Les fréquences de la TNT en Europe iront aux télécoms après 2031, mais la France résiste

Les « fréquences en or » actuellement utilisées par la TNT ont l’assurance d’être affectées à l’audiovisuel jusqu’en 2031. Ensuite, la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) pourrait les allouer à la 5G/6G. La France, elle, va (ré)attribuer des autorisations TNT en 2025.

C’est à la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) que l’Union européenne sera fixée sur le sort qui sera réservé aux fréquences de la banque 470-694 Mhz dans la « Région 1 », regroupant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ces fréquences – dites historiquement UHF (1) – sont actuellement aux mains de l’audiovisuel, en l’occurrence de la télévision numérique terrestre (TNT), ou Digital Terrestrial Television (DTT) en anglais. Il est plus que probable qu’après 2031 elles tombent dans l’escarcelle des télécoms qui demandent plus de spectre pour les déploiements de la 5G, y compris la 5G Broadcast (2), et de la future 6G (3).

Europe : la bande UHF destinée aux télécoms
« Dans la “région 1”, à savoir l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, il y a des pays comme la France qui utilisent massivement la bande UHF [470-694 Mhz, ndlr] pour la diffusion de la TNT, a expliqué Gilles Brégant (photo), directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), lors d’un colloque sur l’avenir de la TNT le 14 novembre dernier à Paris. Mais beaucoup d’autres pays cette région n’ont plus de télévision hertzienne de façon significative, comme la Suisse, l’Allemagne, des pays du Golf [persique] ou encore des pays africains. Ces derniers veulent développer de la téléphonie mobile dans cette bande de fréquences, mais aussi des réseaux de sécurité ou des systèmes de défense » (4).
En France, l’Arcom a lancé le 28 février et jusqu’en mai l’appel aux candidatures pour l’attribution de quinze fréquences pour la diffusion de chaînes de la TNT nationale (5). Mais pourquoi attribuer en 2025 quinze fréquences de la TNT – via des autorisations sur 10 ans assorties de conventions – si ce mode de diffusion numérique par voie hertzienne est voué à être remis en question par les instances internationales de gestion du spectre ?

Le fonds d’investissement américain KKR étend son emprise sur les TMT, jusqu’en Europe

KKR, un des plus grands capital-investisseurs au monde, n’a jamais été aussi insatiable jusque dans les télécoms, les médias et les technologies. Le méga-fonds américain, où Xavier Niel est un des administrateurs, veut s’emparer du réseau de Telecom Italia. Son portefeuille est tentaculaire.

Fondé en 1976 par Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR & Co n’en finit pas de gonfler. Le mégafonds d’investissement américain gère un portefeuille de 690 placements en capital-investissement dans des sociétés dans le monde entier, pour plus de 700 milliards de dollars au 31 décembre 2022. Au 30 juin 2023, ses actifs sous gestion (AUM (1)) et ses actifs sous gestion à honoraires (FPAUM (2)) s’élevaient respectivement à 518,5 milliards de dollars et à 419,9 milliards de dollars.

Xavier Niel, administrateur de KKR
Les deux co-présidents exécutifs du conseil d’administration de KKR sont deux des trois cofondateurs, Henry Kravis (79 ans, photo) et George Roberts (80 ans), le troisième cofondateur – Jerome Kohlberg – étant décédé (en 2015 à 90 ans). Ils sont épaulés par deux co-directeurs généraux que sont Joseph Bae et Scott Nuttall, eux aussi membres du conseil d’administration qui compte au total quatorze administrateurs (Board of Directors). Parmi eux : un seul Européen, en l’occurrence un Français : Xavier Niel depuis mars 2018, fondateur et président du conseil d’administration d’Iliad, maison mère de Free (3). La dernière opération en date engagée par KKR, en Europe justement, concerne TIM (ex-Telecom Italia).
Le 16 octobre, l’opérateur historique italien a annoncé qu’il a reçu ce jour-là « une offre ferme » pour son réseau fixe de la part de la firme new-yorkaise qui souhaite s’en emparer depuis longtemps. Le montant de cette offre n’a pas été divulgué, mais il serait bien inférieur aux 30 milliards d’euros qu’en espérait le premier actionnaire de TIM, le français Vivendi (23,75 %). Le groupe de Vincent Bolloré se dit prêt à saisir la justice (4). L’ex-Telecom Italia précise que l’offre de KKR porte sur son réseau fixe, « y compris FiberCop », filiale qui gère une partie de l’infrastructure réseau (derniers kilomètres du cuivre et une portion du réseau de fibre) et qui est déjà détenue à hauteur de 37.5 % de son capital par KKR depuis avril 2021 (5).

Cybermenaces : bombe électronique à retardement

En fait. Le 14 octobre se terminent à Monaco les 23e Assises de la cybersécurité qui se sont tenues sur quatre jours. Les cyber-risques n’augurent rien de bon, tant les cyberattaques n’ont jamais été aussi redoutables avec le renfort de l’intelligence artificielle et maintenant de l’informatique quantique.

En clair. Sauve qui peut. Les responsables de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) des entreprises et administrations, et leurs dirigeants, ont du souci à se faire. Jamais les cybermenaces et les cyberattaques n’ont été aussi fortes et nombreuses dans le monde. Internet devient le premier théâtre des opérations de la criminalité, de la guerre et de l’ingérence étrangère, tant économique que géopolitique. Cybersécurité et cyberdéfense n’y suffiront pas.
Aux 23es Assises de la cybersécurité (1), à Monaco, les quelque 5.000 visiteurs – Chief Information Security Officer (Ciso) en tête – auraient préféré ne pas verser dans le catastrophisme ni dans les théories du cybercomplot. Hélas, les prévisions sont plus que jamais alarmistes. Steve Morgan, fondateur de la société d’études américaine Cybersecurity Ventures, le confirme à Edition Multimédi@ : « Depuis trois ans, nos prévisions n’ont pas changé. Les coûts mondiaux des dommages liés à la cybercriminalité augmentent de 15 % par an et atteindront 10.500 milliards de dollars en 2025, contre 8.000 milliards de dollars en 2023. C’était 3.000 milliards de dollars en 2015 » (2).

Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ». Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Services d’intérêt économique général Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ». Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France (1)). « Les communs numériques sont de formidables moteurs d’innovation, de transparence et de souveraineté. (…) Ils permettent de décentraliser les systèmes, lutter contre les cyberattaques et renforcer l’accès des citoyens aux données publiques », a souligné Mireille Clapot. Les communs numériques d’aujourd’hui sont nés avec les pionniers du Web, le World Wide Web créé en 1989 étant un commun historique de liens hypertextes donnant accès gratuitement à une mine d’informations. La gratuité sur Internet s’est d’ailleurs vite confrontée à ce que certains appellent « la tragédie des communs », à savoir que cette gratuité promise par le numérique s’arrête là où la marchandisation, le droit d’auteur (2) ou encore les développements propriétaires commencent. Le CNSP s’inspire des quatre propositions-clés formulées par un rapport européen initié par l’Ambassadeur pour le numérique, Henri Verdier, et rendu en juin 2022 à l’occasion de l’Assemblée numérique organisée lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ce rapport intitulé « Vers une infrastructure numérique souveraine des biens communs » (3) et élaboré par dix-neuf Etats européens, dont la France (4), préconise : la création d’un guichet unique européen pour orienter les communautés vers les financements et aides publiques adéquats ; le lancement d’un appel à projet pour déployer rapidement une aide financière aux communs les plus stratégiques ; la création d’une fondation européenne pour les communs numériques, avec une gouvernance partagée entre les États, la Commission européenne et les communautés des communs numériques ; la mise en place du principe « communs numériques par défaut » dans le développement des outils numériques des administrations publiques. « Cependant, sans changement culturel sur la compréhension de la valeur ajoutée des communs, leur durabilité est menacée par un manque d’utilisation et de contribution », ont alerté les auteurs du rapport qui font référence à la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques (5). La CSNP pourrait aller plus loin en préconisant, nous indique Jeanne Bretécher, d’inscrire les communs (notamment numériques) dans le concept européen de « services d’intérêt économique général » (SIEG) en vue de bénéficier d’aides publiques. Commun numérique et réseau commun ? Concernant cette fois l’avis sur les télécoms attendu aussi en septembre, le CSNP indique à Edition Multimédi@ qu’il n’évoquera pas les communs numériques. Ce que certains pourront regretter. Les conclusions du député Xavier Batut porteront sur le rôle de l’Arcep – dont l’ancien président Sébastien Soriano prônait les communs numériques dans les télécoms (6) –, la mutualisation, la péréquation ou encore l’Ifer (7). Nous y reviendrons. @

Charles de Laubier

Pourquoi Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone lancent leur adtech Utiq en Europe

Lancée le 10 février après avoir obtenu le même jour le feu vert de la Commission européenne qui n’y voit « aucun problème de concurrence », la co-entreprise Utiq d’Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone cherche à obtenir le consentement publicitaire des mobinautes. Les cookies sont morts, vive l’identifiant mobile ? Les géants du Net avaient imposé le dépôt de cookies publicitaires sur les terminaux pour traquer les internautes sur le Web et les mobiles. Des opérateurs télécoms pensent avoir trouvé l’alternative aux cookies, voués à disparaître, avec un identifiant numérique associé à l’adresse IP de chaque mobinaute (mais pas à sa carte SIM). Le consentement préalable et obligatoire des utilisateurs, avant de leur envoyer des publicités ciblées, sera recueilli par les opérateurs télécoms. Identifiant mobile publicitaire Basée en Belgique, à Bruxelles, la coentreprise Utiq – détenue à parts égales (25 % du capital) par ses cofondateurs Deutsche Telekom, Orange, Telefónica et Vodafone (initiateur du projet) – veut être un tiers de confiance dans la publicité numérique en Europe. La plateforme Utiq, ouverte « à tous les autres opérateurs télécoms européens », se veut aussi exemplaire dans la protection des données, au regard de la législation applicable par les Vingt-sept à travers le règlement général RGPD et la directive ePrivacy. L’adtech des « telcos » permet d’obtenir ou pas de chaque abonné son consentement explicite (opt-in), condition sine qua non pour les marques de faire de la publicité ciblée sur les sites web et dans les applications mobiles (in-app). Utiq sonne d’ailleurs « you » (vous) et « tick » (cocher). « La seule donnée partagée est un jeton numérique [token, ndlr] pseudo-anonymisé et non réversible. Les consommateurs sont libres de donner ou de refuser leur consentement en un seul clic, ainsi que de révoquer tout autre consentement préalablement donné », assure la coentreprise dirigée par Marc Bresseel (photo de gauche), un ancien IBMeur ayant passé ensuite quinze ans chez Microsoft Advertising, suivis de moins de deux ans chez Interpublic (IPG Mediabrands), quatrième groupe mondial de publicité. Après des tests menés sous son ex-nom « Trust PID » durant des mois en Allemagne (avec Axel Springer, RTL et IQ Digital) et en Espagne, Utiq a créé fin mai sa troisième filiale, cette fois en France, basée à Boulogne-Billancourt et dirigée par Sophie Poncin (photo de droite). Contactée par Edition Multimédi@, celle-ci nous indique avoir démissionné de chez Orange, où elle a passé quinze ans, notamment en tant que directrice déléguée d’Orange Advertising, après avoir été moins de deux ans chez Google, et après huit ans chez France Télévisions Publicité (1). Des tests en France avec des marques et des médias auront lieu en juillet et en septembre, avec Orange, Bouygues Telecom et SFR, en attendant Free. L’Italie et, en dehors de l’Union européenne, le RoyaumeUni ont aussi leur filiale Utiq. D’autres pays européens suivront à partir de 2024. « Utiq est une initiative paneuropéenne visant à accompagner notre secteur vers plus de responsabilité, par le biais d’un consentement qui soit volontaire, clair et informé », a déclaré Marc Bresseel le 6 juin. Interrogé sur une éventuelle introduction en Bourse, il nous répond : « Il n’y a aucun plan en ce moment de faire une IPO [Initial Public Offering]. Il faut vraiment lancer le service, l’étendre au reste de l’Europe. Après, les actionnaires décideront de la stratégie d’investissement ». Cette « solution mutualisée multi-opérateurs de publicité digitale et de marketing digital » permet aux « telcos » de tenter de reprendre la main sur le marché de la publicité numérique dominé par Google et Facebook. Utiq a noué un partenariat européen exclusif avec la société danoise Adform, spécialiste de la publicité programmatique. Il s’agit d’une plateforme d’intermédiation publicitaire dite DSP (Demand Side Platform) pour l’achat d’espaces publicitaires par les annonceurs et agences de publicité (2). « Les annonceurs peuvent désormais s’engager sereinement dans une stratégie cookieless [sans cookies tiers, ndlr], tout en ayant la certitude de bénéficier des normes européennes les plus rigoureuses en matière de gestion du consentement et de traitement des données personnelles », explique Alexandra Jarry-Bourne, vice-présidente chez Adform. Reste convaincre les médias en ligne Pour l’heure, l’accueil d’Utiq de la part d’éditeurs et de médias semble plutôt timoré, comme l’a révélé mi-juin Le JDNet. Certains sont « sceptiques » sur le double opt-in (consentement Utiq avec logo de l’opérateur télécoms, puis consentement de l’éditeur si ce n’est pas déjà fait). « Cela va augmenter mon taux de rebond [visiteurs quittant aussitôt le site web, ndlr] », craint un acteur sous couvert d’anonymat. Un autre se demande pourquoi une exclusivité avec une seule plateforme d’achat d’espace (Adform). Audelà de l’« opacité » (3), une inconnue demeure : quelle commission vont prendre les opérateurs télécoms ? Sophie Poncin a tenté de rassurer (4), sans donner de tarifs, ni à Edition Multimédi@. @

Charles de Laubier