Deux ans après la nomination de Christel Heydemann à la tête du groupe Orange, l’heure est au premier bilan

Il y a un an, Christel Heydemann présentait son plan stratégique à horizon 2025 baptisé « Lead the future », en tant que directrice générale du groupe Orange – poste auquel elle a été nommée il y a deux ans. Malgré une rentabilité en hausse, la participation et l’intéressement pour les plus de 127.000 salariés déçoivent.

Orange reste très rentable, avec un bénéfice net de près de 3 milliards d’euros en 2023 – 2.892 millions d’euros précisément, en croissance de 10,5 % sur un an. Depuis l’annonce le 15 février de ses résultats financiers annuels, « en ligne avec le plan “Lead the Future” » que sa directrice générale Christel Heydemann (photo) a présenté il y a un an (1), le cours de l’action en Bourse a quelque peu frémi à la hausse (passant de 10,63 euros la veille à 10,90 euros le 20 février). Mais, depuis, le prix du titre n’a cessé de piquer du nez, à 10,51 euros au 7 mars.
Et la capitalisation boursière de ce groupe du CAC40 ne dépasse pas les 30 milliards d’euros (27,9 milliards au 08-03-24), alors qu’elle a connu des jours meilleurs par le passé (2). Le groupe au carré orange – et aux 127.109 salariés dans le monde (au 31-12- 23), dont 73.000 en France – a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,8 % sur un an, à 44,1 milliards d’euros. Christel Heydemann a envoyé à tous les employés d’Orange un e-mail pour les remercier « chaleureusement » de « [leur] professionnalisme et [leur] engagement de tous les instants ». Et ? « Très logiquement, les personnels du groupe en France s’attendent donc à bénéficier d’une participation et d’un intéressement correspondant aux succès annoncés. Il n’en est rien. Tout au contraire, la participation et l’intéressement qui seront versés à chaque collaborateur en 2024 accusent une baisse moyenne de 10 %, une première chez Orange », regrette le premier syndicat de l’entreprise, CFE-CGC.

Les syndicats d’Orange mécontents
Cette baisse de 10 % en moyenne de la participation et de l’intéressement est à rapprocher de l’inflation – donc de la perte du pouvoir d’achat – qui a été d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022. « La claque ! », dénonce la Confédération générale des cadres (3), qui demande au conseil d’administration « la distribution d’un intéressement supplémentaire pour tous les personnels du groupe en France ». Cette déception du côté des personnels et des syndicats est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment où le gouvernement – le ministère de l’Economie et des Finances (Bercy) en tête – incite à plus de partage de la valeur dans les entreprises au profit de leurs salariés (4). « Au conseil d’administration d’Orange, les représentants de Bercy [l’Etat détenant près de 23 % du capital du groupe et près de 29 % des droits de vote, ndlr (5)] préfèrent maximiser le profit de l’Etat en proposant l’augmentation du dividende et non celle des salaires. Indigent ! », fustige de son côté le syndicat F3C CFDT. Les dividendes aux actionnaires augmentent, eux. La prochaine assemblée générale d’Orange, qui se tiendra le 22 mai prochain, statuera sur le versement d’un dividende de 0,72 euro par action payable en 2024, contre 0,70 euro l’année précédente. Soit une hausse de 2,85 %.

Plus aux actionnaires, moins aux salariés
« Le groupe atteint tous ses objectifs pour 2023 et confirme à horizon 2025 ses objectifs financiers », tels qu’ils avaient été présentés il y a un an par Christel Heydemann, Orange tablant maintenant pour l’exercice en cours sur un dividende encore en hausse à au moins 0,75 euro par action, payable en 2025. Contacté par Edition Multimédi@, Thierry Chatelier (photo ci-contre), administrateur représentant les salariés actionnaires d’Orange depuis juillet 2022, nous indique avoir voté « contre les 0,72 euro car le groupe, une fois le dividende payé, n’a quasiment plus de marges de manœuvres ». Il vient d’ailleurs d’être réélu le 9 février – avec Mireille Garcia comme suppléante – avec 55,07 % des voix (6). Mais le président du conseil d’administration d’Orange, Jacques Aschenbroich, tarde à prendre acte des résultats du vote pour proposer le tandem vainqueur au vote de l’assemblée générale des actionnaires d’Orange le 22 mai. Selon nos informations, le scrutin s’est déroulé « dans un climat délétère » et la question de sa légitimité sera posée lors du conseil d’administration du 27 mars.
Tandis que l’intéressement et la participation versés aux salariés du premier opérateur télécoms français baissent, eux, comme c’est le cas depuis 2015 : les montants concernant Orange France ont été communiqués en interne à l’occasion de la publication des résultats annuels. Le choix pour les salariés du placement des sommes est à faire depuis le 8 mars pour la participation et à partir du 4 avril pour l’intéressement. Pour l’exercice 2023, l’intéressement représente pour Orange France 4 % de la masse salariale, voire 5,2 % « si les objectifs sont dépassés ». En, en ce qui concerne la négociation annuelle obligatoire sur les salaires fixes (NAO), les syndicats pointent des « augmentations insuffisantes ». Ces négociations se poursuivent, alors que la direction d’Orange ne veut accorder qu’une augmentation collective de 2,8 %, loin des 4,8 % demandés par la CFDT. « L’amélioration des résultats financiers 2023 est équivalente à la compression de la rétribution des personnels », pointe la CFE-CGC. Et ce ne sont pas les primes éventuelles « primes Macron » (de partage de la valeur) qui changeront ce deux poids-deux mesures. Le plan stratégique « Lead the Future » de Christel Heydemann a un goût amer. Si les actionnaires d’Orange s’en tirent à bon compte au titre de l’année 2023, il n’en va donc pas de même pour les salariés qui n’ont pourtant pas démérités. « Grace à nos efforts sur les prix, la qualité de service et notre programme d’efficacité, les revenus et [le résultat brut d’exploitation] sont en progression de respectivement 1,8 % et 1,3 % [en 2023], avec une accélération continue tout au long de l’année », s’est félicitée la directrice générale le 15 février. Globalement, Orange a réalisé 300 millions d’euros d’économies à fin 2023, soit la moitié du plan (600 millions d’ici 2025), grâce notamment à une « réduction notable des effectifs » (temps partiel seniors, non-remplacement de départs, …).
L’opérateur télécoms historique continue de rationaliser son portefeuille, avec la cession d’OCS et d’Orange Studio à Canal+ (autorisée sous conditions fin janvier par l’Autorité de la concurrence) et celle d’Orange Bank à BNP Paribas (du moins en France et en Espagne). Tandis qu’Orange Business (ex-OBS) est en cours de transformation sur fond de plan social (presque 700 postes supprimés « sur la base du volontariat ») et de croissance externe (acquisition en décembre 2023 d’Expertime, société spécialisée dans les solutions Microsoft).
Mais c’est la France qui préoccupe le plus les syndicats d’Orange. Sur le marché domestique, l’opérateur numéro un a vu son chiffre d’affaires baisser de -1,4 % sur un an, à 17,7 milliards d’euros. « En dépit des annonces triomphantes aux marchés, les résultats de la France sont préoccupants. Le chiffre d’affaires est […] plombé par des pertes de part de marchés (en particulier sur le fixe), que les augmentations tarifaires intervenues courant 2023 ne compensent pas, tandis que le chiffre d’affaires wholesale (services aux opérateurs) poursuit son recul (-8,5 %) », relève la CFE-CGC. Et le syndicat majoritaire d’ajouter : « Les pertes de parts de marché en France sont inquiétantes, en particulier dans un contexte où la situation alarmante de SFR permet à Orange de récupérer une partie de ses abonnés. En Europe, des acteurs tels que Xavier Niel/Iliad ou Digi [nouvel entrant en Belgique, d’origine roumaine, ndlr] deviennent de sérieux rivaux pour Orange. Seuls les bons résultats en Afrique permettent de compenser les mauvais résultats des autres activités du groupe » (7).

A qui profite la cash machine Orange ?
Quant à l’endettement du groupe Orange, qui est principalement porté par la maison mère (Orange SA), il a augmenté de 6,7 % pour atteindre 27 milliards d’euros. Cela représente deux fois son résultat brut d’exploitation, ce ratio étant conforme au secteur des télécoms. Les salariés d’Orange peuvent en tout cas se féliciter d’avoir généré en 2023 un flux de trésorerie (cash-flow) de 3,6 milliards d’euros, en hausse de près de 20 % sur un an. Orange est une cash machine qui mériterait l’augmentation des salaires, de la participation et de l’intéressement. @

Charles de Laubier

Les fréquences de la TNT en Europe iront aux télécoms après 2031, mais la France résiste

Les « fréquences en or » actuellement utilisées par la TNT ont l’assurance d’être affectées à l’audiovisuel jusqu’en 2031. Ensuite, la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) pourrait les allouer à la 5G/6G. La France, elle, va (ré)attribuer des autorisations TNT en 2025.

C’est à la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) que l’Union européenne sera fixée sur le sort qui sera réservé aux fréquences de la banque 470-694 Mhz dans la « Région 1 », regroupant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ces fréquences – dites historiquement UHF (1) – sont actuellement aux mains de l’audiovisuel, en l’occurrence de la télévision numérique terrestre (TNT), ou Digital Terrestrial Television (DTT) en anglais. Il est plus que probable qu’après 2031 elles tombent dans l’escarcelle des télécoms qui demandent plus de spectre pour les déploiements de la 5G, y compris la 5G Broadcast (2), et de la future 6G (3).

Europe : la bande UHF destinée aux télécoms
« Dans la “région 1”, à savoir l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, il y a des pays comme la France qui utilisent massivement la bande UHF [470-694 Mhz, ndlr] pour la diffusion de la TNT, a expliqué Gilles Brégant (photo), directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), lors d’un colloque sur l’avenir de la TNT le 14 novembre dernier à Paris. Mais beaucoup d’autres pays cette région n’ont plus de télévision hertzienne de façon significative, comme la Suisse, l’Allemagne, des pays du Golf [persique] ou encore des pays africains. Ces derniers veulent développer de la téléphonie mobile dans cette bande de fréquences, mais aussi des réseaux de sécurité ou des systèmes de défense » (4).
En France, l’Arcom a lancé le 28 février et jusqu’en mai l’appel aux candidatures pour l’attribution de quinze fréquences pour la diffusion de chaînes de la TNT nationale (5). Mais pourquoi attribuer en 2025 quinze fréquences de la TNT – via des autorisations sur 10 ans assorties de conventions – si ce mode de diffusion numérique par voie hertzienne est voué à être remis en question par les instances internationales de gestion du spectre ? Lors de la Conférence mondiale des radiocommunications de 2023 (CMR-23), qui s’est tenue en novembre et décembre derniers à Dubaï, l’Union européenne a obtenu à nouveau la garantie jusqu’« au moins en 2030 » de pouvoir utiliser pour la TNT les fréquences de la bande très convoitée des 470-694 Mhz, surnommées parfois « fréquences en or ». Et ce, même si certains pays européens comme l’Allemagne pourront aussi l’utiliser de façon secondaire pour des réseaux mobiles, tandis que quelques pays du Moyen-Orient pourront y mettre, eux, de la téléphonie mobile de façon prioritaire. Bien que ces CMR se tiennent tous les quatre ans sous l’égide de l’Union internationale des télécommunications (UIT), laquelle dépend de l’ONU, l’Europe – via la CEPT (6) – a aussi eu l’assurance que ce « point 1.5 » concernant la bande UHF ne sera pas rediscuté durant la prochaine conférence de 2027 (CMR-27). En revanche, c’est à la conférence de 2031 (CMR-31) qu’une révision de ces attributions de spectre sera faite, sans doute au profit des télécoms et au détriment de l’audiovisuel. A moins que l’Europe n’obtienne plus de flexibilité.
Ce « au moins jusqu’en 2030 » pour la TNT est pour l’instant acquis pour l’Europe depuis la CMR-2015 – et de sa résolution 235 (7). L’Union européenne avait obtenu cette échéance, avant une éventuelle révisions, à la suite de deux rapports successifs remis en 2014 à la Commission européenne : celui de Pascal Lamy en septembre et celui du Radio Spectrum Policy Group (RSPG) – groupe d’experts des fréquences désignés par les Etats membres pour conseiller Bruxelles (8) – en novembre. Il s’en était suivi une décision du Parlement européen et du Conseil de l’UE datée du 17 mai 2017 sur l’utilisation de cette bande UHF au sein des Vingt-sept (Vingt-huit l’époque avec le Royaume-Uni). Celle-ci prévoyait que les Etats membres veillaient à la « disponibilité de la bande de fréquences 470-694 Mhz […] au moins jusqu’en 2030 pour la fourniture de services de radiodiffusion par voie terrestre, y compris de la télévision gratuite » (9). En France, cette décision européenne avait été entérinée en modifiant en 2015 la loi de 1986 sur la liberté de communication où l’on peut lire depuis que « la bande de fréquences radioélectriques 470-694 mégahertz reste affectée, au moins jusqu’au 31 décembre 2030, au Conseil supérieur de l’audiovisuel [devenu l’Arcom, ndlr] pour la diffusion de services de télévision par voie hertzienne terrestre » (10).

France : en 2023, la fibre a dépassé la TNT
Si les fréquences de la bande 470-694 Mhz restent en Europe prioritaires dans les textes « au moins jusqu’en 2030 » pour l’audiovisuel, mais pas pour les télécoms, elles sont en réalité garanties jusqu’à fin 2031 puisque la CMR-31 n’aura lieu qu’en novembre-décembre 2031. C’est toujours une année de gagnée pour la France, mais encore plus pour la Grèce, l’Italie, et l’Espagne qui utilisent beaucoup de fréquences UHF pour la télévision hertzienne. Il n’en reste pas moins qu’en France l’utilisation de la TNT est en chute libre depuis huit ans : -16,4 points pour atteindre en 2023 un taux de réception en TNT de seulement 41,3 %, au profit de la réception par Internet (IPTV) dont le taux progresse à 67,5 %. Ce qui fait d’Internet le premier mode d’accès à la télévision dans les foyers français grâce non seulement à l’ADSL/VDSL2 mais aussi à la fibre optique (FTTH), d’après le dernier Observatoire de l’équipement audiovisuel des foyers en France métropolitaine que l’Arcom a publié en décembre dernier (11).

Question d’harmonisation en Europe
C’est même au cours du premier semestre 2023 que le FTTH a dépassé la TNT pour recevoir les chaînes (voir graphique ci-dessous). Dans ce contexte technologique de l’audiovisuel, faut-il sauver le « soldat » TNT ? Quand bien même la TNT débute cette année en France la diffusion en ultra-haute définition – 4K (3.840 x 2.160 pixels) – en prévision des Jeux Olympiques de l’été prochain. C’est déjà le cas depuis le 23 janvier pour France 2 UHD et à partir du 10 juillet pour France 3 UHD (12). Qu’adviendra-t-il donc des fréquences dévolues actuellement à la TNT durant la prochaine décennie, c’est-à dire de 2031 à 2040 ? Le secteur des télécoms devrait s’en emparer pour les besoins de la 5G et de la 6G.
Si l’Europe a jusqu’à fin 2031 avant la remise en question de la TNT (DTT en anglais) sur les fréquences en or de l’UHF en-dessous des 700 Mhz, il n’en reste pas moins que l’audiovisuel n’aura plus sa place à terme sur cette bande. « De nombreux pays, dont la France, estimaient que l’attribution mobile dans la bande 700 Mhz conduirait à concentrer la radiodiffusion dans une bande plus étroite et qu’il était hors de question de la réduire encore plus », rappelle l’ANFR (13). C’est ainsi que la France et l’Europe ont apporté – après les deux dividendes numériques (bandes 700 Mhz et 800 Mhz délivrées par l’Arcep en respectivement 2015 et 2011) – des garanties de stabilité d’accès au spectre pour la télévision hertzienne terrestre dans la bande 470-694 Mhz. « Ces orientations ont en particulier permis à la filière audiovisuelle d’investir pour faire évoluer la plateforme [TNT]. Ce fut notamment le cas en France avec le passage au Mpeg-4, la généralisation de la haute définition et le maintien de la diversité des programmes », poursuit l’ANFR. Il est maintenant prévu, en 2025, que la Commission européenne présente un rapport d’étape au Parlement européen et au Conseil de l’UE. De même, l’an prochain également, le gouvernement français doit aussi présenter au Parlement un rapport d’étape qui sera établi par la DGMIC (14).
A l’instar des Etats-Unis qui utilisent déjà ces « fréquences en or » pour la téléphonie mobile, les pays du MoyenOrient ont déjà éteint leurs émetteurs de télévision hertzienne pour remettre les fréquences ainsi libérées aux opérateurs mobiles. La Suisse a fait de même pour ses multiplexes nationaux pour ne garder çà et là que de la TNT régionale. Autre exemple : la Finlande a décidé d’accélérer la migration de la télévision, de l’hertzien à d’autres plateformes numériques.
Après une décennie de débats passionnés (depuis la CMR15) et de discussion à n’en plus finir, le sort de la bande UHF (470-694 Mhz) est en passe d’être harmonisé dans la « Région 1 ». Et les télécoms sont en passe de l’emporter sur l’audiovisuel. Dans les Vingt-sept, il restera à résoudre des problèmes d’interférences (brouillages) aux frontières avec certains voisins européens. L’ERPG, qui conseille la Commission européenne sur le spectre des fréquences, a publié en octobre 2023 un avis sur « la stratégie relative à l’utilisation future de la bande de fréquences 470-694 Mhz au-delà de 2030 dans l’UE » (15) pour tendre vers cette harmonisation spectrale européenne au cours de la prochaine décennie. @

Charles de Laubier

Le fonds d’investissement américain KKR étend son emprise sur les TMT, jusqu’en Europe

KKR, un des plus grands capital-investisseurs au monde, n’a jamais été aussi insatiable jusque dans les télécoms, les médias et les technologies. Le méga-fonds américain, où Xavier Niel est un des administrateurs, veut s’emparer du réseau de Telecom Italia. Son portefeuille est tentaculaire. Fondé en 1976 par Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR & Co n’en finit pas de gonfler. Le mégafonds d’investissement américain gère un portefeuille de 690 placements en capital-investissement dans des sociétés dans le monde entier, pour plus de 700 milliards de dollars au 31 décembre 2022. Au 30 juin 2023, ses actifs sous gestion (AUM (1)) et ses actifs sous gestion à honoraires (FPAUM (2)) s’élevaient respectivement à 518,5 milliards de dollars et à 419,9 milliards de dollars. Xavier Niel, administrateur de KKR Les deux co-présidents exécutifs du conseil d’administration de KKR sont deux des trois cofondateurs, Henry Kravis (79 ans, photo) et George Roberts (80 ans), le troisième cofondateur – Jerome Kohlberg – étant décédé (en 2015 à 90 ans). Ils sont épaulés par deux co-directeurs généraux que sont Joseph Bae et Scott Nuttall, eux aussi membres du conseil d’administration qui compte au total quatorze administrateurs (Board of Directors). Parmi eux : un seul Européen, en l’occurrence un Français : Xavier Niel depuis mars 2018, fondateur et président du conseil d’administration d’Iliad, maison mère de Free (3). La dernière opération en date engagée par KKR, en Europe justement, concerne TIM (ex-Telecom Italia). Le 16 octobre, l’opérateur historique italien a annoncé qu’il a reçu ce jour-là « une offre ferme » pour son réseau fixe de la part de la firme new-yorkaise qui souhaite s’en emparer depuis longtemps. Le montant de cette offre n’a pas été divulgué, mais il serait bien inférieur aux 30 milliards d’euros qu’en espérait le premier actionnaire de TIM, le français Vivendi (23,75 %). Le groupe de Vincent Bolloré se dit prêt à saisir la justice (4). L’ex-Telecom Italia précise que l’offre de KKR porte sur son réseau fixe, « y compris FiberCop », filiale qui gère une partie de l’infrastructure réseau (derniers kilomètres du cuivre et une portion du réseau de fibre) et qui est déjà détenue à hauteur de 37.5 % de son capital par KKR depuis avril 2021 (5). L’offre du capital-investisseur expire le 8 novembre (6), « sous réserve de la possibilité de discuter des termes de nouvelles extensions jusqu’au 20 décembre prochain » (7). L’Etat italien, qui se dit ouvert à l’offre KKR en cours d’examen, détient 9,81 % de TIM (via la CDP) et s’attend à avoir 20 % de la société (Netco) opérant le réseau fixe convoité par KKR – selon un accord signé le 10 août entre le fonds américain et le ministère italien de l’Economie et des Finances (8). En outre, KKR a prévenu TIM qu’il allait faire « une offre ferme dans quatre à huit semaines » sur les actions détenues par l’ex-Telecom Italia dans Sparkle, sa filiale d’infrastructures optiques et de câbles-sous-marins. Selon Reuters, la valorisation combinée de Netco et de Sparkle atteindrait 23 milliards d’euros, dette comprise. Membre du conseil d’administration de KKR et président du conseil d’administration d’Iliad, la maison mère de Free étant présente en Italie depuis 2018, Xavier Niel suit ces grandes manœuvres de très près. Après avoir échoué en 2022 à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, il s’était positionné fin 2022 pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (9).Toujours dans les télécoms en Europe, KKR avait investi en 2006 dans l’opérateur danois TDC via le consortium NTC et en est complètement sorti en septembre 2013, en empochant une belle plus-value. En marge des télécoms européennes, cette fois dans le cloud, KKR – associé avec TowerBrook (fonds de George Soros) – a investi en 2016 dans le français OVH pour un total de 250 millions d’euros. Dans le logiciel aussi, KKR a investi en 2021 dans l’éditeur Körber, spécialisé dans la supply chain (10). Dans l’édition en Europe, le capital investisseur new-yorkais s’est intéressé en 2018 à Editis en faisant une offre de rachat sur le groupe espagnol Planeta qui détenait encore à l’époque le deuxième groupe français d’édition. Passé fin 2018 dans les mains de Vivendi (Bolloré), Editis avait été mis en vente en 2022. Xavier Niel faisait partie des prétendants au rachat, mais son offre faite avec un fonds non divulgué – probablement KKR – avait été jugée insuffisante par Vivendi qui a finalement cédé Editis au tchèque Daniel Kretinsky. Simon & Schuster, Singtel, FGS Global, … Parmi les nombreuses autres sociétés présentes dans le portefeuille multimilliardaire de KKR, citons sa dernière grosse acquisition aux Etats-Unis de la maison d’édition Simon & Schuster, cédée par Paramount en août pour plus de 1,6 milliard de dollars (11). Retour aux télécoms, mais cette fois à Singapour : KKR a injecté en septembre 800 millions de dollars dans Singtel Digital InfraCo, la filiale infrastructures réseaux de l’opérateur Singtel (12). Ou encore dans les relations publiques, KKR a investi 1,4 milliard de dollars en avril 2023 pour prendre 30 % de FGS Global (13), filiale du géant de la publicité WPP. @

Charles de Laubier

Cybermenaces : bombe électronique à retardement

En fait. Le 14 octobre se terminent à Monaco les 23e Assises de la cybersécurité qui se sont tenues sur quatre jours. Les cyber-risques n’augurent rien de bon, tant les cyberattaques n’ont jamais été aussi redoutables avec le renfort de l’intelligence artificielle et maintenant de l’informatique quantique. En clair. Sauve qui peut. Les responsables de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) des entreprises et administrations, et leurs dirigeants, ont du souci à se faire. Jamais les cybermenaces et les cyberattaques n’ont été aussi fortes et nombreuses dans le monde. Internet devient le premier théâtre des opérations de la criminalité, de la guerre et de l’ingérence étrangère, tant économique que géopolitique. Cybersécurité et cyberdéfense n’y suffiront pas. Aux 23es Assises de la cybersécurité (1), à Monaco, les quelque 5.000 visiteurs – Chief Information Security Officer (Ciso) en tête – auraient préféré ne pas verser dans le catastrophisme ni dans les théories du cybercomplot. Hélas, les prévisions sont plus que jamais alarmistes. Steve Morgan, fondateur de la société d’études américaine Cybersecurity Ventures, le confirme à Edition Multimédi@ : « Depuis trois ans, nos prévisions n’ont pas changé. Les coûts mondiaux des dommages liés à la cybercriminalité augmentent de 15 % par an et atteindront 10.500 milliards de dollars en 2025, contre 8.000 milliards de dollars en 2023. C’était 3.000 milliards de dollars en 2015 » (2). Rien que pour 2023, selon nos calculs, le cybercrime mondial pèse financièrement plus de deux fois et demie le PIB de la France, et plus de mille fois le PIB de la Principauté de Monaco où se tiennent chaque année ces Assises de la cybersécurité ! « Cadence des attaques, émergence des innovations [IA, quantique, deepfake, …, ndlr], rotations dans les équipes, profils des attaquants, environnement social et géopolitique, … : le RSSI est sous pression », a confirmé en session plénière (3) Sabrine Guihéneuf, présidente d’honneur 2023 de ces assises internationales, par ailleurs directrice de la cybersécurité et de la gouvernance IT du groupe français URW (4). Certains, comme chez l’électronicien Thales, s’attendent à « l’Apocalypse quantique ». D’autres, comme chez l’hypermarchant Carrefour, craignent les IA génératives dans le retail et le e-commerce. L’équipementier télécoms américain Cisco s’attend, lui, au pire durant les JO de 2024 à Paris. Se cyberdéfendre à armes égales contre les hackers du monde entier (cryptage et vol de données, rançongiciel, Dos/DDoS (5), hameçonnage, authentification frauduleuse, deepfake, etc.), supposent aux victimes potentielles de recourir elles aussi à l’IA et à la cryptographie quantique voire post-quantique. @

Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ». Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ». Services d’intérêt économique général Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France). « Les communs numériques sont Continuer la lecture