Le futur code européen des télécoms fait débat

En fait. Le 24 octobre, s’est tenu à Luxembourg le Conseil européen des ministres des télécoms. Le 10 octobre, la présidence estonienne de l’UE a
obtenu le mandat de négocier avec le Parlement européen le nouveau code
des communications électroniques « à l’ère de la 5G ». Les opérateurs mobile s’inquiètent.

Les trois « injustices fiscales » qui pénalisent les opérateurs télécoms, selon leur fédération

Créée il y a dix ans (septembre 2007), la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) fait de la fiscalité qu’elle juge « discriminatoire » envers les opérateurs un combat. Au moment où le projet de loi de Finances 2018 est débattu, revenons sur ces taxes qui profitent à la culture et aux collectivités.

Orange et SFR se tirent la bourre dans les contenus, au risque de créer un duopole néfaste en France

Ne parvenant pas à augmenter leur Arpu en raison de la guerre des prix accrue qu’ils se livrent depuis cinq ans, les opérateurs télécoms voient dans des contenus premiums des relais de croissance. Mais seuls Orange et SFR ont
de gros moyens, au risque d’engendrer un duopole. L’Arcep s’inquiète.

Depuis cinq ans maintenant que Free Mobile a été lancé pour bousculer l’ordre établi du triopole alors en place, les opérateurs télécoms se livrent en France à une bataille sans merci sur les prix. A défaut de ne plus pouvoir se différencier sur les tarifs, tirés vers le bas à la grande satisfaction des utilisateurs, voilà que les stratégies de différenciation des fournisseurs d’accès à Internet se déplacent sur les contenus. Le cinéma, le sport ou encore la presse sont devenus des produits d’appel pour les opérateurs dont les réseaux – censés évoluer rapidement vers le très haut débit – passent au second plan ou presque.

Duopole « difficiles à réguler »
Ce changement de pied des opérateurs télécoms – Orange et SFR en tête – inquiète
le régulateur français à double titre. D’abord parce que cette course à l’échalote dans des contenus parfois très coûteux, comme les droits sportifs ou les productions audiovisuelles exclusives, pourrait se faire détriment des investissements dans les réseaux très haut débit tel que la très chère fibre (lire p. 8 et 9). « Si les opérateurs télécoms investissent massivement dans les contenus… il y a un fort risque que cela diffère les investissements dans les réseaux télécoms en France. Je préfèrerais les entendre avec un message clair disant qu’ils investissent dans la fibre, la 4G, la 5G, plutôt que cette discussion permanente sur le contenu », s’est agacé Sébastien Soriano (photo), dans un entretien au Financial Times publié le 29 janvier. Le président de l’Arcep préfèrerait voir les opérateurs télécoms se différencier sur leur réseaux nouvelle génération – qui tardent à être déployés rapidement afin de couvrir 100 % de la population française d’ici 2022 – plutôt que sur les contenus premiums. Ce serait, selon lui, la meilleure réponse à la guerre des prix dont les opérateurs télécoms se plaignent sans cesse mais à laquelle ils se livrent entre eux.
Ensuite, cette course folle dans les contenus plutôt que dans les réseaux fait prendre
le risque à la France de basculer à terme dans un duopole contitué par les seuls opérateurs télécoms qui ont les moyens d’investir à la fois dans l’infrastructure réseau très haut débit (fibre optique, 5G) et dans les contenus audiovisuels attractifs (films, séries, sport). « Le vraiment mauvais scénario pour nous serait celui où deux acteurs [en l’occurrence Orange et SFR, ndlr] seraient engagés dans des stratégies de différenciation dans les médias. Il y a alors un haut risque que le marché devienne un duopole, ce qui pour nous serait terrible. Les duopoles sont très difficiles à réguler », s’est inquiété Sébastien Soriano, toujours dans le FT. Autrement dit : le problème est que, si Orange et SFR continuent à développer une convergence réseau-contenu que l’Arcep ne peut empêcher, un nouveau cadre réglementaire et une nouvelle régulation pourraient s’avérer nécessaire. « Ma préoccupation principale est que nous n’allions pas plus loin dans cette histoire de média télécom. Pour l’instant, il n’y a pas de gros problème – mais pourrions-nous s’il vous plait juste en rester là », a-t-il confié.
Ce n’est pas la première fois que Sébastien Soriano agite l’épouvantail du duopole. Il y a deux ans, il mettait déjà en garde contre cet hydre à deux têtes qui serait une calamité en terme de concurrence. « Un duopole est difficile à réguler ; tous les exemples à travers le monde montrent que c’est la pire situation pour l’investissement et les prix », avait-il mis en garde (1), alors qu’il était question à l’époque du rachat éventuel de Bouygues Telecom. L’ancien président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, s’était déjà opposé à deux reprises – en 2012 puis en 2014 – à ce que Free rachète SFR car cela aurait inéluctablement provoqué la disparition de Bouygues Telecom (2). Aujourd’hui, le risque de basculer dans un duopole néfaste vient cette fois de la bataille sur de coûteux contenus qui pourraient disqualifier les opérateurs concurrents qui n’auraient pas les reins assez solides pour surenchérir. En clair : si Orange et SFR persistent dans cette bataille « médiatique », Bouygues Telecom et Free pourraient en pâtir et voir leur avenir hypothéqué.

La chasse aux exclusivités
De son côté, l’Autorité de la concurrence ne verrait pas d’un très bon œil le retour des exclusivités réseau-contenu d’opérateurs en position dominante. Sa présidente Isabelle de Silva (3) doit d’ailleurs dire d’ici le 23 juin si elle prolonge ou pas les mesures correctrices imposées à Canal+ depuis la prise de contrôle de TPS et CanalSatellite en 2006 par Vivendi (4). Il s’agit d’éviter les abus dans l’exclusivité des contenus. Plus récemment, en juin dernier, l’Autorité de la concurrence s’est opposée à l’accord de distribution exclusive entre Canal+ et beIN Sports. Alors, imaginez un rapprochement Orange-Canal+… Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, en rêve ! @

Charles de Laubier

Agence européenne des télécoms : une idée déjà vue, à nouveau rejetée par les Etats membres

La Commission européenne est revenue à la charge en proposant de transformer l’actuel forum des régulateurs des télécoms nationaux – l’Orece – en une véritable agence de l’Union européenne. Mais ce projet est vivement combattu par les Etats-membres, comme ce fut déjà le cas par le passé.

Verizon, le numéro un des télécoms américain intègre Yahoo dans AOL et s’attaque à Netflix

L’été a été marqué par l’annonce, le 25 juillet, du rachat de Yahoo par Verizon pour 5 milliards de dollars. Le portail Internet intègrera AOL, filiale de l’opérateur télécoms américain. Mais les deux anciennes icônes du Net suffiront-elles comme relais de croissance, notamment dans la vidéo ?

Si Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, n’avait pas empêché Yahoo d’acquérir Dailymotion au printemps 2013 (1), le concurrent
français de YouTube serait sans doute en train de
tomber aujourd’hui dans l’escarcelle de Verizon. Imaginez : Dailymotion aurait pu être le fer de lance du premier opérateur télécoms américain dans sa diversification
vidéo sur Internet, pour concurrencer frontalement YouTube (Google) et Netflix.

Tim Armstrong, l’anti-Marissa Meyer
Mais l’on ne refait pas l’histoire. Dailymotion n’a pas pu finalement concrétiser son rêve américain et a été cédé par son actionnaire Orange à Vivendi en juin 2015. De son côté, Yahoo n’a pu saisir sa chance de concurrencer YouTube. L’ancienne icône du Net a poursuivi son déclin, jusqu’à être vendue cet été à Verizon pour moins de 5 milliards de dollars – bien loin du pic des 125 milliards de dollars de capitalisation boursière atteint par le passé (contre moins de 40 milliards aujourd’hui). Bien loin aussi des près de 50 milliards de dollars proposés en 2008 par Microsoft, alors candidat au rachat de Yahoo qui avait rejeté l’offre…
L’acquisition par Verizon devrait être finalisée début 2017. C’est Tim(othy) Armstrong (photo), PDG d’AOL, devenue filiale de Verizon en mai 2015, qui intègrera l’activité Internet, vidéo et publicité en ligne de Yahoo. La société Yahoo disparaît mais la marque créée en janvier 1994 va perdurer (2). Deux semaines après l’annonce de ce passage sous la coupe de l’opérateur télécoms, était lancé – le 8 août dernier – Yahoo View (3), un site de télévision en streaming seulement accessible pour l’instant des Etats- Unis. Il est le fruit d’un partenariat avec Hulu, la plateforme vidéo lancée en 2007 par News Corp, NBC Universal et Disney, considérée comme un concurrent de Netflix et d’Amazon Prime Video. Hulu, qui compte plus de 11 millions d’abonnés, vient d’ailleurs de se renforcer avec l’arriver, début août, d’un nouvel actionnaire et non des moindres : Time Warner a en effet pris une participation de 10 %. Verizon va ainsi bénéficier de ce partenariat Yahoo-Hulu dans la télévision puisque les chaînes de Time Warner (CNN, TBS, Cartoon Network, …) seront disponibles début 2017 sur Yahoo View (4). L’audiovisuel en ligne apparaît ainsi plus que jamais comme le fer de lance du nouveau Yahoo. En mars dernier, le portail Internet a déjà lancé une plateforme en ligne, Esports (5), dédiée à la retransmission de compétitions de jeux vidéo multijoueurs – ou e-sport (un accord a été signé en août avec l’organisateur ESL). Il rejoint ainsi Twitch d’Amazon et YouTube Gaming sur ce nouveau marché des tournois vidéoludiques en direct, lesquels sont assortis de commentaires, de contenus à la demande ou encore d’échanges par messageries entre fans et supporters (6). Pour
le sport réel, Yahoo s’intéresse aux droits de diffusion sportifs : en octobre 2015, il a diffusé sur Internet et en accès libre un match du championnat américain de football (NFL) ; en mars dernier, il a signé un accord avec la National Hockey League (NHL) pour diffuser en ligne des matches accessibles gratuitement ; il a en outre retransmis des matches de la Major League Baseball (MLB) et des rencontres de la Professional Golfers Association (PGA).
La vidéo et la télévision constituent les deux vecteurs porteurs de la publicité en ligne, marché mondial dominé par Google et Facebook. C’est sur ce terrain-là que Tim Armstrong va devoir déployer tous ses talents, et tenter de réussir là où Marissa Mayer, la patronne de Yahoo, a échoué (voir encadré page suivante). Pionnier de la publicité programmatique, près avoir été journaliste, cet Américain de 45 ans a pris la tête d’AOL en 2009 après avoir été débauché de chez Google où il a été l’un des créateurs de la plateforme publicitaire AdSense. C’est d’ailleurs au sein de la firme de Mountain View que Tim Armstrong a travaillé avec Marissa Mayer (41 ans), elle aussi débauchée de chez Google pour rejoindre, elle, Yahoo durant l’été 2012. Mais, selon des médias américains, les deux quadra devenus milliardaires n’éprouvent aucune sympathie l’un pour l’autre, lorsque ce n’est pas de l’hostilité.

Huffington Post, Adap.tv, AOL, …
Le patron d’AOL, au sein du groupe Verizon, n’a eu de cesse de se développer dans les contenus et la publicité en ligne, en faisant l’acquisition en février 2011 du site de presse en ligne Huffington Post, en août 2013 de la plateforme de diffusion de vidéo publicitaire Adap.tv, puis en mai 2015 du portail Internet AOL pour plus de 4,4 milliards de dollars. Maintenant, c’est au tour de Yahoo pour 4,8 milliards de dollars cash. Tim Armstrong a les moyens financiers que n’avait pas Marissa Mayer pour propulser Yahoo à proximité des GAFA. Il sera pour cela épaulé par Marni Walden, la vice-présidente exécutive de Verizon, en charge des produits innovants et des nouvelles activités. Verizon se retrouve avec deux marques fortes ayant eu leurs heures de gloire à l’aube d’Internet. Comme beaucoup d’opérateurs télécoms dont les revenus du fixe et mobile déclinent sous les coups de butoir des géants du Net, des Over-The-Top (OTT) et des messageries instantanées (Skype, WhatsApp, Snapchat, …), Verizon ajoute une corde à son arc dans sa stratégie de diversification. Le marché de la téléphonie mobile, qui fut un temps le relais de croissance face à la téléphonie fixe en repli, est maintenant saturé. Verizon a beau être le numéro un du mobile aux Etats-Unis, il lui faut trouver d’autres revenus pour enrayer la baisse de son chiffre d’affaires et de son bénéfice net – comme ce fut le cas pour ses résultats du second trimestre de cette année, marqué en outre par une grève très suivie du personnel pour obtenir avec succès une revalorisation des salaires.

Yahoo va-t-il sauver Verizon ?!
La publicité en ligne, notamment sur smartphone, surtout en mode vidéo, constitue le nouvel eldorado des « telcos ». Le PDG de Verizon, Lowell McAdam, l’a bien compris en jetant son dévolu sur Yahoo avec lequel il compte bien trouver des synergies et créer « un groupe international de médias de premier rang ». Maîtriser l’accès et les contenus permet de mieux cibler la publicité en ligne, et donc de gagner des parts de marché. L’opérateur télécoms américain propose déjà depuis l’automne 2015 Go90,
un service de vidéo pour mobile diffusant des contenus en partenariat avec notamment la NFL ou encore la National Basketball Association (NBA) et Sony Music. Verizon a par ailleurs pris en avril dernier une participation de 24,5 % dans AwesomenessTV, une start-up californienne contrôlée par DreamWorks Animation SKG et éditrice de chaînes sur YouTube totalisant 3,6 millions d’abonnés. Cet investissement est assorti d’un accord qui prévoit le lancement d’un nouveau service de vidéo pour mobile intégré à Go90 et financé par Verizon qui le proposera en exclusivité à ses clients aux Etats-Unis, AwesomenessTV ayant la possibilité de le commercialiser dans le reste du monde. Reste à savoir si la greffe prendra. La culture d’un opérateur télécoms n’est pas celle d’un acteur de la Silicon Valley. Yahoo, qui cumulerait une audience de 1milliard de visiteurs par mois de par le monde avec ses différents sites web et services en ligne (Yahoo! News, Yahoo! Mail, Yahoo! Finance, Tumblr, …), va apporter à sa nouvelle maison mère son savoir faire publicitaire et ses data pour mieux cibler les utilisateurs. Selon la société d’analyse Net Applications, le moteur de recherche Yahoo! Search n’est plus qu’en quatrième position au niveau mondial avec seulement 7,7 % du marché, derrière Google (70,2 %), Microsoft/Bing (11,3 %) et le chinois Baidu (8,8 %). Et selon la société de recherche eMarketer, Yahoo ne représente que 2,1 % des dépenses mondiales de publicité en ligne, derrière Google (33,3 %), Facebook (10,7 %) et Alibaba (5,1 %). En 2015, Yahoo a perdu 4,4 milliards de dollars (donc beaucoup en dépréciation d’actifs comme Tumblr acquis plus de 1 milliard de dollars en 2013) pour un chiffre d’affaires pourtant en hausse de 7,6 % à 5 milliards, mais en recul de 15 % une fois déduits les reversements aux partenaires. A fin juin, Yahoo comptait 8.800 salariés.
Verizon, lui, va apporter au portail média des accès multiterminaux (smartphones, ordinateurs, téléviseurs, …) : 107,8 millions d’abonnés mobile (contre 130 millions chez AT&T, l’un des candidats malheureux au rachat de Yahoo (7)), 5,5 millions d’abonnés
à Internet haut débit, et 4,6 millions d’abonnés au service de télévision (Fios TV). Cependant, à l’instar de la filiale AOL qui l’accueille dans ses actifs, la marque Yahoo devrait continuer à se développement de façon indépendante dans le groupe dont le siège social se situe à New York. Verizon pèse 131,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015, pour un bénéfice net de 18 milliards, et ses effectifs atteignent 173.000 employés dans 150 pays. Muter d’un opérateur télécoms à un groupe de médias est une affaire de convergence, mais cette stratégie n’est pas gagnée d’avance face à Google, Facebook et Amazon. @

Charles de Laubier