Gestion collective des droits d’auteur : la Cisac s’impatiente sur les remontées d’Internet

La Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), présidée par le musicien Jean-Michel Jarre, s’impatiente sur les recettes du numérique qui « ne représentent que 5 % du montant total ». Membre, la Sacem prône toujours une taxe sur les hébergeurs.

« Nous sommes souvent à la merci des entreprises qui contrôlent les canaux de distribution de nos œuvres. L’environnement numérique actuel, dont les créateurs sont les acteurs les plus fragiles, nous le fait cruellement sentir », déplore le pionnier de la musique électronique Jean-Michel Jarre (photo), président depuis juin 2013 de la Cisac, laquelle représente au total dans le monde plus de 3 millions d’ayants droits, créateurs de musiques et de chansons pour l’essentiel (87,2 % des recettes), mais aussi de films, de livres, de peintures, de poèmes ou encore d’illustrations.
Jean-Michel Jarre peste contre Internet
Au global, les 230 sociétés de gestion collective membres de la Cisac – laquelle fut créée en 1926 et est installée en France à Neuilly-sur-Seine, à côté de la Sacem qui
en est membre – ont collecté toutes ensemble plus de 7,7 milliards d’euros sur l’année 2013 (le bilan global avec un an de décalage).
Mais cette année, l’impatience de la Cisac est perceptible quant aux montants perçus du monde digital. « Les droits liés au numérique ont augmenté de 25 % mais ne représentent toujours que 5 % du montant total des perceptions mondiales », souligne
le directeur général de la confédération, Gadi Oron. Le « numérique & multimédia » (dixit la terminologie de la Cisac) a rapporté sur l’année 380 millions d’euros – soit 4,9 % en réalité. Et ce montant émane à 99 % du secteur de la musique. « Le solde provient
des autres répertoires (arts visuels en fait). Ce qui ne signifie pas que le digital ne représente rien dans les autres répertoires (audiovisuel, littéraire, dramatique) où
les droits issus du numérique ne sont pas distinctement identifiés dans les données
de ces répertoires que nous remontent les sociétés membres de la Cisac. La part des perceptions issues du numérique peut dès lors à ce titre être considérée comme sous-estimée dans notre rapport », nous indique Frédéric Patissier, consultant pour la confédération. Bien que sous-estimé, le digital a augmenté de près de 25% sur un an (voir graphique ci-dessous). Il y a même une accélération significative car, l’année précédente, la croissance du digital n’était que de 7 %. Plus de la moitié de ces recettes numériques proviennent de l’Europe, où la croissance sur un an atteint même 40,8 %,
à 207 millions d’euros.
Parmi les autres régions du monde qui contribuent aussi aux recettes digitales musicales, il y a notamment l’Amérique du Nord (44 millions d’euros) et l’Amérique
du Sud-Caraïbes (6 millions). Reste que les retombées du numérique en monnaies sonnantes et trébuchantes restent faibles aux yeux de la Cisac, alors que le marché
de la musique enregistrée est proche du « point de basculement » où les droits perçus proviendront davantage du numérique que des ventes physiques. « Nous ne bénéficions absolument pas d’une juste rémunération pour les utilisations numériques. Certaines entreprises gagnent des milliards grâce à nos œuvres et nous méritons d’en retirer notre juste part », s’était insurgé Jean-Michel Jarre il y a un an, lors du Marché international du disque et de l’édition musicale (Midem).

Une « compensation équitable » ?
Membre de la Cisac, la Sacem prône – dans le cadre de la révision de la directive européenne «DADVSI » sur le droit d’auteur – une « compensation équitable » au profit des titulaires de droit, « laquelle serait supportée par certains intermédiaires techniques de l’Internet » (1). Pour les sociétés de gestion collective, qui en assureraient la gestion, cette taxe prélevée sur les plateformes du Web (YouTube, Dailymotion, Facebook, Yahoo, …), serait justifiée pour compenser « le préjudice subi par les ayants droit » en raison du statut d’hébergeur à responsabilité limité (2) de ces dernières par rapport au piratage sur Internet. @

Charles de Laubier

Taxe pour copie privée : 100 millions d’euros de retard dus par les industriels high-tech !

Le « manque à gagner » pour les ayants droits en France (musique, cinéma, presse, …), au titre de la rémunération pour copie privée, s’élève à 100 millions d’euros. En tête des « mauvais payeurs » : Apple, Sony et Nokia mais aussi Carrefour en tant qu’importateur de produits high-tech.

100 millions d’euros. Ce montant avancé par Pascal Nègre (photo), président d’Universal Music France et
de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), correspond au non reversement – par les industriels et importateurs d’appareils électroniques – de la taxe pour copie privée. Celle-ci est prélevée, à hauteur de 8 % en moyenne du prix TTC, sur les produits high-tech dotés de capacité d’enregistrement et de stockage numérique lors de l’achat : clés USB, smartphones, tablettes, disques durs externes, cartes mémoire, etc (1).

Apple commence enfin à payer
A ces 100 millions, il faut déjà retrancher 12 millions d’euros que vient de payer Apple – le premier « mauvais payeur » de la copie privée en France – à la suite d’une décision du Conseil d’Etat. A part le sud-coréen Samsung qui a toujours reversé sans broncher redevance pour copie privée, de nombreux industriels et importateurs d’électronique grand public refusent ou tardent à payer leur écot. C’est d’abord Apple qui a encore
une ardoise de 40 millions d’euros, sur lesquels la marque à la pomme va encore payer 18 millions d’euros d’ici le mois de mars prochain. En effet, Apple contestait les barèmes appliqués aux tablettes en ne payant pas mais a été attaqué par les ayants droits devant le TGI de Paris, lequel a mis sous séquestre ces 18 millions d’euros au titre des sommes dues pour 2012. Ensuite, il y a Sony Mobile qui serait redevable de près de 10 millions d’euros, suivi de Nokia pour quelques millions encore, et d’autres. S’ajoutent à la liste des récalcitrants Carrefour, en tant qu’importateur de produits high-tech lui aussi. « Nous avons un certain nombre de fabricants et importateurs qui, prétextant des décisions antérieures du Conseil d’Etat [annulant certains barèmes de taxes, ndlr], refusent de payer la redevance pour copie privée. Cela représente 100 millions d’euros environ de retards pour l’ensemble des ayants droits, dont 10 % devrait revenir à la SCPP », précise Pascal Nègre. Mais maintenant que le Conseil d’Etat a rejeté – le 19 novembre dernier (2) – deux requêtes en annulation dirigées contre les décisions n°14 (tablettes) et n°15 (décodeurs-enregistreurs) de la commission pour la rémunération de la copie privée, le monde de la culture compte sur le recouvrement entre 2015 et 2017 des quelque 88 millions d’euros restants encore à régler. « On peut espérer que les juges accéléreront et que cet argent va rentrer », ajoute Pascal Nègre. Et de déplorer : « Les consommateurs, eux, ont payé. Ces 100 millions d’euros pris dans la poche des consommateurs sont maintenant dans celle des fabricants. C’est honteux ! ». En 2013 déjà, SFR et Free avaient réglé ensemble un total de 60 millions d’euros au titre de la copie privée. Cette régularisation exceptionnelle avait permis à la SCPP d’afficher, pour sa part, une recette « copie privée » en forte en hausse l’an dernier. En conséquences, faute du même effet sur 2014, la rémunération pour copie privée accuse à la SCPP une baisse de 13,7 % sur un an. Cela n’empêche pas les recette globales de la taxe « copie privée » de progresser de 4 % sur 2014, à plus de 215 millions d’euros – somme que collecte la société Copie France (3) auprès des fabricants ou importateurs avant de la répartir entre les différents ayants droits : auteurs, artistes-interprètes, créateurs, éditeurs ou encore producteurs. La France,
où la taxe pour copie privée fête ses 30 ans (4), représente même 60 % de l’ensemble des sommes récoltées dans l’Union européenne, selon l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. « Il y a un lobby et des procès contre la copie privée partout en Europe. Il y a une volonté des fabricants de détruire le concept de (taxe pour) copie privée », souligne Pascal Nègre. En France, la Commission pour la rémunération de la copie privée (5) n’en finit pas d’être contestée par les industriels de l’électronique grand public. Depuis sa création en 1985, elle est le théâtre de crises internes récurrentes et ses décisions ont été longtemps annulées par le Conseil d’Etat (6). Et depuis décembre 2012, où cinq membres industriels ont démissionné collectivement, elle ne s’est pas réunie.

Mais que fait donc Bercy ?
« Il appartient au gouvernement de procéder sans délais aux nominations
nécessaires », exige la SCPP. Or depuis un décret de 2009, cette Commission « copie privée » est placée non seulement sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication, mais aussi depuis sous celle du ministère chargé de l’Industrie.
« La difficulté qu’a la ministre de la Culture et de la Communication au niveau de la copie se trouve à Bercy qui freinerait », soupçonne Marc Guez, directeur général de la SCPP. Bercy serait ainsi plus à l’écoute des industriels que ne l’est la rue de Valois… @

Télécoms, audiovisuels, Internet,… : quels sont les services taxés dans le pays du client depuis le 1er janvier 2015

Depuis 1er janvier 2015, les prestations de services de télécoms, de radiodiffusion et de télévision, ainsi que les services délivrés par voie électronique (via Internet ou par e-mail), sont désormais imposables au
lieu de consommation. Le e-commerce de biens physiques en est exlu.

Jusqu’à maintenant, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) était appliquée en fonction du pays du vendeur. Ce qui a créé des distorsions de concurrence entre les différents prestataires de l’Internet, certains comme Amazon, iTunes d’Apple ou Netflix au Luxembourg, ainsi que Google ou encore Apple en Irlande, bénéficiant d’avantages fiscaux grâce à une TVA moins élevée que pour les autres prestataires basés, eux, dans des pays fiscalement moins avantageux comme la France.

Distorsion, évasion et manque à gagner
Le taux normal de TVA variant de 15 % à 27 % à travers l’Union européenne (UE), les entreprises se sont souvent implantés dans un Etat membre où le taux est le plus faible pour des raisons dites d’« optimisation fiscale » – pour ne pas dire d’« évasion fiscale » tout à fait légale… Résultat, d’après une étude du cabinet Greenwich Consulting en 2013, le manque à gagner rien que pour l’Etat français s’est élevé en 2011 entre 377 millions et 754 millions d’euros sur un montant de 7,5 milliards de produits culturels dématérialisés et certaines prestations en ligne.
Depuis le 1er janvier 2015, la TVA est appliquée en fonction du pays de l’acquéreur – qu’il s’agisse d’un particulier (1) ou d’une entreprise (2). Chaque prestataire, qu’il soit établi ou pas sur le territoire de l’UE, devra en conséquence déclarer et payer la TVA dans chaque Etat membre de consommation. Pour ce faire, une simplification des obligations déclaratives est prévue grâce à un guichet électronique unique. Cette nouvelle règle fiscale européenne s’applique à tout fournisseur en ligne, pour peu
que les biens ou les services achetés ne soient pas physiques. Ne sont en effet pas concernées les ventes à distance de biens physiques tels que CD/DVD/Blu-ray, livres au format papier, jeux vidéo sur supports physiques ou tout autre article non délivré par voie électronique.
Les « GAFA » américains et tous les services télécoms, audiovisuels et électroniques du monde entier – les services OTT (Over-The-Top) compris – y sont assujettis s’ils vendent dans l’un des vingt-huit pays de l’UE : ils seront dans ce cas imposables au taux de TVA en vigueur dans l’Etat membre où est domicilié le consommateur. Dans les services de télécommunication, cela concerne par exemple la téléphonie fixe ou mobile, la vidéophonie, la VoIP, la radiomessagerie, la télécopie et télex, ou encore la fourniture d’accès à Internet et au Web. Parmi les services de radiodiffusion et de télévision concernés, il y a la diffusion de programmes audiovisuels sur des réseaux de télévision ou de radio, ainsi que les programmes de radio ou de télévision diffusés via Internet ou un réseau IP analogue « s’ils sont retransmis simultanément à leur transmission ou retransmission sur un réseau de radiodiffusion ou de télévision » (3) ou encore les retransmissions en direct sur Internet. Quant aux services électroniques, il s’agit notamment de la vidéo à la demande (VOD), des applications téléchargées, de la musique en ligne (téléchargeable ou en streaming), les jeux vidéos dématérialisés, les livres numériques, ou encore les logiciels utilisés en ligne ou téléchargés (applications, antivirus, adblockers, pilotes d’imprimante ou d’autres périphériques). « Lorsque le prestataire de services et le preneur communiquent par courrier électronique, cela ne signifie pas en soi que le service est un service fourni par voie électronique », précise cependant la directive européenne du 12 février 2008 qui a modifié – en ce qui concerne le lieu des prestations de services – celle du 28 novembre 2006 portant sur
le système commun de TVA. En fait, le compromis trouvé fin 2007 à la demande du Luxembourg prévoit un échelonnement progressive de cette règle du lieu de consommation, de 2015 à 2019, à savoir : 30 % conservés par le pays d’établissement en 2015-2016, 15 % en 2017-2018 et enfin 0% à partir du 1er janvier 2019. Ce n’est donc qu’en 2019 – dans cinq ans – que la perception de la totalité de la TVA sur les services électroniques par l’Etat de résidence du consommateur final sera effective.

Plein effet seulement en 2019
Or, il aurait été souhaitable de raccourcir ce délai compte tenu notamment de l’iniquité fiscale entre les opérateurs nationaux et les acteurs internationaux établis à l’étranger, lesquels peuvent encore échapper en partie à la fiscalité française (4). « Alors que la révision de la directive TVA résulte d’un compromis délicat, il parait aujourd’hui difficile d’envisager une anticipation du calendrier prévu. A l’inverse, la France veillera scrupuleusement à ce que le calendrier de mise en oeuvre soit respecté », avait répondu en septembre 2013 le ministère des Affaires européennes à une question (5)
à l’Assemblée nationale. @

Charles de Laubier

En attendant une réforme, deux décisions de la contestée Commission “copie privée” sont validées

Les ayants droits de la création (musique, cinéma, écrit, spectacle vivant, …) l’ont échappé belle : le Conseil d’Etat n’a pas annulé les deux dernières décisions de la Commission « copie privée ». Mais la réforme de cette dernière, en crise interne depuis sa création en 1985, est plus qu’urgente.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Deux requêtes en annulation dirigées contre les décisions n°14 et n°15 de la Commission pour la rémunération de la copie privée ont été rejetées par le Conseil d’Etat, le 19 novembre 2014 (1). Le fait n’est pas anodin car plusieurs décisions de cette Commission
« copie privée » avaient été précédemment annulées, fragilisant le mécanisme même de la redevance pour copie privée.

Taxe contestée depuis bientôt 30 ans
Rappelons que le dispositif de la copie privée a été instauré par la loi « Lang » de
1985. Il prévoit de rémunérer les auteurs, artistes et producteurs en prélevant une taxe sur les supports vierges qui permettent de stocker des oeuvres, en contrepartie de la liberté accordée au public de copier des oeuvres pour son usage personnel (2). C’est la Commission « copie privée » (3) qui est chargée de désigner les supports concernés. Pour chaque support, elle fixe un montant de rémunérations par palier de capacité nominale d’enregistrement, suivant des barèmes faisant l’objet de tableaux joints en annexe des décisions qu’elle publie (voir encadré page suivante).
Ces décisions ont souvent été contestées et certaines ont été annulées par le Conseil d’Etat qui a peu à peu défini des contraintes propres au mécanisme. Ainsi, l’annulation de la décision n°7 du 20 juillet 2006 a conduit à distinguer entre la copie privée et le téléchargement illégal. En effet, le Conseil d’Etat a admis que l’acte de téléchargement sans droit pouvant faire l’objet de poursuites judiciaires, il ne pouvait pas justifier un prélèvement au titre de la copie privée. C’est sur ce fondement qu’il a sanctionné la Commission « copie privée » qui « pour déterminer le taux de rémunération pour copie privée […] tient compte tant de la capacité d’enregistrement des supports que de leur usage, à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher, pour chaque support, la part respective des usages licites et illicites ». De même, l’annulation de la décision n°11 du 17 décembre 2008 a entériné l’exclusion du champ de la rémunération les supports acquis par les personnes morales à des fins professionnelles (4). Cette règle figure désormais dans la loi du 20 décembre 2011 qui précise que la rémunération pour copie privée n’est pas due pour les supports d’enregistrement acquis à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée. La décision n°13 du 12 janvier 2011 a également été annulée pour avoir, en méconnaissance de l’article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle, décidé « que l’ensemble des supports (…) serait soumis à la rémunération, sans prévoir d’exonération ou de droit au remboursement pour ceux
des supports acquis, notamment à des fins professionnelles », sans que rien dans
les conditions d’utilisation de ces supports ne permette de présumer leur usage à
des fins de copie privée (5).
C’est dans ce contexte d’annulations à répétition que sont intervenues les deux nouvelles requêtes en annulation des décisions n°14 et n°15. Plusieurs syndicats et grands industriels reprochaient à la décision n°14 de fixer le barème des tablettes tactiles numériques en reprenant celui de la décision n°13 précédemment annulée. L’argument n’a pas prospéré, le Conseil d’Etat considérant que l’annulation avait seulement sanctionné « les conditions d’établissement » du barème pour erreur de droit, sans se prononcer sur le niveau de la rémunération fixée.

Les décisions n°14 et n°15 validées
Quant à la décision n°15 qui fixait le barème des décodeurs- enregistreurs, un important fournisseur objectait que le décodeur-enregistreur qu’il proposait faisait l’objet de mesures techniques de protection restreignant les possibilités de copie privée et que cette circonstance devait être prise en compte. L’argument n’a pas non plus prospéré, le Haut conseil considérant cette fois que cette circonstance n’était pas de nature à les exclure de l’assiette de la redevance car les décodeurs- enregistreurs « n’interdis[aient] pas la réalisation de copies de sources licites mais seulement leur recopie ou leur transfert sur des supports tiers ». Par ailleurs, les demandeurs à l’annulation ont souligné la disparité entre le taux de la redevance français et celui appliqué par les autres pays européens, sans convaincre le Conseil d’Etat qui a considéré que « la seule circonstance que les rémunérations retenues diffèrent de certains taux pratiqués dans d’autres Etats membres de l’Union européenne » n’entachait pas la décision attaquée « d’erreur manifeste d’appréciation, dès lors qu’il n’est pas établi, ni même allégué, que la vente de ces matériels répondrait à des usages identiques d’un Etat membre à l’autre ni que les pratiques de rémunération des ayants droits seraient comparables ».

Une réforme s’impose quand même
On peut comprendre que l’annulation rétroactive des barèmes, si elle avait été prononcée, aurait nécessairement entraîné des conséquences graves. D’une part,
elle remettait en cause l’autorité d’une Commission « copie privée » systématiquement contestée. D’autre part, elle provoquait des demandes de remboursement sur des sommes déjà versées, notamment pour subventionner des événements culturels (6). L’annulation aurait entraîné le rétablissement de barèmes antérieurs, alors même que ceux-ci avaient été annulés par le Conseil d’Etat, l’arrêt des perceptions sur une part substantielle des supports d’enregistrement soumis à rémunération pour copie privée, etc.
Bien au contraire, en validant les nouveaux barèmes, le Conseil d’Etat permet le recouvrement de sommes d’autant plus importantes que certains fabricants ont refusé de payer la redevance, arguant de l’absence de validation des décisions de la Commission « copie privée ». Si dans certains cas, ils ont pu être condamnés à régler les sommes, celles-ci ont été placées sous séquestre par décision judiciaire en attendant la décision du Conseil d’Etat. Ce sont donc des dizaines et des dizaines de millions d’euros (7) qui devraient être débloqués dans la suite des arrêts du Conseil d’Etat. Pour autant, le climat de protestations exige une réforme d’autant plus urgente qu’il faut bien constater que la Commission « copie privée » ne cesse de subir, depuis sa création en 1985, des crises internes à répétition (8). Composée de deux collèges paritairement représentés (9) – douze membres pour les redevables de la rémunération (industriels et représentants des consommateurs) et douze membres pour les bénéficiaires de la rémunération (auteurs, artistes, producteurs) – mais aux intérêts radicalement opposés, les affrontements étant fréquents. Un décret du 19 juin 2009 (10) a bien tenté de modifier son fonctionnement, notamment en la plaçant sous la tutelle conjointe du ministère de la Culture et de la Communication, et du ministère chargé de l’Industrie, alors qu’elle n’était précédemment que sous la tutelle du premier. Ce décret a aussi prévu qu’après trois absences consécutives non justifiées les membres seront exclus. Mais les oppositions restent fortes, voire violentes, conduisant certains à refuser de siéger, à l’exemple des cinq membres industriels qui ont démissionné collectivement fin 2012 pour manifester contre les règles de gouvernance. Enfin, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer un taux de redevance très largement supérieur en France. Celle-ci aurait ainsi prélevé, pour 2013, le montant de 208 millions d’euros, soit 60 % du montant global de l’Union européenne. Quelques chiffres sont parlants : pour l’achat en France d’une clé USB de 128 Go, la somme perçue est de 12,8 euros contre 1,35 euro en Belgique ; ou encore, pour l’achat en France d’un disque dur de 1 To, la somme prélevée est de 20 euros contre 1 euro aux Pays-Bas. Il faudra donc bien envisager rapidement de remédier à cette situation… @

* Christiane Féral-Schuhl, ancien bâtonnier du
Barreau de Paris. Elle est co-présidente de la
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à
l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale.

Redevance audiovisuelle : services payants en plus ?

En fait. Le 27 février, Mathieu Gallet a été nommé président de Radio France
pour cinq ans (à partir du 12 mai 2014) par le CSA. Dans son « projet stratégique », il prévoit que « l’écoute différée » (podcasts et catch up radio) pourra « justifier l’acquittement d’une contribution, même modeste ».