Réforme du droit d’auteur : pourquoi l’eurodéputée Julia Reda est déçue par la Commission européenne

La commission juridique du Parlement européen a adopté le 16 juin le rapport
de l’eurodéputée Julia Reda sur la réforme du droit d’auteur. Prochaine étape :
le vote final les 8 et 9 juillet. Mais la membre du Parti Pirate regrette que la Commission européenne n’ait pas été assez loin.

« Les propositions sur le droit d’auteur et le géoblocage sont trop frileuses. Le fait de pouvoir regarder du contenu payant tel que des vidéos à la demande pendant ses vacances ne mettra pas
fin au système gênant du géoblocage. Souvent, ce système affecte les fournisseurs de services ou les plateformes financées par la pub comme YouTube, qui ne sont même pas intégrés dans les propositions de la Commission européen », a déploré l’eurodéputée Julia Reda (photo) dans une interview à Euractiv.com le 9 juin dernier.

Hésitations pour harmoniser
Membre du Parti Pirate et appartenant au groupe politique des Verts/ALE dont elle est vice-présidente au Parlement européen, où elle est aussi membre de la commission des Affaires juridiques (JURI), elle estime que la Commission européenne n’est pas allée assez loin dans ses propositions du 6 mai dernier. « Même si la stratégie de la Commission indique que certaines exceptions au droit d’auteur seront appliquées dans toute l’Union européenne, seul le secteur scientifique a pour l’instant été cité [dans le rapport adopté le 16 juin, toutes les exceptions au droit d’auteur n’ont pas été rendues obligatoires dans l’UE, ndlr]. Les Etats membres doivent être disposés à légaliser les formes d’utilisation déjà légales dans d’autres pays de l’Union européenne, telles que la modélisation des bâtiments publics, la citation de vidéos ou la création de parodies de contenus protégés par le droit d’auteur. Nombreux sont les gouvernements qui ne sont pas prêts à faire cela », déplore Julia Reda, auteure du rapport sur la mise en oeuvre de la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001, dite DADVSI (1).
Autrement dit, l’eurodéputée estime que les propositions avancées par l’exécutif européen ne vont pas assez dans le sens d’une harmonisation beaucoup plus poussée des règles du droit d’auteur pour que les vidéos créées de manière légale ne soient pas illégales dans les pays voisins et pour que de nouveaux services se développent.
« Nous devons casser les silos nationaux (…) dans le droit d’auteur », avait pourtant déclaré Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dans chacune des lettres de mission datées du 10 septembre 2014 et adressées à respectivement Andrus Ansip, commission en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, à l’Economie numérique (2). Ce dernier espère présenter les propositions
de réforme législative du droit d’auteur en octobre 2015 – ou du moins avant la fin de l’année. Pour l’heure, le rapport de l’eurodéputée Julia Reda a été adopté le 16 juin dernier à une large majorité par la commission juridique du Parlement européen. Le vote final en séance plénière est prévu les 8 et 9 juillet prochains. Malgré cette avancée parlementaire, la membre du Parti Pirate a tenu à exprimer publiquement pourquoi elle regrettait que les propositions que la Commission européenne a faites le 6 mai dernier n’aient pas été assez loin dans la réforme du droit d’auteur. Selon Julia Reda, la Commission européenne a été beaucoup trop hésitante dans l’instauration de règles communes à l’UE. « L’Union européenne s’appuie sur quatre libertés : liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services. Le contenu digital est présenté comme un service disponible sur Internet mais bien souvent il n’est pas accessible à tous en Europe. Cela contredit les principes de base du marché commun de l’UE et engendre de la discrimination (…) », estime Julia Reda. L’eurodéputée pointe du doigt l’intense lobbying auquel se livrent des entreprises et des organisations pour influencer à son tour le Parlement européen, puis le Conseil de l’UE « où les gouvernements nationaux se battent généralement pour les intérêts de leurs entreprises ». Selon elle, « il n’est donc pas surprenant que les grandes sociétés de télécommunications n’acceptent pas l’idée de neutralité du Net, que les maisons d’édition scientifiques s’opposent à une loi sur le droit d’auteur ou que les détenteurs
du droit d’auteur de grands événements sportifs soient contre la suppression du géoblocage ».

116 lobbies autour de Julia
Sur son site web d’information Juliareda.eu, montrant l’état d’avancement des discussions depuis son pré-rapport du 15 janvier dernier (3), Julia Reda joue la transparence en listant toutes les entreprises et organisations – soit pas moins de 116
à ce jour – qui l’ont sollicitée pour un rendez-vous (http://lc.cx/ LobbyReda). On y trouve par exemple : la SAA (Society of Audiovisual Authors), Google, la Free Software Foundation Europe, Apple, la Sacem, Vivendi, l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry), Canal+, l’EuroISPA (European Internet Services Providers Association), Walt Disney ou encore l’ETNO (European Telecommunications Network Operators’ Association). Un autre site web, Copywrongs.eu, fait état des débats et des amendements.

Territorialité en question
Est-ce sous la pression des lobbies les plus puissants que la Commission européenne a été finalement plus timorée dans ses propositions du 6 mai dernier ? Les questions sensibles, telles que celle du géoblocage (4), n’ont pas été tranchées.
Depuis leurs déclarations de l’automne dernier et la mobilisation de la France particulièrement remontée contre cette réforme, les commissaires européens ont mis de l’eau dans leur vin. Les organismes de gestion collective des droits (SACD, Scam, …) sont également opposés à la réforme, tandis que la Commission européenne a donné son accord le 16 juin au rapprochement entre les « Sacem » britannique (PRSfM), suédoise (STIM) et allemande (GEMA). La territorialité du droit d’auteur pour son financement n’est pas remise en cause, contrairement à ce que craignaient les ayants droits de la musique, du cinéma et du sport. Les exclusivités territoriales dont bénéficient les diffuseurs et distributeurs ne sont pas prêtes de voler en éclats. La Commission européenne a changé de braquet : plutôt que de se focaliser sur le droit d’auteur, elle reporte son attention sur le commerce électronique qui fera l’objet d’une grande enquête afin d’identifier les éventuels obstacles au marché unique numérique. Ainsi, pour le géoblocage portant initialement sur les contenus audiovisuels, les mesures envisagées par la Commission européenne se sont surtout déportées vers le géoblocage de biens et autres services dont la livraison est impossible dans certains pays. « En raison de ce blocage, il peut arriver, par exemple, qu’une location de voiture depuis un État membre donné soit plus chère qu’une location effectuée depuis un autre État membre pour un véhicule identique au même endroit », était-il expliqué le 6 mai. Et d’ajouter ensuite : « La Commission européenne s’efforce en particulier de garantir que les utilisateurs qui achètent des films, de la musique ou des articles chez eux puissent également en profiter lorsqu’ils voyagent à travers l’Europe. [Elle] examinera également le rôle des intermédiaires en ligne en ce qui concerne les œuvres protégées par le droit d’auteur ». Bref, la Commission européenne n’est plus aussi déterminée qu’avant. La ministre française de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, ne s’y est pas trompée, qui a « salué les progrès que marque la réflexion de la Commission sur certains aspects du débat en matière de droit d’auteur, en particulier la volonté de clarifier le statut des intermédiaires techniques et d’améliorer le respect du droit d’auteur ».
Dans une note datée du 23 février 2015, le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) refuse de « remettre en cause le principe du cadre territorial dans lequel sont délivrées les licences » et estime qu’il faut se concentrer « sur la portabilité des services et non sur une remise à plat du principe de territorialité qui aurait pour conséquence un appauvrissement de la culture européenne » (5). La réforme du droit d’auteur a donc du plomb dans l’aile. Et l’ancienne commissaire européenne et aujourd’hui eurodéputée Viviane Reding (6) est déjà prête à l’enterrer : « La réforme du droit d’auteur est un sujet mort-né. Il ne pose pas problème, on ne va pas commencer
à en créer pour régler des soucis qui n’existent pas ! », a-t-elle lancé lors d’un débat SACD-Canal+ sur le droit d’auteur et le marché unique du numérique qui s’est déroulé le 16 mai dernier lors du Festival de Cannes. Alors que, selon l’indice numérique que
la Commission européenne a publié le 24 février dernier, les Européens veulent aussi pouvoir accéder aux services en ligne disponibles dans d’autres pays que le leur : ils sont un sur trois à se dire intéressés par la possibilité de regarder un film ou entendre une musique provenant d’un pays étranger ; et ils sont un sur cinq à vouloir regarder ou écouter une oeuvre culturelle dans d’autres pays. Mais, malgré l’émergence de services numériques transfrontaliers, ils en sont empêchés par le blocage géographique (geo-blocking), par l’identification automatique de leur adresse IP (via des prestataires mondiaux tels que Maxmind et sa solution GeoIP) et par des techniques de DRM (Digital Rights Managements), en raison des restrictions liées aux droits d’auteur
ou aux droits d’exploitation.

Etude sur la VOD « transeuropéenne »
En France, la direction générale des Médias et des Industries culturelles (DGMIC)
du ministère de la Culture et de la Communication a publié le 23 mai un appel à candidatures – jusqu’au 16 juin prochain – pour la réalisation d’« une étude portant
sur les offres et les stratégies commerciales des services de VOD et SVOD transeuropéens ». @

Charles de Laubier

Chronologie des médias : reprise des discussions le 1er juillet

En fait. Le 1er juillet, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) réunira les professionnels du cinéma, de la télévision et du numérique pour reprendre les discussions – qui avaient été interrompues en décembre – pour tenter de faire évoluer la chronologie des médias inchangée depuis 2009.

France Télévisions veut accroître ses services payants, malgré la redevance audiovisuelle

Delphine Ernotte Cunci, qui sera présidente de France Télévisions à partir du
22 août prochain, veut accroître les services payants tels que la TV de rattrapage, la VOD et même la SVOD. Cela revient à faire payer deux fois les Français qui s’acquittent déjà de la redevance audiovisuelle.

« Afin de créer une passerelle directe avec les usagers, une nouvelle plateforme numérique, basée sur un algorithme de recommandation doit rendre la télévision
de rattrapage plus accessible, sur le modèle de Netflix
par exemple. (…) Il faut aller plus loin et penser une offre numérique plus riche, qui n’est plus uniquement liée à l’antenne. Le catalogue doit être complété en mettant notamment à disposition tous les épisodes d’une série
ou en s’adaptant au rattrapage séquencé », a notamment expliqué Delphine Ernotte Cunci (photo), lors de la présentation de son projet stratégique pour France Télévisions, devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

« Monétiser » les contenus
Selon celle qui a été désignée le 23 avril dernier comme future présidente du groupe public de télévisions, le modèle économique à suivre est celui de Netflix, le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) basé sur profilage et la recommandation « personnalisée ». « France Télévisions doit repenser son modèle économique. (…) La première voie à défricher est la monétisation de la seconde vie des contenus », a-t-elle encore déclaré. Le développement des services payants, émanant d’un groupe public aux contenus « gratuits » déjà financés par la redevance audiovisuelle, est clairement l’objectif de son projet baptisé « Audace 2020 ».
Sans évoquer l’actuelle plateforme payante PluzzVàD (1) de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci laisse entendre que télévision de rattrapage et vidéo à la demande payantes – à l’acte (VOD) ou par abonnement (SVOD) – seront intensifiées.
« Adapté à la télévision de rattrapage, il s’agit d’avoir une offre pour tous les publics et tous les rythmes de vie. Le catalogue vaste en programmes pour la jeunesse est une première piste à explorer. France Télévisions peut agir seule sur la [VOD] jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou CanalPlay », a-t-elle expliqué, en évoquant aussi par la suite la même démarche dans d’autres domaines que la jeunesse. Selon les cabinets NPA Conseil et GfK, la vidéo à la demande en France (VOD et SVOD) n’a progressé que de 3,8 % sur un an, à 248,9 millions d’euros en 2014. C’est un peu mieux que l’année 2013 qui affichait pour la première fois un recul du chiffre d’affaires de 4,7 %, à 239,8 millions d’euros. « Il n’est pas absurde de viser une certaine part de marché pour France Télévisions en dépit de la contrainte actuelle des 42 mois de durée d’exclusivité de ses droits », a assuré Delphine Ernotte Cunci, tout en évoquant deux pistes pour bâtir un catalogue indépendant : un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) ou bien un partenariat avec les autres chaînes gratuites pour « une proposition commune ». A moins qu’elle ne songe à un partenariat avec son employeur de toujours, Orange France, dont elle est jusque-là directrice exécutive (2).
La future présidente de France Télévisions est donc prête à aller sur le terrain de la SVOD où le président sortant Rémy Pflimlin n’avait osé s’aventurer. Interrogé en novembre 2012 par Edition Multimédi@ à propos de ce segment de marché, il avait répondu : « Il n’y a pas de réflexion dans ce sens, ni sur d’autres services payants
car, vous le savez, nous sommes un service public. Le seul service payant que nous proposons est la VOD à l’acte » (3). Le groupe de télévisions publiques n’a pas attendu Delphine Ernotte Cunci pour se lancer dans la VOD payante à l’acte. Lancée dès 2010 pour proposer la télévision de rattrapage pour les chaînes du groupe public, la plateforme Pluzz s’est en effet mise aussi au payant en lançant deux ans après la
VOD à l’acte.

France Télévisions Distribution (FTD)
« La VOD représente une part de plus en plus importante du chiffre d’affaires de l’activité d’édition de FTD [France Télévisions Distribution, ndlr] : 2,2 % en 2009, près de 15 % en 2012 et sans doute plus de 20 % en 2013. Le montant reste cependant modeste (3,1 millions d’euros en 2013) et ne représente que 1,5 % du chiffre d’affaires total de la VOD en France », souligne un rapport de la Cour des comptes sur FTD, révélé en décembre dernier (4) mais resté confidentiel. Les magistrats de la rue Cambon s’interrogent sur le modèle économique de cette filiale chargée notamment de la vente de DVD et de VOD, dont le chiffre d’affaires devait atteindre en 2015 les 65 millions d’euros. L’actuel PDG de FTD, Yann Chapellon, avait même dit en 2012 qu’il visait les 130 millions d’euros (5). On en serait bien loin : il devrait être cette année inférieur à 50 millions d’euros… « Une réflexion plus fondamentale sur l’activité de FTD et sur son intégration dans celle de France Télévisions doit être conduite », estime la Cour des comptes.

Service public gratuit et payant
Mais l’audace de Delphine Ernotte Cunci d’étendre le payant de France Télévisions à
la SVOD semble aller dans le sens du rapport Schwartz de mars dernier, du nom de l’ex-directeur financier de France Télévisions, Marc Schwartz. Il y explique ceci : « Un enjeu important de France Télévisions résidera dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue des plateformes numériques, au-delà des sources actuelles
de revenus. Sans oublier que le modèle économique du groupe repose sur une forte proportion de ressources publiques, il est légitime d’attendre à l’avenir un meilleur taux de couverture des charges du numérique, avec une réflexion qui peut être ouverte sur le partage entre offres gratuites et services payants ».
Bref, selon lui comme pour Delphine Ernotte Cunci, rendre payants des services publics ne serait pas incompatible avec la redevance audiovisuelle. Le seul moment où cette dernière évoque la redevance audiovisuelle, c’est pour dire que « les 65 millions de Français, par leur contribution à la redevance publique, sont en droit d’être traités comme 65 millions d’abonnés »…

Pourquoi les contribuables-téléspectateurs auraient à payer deux fois la télévision publique ? La redevance audiovisuelle, que Bercy appelle la contribution à l’audio-visuel public (CAP), est en hausse cette année de 2,2 % à 136 euros pour la France métropolitaine (86 euros pour les départements d’outre-mer). Elle va rapporter à l’audiovisuel public 3,67 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 3,3 % sur un an. France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public à en bénéficier, à hauteur de plus de 2,3 milliards d’euros – soit 64,3 % de cette manne « fiscale » (car collectée avec la taxe d’habitation en novembre). Viennent loin derrière Radio France (64,4 millions d’euros, soit 16,7 %), Arte France (267,2 millions, soit 7,4 %), France Médias Monde (6) (247,1 millions, soit 6,7 %), suivis de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et TV5 Monde. C’est en contrepartie de cette redevance audiovisuelle – obligatoire pour tout foyer détenteur d’un poste de télévision – que les contribuables sont en droit de recevoir gratuitement les chaînes de télévision et les stations radios publiques.
L’incursion de France Télévisions dans le payant ne pose pas seulement un problème vis-à-vis de la redevance audiovisuel que les téléspectateurs ont déjà payée pour un accès « libre » aux chaînes publiques, cela pourrait soulever aussi quelques problèmes en terme de concurrence. Ce fut par exemple le cas en Allemagne pour la plateforme de VOD payante « Germany’s Gold », commune aux chaînes publiques ARD et ZDF. Après un avis de l’autorité de la concurrence allemande, accusant les deux groupes de distorsion de concurrence avec cette offre, leur plateforme a été forcée de s’arrêter en septembre 2013.
Derrière ce dilemme du gratuit et du payant pour l’audiovisuel public, se pose aussi
une autre interrogation : celle du bien fondée de la redevance audiovisuelle, au moment où l’audience des chaînes publiques voient leurs audiences baisser au profit des nombreuses autres chaînes de la TNT et des vidéos sur Internet – pendant que les ressources issues de la contribution à l’audiovisuel public ont, elles, cru de 18 % entre 2005 et 2014 en euros constants (33 % en euros courants). Les chaînes publiques enregistrent en effet une érosion continue de leur part d’audience, passant de 39,5 % en 2003 à 28,6 % dix ans plus tard. Et une érosion peut en cacher une autre. Avec
la nouvelle génération, le taux d’équipement des foyers en téléviseur (96,7 %) tant à diminuer au profit d’autres écrans pour regarder la télévision linéaire ou non (tablettes, smartphones, phablettes). Ce qui fait peser à moyen terme un risque d’érosion de l’assiette de la redevance, assise actuellement sur le seul téléviseur.

Pourquoi payer deux fois ?
Si le groupe audiovisuel public est moins regardé et se finance de plus en plus avec des services payants, les Français ne seraient-ils pas en droit de voir leur redevance diminuer sérieusement – plutôt que de la voir augmenter constamment. Et est-il raisonnable d’envisager, comme le préconise le rapport Schwartz, d’élargir son assiette aux nouveaux supports ? Une réflexion de fond est assurément à mener sur la vocation publique et le financement de France Télévisions. Sinon, les Français risquent de ne plus comprendre pourquoi ils paient deux. @

Charles de Laubier

Stream ripping : la question de la licéité de la copie privée à l’ère du streaming reste posée

Le streaming s’est imposé face au téléchargement sur Internet. Si mettre en ligne une oeuvre (musique, film, photo, …) nécessite l’autorisation préalable des ayants droit, les internautes ont-ils le droit à la copie privée – exception au droit d’auteur – lorsqu’ils capturent le flux (stream ripping) ?

L’Autorité de la concurrence et le CSA devraient avoir leur mot à dire sur la chronologie des médias

Depuis que l’accord entre Canal+ et le cinéma français a été prorogé l’an dernier jusqu’au 28 février 2015, celui sur la chronologie des média tarde à être signé malgré un projet d’avenant « définitif » adressé par le CNC le 27 janvier aux professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et du numérique.

Qui a dit : « Confier le soin de fixer certaines règles du jeu aux professionnels du cinéma et de la télévision revient à demander à un prêtre intégriste de célébrer un mariage pour tous » ? C’est Pascal Rogard, directeur général de la SACD (1), l’une des principales sociétés de gestion collective des droits d’auteur en France. Et de suggérer le 9 février sur son blog que l’Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) puissent avoir un droit de regard sur cette chronologie des médias : « Le droit absolu d’autoriser et d’interdire des modes d’exploitations ne devrait pas être exercé par des corporations, des groupements, des syndicats, ou pour le moins être revu tous les trois ans et faire l’objet d’un examen préalable par l’Autorité de la concurrence et le CSA ».

Des négociations laborieuses
Pour l’heure, les négociations sur cette réglementation rigide qui détermine les fenêtres de diffusion des films à leur sortie (voir schéma page suivante) se passent – mal – entre les professionnels du cinéma français, de l’audiovisuel et du numérique, bien que placées sous l’égide du CNC (2). Ces discussions à n’en plus finir, censées parvenir à la signature interprofessionnelle d’un « avenant n° 1 à l’accord du 6 juillet 2009 pour le réaménagement de la chronologie des médias », se passent d’autant plus difficilement qu’elles ont abouti à la fin de l’an dernier à un statu quo. Et ce début d’année n’est pas mieux…
Entre la réunion au CNC le 18 décembre dernier et l’envoi le 27 janvier d’un projet
« définitif » d’accord par ce même CNC – texte que Edition Multimédi@ met en ligne
(3) –, il y a en effet peu d’avancées dans la chronologie des médias. A cela s’ajoutent les exigences des organisations du cinéma français que sont le Blic (4), le Bloc (5), l’ARP et l’UPF (6), lesquelles se sont réunies le 28 janvier pour adresser un courrier
au CNC afin de poser leurs conditions avant toute évolution des fenêtres de diffusion. L’une d’elles est que les pouvoirs publics s’engagent de façon « interministérielle » à lutter contre le piratage sur Internet. Déjà, en octobre 2014, ces mêmes organisations avaient envoyé une lettre à la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin pour lui demander d’intercéder en leur faveur sur deux points sensibles : le dégel des droits et les fenêtres de diffusion glissantes. Ce qui n’avait pas plu à Canal+, premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (près de 200 millions d’euros par an), qui est de son côté en cours de renégociations avec le 7e Art français pour un accord qui lui procure des films en exclusivité. Cette initiative n’a pas arrangé les négociations déjà laborieuses sur la chronologie des médias.
D’autant que les points de blocage restent nombreux entre les multiples professionnels présents autour de la table (exploitants de salles de cinéma, producteurs de films, chaînes de télévision, distributeurs de films, auteurs, ….).
• Se pose la question du dégel des droits d’exploitation d’un film en vidéo à la demande (VOD) durant les fenêtres des chaînes de télévision, lesquelles détiennent actuellement une exclusivité (la VOD devant alors suspendre la commercialisation des films concernés…). Lors de la réunion du 18 décembre, TF1, M6 et France Télévisions (les chaînes gratuites) ont finalement accepté le dégel des droits durant leur diffusion,
à condition de pouvoir choisir elles-mêmes les plateformes de VOD.
Quant à la chaîne cryptée Canal+, elle reste contre le dégel des droits. Sa fenêtre s’ouvre actuellement au plus tôt à 10 mois (« première fenêtre ») grâce à un accord distinct en cours de renégociation avec le cinéma français.

Exclusivité de Canal+ en question
Mais le nouveau projet de chronologie des médias présenté fin janvier par le CNC
fait deux avancées applicables aux chaînes payantes (Canal +) : la limitation de ce
gel aux six premiers mois de leur fenêtre de diffusion, et le raccourcissement au plus
tôt à 8 mois au lieu de 10 – sous réserve d’un nouvel accord avec le cinéma français (7). En contrepartie du dégel des droits, Canal+ négocie avec le cinéma français un plus grand nombre de films à diffuser chaque année sur son antenne cryptée, et en
TV de rattrapage sur une période plus longue. Ce raccourcissement de deux mois est aussi proposé pour les chaînes gratuites. A savoir 20 mois, au lieu de 22, pour les chaînes gratuites qui consacrent 3,2 % de leur chiffre d’affaires dans le préfinancement du film (sinon 28 mois au lieu de 30).

Attention, fenêtres glissantes !
• Il y a le problème des fenêtres « glissantes » au profit notamment de la VOD
par abonnement (SVOD), laquelle reste – désespérément – à son délai actuel de 36 mois. Par « fenêtres glissantes », telles que les propose le CNC depuis décembre et
en tenant compte des ajustements de janvier, il faut comprendre un raccourcissement du délai de diffusion en SVOD – passant en l’occurrence de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois – pour certains films lorsqu’ils ne sont pas préfinancés par une chaîne (8) et qu’ils ne dépassent pas les 200.000 entrées en salles au bout de quatre mois. Et encore, faudra-t-il que l’éditeur de SVOD montre patte blanche pour bénéficier de cette dérogation. A savoir qu’il respecte pas moins de six obligations, allant de quotas de films européens et d’expression originale française (respectivement 60 % et 40 % de son catalogue), à une part de son chiffre d’affaires annuel consacré au financement de films européens et d’expression originale française (respectivement au moins égale à 21 % et 17 %), en passant par la taxe vidéo et une bonne exposition de ces films sur
sa page d’accueil.
• Reste toujours la fenêtre de la VOD, laquelle intervient seulement après les quatre mois d’exploitation de la salle. Alors que la simultanéité salles-VOD reste un sujet tabou en France, malgré les appels de la Commission européenne aux expérimentations comme peut le faire l’ARP (9) avec le projet Spide mais de façon très timide dans l’Hexagone (10), les quatre mois de la VOD restent – désespérément là aussi – figés dans le temps. Quant à la VOD en téléchargement définitif (ou EST pour Electronic Sell Through), elle aurait pu être ramenée à trois mois et demi comme l’envisageait le précédent projet. Mais dans la dernière mouture, cette perspective est renvoyée à plus tard et à d’hypothétiques expérimentations.
Reste à savoir enfin quand interviendra la signature : « L’accord ne pourra être signé que si les accords entre producteurs [de cinéma] et diffuseurs [de télévision] aboutissent », avait prévenu Frédérique Bredin, présidente du CNC, lors de ses vœux le 27 janvier. Alors d’ici le Festival de Cannes qui se tiendra du 13 au 24 mai 2015 ? Ce dernier sera pour la première fois sous la présidence de Pierre Lescure, celui-là même qui préconisait pourtant d’aller loin dans la réforme de la chronologie des médias… Cet accord du 6 juillet 2009 sur la chronologie des médias est entré en vigueur il y a plus de cinq ans et demi maintenant : une éternité à l’heure du Net ! Les dispositions de l’accord ont été rendues obligatoires par l’arrêté d’extension du 9 juillet 2009 pour les services de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) de type VOD ou catch up TV. A noter que la SACD, l’ARP et Free ne s’étaient pas joints à la signature. @

Charles de Laubier