analyse concurrentielle s’en tient à la publicité télévisée, et dans ce cas la position dominante du couple TF1-M6 (près de 75 % de part de marché en France (4)) n’est pas souhaitable, soit le marché pertinent est élargi à la publicité en ligne pour permettre de relativiser le poids des deux groupes télévisés au regard de celui des GAFA (Google/YouTube et Facebook en tête) dans la publicité numérique, et leur fusion deviendrait alors acceptable. A notre connaissance, aucune autorité antitrust dans le monde n’a encore considéré dans une même analyse de marchés pertinents la publicité télévisée et la publicité numérique comme un tout.
Dans son avis du 21 février 2019 sur ce qui devait être la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat d’Emmanuel Macron (finalement abandonnée en 2020 face à l’état d’urgence sanitaire), l’Autorité de la concurrence avait déjà démontré que « la pratique décisionnelle nationale et européenne distingue le marché de la publicité télévisuelle des autres marchés de la publicité, ainsi que les marchés de la publicité en ligne et de la publicité hors ligne ». Et ce, quand bien même serait observé un mouvement de convergence entre les marchés de la publicité télévisuelle et de la publicité en ligne, et notamment dans le mode d’achat des espaces publicitaires mais aussi dans les outils de mesure de l’audience quel que soit l’écran (5). Télévision et Internet font bon ménage, l’image de marque pour la première et l’acte d’achat pour l’autre, sans parler de la publicité ciblée des chaînes hertziennes (TNT) sur leurs propres services de télévision de rattrapage (MyTF1 et 6Play pour ne citer que les principaux « replay » des deux acteurs candidats au rapprochement).
Pour autant, les sages de la rue de l’Echelle alors présidés par Isabelle de Silva ont considéré que « la publicité télévisuelle et la publicité sur Internet en format vidéo demeurent encore en l’état actuel complémentaires en termes d’objectifs » – tout en s’appuyant sur un décret de 1992 sur la publicité télévisée (6) pour justifier la « délimitation des marchés » et la spécificité des « secteurs interdits » à la publicité télévisée (boisson alcoolisées, édition littéraire, cinéma, …) propres aux chaînes et inexistantes en ligne. « Le cadre réglementaire de la publicité télévisuelle [empêchant en particulier aux chaînes d’offrir aux annonceurs de la publicité ciblée, ndlr] ne permet pas cet arbitrage [à savoir pour les annonceurs de choisir entre publicité en ligne et publicité télévisuelle, ndlr]» avait conclu l’Autorité de la concurrence. Ce constat fait il y a deux ans ne fait pas les affaires aujourd’hui de Martin Bouygues (PDG du groupe éponyme propriétaire de TF1) et de Nicolas de Tavernost (PDG de M6, filiale du groupe allemand Bertelsmann), qui exigent au contraire que l’on mesure leur futur ensemble TF1-M6 en tenant compte des GAFA. « Les évolutions qui affectent la publicité en ligne (…) doivent-elles conduire à modifier le cadre d’analyse de l’Autorité de la concurrence et ses délimitations de marché ? Cela fait partie des sujets qui feront l’objet de toute notre attention », avait néanmoins assuré Isabelle de Silva le 7 avril au Sénat lors de son audition (7). Renouveler Isabelle de Silva à la présidence de l’antitrust français aurait pu être un mauvais signal lancé par Emmanuel Macron aux deux influents dirigeants du PAF, et ce au moment où les « tests de marché » – étape cruciale de la procédure antitrust et du contrôle des concentrations – avaient commencé sous la houlette d’Isabelle de Silva.
Lors de sa dernière intervention du 11 octobre, soit deux jours avant la fin de son mandat, celle-ci a fait le point sur ce projet de fusion délicat qu’elle ne pourra finalement pas mener à bien : « S’agissant du dossier TF1-M6, le travail a été bien entamé. Les tests de marché ont commencé et vont se poursuivre jusqu’à novembre. Il reste maintenant au marché à s’exprimer. Nous avons reçu des signaux d’inquiétude de certains acteurs qui pourront à présent formuler leurs préoccupations. C’est à l’aune d’un grand nombre d’informations factuelles, objectives, que l’Autorité pourra prendre [d’ici à l’été 2022, ndlr] sa décision ». L’ancienne présidente de l’antitrust a toujours montré qu’elle n’était pas en service commandé sur ce dossier éminemment politique, même si Emmanuel Macron est favorable, lui, à cette fusion TF1-M6. Sans son aval ni Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ni Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’auraient pris position en faveur de cette fusion.

Maistre et Bachelot y sont favorables
Le président du CSA, lui aussi nommé par décret du président de la République, n’a pas attendu la remise de son avis prévue début 2022 pour se dire favorable à ce projet de fusion « naturel » et « compréhensible ». Roch-Olivier Maistre l’a dit le 7 septembre devant un parterre de publicitaires (8), tout en rappelant que le régulateur de l’audiovisuel (9) aura ensuite à se prononcer sur le renouvellement des autorisations d’émettre de TF1 et M6 qui arrivent à échéance au printemps 2023. Quant à Roselyne Bachelot, elle avait déclaré fin août sur France Info : « Cette fusion ne m’inquiète pas ». Fermez le ban ? Au-delà de la question publicitaire, le projet de fusion TF1-M6 soulève des questions liées aux acquisitions de films récents dans la chronologie des médias, aux droits audiovisuels, et à la production indépendante. @

Charles de Laubier

Les plateformes de SVOD dominent le marché mondial des séries, la France étant à la traîne

Les pays asiatiques et américains sont les premiers donneurs d’ordres en termes de commandes de fictions. La France, pays de « l’exception culturelle », est moins demandeuse que le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce sont les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui donnent le la.

Quels acteurs mondiaux sont les plus importants en matière de commandes de programmes TV de fiction ? Quels pays de production sont les plus actifs ? La réponse n’est pas à aller chercher en France. Quels que soient les genres de programmes de télévision ou de plateforme (drame, thriller, comédie, science-fiction, jeunesse, aventure, horreur ou encore divertissement), ce sont la Chine et les Etats-Unis qui sont de loin les deux premiers pays en nombre de programmes de fiction commandés au cours des douze derniers mois.

Disney, Netflix, Paramount, HBO, …
C’est ce qui ressort d’une étude du cabinet londonien Ampere Analysis, sur laquelle s’appuie le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour faire le point sur les tendances de la fiction dans le monde. Le Japon, l’Inde, la Russie, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et l’Allemagne sont les pays – après la Chine et les Etats-Unis – qui devancent eux-aussi la France sur ce marché mondial en pleine effervescence de la production – en série – de séries au profit de plus en plus des plateformes de SVOD.
Là où la Chine a commandé 653 fictions sur un an (1), la France s’en tient à 101, derrière les 180 du Royaume-Uni et les 121 de l’Allemagne. « Les groupes audiovisuels asiatiques sont parmi les plus actifs dans le monde. Les principaux acteurs à l’origine des commandes de programmes de fiction sont les plateformes mondiales et les studios américains. Et de plus en plus de commandes sont faites à destination des services en ligne des studios ou des groupes audiovisuels (Disney+, HBO Max, Hulu, …). La BBC est le premier groupe européen . Les autres diffuseurs européens dans le classement sont publics, France Télévisions étant en 15e position », constate l’étude présentée par Benoît Danard (photo), directeur des études, des statistiques et de la prospective du CNC, à l’occasion du festival Séries Mania qui s’est tenu jusqu’au 2 septembre à Lille et en ligne. Dans le monde, le nombre de programmes commandés – qu’ils soient de « flux » (unscripted) ou de « stock » (scripted) – est en croissance régulière, tiré notamment par les plateformes de SVOD. Pour autant, sur les douze derniers mois, l’étude montre qu’il y a une baisse importante des commandes de programmes de stock au second trimestre 2020 en raison de la pandémie, pendant que les commandes de programmes de flux sont en hausse chez tous les acteurs, linéaires et non linéaires. Les six premiers grands donneurs d’ordres sont américains : Disney (éditeur de Disney+), Netflix, ViacomCBS (éditeur de Paramount+), WarnerMedia (filiale d’AT&T et éditeur de HBO Max), Comcast (maison mère de NBCUniversal et éditeur de Peacock) et Amazon (éditeur de Prime Video et acquéreur de MGM Studios).
D’après le CNC, les plateformes étrangères de SVOD devraient investir sur cette année 2021 près de 100 millions d’euros dans les séries françaises inédites (contre 37 millions l’année précédente). En France, la consommation de fictions se fait largement au-delà des productions locales. Les séries françaises sont autant regardées que les séries américaines, et celles provenant d’autres pays (ni américaines ni britanniques) le sont de plus en plus. Basés respectivement à Lille et à Cannes, les festivals Séries Mania (2) et Canneseries (3) s’inscrivent sur un marché plus que jamais mondial. Le premier s’est achevé début septembre (avant le Festival du cinéma américain de Deauville), tandis que le second se tiendra du 8 au 13 octobre (après le Festival de la fiction à La Rochelle jusqu’au 19 septembre, et en partie en même temps que le Mipcom (4)). Toutes ces festivités et paillettes n’ont pas encore transformé la France en exception culturelle de la fiction. @

Charles de Laubier

Sortie des films en France : la chronologie des médias actuelle vit ses dernières semaines

Le 1er juillet, les organisations du cinéma français – le Blic, le Bloc et l’ARP (BBA) – ont proposé une nouvelle évolution de la chronologie des médias (organisant la sortie des films en salles, en VOD/SVOD et à la télévision). Elle fait suite à celle soumise par le CNC le 14 juin. L’été sera chaud…

Depuis le début de l’année, ce n’est pas moins de quatre propositions d’accord sur la chronologie des médias qui se sont succédées sans encore parvenir à faire consensus entre – au-delà des salles de cinéma arc-boutées sur leur monopole des quatre premiers mois de la sortie d’un film – les chaînes de télévision payantes (Canal+, OCS, …), les télévisions gratuites (France 2, TF1, M6, …) et les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (Netflix, Amazon Prime Video, …).

Fin de l’été : l’ultimatum du gouvernement
Le 10 juillet dernier, au Festival de Cannes, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot (photo), a accordé du temps supplémentaire aux professionnels de la filière du cinéma français pour qu’ils se mettent d’accord sur une nouvelle chronologie des médias. Sinon, « le gouvernement tranchera à la fin de l’été » (1).
Pour l’heure, la vidéo à demande à l’acte (Videofutur/ Viva, FilmoTV, VOD d’Orange, …) doit continuer, elle, à attendre les quatre premiers mois après la sortie d’un film pour pouvoir le proposer. C’est l’éternel statut quo sur le monopole des salles de cinéma que défend becs et ongles depuis des années l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF). D’autant que le point de départ de la chronologie des médias est la date de sortie du film en salles. A noter qu’en France, si un film agréé par le CNC est mis en ligne directement sur une plateforme vidéo, il n’a plus le droit de sortir dans les salles obscures. Ces quatre mois semblent gravés pour toujours dans le marbre du code du cinéma et de l’image animée (2), alors même que les usages numériques se sont généralisés. Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (3).
Au-delà de ce monopole « obscure », un bras de fer s’exerce sur la fenêtre de diffusion suivante entre « Canal+ » et « Netflix », comprenez entre les chaînes payantes, au premier rang desquelles la chaîne cryptée du groupe Vivendi (qui fut la grande pourvoyeuse de fonds du cinéma français), et les plateformes de SVOD telles que Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Et ce, lorsqu’il y a de leur part (pré)financement du film avec minimum garanti et engagement de diffusion. Dans sa proposition datée du 14 juin, le CNC entend ménager Canal+ sur la première fenêtre de la TV payant, en lui concédant « un délai inférieur au délai de huit mois [en cas d’] accord conclu avec les organisations professionnelles du cinéma [français] » (huit mois sans accord), et en reléguant ses rivaux « Netflix » à douze mois après la sortie d’un film en salle (quatorze mois sans accord). Alors que dans leur contreproposition datée du 1er juillet, les organisations du cinéma français – que sont le Blic (Bureau de liaisons des industries du cinéma), le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma) et l’ARP (société civile des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs), surnommées ensemble le « BBA » – veulent aligner la TV payant (Canal+) et la SVOD (Netflix et les autres plateformes par abonnement) sur la même fenêtre à six mois après la sortie du film en salle. Là où Canal+ exige que sa fenêtre d’exclusivité coure sur une durée de neuf mois avant que les plateformes de SVOD ne puissent prétendre proposer à leur tour le nouveau film, le CNC limite cette durée d’exclusivité des droits à six mois (ou un peu plus si accord). Et ce, pour en tout cas permettre aux plateformes de SVOD – celles contribuant financièrement à l’oeuvre – de démarrer à douze mois après la sortie du film en salle.

Le « BBA » veut aligner Canal+ et Netflix
Tandis que le BBA, lui, veut mettre Canal+ et les « Netflix » sur la même ligne de départ en cas d’accord de financement du film, soit à six mois après la sortie du film en salle. Cette avancée spectaculaire de la SVOD dans la chronologie des médias (actuellement à trente mois en cas d’accord, sinon à trente-six mois) n’est bien sûr pas du goût de Canal+ qui se retrouverait ainsi en concurrence frontale avec les plateformes vidéo par abonnement. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres AppleTV+ sont légitimes à demander un meilleur traitement en France depuis qu’ils ont – après la promulgation du décret « SMAd » le 23 juin dernier (4) – l’obligation à compter du 1er juillet de participer au financement du cinéma français. Netflix, que le Festival de Cannes n’a pas voulu voir car, selon lui, non conforme à ses règles, négocie avec les professionnels du 7e Art français un accord sur un certain nombre de films qu’il financera. C’est cette bataille déjà engagée, entre l’opérateur historique du cinéma français affaibli et les nouveaux entrants dynamiques de l’audiovisuel, qui était dans toutes les conversations des professionnels lors du 74e Festival de Cannes, du 6 au 17 juillet derniers. Le gouvernement, et sa ministre de la Culture en tête, n’ont pas réussi à trouver un accord sur cette sacro-sainte chronologie des médias pour l’annoncer avec champagne aux festivaliers sur la Croisette (notamment à ceux du Marché du Film organisé en parallèle), et à l’occasion du déplacement de Roselyne Bachelot sur le tapis rouge.

Le glas de l’influence de Canal+
Ce nouvel échec à trouver un consensus sur la chronologie des médias sonne le glas de l’influence de Canal+ sur le cinéma français. Le vent a tourné et la France ne peut pas continuer à favoriser un acteur, aussi encore influent soit-il, au détriment des arrivants, au risque de se faire épingler par la Commission européenne. Et sur le monopole des salles, personne ne trouve rien à redire… @

Pas de front uni des groupes publics de télévision en Europe face aux Netflix, Disney+ et autres Amazon Video

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a-t-elle abandonné l’idée d’un « “Netflix public” européen » ? Car face aux grandes plateformes de SVOD, les télévisions publiques en Europe sont divisées. Il ne tient qu’à l’Union européenne de radio-télévision (UER), qu’elle préside en 2021 et 2022, d’y remédier.

« Un “Netflix public” européen est possible et peut naître dans les mois qui viennent. Un projet numérique d’ambition européenne au service de la création peut être le moyen de redonner de la fierté à l’audiovisuel public, et de prendre notre place dans la compétition mondiale », assurait Delphine Ernotte (photo) dans une tribune parue dans Le Monde le 14 novembre 2017.
Trois ans et demi après, alors que la patronne de France Télévisions préside aussi cette année et l’an prochain l’Union européenne de radio-télévision (UER) qui est composée de groupe public de l’audiovisuel : aucun « Netflix public » européen en vue. Les grandes plateformes privées américaines de SVOD (1), que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore AppleTV+, s’en donnent à cœur-joie sur le Vieux Continent où elles ne rencontrent aucun rival européen sérieux. Pourtant, c’était un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, formulée noir sur blanc dans son programme électoral : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes ». Une fois élu président de la République, le locataire de l’Elysée avait aussitôt confié à la présidente de France Télévisions le soin de concrétiser sa promesse de plateforme commune au niveau européen.

Britbox, Salto, Viaplay, Now, Joyn, Discovery+, …
Mais c’était sans compter l’ADN nationale des services publics de chaque pays, et l’absence de coordination des Etats membres – propriétaires de ces chaînes publiques – susceptibles de mener à bien un tel projet, chacun y allant de son projet. On connaît la suite : la BBC, le groupe audiovisuel public britannique, a lancé en novembre 2019 avec l’entreprise privée de télévisions ITV, son compatriote, la plateforme Britbox au Royaume-Uni ; le groupe de chaînes publiques France Télévisions a de son côté lancé en octobre 2020 avec les groupes français privés de télévision TF1 et M6 la plateforme vidéo Salto. Avant que les services publics de l’audiovisuel ne partent en ordre dispersé, des initiatives 100 % privées ont aussi fleuri. C’est ainsi que le groupe suédois Modern Times Group (MTG) a été pionnier dans l’offre de streaming vidéo en lançant en février 2011 Viaplay, service qui est maintenant opéré par le groupe scandinave Nordic Entertainment Group (groupe Nent), un spin-off créé par MTG il y a près de trois ans.

L’émiettement SVOD en Europe
Dans le privé toujours, le groupe britannique de télévision payante Sky, filiale de l’américain Comcast, a lancé quant à lui Now TV en juillet 2012 au Royaume-Uni, devenu Now et disponible dans d’autres pays. Les groupes audiovisuels américain Discovery et allemand ProSiebenSat.1 Media ont lancé ensemble en mai 2017 la plateforme Joyn Plus+ en Allemagne. De son côté, Discovery a aussi lancé en juillet 2018 en Grande-Bretagne et en Irlande le service de vidéo à la demande QuestOD, lequel a changé de nom en octobre 2019 pour Dplay, avant d’être à nouveau rebaptisé en octobre 2020 Discovery+. A ces principales plateformes de SVOD et/ou de TVOD (4) dans l’Union européenne (UE) s’ajoutent bien d’autres initiatives telles que TIM Vision (Telecom Italia) et Mediaset Infinity en Italie, TV 2 Play au Danemark, Videoplay et Videoland aux Pays- Bas, Ruutu+ en Finlande, Streamz en Belgique, Voyo en Slovénie, ou encore C More en Scandinavie. Sans parler du japonais Rakuten TV et du français Molotov TV.
Cet émiettement des plateformes fait le jeu des géants américains de l’Internet. Même NBCUniversal, filiale audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms américain Comcast avait les coudées franches pour lancer en février dernier, sur l’Hexagone, Hayu, sa plateforme d’émissions de téléréalité à la demande désormais disponible dans une dizaine de pays européens. Et son compatriote ViacomCBS, qui a redu disponible il y a plus de deux ans Pluto TV en Europe, y déploie parallèlement Paramount+ (ex- CBS All Access). Le champ est d’autant plus libre que le projet de « Netflix latin » envisagé en avril 2016 par le français Vivendi et l’italien Mediaset avait aussitôt tournée court, les deux groupes de respectivement Vincent Bolloré et Sylvio Berlusconi ne trouvant pas mieux que d’aller ferrailler en justice l’un contre l’autre durant cinq ans pour des rivalités capitalistiques (5). Quant aux groupes publics de télévision, le plus souvent financés par des redevances audiovisuelles payées par les foyers européens (138 euros en France, 220 en Allemagne), ils n’ont pas su s’organiser – même au sein de l’UER – pour donner la réplique aux GAFAN. Ce fut surtout faute d’une véritable volonté politique de la part des différents Etats membres. A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Emmanuel Macron a échoué à faire émerger un « Netflix européen » public et, par ailleurs, a abandonné sa grande réforme de l’audiovisuel (6). Le marché européen de la SVOD est pourtant bien là, avec ses 9,7 milliards de chiffre d’affaires en 2020 selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) – auxquels s’ajoutent 1,87 milliard pour la TVOD, soit un total de 11,6 milliards d’euros généré l’an dernier (voir graphique). Delphine Ernotte, à la tête de France Télévisions depuis août 2015 et reconduite à ce poste en juillet 2020 pour un mandat de cinq ans, peut-elle relancer l’idée de « “Netflix public” européen » en tant que présidente de l’UER jusqu’au 31 décembre 2022 ? Le 28 mai, cette union de « médias de service public » – dépassant largement l’UE avec 115 organisations membres dans 56 pays – a annoncé la nomination d’un directeur du numérique, de la transformation et des plateformes (7). Le Belge Wouter Quartier prendra ses fonctions en août prochain. Il a été le « Monsieur digital » de la radiotélévision flamande VRT et de sa plateforme vidéo VRTNu. « Wouter Quartier travaillera en étroite collaboration avec un comité numérique nouvellement élu qui s’est engagé à soutenir l’UER à mesure que nous progressons dans ce domaine », a indiqué Jean Philip De Tender, directeur média de l’UER.
Reste à savoir si, au-delà de sa mission première d’aider les médias publics à développer leurs activités numériques et leurs propres plateformes, émergera une volonté d’une plateforme SVOD commune, du moins dans l’UE. Rien n’est moins sûr, les homologues de France Télévisions continuant à résonner « national » lorsque ce n’est pas « régional ». Et la stagnation des financements publics, voire leur recul, et la baisse des recettes publicitaires, dans un contexte de crise sanitaire, entraîne un « repli sur soi » des médias publics. A défaut de plateforme paneuropéenne publique, Delphine Ernotte et Emmanuel Macron se sont repliés sur la co-production.

Repli sur la coproduction européenne
« Je crois à la construction d’un audiovisuel européen, non pas à une seule chaîne européenne, mais à l’alliance, au soutien entre les médias publics. Très concrètement, je me suis attachée à des coproductions européennes entre la ZDF (Allemagne) et la Raï (Italie) et vous verrez prochainement sur nos antennes le produit de ces coproductions » (8), a indiqué Delphine Ernotte le 3 mai dernier sur France Inter. Il y a six mois, dans Le Monde, elle déclarait : « L’addition de nos budgets représente 20 milliards d’euros. Investir ensemble une petite partie de cette manne permettra de faire naître un marché de la création européenne qui s’exporte au-delà de nos frontières ». Pas de quoi inquiéter pour l’instant les « Netflix » et les autres géants de la SVOD. @

Charles de Laubier

Pour la première fois, la TV sur ADSL est dépassée

En fait. Le 9 avril, l’Arcep a publié son observatoire des marchés des télécoms en France au quatrième trimestre 2020. Selon les constatations de Edition Multimédi@, le nombre d’abonnements donnant accès à la télévision par l’ADSL (prise téléphonique) est pour la première fois dépassé par les autres accès TV (FTTH, câble, satellite, …).