A défaut de grande réforme du quinquennat, le paysage audiovisuel français (PAF) entame sa mue

Alors que plus de soixante sénateurs ont saisi le 30 septembre 2021 le Conseil constitutionnel sur le projet de loi « Anti-piratage », adopté définitivement la veille par l’Assemblée nationale, la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat n’a pas eu lieu. Mais le gouvernement y est allé par touches.

Par Charles Bouffier, avocat counsel, et Cen Zhang, avocat, August Debouzy*

La réforme de l’audiovisuel, envisagée par le président de la République comme une des réformes majeures de son quinquennat, a fait preuve de résilience et d’adaptation pour surmonter la crise sanitaire et les bouleversements de l’agenda parlementaire qu’elle a engendrés. En effet, le gouvernement s’est adapté aux contraintes conjoncturelles. Et ce, après que l’examen de l’ambitieux projet de loi sur la régulation de l’audiovisuel à l’ère du numérique, qui promettait une modification profonde du paysage audiovisuel et numérique français, ait été interrompu dès le 5 mars 2020.

Le financement du cinéma français
Le gouvernement a entrepris de mener cette réforme de manière progressive, l’abordant sous différents angles et par le biais de plusieurs textes législatifs et règlementaires. La réforme de l’audiovisuel public, initialement envisagée, a été distraite de cet ensemble. Résultat : le 29 septembre 2021, un pilier majeur de la réforme de l’audiovisuel – le projet de loi sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » a définitivement été adopté à l’Assemblée nationale après son adoption au Sénat. Le vote de ce texte « Anti-piratage », qu’examine actuellement le Conseil constitutionnel saisi le lendemain par plus de soixante sénateurs, est l’occasion de dresser un panorama synthétique des dispositions phares de la réforme de l’audiovisuel et des prochaines étapes, qui cristallisent l’attention des professionnels du secteur et ont vocation à refaçonner le paysage audiovisuel français (PAF).
• Le décret SMAd. Les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) regroupent les services de vidéos à la demande par abonnement (SVOD), payants à l’acte ou gratuits, et les services de télévision de rattrapage (replay). Les SMAd – en particulier ceux établis à l’étranger, y compris dans un autre Etat membre de l’Union européenne – ont longtemps échappé à la réglementation française sur les services de médias audiovisuels, notamment en matière d’obligation de contribution financière à la production des œuvres ou de publicité. Comme la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018 l’a rendu possible, le décret SMAd (1) transposant cette directive vise à étendre la réglementation des services de médias audiovisuels aux SMAd, y compris aux services étrangers dès lors qu’ils visent la France. Entré en vigueur le 1er juillet 2021, il prévoit que les SMAd établis en France, dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1 million d’euros, doivent conclure une convention avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) précisant leurs obligations, notamment en matière de contribution au financement des œuvres (2). Pour ceux qui ne sont pas établis en France mais qui visent le territoire français, ils peuvent aussi conclure cette convention avec le régulateur. A défaut, ils communiquent à celui-ci les informations relatives à leur activité en France (3).
Concernant les plateformes de SVOD dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions d’euros et la part d’audience supérieure à 0,5 %, elle doivent en consacrer entre 20 % et 25 % au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes ou d’expression originale française (4), dont une part importante à la production indépendante (5). Cette obligation de contribution au financement pèse également sur certains services de télévision de rattrapage et sur les services payants à l’acte (SVOD à l’acte) et gratuits (6). Quant aux plateformes de SMAd dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1 million d’euros et la part d’audience supérieure à 0,1 %, elles ont l’obligation d’inclure dans leur catalogue de films et d’œuvres audiovisuelles au moins 60 % d’œuvres européennes et 40 % d’œuvres françaises, tout en mettant en valeur ces œuvres (7). Enfin, le décret prévoit des dispositions ayant trait à la publicité, au téléachat et au parrainage applicables aux SMAd (8).

Meilleures fenêtres pour la SVOD
• L’accord attendu sur la chronologie des médias.
Les fenêtres de diffusion successives sont convenues entre les professionnels du secteur et les éditeurs des services de médias. Elles sont rendues obligatoires en application du code du cinéma et de l’image animée définissant les délais à respecter pour l’exploitation d’un film sur différents supports après sa sortie en salle. L’ordonnance du 21 décembre 2020 a confirmé la volonté du gouvernement d’adapter la chronologie des médias pour répondre à l’évolution des modes de consommation des œuvres, en particulier de la VOD/SVOD (9). Cette adaptation constitue en outre une demande forte des SMAd, que ceux-ci estiment justifiée par les nouvelles obligations financières auxquelles ils sont assujettis. Par un décret du 26 janvier 2021, le gouvernement avait fixé le délai alloué aux professionnels du secteur pour trouver un nouvel accord sur la chronologie des médias (10) – à savoir au 31 mars 2021. Ce délai a été largement dépassé, les professionnels du secteur n‘étant toujours pas parvenus à un accord sur la nouvelle chronologie applicable.

Blocages sur la proposition du CNC
En l’état, proposé par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) le 19 juillet 2021 mais suscitant encore des résistances, le dernier projet d’accord en cours de discussion prévoit notamment : pour les services de télévision payants de cinéma (Canal+, OCS) respectant certaines conditions (accord avec les organisations professionnelles du cinéma, engagements financiers et de diffusion, versement des taxes au CNC, convention avec le CSA, …), une première fenêtre d’exploitation entre 6 et 9 mois à compter de la sortie en salle ; pour les plateformes de SVOD, par défaut, une fenêtre d’exploitation à 15 mois, ou une fenêtre d’exploitation plus courte à 12 mois (sous réserve du versement des taxes), pouvant être réduite jusqu’à 6 mois (11).
• Le Projet de loi « Anti-piratage ». Le projet de loi sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » (12), adopté définitivement le 29 septembre 2021, crée un nouveau régulateur en charge de l’audiovisuel et du numérique, tout en étoffant l’arsenal juridique contre le piratage des programmes audiovisuels, culturels et sportifs sur internet. Le Conseil constitutionnel a été saisi par soixante sénateurs, qui contestent notamment le mécanisme de sanction en cas de non-respect des obligations d’investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique.
La principale réforme est la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), issue de la fusion à venir entre le CSA et l’Hadopi. Sa compétence élargie en matière de contenus audiovisuels et numériques portera sur : la protection des œuvres, la sensibilisation du public contre le piratage, l’encouragement au développement de l’offre légale, la régulation et la veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres protégée, la protection des mineures, et la lutte contre les discours de haine en ligne et la désinformation. Outre les pouvoirs réglementaires et de sanction des deux autorités préexistantes, l’Arcom sera dotée de nouveaux pouvoirs de régulation, notamment de conciliation en cas de litige ou des pouvoirs d’enquête. Trois mécanismes majeurs viennent renforcer la lutte contre le piratage des œuvres :
• la « liste noire » des sites contrefaisants que l’Arcom pourra rendre publique, définie comme la liste des sites « portant atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteurs ou aux droits voisins », tandis que les annonceurs devront rendre publique, au moins une fois par an, l’existence de relations avec de tels sites ;
• le déréférencement des sites miroirs, l’Arcom pouvant se prévaloir d’une décision judiciaire pour demander d’empêcher l’accès à un site miroir ou de faire cesser le référencement du site concerné ;
• la lutte contre la « retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives » (le « live streaming »), en procédure accélérée au fond ou en référé. Le projet de loi « Anti-piratage » vise également à protéger l’accès au patrimoine cinématographique français, en instaurant un régime de notification préalable, auprès du ministère de la Culture, des cessions envisagées de catalogues d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles français. Le non-respect de cette obligation pourra entraîner une sanction pécuniaire dont le montant est proportionnel à la valeur des œuvres concernées.
• Les projets de décrets « TNT » et « Câble-satellite ». En cette fin de quinquennat, le gouvernement se penche en particulier sur la modernisation du régime applicable aux services de télévision diffusés par voie hertzienne (TNT) et des éditeurs de services de télévision distribués par les réseaux n’utilisant pas les fréquences assignées par le CSA. D’une part, le projet de décret TNT proposé par le ministère de la Culture (13) vise à moderniser le régime applicable aux éditeurs de services de télévision nationaux, en vue de réaliser un rééquilibrage de leurs droits et obligations, afin de tenir compte de la concurrence exercée par les services non linéaires (notamment les SMAd) et les acteurs extranationaux. Le projet de décret propose d’assouplir les obligations des services de télévision nationaux par une baisse de la part de production indépendante, un meilleur accès à la coproduction, et un élargissement du mandat de commercialisation des œuvres.

Décrets « TNT » et « Câble-Satellite » en vue
D’autre part, le nouveau décret « Câble-satellite » se substituera au décret « Câble-satellite » de 2010 et définit les obligations des éditeurs de services de télévision ou de radio diffusés via câble et satellite. Les chaînes seront notamment tenues de financer davantage la production française et européenne. Une nouvelle monture du texte est attendue, après la consultation publique en juillet 2021 (14). @

* Les auteurs remercient Myriam Souanef,
élève avocate, pour la qualité de ses recherches
et sa contribution à la rédaction de cet article.

Les plateformes de SVOD dominent le marché mondial des séries, la France étant à la traîne

Les pays asiatiques et américains sont les premiers donneurs d’ordres en termes de commandes de fictions. La France, pays de « l’exception culturelle », est moins demandeuse que le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce sont les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui donnent le la.

Quels acteurs mondiaux sont les plus importants en matière de commandes de programmes TV de fiction ? Quels pays de production sont les plus actifs ? La réponse n’est pas à aller chercher en France. Quels que soient les genres de programmes de télévision ou de plateforme (drame, thriller, comédie, science-fiction, jeunesse, aventure, horreur ou encore divertissement), ce sont la Chine et les Etats-Unis qui sont de loin les deux premiers pays en nombre de programmes de fiction commandés au cours des douze derniers mois.

Disney, Netflix, Paramount, HBO, …
C’est ce qui ressort d’une étude du cabinet londonien Ampere Analysis, sur laquelle s’appuie le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour faire le point sur les tendances de la fiction dans le monde. Le Japon, l’Inde, la Russie, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et l’Allemagne sont les pays – après la Chine et les Etats-Unis – qui devancent eux-aussi la France sur ce marché mondial en pleine effervescence de la production – en série – de séries au profit de plus en plus des plateformes de SVOD.
Là où la Chine a commandé 653 fictions sur un an (1), la France s’en tient à 101, derrière les 180 du Royaume-Uni et les 121 de l’Allemagne. « Les groupes audiovisuels asiatiques sont parmi les plus actifs dans le monde. Les principaux acteurs à l’origine des commandes de programmes de fiction sont les plateformes mondiales et les studios américains. Et de plus en plus de commandes sont faites à destination des services en ligne des studios ou des groupes audiovisuels (Disney+, HBO Max, Hulu, …). La BBC est le premier groupe européen . Les autres diffuseurs européens dans le classement sont publics, France Télévisions étant en 15e position », constate l’étude présentée par Benoît Danard (photo), directeur des études, des statistiques et de la prospective du CNC, à l’occasion du festival Séries Mania qui s’est tenu jusqu’au 2 septembre à Lille et en ligne. Dans le monde, le nombre de programmes commandés – qu’ils soient de « flux » (unscripted) ou de « stock » (scripted) – est en croissance régulière, tiré notamment par les plateformes de SVOD. Pour autant, sur les douze derniers mois, l’étude montre qu’il y a une baisse importante des commandes de programmes de stock au second trimestre 2020 en raison de la pandémie, pendant que les commandes de programmes de flux sont en hausse chez tous les acteurs, linéaires et non linéaires. Les six premiers grands donneurs d’ordres sont américains : Disney (éditeur de Disney+), Netflix, ViacomCBS (éditeur de Paramount+), WarnerMedia (filiale d’AT&T et éditeur de HBO Max), Comcast (maison mère de NBCUniversal et éditeur de Peacock) et Amazon (éditeur de Prime Video et acquéreur de MGM Studios).
D’après le CNC, les plateformes étrangères de SVOD devraient investir sur cette année 2021 près de 100 millions d’euros dans les séries françaises inédites (contre 37 millions l’année précédente). En France, la consommation de fictions se fait largement au-delà des productions locales. Les séries françaises sont autant regardées que les séries américaines, et celles provenant d’autres pays (ni américaines ni britanniques) le sont de plus en plus. Basés respectivement à Lille et à Cannes, les festivals Séries Mania (2) et Canneseries (3) s’inscrivent sur un marché plus que jamais mondial. Le premier s’est achevé début septembre (avant le Festival du cinéma américain de Deauville), tandis que le second se tiendra du 8 au 13 octobre (après le Festival de la fiction à La Rochelle jusqu’au 19 septembre, et en partie en même temps que le Mipcom (4)). Toutes ces festivités et paillettes n’ont pas encore transformé la France en exception culturelle de la fiction. @

Charles de Laubier

Les plateformes font de l’ombre aux salles obscures

En fait. Du 23 au 26 août, aux Etats-Unis, s’est tenu à Las Vegas le festival annuel CinemaCon organisé par la National Association of Theatre Owners (NATO), l’équivalent (toutes proportions gardées) de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Au cœur des débats : chronologie des médias et simultanéité.

Sortie des films en France : la chronologie des médias actuelle vit ses dernières semaines

Le 1er juillet, les organisations du cinéma français – le Blic, le Bloc et l’ARP (BBA) – ont proposé une nouvelle évolution de la chronologie des médias (organisant la sortie des films en salles, en VOD/SVOD et à la télévision). Elle fait suite à celle soumise par le CNC le 14 juin. L’été sera chaud…

Depuis le début de l’année, ce n’est pas moins de quatre propositions d’accord sur la chronologie des médias qui se sont succédées sans encore parvenir à faire consensus entre – au-delà des salles de cinéma arc-boutées sur leur monopole des quatre premiers mois de la sortie d’un film – les chaînes de télévision payantes (Canal+, OCS, …), les télévisions gratuites (France 2, TF1, M6, …) et les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (Netflix, Amazon Prime Video, …).

Fin de l’été : l’ultimatum du gouvernement
Le 10 juillet dernier, au Festival de Cannes, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot (photo), a accordé du temps supplémentaire aux professionnels de la filière du cinéma français pour qu’ils se mettent d’accord sur une nouvelle chronologie des médias. Sinon, « le gouvernement tranchera à la fin de l’été » (1).
Pour l’heure, la vidéo à demande à l’acte (Videofutur/ Viva, FilmoTV, VOD d’Orange, …) doit continuer, elle, à attendre les quatre premiers mois après la sortie d’un film pour pouvoir le proposer. C’est l’éternel statut quo sur le monopole des salles de cinéma que défend becs et ongles depuis des années l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF). D’autant que le point de départ de la chronologie des médias est la date de sortie du film en salles. A noter qu’en France, si un film agréé par le CNC est mis en ligne directement sur une plateforme vidéo, il n’a plus le droit de sortir dans les salles obscures. Ces quatre mois semblent gravés pour toujours dans le marbre du code du cinéma et de l’image animée (2), alors même que les usages numériques se sont généralisés. Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (3).
Au-delà de ce monopole « obscure », un bras de fer s’exerce sur la fenêtre de diffusion suivante entre « Canal+ » et « Netflix », comprenez entre les chaînes payantes, au premier rang desquelles la chaîne cryptée du groupe Vivendi (qui fut la grande pourvoyeuse de fonds du cinéma français), et les plateformes de SVOD telles que Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Et ce, lorsqu’il y a de leur part (pré)financement du film avec minimum garanti et engagement de diffusion. Dans sa proposition datée du 14 juin, le CNC entend ménager Canal+ sur la première fenêtre de la TV payant, en lui concédant « un délai inférieur au délai de huit mois [en cas d’] accord conclu avec les organisations professionnelles du cinéma [français] » (huit mois sans accord), et en reléguant ses rivaux « Netflix » à douze mois après la sortie d’un film en salle (quatorze mois sans accord). Alors que dans leur contreproposition datée du 1er juillet, les organisations du cinéma français – que sont le Blic (Bureau de liaisons des industries du cinéma), le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma) et l’ARP (société civile des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs), surnommées ensemble le « BBA » – veulent aligner la TV payant (Canal+) et la SVOD (Netflix et les autres plateformes par abonnement) sur la même fenêtre à six mois après la sortie du film en salle. Là où Canal+ exige que sa fenêtre d’exclusivité coure sur une durée de neuf mois avant que les plateformes de SVOD ne puissent prétendre proposer à leur tour le nouveau film, le CNC limite cette durée d’exclusivité des droits à six mois (ou un peu plus si accord). Et ce, pour en tout cas permettre aux plateformes de SVOD – celles contribuant financièrement à l’oeuvre – de démarrer à douze mois après la sortie du film en salle.

Le « BBA » veut aligner Canal+ et Netflix
Tandis que le BBA, lui, veut mettre Canal+ et les « Netflix » sur la même ligne de départ en cas d’accord de financement du film, soit à six mois après la sortie du film en salle. Cette avancée spectaculaire de la SVOD dans la chronologie des médias (actuellement à trente mois en cas d’accord, sinon à trente-six mois) n’est bien sûr pas du goût de Canal+ qui se retrouverait ainsi en concurrence frontale avec les plateformes vidéo par abonnement. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres AppleTV+ sont légitimes à demander un meilleur traitement en France depuis qu’ils ont – après la promulgation du décret « SMAd » le 23 juin dernier (4) – l’obligation à compter du 1er juillet de participer au financement du cinéma français. Netflix, que le Festival de Cannes n’a pas voulu voir car, selon lui, non conforme à ses règles, négocie avec les professionnels du 7e Art français un accord sur un certain nombre de films qu’il financera. C’est cette bataille déjà engagée, entre l’opérateur historique du cinéma français affaibli et les nouveaux entrants dynamiques de l’audiovisuel, qui était dans toutes les conversations des professionnels lors du 74e Festival de Cannes, du 6 au 17 juillet derniers. Le gouvernement, et sa ministre de la Culture en tête, n’ont pas réussi à trouver un accord sur cette sacro-sainte chronologie des médias pour l’annoncer avec champagne aux festivaliers sur la Croisette (notamment à ceux du Marché du Film organisé en parallèle), et à l’occasion du déplacement de Roselyne Bachelot sur le tapis rouge.

Le glas de l’influence de Canal+
Ce nouvel échec à trouver un consensus sur la chronologie des médias sonne le glas de l’influence de Canal+ sur le cinéma français. Le vent a tourné et la France ne peut pas continuer à favoriser un acteur, aussi encore influent soit-il, au détriment des arrivants, au risque de se faire épingler par la Commission européenne. Et sur le monopole des salles, personne ne trouve rien à redire… @

Ayant pivoté dans la vidéo en streaming (OTT), Netgem se démarque des « box » et de la SVOD

Permettre aux internautes de « ne pas être dépendant de la box » de leur fournisseur d’accès à Internet et d’avoir une plateforme de vidéo à la demande « sans abonnement et sans engagement ». Telle est l’ambition réaffirmée par Netgem, dont la filiale Vitis lance un service de VOD en OTT : Viva.

(Lors de la présentation de ses résultats semestriels le 30 juillet, soit après la parution de cet article dans EM@, Netgem a relevé ses objectifs financiers 2021)

Le 5 juillet dernier, le français Netgem a annoncé – via sa marque Videofutur – le lancement d’une nouvelle plateforme de vidéo à la demande (VOD) « dédiée au cinéma, sans abonnement et sans engagement », destinée à « la génération streaming qui souhaite voir en streaming ses films préférés en toute liberté, sur tous ses écrans et sans être dépendant de sa box opérateur ». Autrement dit, Netgem se positionne de plus en plus en OTT indépendamment des « box TV » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, Bouygues Telecom, SFR, Free et d’autres – dont sa propre box Videofutur.

Vers la fin des offres triple play ?
Surfant sur l’essor de la fibre optique et de la 5G, Netgem table sur son développement en OTT (Over-The-Top) sans avoir de compte à rendre aux opérateurs télécoms. « En 2020, le groupe a démontré que le pivot entamé depuis plusieurs années vers le métier de fournisseur d’accès à la vidéo en streaming (OTT) porte ses fruits », se félicite Netgem dans son rapport financier 2020, publié fin avril dernier. Grâce au très haut débit et à son modèle économique basé sur des revenus récurrents (90 % de son activité), l’entreprise cofondée par Joseph Haddad (photo) – président du conseil d’administration – a réussi malgré la crise sanitaire à générer l’an dernier un chiffre d’affaires de 30,2 millions d’euros en croissance de 20 %, pour un résultat net de 4,1 millions d’euros (contre 6,9 millions de pertes nettes l’année précédente). Cette performance est due à l’intégration-consolidation depuis début 2020 de sa filiale Vitis qui opère, en tant que fournisseur d’accès à la fibre optique, l’offre « box/VOD » Videofutur. Vitis, qui a ainsi contribué à hauteur de 54,9 % du chiffre d’affaires 2020 du groupe, est un FAI triple play sur le marché de la fibre optique en France, dans les zones géographiques couvertes par les réseaux d’initiative publique (RIP) des collectivités territoriales.
La société Vitis, toujours contrôlée par Netgem, a été fondée il y a cinq ans par Mathias Hautefort – l’actuel directeur général du groupe – avec le soutien de la Caisse des dépôts et du groupe Océinde d’origine réunionnaise. Mais plus globalement, Netgem estime qu’« au moment où les consommateurs européens basculent massivement vers la fibre, de plus en plus questionnent le bien fondé des packages 3P [comprenez le triple play des “box”, ndlr] intégrant des centaines de chaînes linéaires proposés par les opérateurs télécoms ». Le groupe français, qui est aussi présent en Grande-Bretagne, à Singapour, au Mexique ou en Australie, parie sur l’extension du phénomène cord-cutting déjà observé aux Etats-Unis (où les abonnés ne veulent plus dépendre d’un câblo-opérateur pour accéder à la télévision ou à la VOD/SVOD) en proposant « des services autonomes pour accéder à la télévision en streaming ». Son service NetgemTV est ainsi proposé directement au client final et/ou en partenariat avec des opérateurs télécoms – ces derniers s’étant résolus à proposer des offres one play ou double play (accès à la fibre et téléphonie sans télévision) à des prix plus agressifs pour amortir plus rapidement leurs lourds investissements dans leurs infrastructures très haut débit. La 5G devrait aussi accélérer le mouvement.
Aujourd’hui, le groupe encore détenu par la famille Haddad à hauteur de 24,7 % du capital et 31,5 % des droits de vote, déploie ses services NetgemTV à l’international et Videofutur (via Vitis) sur l’Hexagone. « En France, le modèle de distribution du groupe s’appuie sur la distribution direct-toconsumer de NetgemTV en bundle avec la revente d’un accès fibre sur zone locale sous la marque Videofutur et sur une distribution indirecte via des partenaires opérateurs télécoms », est-il expliqué dans le rapport financier 2020. L’ambition plus large est de se rendre indispensable dans les foyers, quitte à rayonner dans toutes les pièces de maison avec la technologie mesh (maillage) afin d’améliorer la qualité du Wifi à domicile grâce à une solution baptisée SuperStream. Netgem entend ainsi s’imposer en tant qu’« opérateur OTT pour la maison connectée », selon les propres termes de Mathias Hautefort.

330.000 abonnés francophones en Europe
C’est dans le cadre de cette stratégie de disruption qu’a été lancée en France la plateforme « Viva by Videofutur », dont le catalogue de 15.000 programmes (films, séries, documentaires, animations, …) – dont de nombreux films français (1) mais aussi américains (2) – va être référencé sur le moteur de l’offre légale de VOD du CNC (3) et intégrera le Pass Culture (4) d’ici fin juillet. En tant que plateforme VOD (à la location ou à la vente), les nouveaux films pourront y être proposés quatre mois après leur sortie en salle de cinéma. A ce jour, le groupe revendique – NetgemTV et Videofutur compris – plus de 330.000 abonnés en France et dans des pays francophones comme aux Luxembourg (Post) ou en Suisse (Net+). @

Charles de Laubier