Libre-échange transatlantique(TTIP) : la France est contre malgré l’absence de l’audiovisuel et de la culture

Trois ans après la polémique déclenchée par la France pour que soient exclus
les services audiovisuels et culturels des négociations du TTIP, à nouveau rien ne va plus entre Paris et Bruxelles. Cette fois, il n’est pas question d’exception culturelle mais de déséquilibre avec les Etats-Unis.

« Si nous avons obtenu la transparence des négociations, la protection des services audiovisuels et de la culture, et pesé sur la réforme de l’arbitrage privé – le fameux ISDS –, force est de constater que l’état des tractations entre l’Europe et les Etats-Unis était profondément inéquitable au profit des Américains », ont estimé les eurodéputés socialistes et radicaux qui, le 30 août dernier, se sont réjouis de la décision de la France – par la voix son président de la République (photo) – de demander l’arrêt des négociations sur le traité transatlantique de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

La France, « réactionnaire » ?
Décidément, ce futur accord ou partenariat commercial, appelé TTIP (1) ou Tafta (2), ne cesse de contrarier la France qui ferraille à nouveau avec la Commission européenne. En évoquant « la protection des services audiovisuels et de la culture », alors que les Etats-Unis souhaitent toujours que ces secteurs économiques soient traités tôt ou tard (3), les eurodéputés font en effet implicitement référence à la bataille homérique que la France avait livrée il y a trois ans pour que soient exclus des négociations les services audiovisuels et culturels. « Ce ne sont pas des produits marchands comme les autres ; il est faut préserver l’exception culturelle », n’avaient eu de cesse de scander en France les mondes de la culture, de l’audiovisuel et du Septième Art. Le cinéma, la télévision et les plateformes vidéo (VOD/SVOD et replay) sont les premiers concernés, cela touche aussi la musique, les jeux vidéo ou encore le livre. En mai 2013, le président sortant du CNC (4), Eric Garandeau, s’était montré très remonté contre certains commissaires européens : « Aucun engagement de libéralisation ne saurait être toléré, ni cinématographique, ni audiovisuel, ni numérique » (5). Finalement, ce fut le 14 juin 2013 que le Conseil européen a trouvé un compromis – avec l’accord de la France, faut-il le rappeler – autour de la question des services audiovisuels et culturels, lesquels ne seraient pas « négociés » mais « discutés » par la suite avec les Etats-Unis (voir encadré ci-contre). Ce compromis (6) a déclenché une virulente polémique en France et de sévères critiques en vers la Commission européenne. A l’époque président de cette dernière, José Manuel Barroso avait fustigé – dans l’International Herald Tribune du 17 juin 2013 – la « vision anti-mondialisation réactionnaire » de ceux qui exigent d’exclure les services audiovisuels et culturels de ces négociations. Il répliquait à la France où « l’exception culturelle » peut faire office de ligne Maginot pour préserver
des niveaux élevés de subventions, de quotas de diffusion ou encore d’obligations
de financement dans les domaines sanctuarisés de la culture, du cinéma (7) et de l’audiovisuel. Un peu plus de trois ans après, c’est au tour de Jean- Claude Juncker,
le successeur de José Manuel Barroso de s’attirer les foudres de Paris. Cette fois, il n’est pas question d’audiovisuel ni de culture. François Hollande n’a plus confiance en son allié américain et demande officiellement l’arrêt des négociations TTIP, alors que l’Allemagne (Angela Merkel) veut les poursuivre. Il est en outre reproché à Jean-Claude Juncker de négocier parallèlement avec plusieurs pays – dont les Etats-Unis – un autre accord baptisé Tisa (8), cette fois sur le commerce des services, où il serait question d’audiovisuel, de e-commerce, voire de télécoms. S’exprimant le 2 septembre à Paris, Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, à la Fiscalité et à l’Union douanière, a estimé que « cela ne (…) paraît pas pertinent de suspendre ces négociations ». @

Charles de Laubier

La nouvelle chaîne publique Franceinfo annonce-t-elle une extension de la redevance à tous les supports ?

Lancée le 31 août sur Internet et le 1er septembre sur la TNT par France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l’Ina, la chaîne publique d’information Franceinfo pourrait être un prétexte à une hausse de la redevance audiovisuelle et son extension à tous les terminaux numériques.

Sachant que le budget d’une chaîne d’information en continu varie de 30 à 60 millions d’euros par an, la nouvelle concurrente de BFM TV, d’iTélé et de LCI aura-t-elle les reins assez solides pour se faire une place durable sur
ce segment de marché de l’audiovisuel concurrencé
par Internet ? Car, pour l’heure, la chaîne publique d’information Franceinfo, que dirige Stéphane Dubun (photo) depuis le 1er août, doit se contenter d’un
« investissement initial » inférieur à 10 millions d’euros.

« Multimédia et multisupport »
Cependant, selon le rapport du député PS Jean-Marie Beffara publié le 13 juillet dernier, le coût total s’élève « pour l’ensemble des partenaires [France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l’Ina, ndlr], à 16,5 millions d’euros en 2016,
25,6 millions d’euros en 2017, et 29,8 millions d’euros dès lors que le lancement de
la chaîne sera stabilisé ». Or, à ce stade, il n’est pas prévu de revoir à la hausse la contribution à l’audiovisuel public (CAP) que constitue la redevance télé. Du moins, pour l’instant… Lancée le 31 août sur Internet et le lendemain sur la TNT, la chaîne publique d’information veut être « l’offre numérique d’information de référence » en étant diffusée en mode « multimédia et multisupport ». Cette disponibilité sur tous les terminaux numériques – et pas seulement sur le téléviseur – démontre l’ambition de l’audiovisuel public de penser cette chaîne de télévision au-delà du petit écran traditionnel.
Mais n’est-ce pas aussi une manière de préparer les esprits à un audiovisuel public financé par une redevance qui ne dépenderait plus de la seule détention du poste de télévision ? Le député abonde dans ce sens en parlant de « réforme de bon sens au regard du positionnement numérique de la nouvelle chaîne » et en rappelant que, depuis la loi de Finances initiale pour 2016, « les crédits budgétaires en faveur de l’audiovisuel public n’existent plus ». Et d’expliquer : « La CAP, complétée par une part de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (1), financent désormais intégralement l’audiovisuel public : ce mode de financement renforce encore l’urgence de la réforme [de l’assiette de la CAP], tant sur le plan financier que sur le plan de la justice fiscale ». Le rapporteur plaide ainsi en faveur d’« une réforme qui s’inscrirait dans une approche neutre du point de vue des supports utilisés pour accéder au service public audiovisuel ». Chaque foyer fiscal paierait une seule fois la nouvelle redevance audiovisuel – 137 euros actuellement (2) – quel que soit le support utilisés, quand bien même il en détiendrait plusieurs. En théorie, un élargissement de l’assiette de la redevance télé à tous les foyers français pourrait rapporter encore plus que les quelque 3,6 milliards d’euros de 2015, dans la mesure où 3,3% d’entre eux déclarent aujourd’hui ne pas posséder de téléviseur et échappent donc à cette redevance. Pour ne pas pénaliser la jeune génération, le député souhaite néanmoins que soit instauré un demi-tarif (68 euros) pour les jeunes (3). France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public à bénéficier de la redevance audiovisuelle, à hauteur de plus de 2,3 milliards d’euros – soit près de 65% de cette manne fiscale (4). Aussitôt sa prise de fonction à France Télévisions il y a un an, le 22 août 2015, comme présidente, Delphine Ernotte Cunci – ex-directrice d’Orange France – s’est dite favorable à une extension
de la redevance audiovisuelle aux écrans numériques. Elle avait même alors précisé devant l’Association des journalistes médias (AJM) qu’elle était favorable à une réforme de la redevance à l’allemande, en l’élargissant à d’autres supports : «On peut “fiscaliser” cette redevance en la faisant dépendre son montant du niveau de revenu pour une grande justice sociale, et pourquoi pas le prélever à la source », avait-elle déclaré (5). En 2013, notre voisin outre-Rhin a en effet réformé sa redevance en l’appliquant à tous les foyers fiscaux allemands quel que soit le nombre d’écrans utilisés. Et le montant de cette contribution a été fixé de façon forfaitaire à 17,98 euros par mois, soit près de 216 euros par an. C’est environ 60 % de plus qu’en France.
Les prochains débats prévus à l’automne sur le projet de loi de Finances 2017 ne manqueront pas d’aborder la question qui revient régulièrement depuis quelques années. D’autant que Franceinfo aura alors quelques mois de fonctionnement.

Projet de loi de Finances 2017
Le rapport sur l’avenir de France Télévisions, coordonné par Marc Schwartz (ex-directeur financier de France Télévisions) et remis en février 2015 à Fleur Pellerin (6) avait déjà recommandé au gouvernement « que l’élargissement de l’assiette de la
CPA soit mis en chantier dès maintenant, pour pouvoir être voté, dans la mesure du possible, dès le projet de loi de Finances pour 2016 ». @

Charles de Laubier

Malgré l’attentisme des joueurs, le jeu vidéo devrait atteindre 3,4 milliards d’euros cette année

Grâce aux nouvelles plateformes, à l’enrichissement des catalogues, et à l’avènement de la réalité virtuelle, le marché français du jeu vidéo – matériels et accessoires compris – devrait progresser cette année de 3 % par rapport à 2015,
à 3,4 milliards d’euros. Mais les joueurs font preuve d’attentisme.

« Le marché sera a minima en croissance de 3 % à fin 2016. Cette prévision est volontairement prudente car il est complexe d’évaluer l’engouement et les volumes de ventes que vont générer les casques et accessoires de réalité virtuelle »,a indiqué Jean-Claude Ghinozzi (photo), président du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell). Résultat : le jeu vidéo en France – marché physique et dématérialisé, mais sans compter les équipements et accessoires pour ordinateurs – affichera 3,4 milliards d’euros en 2016.

En attendant la RV et l’e-sport
« Sur le matériel, les joueurs font preuve d’attentisme face à l’arrivée prochaine de nouvelles plateformes et casques de réalité virtuelle, annoncés depuis quelques mois pour certains et confirmés pour d’autres lors de l’E3 [le plus grand salon américain consacré à l’industrie du jeu vidéo, ndlr] », a ajouté celui qui est par ailleurs directeur de la division grand public de Microsoft France. L’Electronic Entertainment Expo (E3), a en effet donné le la à cette industrie mondiale du jeu vidéo, mi-juin dernier à Los Angeles. Tandis que fin juin de tenaient en France fin juin à Juanles- Pins les rencontres professionnelles « vidéoludiques », avec l’Interactive and Digital Entertainment Festival (IDEF) organisées par le Sell, en attendant pour le grand public le Paris Games Week qui se tiendra du 27 au 31 octobre prochain à Paris (Porte de Versailles). Face à l’accélération des nouveautés annoncées, aux promesses de la réalité virtuelle (RV) ou de la réalité augmentée (RA), à la montée en charge du e-sport, et aux jeux vidéo attendus en fin d’année, les adeptes des jeux vidéo sont quelque peu prudents dans leurs décision d’achat. Résultat : le marché français du jeu vidéo se retrouve avec une croissance modérée, où l’engouement se le dispute à l’attentisme. « Le jeu vidéo est plus que jamais à la croisée des chemins entre bien culturel et bien technologique », estime Jean-Claude Ghinozzi. Depuis que Facebook a racheté le fabricant de casque Oculus Rift et s’est associé avec Samsung pour produire le Gear VR, compatible avec les smartphones, depuis que Google, Microsoft, Sony ou encore HTC, veulent intégrer la réalité virtuelle dans leur strastratégie, le marché mondial du jeu vidéo est en pleine mutation technologique. Les studios de développement de jeux vidéo sont à pied d’oeuvre : de nouveaux titres sont créés pour les casques Oculus Rift, Samsung Galaxy Gear VR, Playstation VR ou encore HTC Vive. Il existe déjà quelque 70 jeux de réalité virtuelle développés pour Oculus et une trentaine d’autres seraient prévus pour être disponibles au moment où les manettes de ce casque seront lancées, c’est-à-dire en d’ici la fin de l’année. La Playstation VR de Sony, qui sera disponible mi-octobre (a priori le 13) avec la promesse d’une cinquantaine de jeux de réalité virtuelle disponibles, sera compatible avec la PlayStation 4 (PS4), laquelle est actuellement la numéro une des consoles de jeux dans le monde (40 millions d’unités vendues depuis son lancement fin 2013). Cette plateforme « ludo-virtuelle » (ex-projet « Morpheus »), du fabricant japonais et leader du marché est emblématique de la mutation technologique de l’industrie du Dixième Art. Car, comme l’a expliqué Andrew House, président de Sony Interactive Entertainment, lors de la grand-messe E3 de juin, la Playstation VR n’est plus seulement une console de jeux vidéo mais devient en plus « un vrai nouveau medium » capable de donner accès à un large catalogue de télévision et de cinéma.
La neuvième génération de consoles de jeux vidéo, laquelle devrait succéder vers 2020 à l’actuelle huitième génération (composée de la Nintendo 3DS sortie en 2011, de la PS Vita en 2012, de la Nintendo Wii U en 2012, de la Xbox One en 2013 ou encore de la PS4 en 2013), pourrait faire la part belle à la RV et/ou la RA.

Développement et alliances
Pour l’heure, la société américaine Valve, éditrice de la plateforme de vente de jeux
en ligne Steam, a par exemple orienté un tiers de ses développeurs sur de la réalité virtuelle. Le développeur de jeux vidéos suédois Starbreeze s’est, lui, associé au fabricant taïwanais Acer dans une société commune afin de commercialiser le casque de réalité virtuelle StarVR. Starbreeze avait acquis la start-up française Infinite Eye.
« Une nouvelle histoire s’écrit avec l’arrivée de la réalité virtuelle qui offre aux développeurs de nouvelles possibilités pour repousser toujours plus les limites de leur créativité », a souligné le président du Sell.
Selon un sondage Toluna réalisé pour le magazine LSA sur la réalité virtuelle, 89,8 % des Français ont entendu parler de réalité virtuelle, mais à peine plus de la moitié ont une idée précise de son contenu. Cette notoriété est encore plus marquée chez les utilisateurs de jeux vidéo (93,7 %), mais là encore sans contenu imprécis : 57,3 % d’entre eux seulement déclarent savoir ce que l’expression recouvre. Et 86,3 % des joueurs sur console ont envi d’essayer ou l’ont déjà fait. Mais cette innovation intrigue aussi les non-joueurs (console, mobile ou PC) qui sont 45,1 % à vouloir aussi la tester.

RV : 5,1 Mds$ cette année dans le monde
Cette large attraction explique que les autres loisirs/spectacles arrivent à égalité avec les jeux vidéo dans les utilisations envisagées. « Ces casques et lunettes pourraient ne pas être seulement des accessoires de jeu vidéo si le contenu est à la hauteur des attentes dans les autres loisirs et activités culturelles », relève Toluna. Parmi les nombreux dispositifs de casque et lunettes déjà sur le marché ou en cours de lancement, deux casques retiennent l’attention des consommateurs : Gear VR de Samsung (24,7 %) et Playstation VR de Sony (23,6 %). Viennent ensuite HoloLens de Microsoft (13,1 %), Zeiss VR (11,8 %) et le fameux Oculus Rift en 5e position (9 %). Mais ce sondage fait apparaître de nombreux freins à la RV : la fatigue visuelle (53,8 %), le prix (45,6 %), les maux de tête (39,5 %), lesquels peuvent aller jusqu’à provoquer des vomissements…, ainsi que la coupure avec le monde réel (28,2 %). Côté prévision, la société d’analyse TrendForce a estimé que le marché mondial de la réalité virtuelle devrait atteindre 5,1 milliards de dollars cette année puis doubler l’an prochain à 10,9 milliards. « D’ici cinq ans, on peut parier sur le fait que chaque foyer sera équipé d’au moins un dispositif de visualisation en réalité virtuelle. D’autant que les secteurs du jeu vidéo et de l’audiovisuel, de façon plus générale, s’emparent massivement de cette technologie. On est à un moment charnière », avait prédit Laurent Chrétien, directeur de Laval Virtual, le salon de la réalité virtuel en France, lequel s’est tenu à Laval en mars dernier.
Pour l’heure, le dynamisme de l’industrie des jeux vidéo est porté par l’écosystème des consoles qui représente à lui seul 60 % du chiffre d’affaires global du marché français (voir schéma ci-contre). Rien qu’au premier semestre 2016, cet écosystème « con-soles » progresse en France de 0,4% à 690 millions d’euros, d’après les derniers chiffres Sell/GfK. Quant à l’écosystème des ordinateurs (appelé « Gaming PC »), il représente 30 % du chiffre d’affaires des jeux vidéo en croissance de 11,4 % sur les même six mois de cette année à 338 millions d’euros. « Ce segment est porté par les innovations constantes sur le hardware et les accessoires, ainsi que par la tendance de l’e-sport », explique le Sell (1). L’e-sport est en effet l’autre nouvelle tendance du jeu vidéo.
Désormais reconnu par les pouvoirs publics en France, l’esport – ou sport électronique – désigne l’ensemble des pratiques compétitives ayant pour moyen de confrontation, de performance et de dépassement de soi, un support numérique, et en l’occurrence un jeu vidéo. Cette pratique vidéoludique dépasse aujourd’hui la sphère du gaming : elle entre dans les stades, se montre à la télévision et forge des cyberathlètes – véritables idoles de la génération numérique. Yahoo a lancé début mars une plateforme en ligne Esports ; YouTube Gaming avait de son côté été lancé mi-2015 sur les traces d’Amazon, lequel avait acquis Twitch en 2014 ; TF1 a pour la première fois organisé un tournoi d’e-sport, dont la finale fut diffusée en direct sur sa chaîne digitale MyTF1 Xtra (2). Le Sell a été moteur dans la reconnaissance de cette discipline sportive depuis l’an dernier, dans le cadre de la loi « Pour une République numérique ».
Le Premier ministre a même lancé en début d’année une mission parlementaire sur l’e-sport (3), laquelle a abouti en mai au Sénat à la reconnaissance officielle de l’e-sport et des joueurs professionnels. Parallèlement, l’association « France eSports » a été créée fin avril 2016 par Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique, avec dix membres fondateurs, parmi lesquels l’on retrouve le Sell, le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) ou encore Webedia du groupe Fimalac (4). Entre réalité virtuelle et sport électronique, l’industrie du jeu vidéo ne sait plus où donner de la tête. @

Charles de Laubier

Pourquoi Molotov.tv n’est pas (encore) le cocktail révolutionnaire qu’il prétend être pour la télé

Molotov.tv, le bouquet de chaînes en ligne lancé le 11 juillet dernier par Jean-David Blanc et Pierre Lescure, s’est offert une belle couverture médiatique.
Mais il reste à cette « télévision réinventée » à tenir ses promesses – comme
sur l’enregistrement numérique et la disponibilité multi-terminaux.

Bookmarks. Tel est le nom de la fonction d’enregistrement promise par le nouveau service en ligne lancé cet été par Jean-David Blanc (ex-fondateur d’Allociné), Pierre Lescure (ex- PDG de Canal+), Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers
(ex-Allociné). Molotov.tv en avait fait une fonctionnalité-phare, permettant aux internautes d’enregistrer dans un service de
cloud personnel les programmes de télévision de la grille qu’ils
ne pouvaient voir lors de leur passage à l’antenne. Contacté par Edition Multimédi@, Jean-David Blanc (photo) nous a assuré
que Bookmarks sera disponible « dans le courant de l’été ». Pourtant, le nouveau site de télé qui promettait d’« enregistrer en un clic » affirme que « cette fonctionnalité sera opérationnelle dès l’entrée en vigueur de la loi Création votée le 29 juin dernier » : l’indication était toujours affichée en juillet ! Or cette loi (1) a été promulguée au Journal Officiel le 8 juillet et… toujours rien chez Molotov. Les télénautes doivent encore patienter malgré la promesse séduisante : « D’un clic, “Bookmarkez” les programmes que vous aimez, et ils seront enregistrés. Retrouvez-les à chaque fois que vous vous connectez, disponibles pour vous aussi longtemps que vous le voulez. Impossible désormais de rater un épisode de votre série préférée ».

Toutes les chaînes de télévision ne signeront pas de convention avec Molotov
C’est que pour proposer en ligne un stockage audiovisuel à distance et pour un usage privé, la loi Création impose que le distributeur dispose d’« une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision » qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». C’est là que le bât blesse : toutes les chaînes ne sont pas disposées, loin s’en faut, à faire le grand saut dans le Cloud TV. TF1, M6 et Canal+ sont parmi les chaînes les plus méfiantes vis-à-vis de ce nouvel univers délinéarisé par un tiers, en particulier envers non seulement la fonction d’enregistrement numérique, mais aussi la mise à disposition de leurs programmes
en replay (rattrapage). Les dirigeants de Molotov.tv se sont finalement résolus à lancer leur service sans attendre que les négociations aboutissent avec certains éditeurs de chaînes encore hésitants, lesquelles pourront toujours par la suite saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de tout différend – ou casus belli – concernant la conclusion ou l’exécution de la convention en question.

« Amendement Lescure » et copie privée
« Molotov révolutionne la façon dont on accède à la télévision. Avec 35 chaînes dans sa version gratuite, et plus de 70 dans sa version étendue pour moins de 10 euros par mois, vous regarderez la télévision d’une façon radicalement nouvelle, intelligente, et intuitive », est-il expliqué. Mais pas de Canal+, malgré la « caution » Pierre Lescure (2), ni de BeIn Sport. Pas sûr que les négociations estivales aboutissent favorablement pour la rentrée de septembre. Bien avant Molotov, d’autres projets de ce type ont essuyé les plâtres face aux réticences des chaînes : Playtv.fr de Play Media (que France Télévisions a fait lourdement condamné en appel début 2016), Myskreen.com (liquidé en 2015), … Cette fois, s’agit-il d’un passage en force de la part de Molotov ? La fonction enregistrement de Molotov.tv partait pourtant dans de bonnes conditions réglementaires, puisque – grâce à un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes – la loi Création a prévu que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision (ou de radio) d’origine linéaire (3). Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition de l’article 15 de la loi Création permet à l’entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée (dans un cercle restreint ou familial).

Autrement dit : Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme Copie France la redevance, en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans avoir besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de la TNT. La société devra ainsi s’acquitter de la taxe « copie privée » en fonction non seulement du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, mais aussi des capacités de stockage mises à disposition de chacun. « Elle [la taxe “copie privée”] est intégrée dans nos coûts, de même que la bande passante, les serveurs, la clim, l’électricité, le chauffage, etc », nous précise Jean-David Blanc. Exemple : si le télénaute bénéficie de 500 Gigaoctets (Go) avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Mais force est de reconnaître que, pour l’heure, la commission « copie privée » chargée d’établir les barèmes des taxes applicables aux supports de stockages (DVD, clé USB, disque dur externe, smartphone, tablette, etc) n’a pas encore décidé ceux du cloud (la loi Création venant tout juste d’être promulguée). Mais tout incite Molotov à provisionner les sommes qui seront dues le moment venu, sachant que les 45 euros – assimilables actuellement aux « mémoires
et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels) » dans la nomenclature de la commission « copie privée » – pourront être amortis sur plusieurs années si l’abonné reste fidèle au service… De quoi lisser l’impact de la taxe « copie privée » pour ce service freemium. Molotov.tv brassera environ 20.000 programmes télé par mois, en live ou en replay : une sorte de « Netflix de la télévision », avec recommandation et personnalisation s’appuyant dans les coulisses sur des méta-données, des algorithmes, des cookies et des filtres de recherche. De quoi passer du zapping fastidieux à un zapping intelligent. Depuis son lancement le
11 juillet, Molotov.tv est une application téléchargeable à partir d’un ordinateur (PC
ou Mac), de la tablette iPad et de l’Apple TV – en attendant pour « bientôt » l’iPhone, Android de Google (pour smartphones et tablettes), les téléviseurs connectés de LG
et de Samsung. Donc, pas d’appli mobile lors du lancement… En dehors de la France, l’appli TV sera lancée dans six autres pays européens et, avec la bienveillance d’Apple, aux Etats- Unis – sous la responsabilité de Jean-Pierre Paoli, exdirecteur du développement international de TF1, de Canal+ et d’Eurosport.
Cette start-up, créée il y a près de deux ans maintenant (en octobre 2014), compte dans son tour de table – 10 millions d’euros en première levée – le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère) et des business angels (Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, Steve Rosenblum).

Seconde levée de fonds en vue
La seconde levée de fonds devrait porter cette fois sur 100 millions d’euros. « Nous communiquerons à la rentrée », nous indique Jean-David Blanc. Face à cette ambitieuse offre OTT (Over-The-Top), les chaînes ne sont pas les seules à hésiter à
lui confier le live, le replay et la relation client. Les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se demandent en tant que FAI (4) si Molotov n’est pas un cocktail lancé contre leurs « box », lesquelles sont en situation d’oligopole avec l’accès triple play incluant bouquet de chaînes, télévision de rattrapage et VOD. @

Charles de Laubier

Olivier Huart, PDG de TDF, craint un « tsunami pour la télévision » et appelle les chaînes à jouer collectif

A la tête de TDF depuis maintenant plus de six ans, Olivier Huart a lancé le 14 juin dernier un appel à l’union aux éditeurs de chaînes de télévision afin de lancer en France une plateforme numérique commune – sur le modèle de Freeview en Grande-Bretagne, où toutes les chaînes sont accessibles.

« Pour la télévision de demain, il faut penser collectif – esprit collectif. Mon appel, je l’adresse à tous les acteurs de la télévision (…) : unissez-vous, unissons-nous. C’est comme ça que la vague du numérique ne se transformera pas en tsunami pour la télévision », a lancé le 14 juin Olivier Huard, le PDG de TDF (1). « La télévision de demain nécessite de basculer vers
un monde multipolaire, beaucoup plus hybride pour intégrer la TNT au cœur de l’écosystème digital. (…) Ce monde multipolaire impose également de travailler de manière beaucoup plus collaborative. Les chaînes seront encore puissantes dans vingt ans. Mais à une condition : qu’elles joignent leurs forces pour faire le saut numérique », a-t-il prévenu.

Plateforme TV commune en France ?
Le patron de TDF, qui intervenait à l’occasion d’une conférence organisée par l’institut Idate (2), a pris en exemple la plateforme TNT Freeview en Grande-Bretagne, qui, forte de ses 60 chaînes et jusqu’à 15 chaînes HD diffusées par voie hertzienne, a lancé en octobre 2015 « Freeview Play », un guide de programme en ligne permettant de voir et revoir en télévision de rattrapage (replay) tous les programmes. Et ce, gratuitement et dans un délai de sept jours, pour peu que le téléviseur ou le magnétoscope numérique soient connectés à Internet. Pour Olivier Huart, il est temps de lancer une telle plateforme TNT-replay en France. D’où son appel aux éditeurs de la télévision français, TF1, M6, France Télévisions, Canal+ et aux autres chaînes de la TNT qui en compte au total 26 gratuites. « Le modèle Freeview est très inspirant et répond à bon nombre de nos défis actuels. Freeview est une sorte de grand magasin, comme les Galeries Lafayette avec des corneurs de marques, qui vous permet d’accéder depuis un même endroit à l’ensemble des chaînes : Sky, ITV, BBC, Channel 4 et le TDF anglais Arqiva ont construit ensemble cette plateforme. Chaque chaîne garde sa marque, son style, son indépendance, son âme, dans une maison technologique commune », a-t-il expliqué. Et d’insister, avant de laisser sa place à Gilles Pélisson, PDG du groupe TF1 : « Cela concerne tout le secteur de la télévision. Et c’est cet appel que je lance pour qu’en France nous arrivions aussi à construire une plateforme similaire technologique. (…) L’immobilisme tue. L’avenir est quelque chose qui se surmonte (Bernanos). On ne suit pas l’avenir ; on le fait : alors y a plus qu’à… ».

TDF se verrait bien en fédérateur des chaînes françaises pour déployer une telle offre groupée. Par le passé, les discussions entre les chaînes privées autour d’un projet commun de télévision de rattrapage avaient abouti à une impasse. En 2009, M6, TF1
et Canal+ avaient en effet entamé des pourparlers en vue de se mettre d’accord pour le lancement d’une plateforme commune de replay. Mais ce fut sans lendemain. En mars 2013, M6 avait encore écarté toute plateforme commune avec les deux autres groupes privés de télévision (3). Pourtant, trois mois avant, il s’était montré ouvert à un partenariat SVOD avec TF1, dont le patron Nonce Paolini – le prédécesseur de Gilles Pélisson – nous avait dit que c’était « une idée intéressante ». En février 2014, Jean-François Mulliez, à l’époque directeur délégué de e-TF1, s’était dit en faveur d’un
« Hulu à la française ». De leur côté, des producteurs et des ayants droits du cinéma français avaient songé en 2013 à une plateforme commune de VOD/SVOD qui leur permettrait de maîtriser la diffusion des films en streaming à la manière d’Hulu (4) ou d’Epix (5). Pour l’heure, il n’existe qu’Universciné qui regroupe 30 à 40 producteurs (6). A noté que par ailleurs, la président de France Télévision, Delphine Ernotte, réfléchie depuis l’an dernier à un « Google de la création française » (sic), une plateforme audiovisuelle en ligne qui pourrait être lancée en 2017. « France Télévisions (…) et l’INA qui dispose de sa plateforme de SVOD devront être les moteurs de cette initiative. Mais elle sera ouverte à tous les autres diffuseurs privés. Ainsi, les Français auront un accès illimité et permanent à la création française, sur un modèle mixte payant et gratuit. Ce sera un véritable concurrent des Netflix, YouTube ou Amazon », avait-elle expliqué le 28 octobre dernier dans Le Figaro (7).

Fédérer les chaînes 4K sur un canal TNT
Dans l’immédiat, TDF voit dans l’ultra haute définition 4K une occasion d’unir les chaînes autour d’une même plateforme commune. « Sur ce sujet aussi, il serait bon
de s’unir. Nous travaillons chez TDF à un modèle d’”agrégateur 4K”. Le principe en
est simple : offrir un canal TNT dédié totalement au 4K en additionnant les contenus produits par les différentes chaînes. Cette initiative collective traduit bien les voie possibles pour que les chaînes construisent ensemble la télévision de demain ».
A suivre. @

Charles de Laubier