La SVOD dépasse pour la première fois la VOD

En fait. Le 23 janvier, le cabinet d’études NPA Conseil confirme à Edition Multimédi@ que la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) a dépassé pour la première fois en 2017 la VOD (location et achat). Selon les « chiffres définitifs », le marché français de la vidéo numérique frôle le demi-milliard d’euros.

Les plateformes de vidéos en OTT grignotent inexorablement le marché mondial de la Pay TV

Le temps travaille pour les services vidéo en Over-The-Top (OTT), qu’ils soient par abonnement (SVOD comme Netflix), financées par la pub (AVOD comme Hulu), transactionnels (TVOD (1) comme Amazon) ou en téléchargement définitif (iTunes). Quant à la télé payante (Pay TV comme Canal+), elle décline.

Les plateformes vidéo sur Internet prennent de l’ampleur. Leur chiffre d’affaires cumulé au niveau mondial devrait atteindre 46,5 milliards de dollars en 2017, contre 37 milliards en 2016. C’est un bond en avant de plus de 25 % sur un an. Dans le même temps, les revenus de la télévision payante devraient quasi stagner à 202,3 milliards de dollars cette année, contre 202,1 milliards en 2016. C’est ce qui ressort d’une étude de Digital TV Research, qui chiffre sa prévision à l’horizon 2022 à 83,4 milliards de dollars pour l’OTT Video et à 199,7 milliards pour la Pay TV (voir graphique ci-dessous).

Pay TV : sous les 200 M$ en 2022
Selon Simon Murray (photo), analyste principal de cette société d’études londonienne qui s’est penchée sur ces deux marchés, la télévision payante va entamer un déclin global pour passer tout juste d’ici à cinq ans en-dessous de la barre des 200 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Pendant ce temps, toujours à l’horizon 2022, les plateformes vidéo en OTT devraient, elles, peser près de 30 % du marché total « OTT & Pay TV », soit près d’un tiers des 283,1 milliards de dollars de revenus cumulés dans cinq ans. Autrement dit, l’OTT Video pèsera alors l’équivalent de plus de 40 % des recettes de la Pay TV – alors que ce ratio n’est encore que de 23 % en 2017 (46,5 milliards pour le premier, 202,3 pour le second). « Le chiffre d’affaires de la télévision payante va décliner entre 2017 et 2022, bien que cette tendance baissière sera très lente », temporise Digital TV Research, qui souligne le leadership des chinois China Telecom, BesTV et China Radio & TV dans la Pay TV, loin devant les européens Liberty Global, Sky, Rostelecom ou Canal+. Et entre l’an dernier et l’horizon 2022, la vidéo en OTT aura alors vu ses revenus plus que doubler sur cette période. Ainsi, la SVOD de type Netflix, Amazon Prime Video, Now TV (Sky) ou iQiyi (Baidu), devrait générer à cette échéance plus de 41 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde – soit la moitié du total des revenus OTT, toujours en 2022. Elle sera suivie cette année-là par l’AVOD (2) de type Hulu, RTL ou ProSieben à 28,9 milliards de dollars. Et encore, ce segment-là ne prend pas en compte les revenus publicitaires de YouTube (ni de Dailymotion) car, nous précise Simon Murray, « nos prévisions portent seulement sur les programmes, séries et films, mais pas les contenus générés par les utilisateurs,
les UGC (3) ». Arriveront ensuite loin derrière le DTO (4) et EST (5) tels que iTunes, Amazon Prime Video ou encore Google Play à 8 milliards de dollars, et la location à 5,1 milliards de dollars.
En termes d’abonnements cette fois, la SVOD devrait atteindre l’équivalent de la moitié du total des abonnements de la Pay TV d’ici à 2022. La SVOD aura ainsi doublé le nombre de ses abonnements au niveau mondial, à 546 millions d’ici cinq ans, l’Asie-Pacifique dépassant entre temps en 2017 l’Amérique du Nord. Dans cinq ans, Netflix devrait avoir 131 millions d’abonnés (40 % de parts de marché mondial) et Amazon Prime Video 94 millions. Toutes les autres plateformes se partageront les 322 millions d’abonnés restants, c’est-à-dire la plus grosse part émiettée du lion. « La Pay TV n’est pas morte pour autant, puisqu’elle aura encore en 2022 plus de 1 milliard d’abonnés. L’Amérique du Nord perdra des abonnements, tandis que l’Europe stagnera. En revanche, l’Asie-Pacifique augmentera le nombre de ses abonnés Pay TV – la Chine (353 millions en 2022) et l’Inde (179 millions) comptant alors dans cinq ans pour la moitié du total mondial des abonnés à la Pay TV », prévoit Simon Murray. Quant à YouTube, UGC mondial qui n’est pas pris en compte dans les prévisions de Digital TV Research, il est en embuscade. @

Charles de Laubier

L’Europe tente de déverrouiller les géoblocages commerciaux et les frontières audiovisuelles

Si l’interdiction du géoblocage dans le e-commerce de biens et services est promise d’ici à Noël 2018, il n’en ira pas de même pour les discriminations géographiques des contenus culturels soumis aux droits d’auteur (musiques, films, livres, …). La portabilité transfrontalière, elle, reste un vœu pieux.

Pas facile de créer un véritable marché unique du numérique. Le Parlement européen et ses différentes commissions essuient les plâtres avec le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. S’ils sont parvenus à un accord provisoire annoncé le 21 novembre à l’issue d’un « trilogue », c’est au prix de larges compromis et même de clauses de réexamen. Certes, les avancées sont notables en vue de lever les obstacles du géoblocage dans le e-commerce.

Droit d’auteur : clause de revoyure
Mais ne croyez pas trop vite au Père Noël : c’est en effet seulement « d’ici à Noël
2018 que les Européens devraient pouvoir faire leurs achats en ligne sans être bloqués ou redirigés ». Et encore. L’interdiction de ne pas discriminer sur Internet et les applications mobile les consommateurs européens – en raison de leur nationalité,
de leur lieu de résidence, du lieu d’établissement des clients ou encore en fonction
de leur carte bancaire – se limitera dans un premier temps au commerce électronique (e-commerce) de biens et services non soumis aux droits d’auteur. « Comme proposé par la Commission européenne, le contenu numérique soumis au droit d’auteur, tels que les livres électroniques, la musique ou les jeux vidéo, n’a pas été inclus pour le moment dans le périmètre de ce projet de règlement », explique la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (Imco) du Parlement européen. Dans sa proposition de règlement du 25 mai 2016 contre le blocage géographique et d’autres formes de discrimination (1), la Commission européenne a prévu à l’article 9 cette fameuse « clause de réexamen » qui interviendra « deux ans après la date d’entrée en vigueur du règlement » et qui permettra notamment de voir « si l’interdiction [de géoblocage] devrait s’appliquer également aux services fournis par voie électronique dont la principale caractéristique est de fournir un accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés et de permettre leur utilisation, pour autant que le professionnel ait les droits requis pour les territoires concernés ». Mais il n’y a pas que le droit d’auteur des livres numériques, de la musique en ligne ou des jeux vidéo qui sont, par la Commission européenne, soumise à un fort lobbying des industries culturelles et des ayants droits (2), épargnés par ce règlement « anti-discrimination géographique » ; sont aussi exclus du champ d’application de ce règlement les services audiovisuels tels que la VOD, la SVOD,
la TV de rattrapage ou encore le cinéma à la demande, ainsi que « les services dont
la principale caractéristique est l’accès aux retransmissions de manifestations sportives et qui sont fournis sur la base de licences territoriales exclusives ». C’était sans compter sur les négociateurs du Parlement européen qui sont quand même parvenus à rendre « ambitieuse » (sic) cette clause de réexamen pour « évaluer non seulement si le périmètre doit être étendu au contenu non audiovisuel soumis au droit d’auteur, mais également [aux] services audiovisuels ou de transport ». Avant que la clause de revoyure ne débouche sur un élargissement de la règlementation, le géoblocage a encore de belles années devant lui. Pourtant, Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la Concurrence avait fait état en mars 2016 d’une enquête sectorielle (3) où « la majorité (68 %) des fournisseurs ont déclaré pratiquer le blocage géographique des utilisateurs – sur la base de l’adresse IP de leur ordinateur et/ou de leur smartphone – situés dans d’autres États membres de l’UE ». Et 59 % de ces fournisseurs de contenu ont affirmé être soumis à une obligation contractuelle de blocage géographique envers leurs fournisseurs. De son côté, la commission des affaires juridiques (Juri) du Parlement européen a adopté le 21 novembre dernier de nouvelles règles en faveur de la portabilité transfrontalière de contenus en ligne de l’audiovisuel (télé et radio). Mais là aussi, le compris l’a emporté au détriment du marché unique numérique sans frontières. Si les nouvelles règles visent à faciliter la mise à disposition par les diffuseurs de leurs programmes d’actualité et d’information générale en ligne dans d’autres pays de l’UE, les diffuseurs audiovisuels, eux, pourront « imposer un blocage géographique de leur contenu en ligne si l’ayant droit et le diffuseur se sont accordés sur ce point lors de la signature de leur contrat ».

« Sous couvert de diversité culturelle »
En attendant que les négociations démarrent avec le Conseil de l’UE, le rapporteur
de ce texte (4), l’eurodéputé allemand Tiemo Wölken (photo) n’a pas caché sa grande déception: «Nous avons raté l’opportunité de créer un véritable public européen. Les forces conservatrices ont mis, de façon irrationnelle et déséquilibrée, les intérêts des grands acteurs du secteur devant ceux de millions de citoyens européens. Sous couvert de diversité culturelle, les diffuseurs européens sont freinés dans leur adaptation à l’ère numérique ». @

Charles de Laubier

Comment BeIn Media Group est devenu mondial, en commençant par la France

Lorsque le groupe audiovisuel qatari Al Jazeera Media Network part conquérir le monde il y a cinq ans, c’est d’abord en France qu’il lance la chaîne BeIn Sports. Et ce, avant même que BeIn Media Group ne soit créé en janvier 2014 et séparé d’Al Jazeera. Aujourd’hui, son image est écornée.

Le fondateur et actuel PDG de BeIn Media Group, Nasser Al-Khelaïfi (photo), est en outre président du PSG (Paris Saint-Germain Football Club), racheté en 2011 par Qatar Sports Investment (QSI), dont il est également président. QSI est le fonds « sportif » de l’émirat du Qatar et fait partie intégrante du fonds d’investissement souverain Qatar Investment Authority (QIA). Nasser Al-Khelaïfi a lancé il y
a cinq ans (en juin 2012) BeIn Sports France avant de conquérir le monde.

Du sport au cinéma d’Hollywood
Nasser Al-Khelaïfi est aujourd’hui au coeur d’une enquête lancée par la justice suisse et visé pour « soupçon de corruption privée, d’escroquerie, de gestion déloyale et de faux dans les titres » (1) dans l’acquisition délictueuse des droits média auprès de la Fifa (Fédération internationale de football association) des Coupes du monde de foot 2026 et 2030 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Que de chemin parcouru depuis 2011 et les acquisitions en France des droits de diffusion du Championnat de France de football pour la période 2012-2016 et de l’Euro-2012, suivies du lancement de la chaîne française BeIn Sports. Puis, ce sera l’ouverture de BeIn Sports Amérique en août 2012, de BeIn Sports Asie en juillet 2013, de BeIn Sports Australie en octobre 2014 et de BeIn Sports Espagne en août 2015. Les acquisitions de droits de diffusion sportifs s’enchaînent en Europe (Liga espagnole, Bundesliga allemande, Ligue des champions française, …) pour une exploitation télévisée mondiale si possible, sans parler des droits de la Coupe du monde de football depuis 2014 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (Mena). BeIn Sports France, qui revendique 3,5 millions d’abonnés, espère garder les droits de la Ligue 1 de football après 2020. Et puis il y a ce contrat 2026 et 2030 avec la Fifa qui est dans le collimateur.
Mais le sportif Nasser Al-Khelaïfi ne va pas en rester aux sports (football, tennis, basketball, handball, rugby, vélo, boxe, volleyball, sport automobile, …). Son groupe audiovisuel va rapidement se diversifier. En novembre 2015, BeIn Media Group lance son bouquet de chaînes cinéma, divertissement et documentaires par satellite pour
la zone Mena avec notamment BeIn Movies et BeIn Series. En août 2016, le groupe qatari s’empare de Digiturk, la plus grande plateforme de télévision payante turque. Entre temps, en mars 2016, BeIn Media Group fait l’acquisition du studio hollywoodien de cinéma et de télévision Miramax – lequel studio avait été fondé en 1979 par Bob et son frère Harvey Weinstein, lequel défraie aujourd’hui la chronique mondiale depuis qu’il est accusé de multiples viols et agressions sexuelles. D’ailleurs, The Weinstein Company, l’actuelle société de production de Hollywood, des frères Weinstein, a annoncé le 16 octobre dernier être entrée en négociations avec le fonds Colony Capital pour lui vendre la plupart de ses actifs. Or, Colony Capital est justement le fonds qui, avec le Qatar, avait racheté en 2010 Miramax avant de le revendre l’an dernier à BeIn Media Group. Miramax détient les droits de plus de 700 films, dont « Bridget Jones »,
« Pulp Fiction », « Chicago » ou encore « Le patient anglais ». Quant à la Weinstein Co, qui a à son actif cinématographique des films à succès tels que « Shakespeare in Love », « Le discours d’un roi » ou encore la série « Project Runway », elle pourrait très bien tomber à son tour dans l’escarcelle de… Nasser Al-Khelaïfi.
Quoi qu’il en soit, l’enquête suisse pour corruption, d’une part, et la crise diplomatique du Qatar avec l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis qui soupçonnent l’Etat qatari de soutien au terrorisme, d’autre part, pourraient contrarier les ambitions de BeIn Media Group. Pour l’heure, BeIn Sports France – dirigée par Yousef Al-Obaidly – est depuis cette année membre de l’Association des télévisions commerciales en Europe (ACT) – tandis que Digiturk – sous la responsabilité de Yousef Al-Obaidly également – y est aussi entré comme membre observateur.

Attractivité en France : n°1 (NPA Conseil)
Dans le 1er indice d’attractivité des chaînes thématiques et des services de SVOD publié fin septembre, le cabinet NPA Conseil place BeIn Sports en tête en France, devant OCS et Ciné+. Accessible via le câble, l’ADSL et le satellite, les trois chaînes de BeIn Sports (1, 2 et 3, complétées par 7 chaînes « Max ») sont également proposées par abonnement sur ordinateur : BeIn Sports Connect (2). Les fans peuvent aussi utiliser Your Zone (3) pour envoyer leurs contributions sur l’actualité sportive (articles, photos, vidéos). En tout cas, Yousef Al-Obaidly a affirmé miseptembre (4) que BeIn Media Group a abandonné l’idée d’alliance avec Canal+, que l’Autorité de la concurrence avait refusée en 2016. @

Charles de Laubier

Fenêtres de diffusion des films à l’heure du Net : comment sortir de l’« anachronie des médias»

L’heure de vérité a sonné pour la chronologie des médias – anachronique à l’ère du numérique. Le gouvernement a donné six mois aux professionnels du cinéma français pour se mettre enfin d’accord, faute de quoi il faudra légiférer. Mission quasi impossible pour le médiateur Dominique D’Hinnin.

« La révision de la chronologie des médias est un chantier prioritaire. C’est la clé pour adapter notre modèle aux nouveaux usages et pour sécuriser l’avenir de notre système de préfinancement. Ma conviction est que ce sont les professionnels eux-mêmes qui sont les mieux placés, à travers la concertation, pour définir une solution. Mais les discussions sont bloquées depuis trop longtemps. Et pour sortir du blocage, je crois que nous devons changer de méthode », a déclaré Françoise Nyssen, ministre de la Culture, à l’occasion des 27e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), le 13 octobre. Aussi a-t-elle confirmé la désignation de Dominique D’Hinnin (photo) comme médiateur pour conduire la concertation de la dernière chance « dans des délais stricts, avec l’appui du CNC (1) ».

Deux ans de perdus en tergiversations
Cet ancien inspecteur des finances et ancien cogérant du groupe Lagardère (2010-2016) vient de débuter ses travaux. « Il aura au maximum six mois pour trouver un nouvel accord. Faute de quoi, le gouvernement prendra ses responsabilités et proposera une solution législative ou réglementaire », a prévenu la ministre de la Culture. Le problème, c’est que le blocage dû au dialogue de sourds entre les différentes parties prenantes de la chronologie des médias – les exploitants de salles de cinéma arc-boutés sur leurs quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films, les plateformes de VOD (et les éditeurs de DVD), les chaînes de télévision et les plateformes de SVOD – perdure. Ce statu quo est incompréhensible pour les cinéphiles et internautes, d’autant que ces règles anachroniques – où la chronologie des médias devient véritablement l’« anachronie des médias » – datent de 2009 et régissent depuis, sans changement, la diffusion des nouveaux films, malgré les premières préconisations des rapports Zelnik de 2010 et Lescure de 2013. Face à cet enlisement des négociations, le gouvernement tente l’ultimatum de six mois, espérant débloquer la situation. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement menace de légiférer si les professionnels du Septième Art ne se mettent d’accord sur une nouvelle chronologie des médias. Il y a deux ans, par exemple, plusieurs parlementaires avaient déposé – dans le cadre de la loi « Création » (2) – des amendements qui proposaient une première avancée à laquelle le gouvernement s’était rallié.

Il s’agissait de prévoir « une durée de validité limitée » – en l’occurrence trois ans maximum – de l’accord sur la chronologie des médias, « en se réservant toutefois la possibilité d’étendre pour une durée moindre ». « La disposition prévoyant de limiter
à trois ans l’extension des accords relatifs à la chronologie des médias permettra de tourner la page du statu quo désespérant qui préside actuellement », s’était alors félicitée la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Mais cette disposition n’a
pas été adoptée (3). Deux ans perdus après, le gouvernement a changé mais le statu quo perdure.
Et ce n’est pas faute pour le CNC et son directeur général délégué Christophe Tardieu d’avoir essayé de réconcilier les irréconciliables… Sa énième proposition datée du 24 avril – que Edition Multimédi@ s’était procurée au printemps dernier (4) – fut débattue lors de la réunion de négociations de la dernière chance le 28 avril. Mais l’espoir d’annoncer de nouvelles fenêtres de diffusion des nouveaux films en plein 70e Festival de Cannes s’était rapidement évanoui en raison des dissensions professionnelles persistantes (5). Pour ses 27e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD),
la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP) – dont le président d’honneur est le réalisateur, producteur et scénariste Claude Lelouch – a tenté le tout pour le tout en proposant une « modernisation de la chronologie des médias ». D’une part, l’ARP préonise le « rattrapage numérique de l’exploitation du film en salle lorsque le public n’y a plus accès » par une « solution géolocalisée » qui consiste à prévoir
« une salle virtuelle » dans telle ou telle zone de diffusion sur le territoire dès lors que
le film n’est plus à l’affiche des salles de cinéma ayant pignon sur rue. Ce cinéma de rattrapage – sorte de « Catch up Ciné » comme il y a la Catch up TV – a le mérite de donner une seconde chance, mais en ligne, pour les films n’ayant pas trouvé leur public en salle et/ou étant victime du taux de rotation élevé des films dans la programmation des exploitants.

Une sorte de « catch up Ciné » ?
D’autant que plus de 80 % des entrées sont réalisées entre la sortie et la 4e semaine d’exploitation du film. Au pays de l’« exception culturelle française », de plus en plus
de films se retrouvent presque mort-nés : la moitié produits dans l’année font fait moins de 20.000 entrées en salle, et une cinquantaine sont vus par moins de 1.000 spectateurs (6). L’ARP demande donc « avec vigueur aux pouvoirs publics une expérimentation de cette solution [de salle virtuelle], dans les plus brefs délais ». D’autre part, l’ARP propose d’aligner la télévision payante telle que Canal+, OCS ou Ciné+ (actuellement  à 10 mois après la salle) et la SVOD de Netflix, Amazon Prime Video ou SFR Vidéo/Altice Studio (actuellement à 36 mois) dans une même fenêtre
des offres payantes par abonnement « si elles répondent aux conditions de vertu »,
à savoir : « diversité, respect du droit d’auteur, préfinancement, pérennité des engagements, exposition par la prescription et l’éditorialisation ». Et ce, « en fonction
du niveau d’investissement (valeur absolue+minimum garanti par abonné) ». Le ticket d’entrée est selon le niveau d’investissement, défini en valeur absolue et complétés par un minium garanti (MG) par abonné. Le principe est, selon l’ARP, qu’un un acteur qui pré-finance trois films par an n’a pas besoin d’une fenêtre d’exploitation aussi longue que celui qui en finance cent.

Les exigences de Canal+ et de la FNCF
De son côté, comme lors des RCD 2016, Canal+ a de nouveau réclamé le 25 octobre une fenêtre de diffusion à 6 mois au lieu de 10 mois (7) et exigé une révision de l’accord quinquennal de 2015 et ses MG (8).
« Nous voulons tous protéger la salle, mais lorsqu’un film n’est plus en salle, nous pensons qu’il est indispensable de lui donner une deuxième chance », a plaidé Radu Mihaileanu, président de l’ARP, lors d’un débat sur le thème interrogatif « Quelles fenêtres ? Quelles valeurs ? Quelle chronologie ? », le 13 octobre à Dijon. Etait notamment présent Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a défendu bec et ongles le monopole des quatre mois dont bénéficient les salles : « Réduire la fenêtre des salles, c’est un suicide collectif pour l’ensemble de la filière », a-t-il… exagéré. Les recettes des salles en France dépassent chaque année 1,3 milliard d’euros, dont les entrées font l’objet d’une taxe de 10,7 % sur chaque billet qui est reversée au CNC pour soutenir la production des films français. Président intransigeant depuis janvier 2013 de la puissante fédération représentant les quelque 2.000 établissements exploitants en France plus de 5.700 écrans de cinéma, Richard Patry est lui-même exploitant des salles NOE Cinémas en Normandie, groupe qu’il a créé il y a trente ans. Il rempli depuis janvier 2017 son troisième mandat pour deux ans (jusqu’en janvier 2019) à la présidence de la FNCF. « Notre durée d’exclusivité à quatre mois est intangible », avait-il déjà prévenu Richard Patry lors du 72e congrès de sa fédération à Deauville fin septembre. « On ne peut pas rester immobile dans un monde qui a tellement bougé », lui avait alors répondu Frédérique Bredin, la présidente du CNC. Décidé à ne rien céder, Richard Patry (9) est à l’origine du statu quo controversé de la chronologie des médias. Autant dire que le médiateur Dominique D’Hinnin, fraîchement nommé, arrive sur un terrain miné. Diplômé de l’Ecole normal supérieure (ENS) et actuellement membre du conseil d’administration du groupe de médias espagnole Prisa (El País, Digital+, …) et par ailleurs désigné pour prendre en novembre la présidence du conseil d’administration d’Eutelsat (en remplacement de Michel de Rosen), où il est aujourd’hui représentant du Fonds stratégique de participations (FSP) de l’Etat en tant qu’administrateur, est-il l’homme de la situation ?

On le saura en avril 2018, à l’échéance des six mois que lui a imparti le gouvernement dans cette mission périlleuse. Il pourra toujours s’inspirer du rapport le plus récent consacré à la chronologie des médias, celui de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat où son auteure – la sénatrice (Union centriste) Catherine Morin-Desailly – préconise de réduire la fenêtre des salles de cinéma à trois mois au profit de la VOD à l’acte ou à la location (10), tout en ramenant
à six mois au lieu de dix la télévision payante comme le souhaite Canal+. En toile de fond, la lutte contre le piratage passe par cette modernisation indispensable des fenêtres de diffusion. « La chronologie actuelle fait que les spectateurs peuvent très rapidement ne plus disposer d’aucun mode d’accès légal à un film », a déploré Xavier Rigault, producteur (2.4.7. Films) et co-président de l’Union des producteurs de cinéma (UPC) dans une tribune parue le 21 juillet dernier dans Télérama, également présent lors du débat aux RCD. Encore six mois d’incertitudes. @

Charles de Laubier