Les recommandations algorithmiques en question

En fait. Le 15 décembre, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) s’est réuni en séance plénière et en visio. Parmi les points à l’ordre du jour : la présentation du rapport « Frachy & Benabou » sur les algorithmes de recommandation des œuvres audiovisuelles et musicales.

En clair. Un an après avoir été missionnées par le CSPLA sur « les dispositifs de recommandation des œuvres auprès des utilisateurs des plateformes en ligne », les professeures Valérie- Laure Benabou et Joëlle Farchy ont présenté leur rapport de 80 pages (1). Elles étaient assistées par Steven Tallec, rapporteur de la mission et par ailleurs chercheur associé au sein de la chaire « PcEn » (Pluralisme culturel & Ethique du numérique) que dirige sa fondatrice Joëlle Farchy à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (2). Cette chaire créée en 2020 est notamment financée par Netflix et Amazon Prime Video. Popularisée par l’iTunes Store à partir de 2003 et surtout par Netflix depuis le lancement de sa plateforme de SVOD en 2007, la recommandation algorithmique est devenue la boîte noire des services de streaming. Les deux auteures tentent de tordre le cou à l’idée répandue d’un enfermement de l’utilisateur induit par les algorithmes de recommandation au détriment de sa « découvrabilité » et donc de la diversité culturelle : « Des travaux menés sur les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux font état de biais avérés, sans pour autant accréditer la thèse d’un enfermement généralisé dans une bulle de filtre ». Pourtant, lorsque TikTok ne propose que des vidéos tristes et dépressives à un utilisateur concernés, cela pose problème. Lorsque YouTube, dont l’algorithme de recommandation « Watch Next » décrié, propose à l’internaute la lecture automatique de vidéos « sensationnelles, clivantes ou complotistes » après celle du même genre qu’il vient de visionner, cela soulève la question de l’enfermement et de l’amplification. Mais des chercheurs du CNRS, cités par les deux auteures, relativisent : « Si la recommandation implicite proposée n’a clairement pas un rôle neutre, il reste difficile d’apporter une réponse univoque et définitive à la question de l’enfermement sur YouTube » (3). Quant à la rémunération des auteurs et artistes, elle peut être directement impactée par des algorithmes de recommandation – surtout dans la musique où le « market centric » domine au détriment du « user centric » (4), et où les « Fake Streams » (achats de streams) se le disputent aux « Fake Artists » (faux artistes) ! La dernière version du projet de règlement européen Digital Services Act (DSA), discutée le 25 novembre dernier (5), va dans le sens de plus de transparence de la recommandation. @

Chronologie des médias : en attendant la réforme, l’accord « pro-Canal+ » rebat les cartes

Même si Canal+ a conclu un accord triennal, daté du 2 décembre 2021, avec les organisations professionnelles du cinéma français (200 millions d’euros par an, fenêtre s’ouvrant dès 6 mois), cela ne règle en rien la réforme toujours en cours de la chronologie des médias – bien au contraire.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Plateforme vidéo : discret, Sony fourbit ses armes

En fait. Le 2 décembre dernier, l’analyste Simon Murray chez Digital TV Research a répondu à Edition Multimédi@ sur la raison de l’absence du groupe japonais Sony dans la course mondiale aux plateformes de SVOD, alors que les autres détenteurs de studios de cinéma ont lancé la leur (Disney+, Paramount+, Peacock, …).

En clair. « Ils [ni Sony Pictures Entertainment, ni Sony Pictures Television, ni Sony Interactive Entertainment, ndlr] n’ont rien déclaré publiquement, mais je pense qu’ils ont pris la décision qu’ils pourraient faire plus d’argent en restant agnostiques en termes de plateformes, plutôt que de lancer leur propre plateforme à partir de zéro (from scratch) », nous répond Simon Murray (photo), l’analyste et fondateur de Digital TV Research. Sony, maison mère d’une des grandes majors mondiales du cinéma avec Sony Pictures (studios Columbia Pictures), est le seul géant d’Hollywood à ne pas avoir sa propre plateforme de SVOD pour répliquer à Netflix, Amazon Prime Video ou encore à Apple TV+.

La chronologie des médias et le fonds de soutien

En fait. Le 5 novembre, le CNC a adopté la mise en place d’un fonds « temporaire » pour « soutenir la production d’œuvres audiovisuelles destinées » aux plateformes de VOD/SVOD. Avant, le 3 novembre, Roselyne Bachelot a rappelé la date butoir du 10 février 2022 pour la chronologie des médias.

En clair. Le 7e Art français au sens large – le cinéma et l’audiovisuel – doivent maintenant donner plus de place aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que sont Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Alors que les discussions et les points de blocage se poursuivent laborieusement autour de la prochaine chronologie des médias, afin de mieux prendre en compte les plateformes de SVOD dans les fenêtres de diffusion des films et dans l’écosystème du financement des films et séries, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a rappelé qu’il restait moins de trois mois pour trouver un accord : « La discussion doit désormais s’acheminer vers son terme (…). L’arrêté qui “étend” la chronologie des médias actuelle aux non-signataires de celle-ci, au premier chef les plateformes, expire le 10 février 2022. Nous ne pouvons venir buter sur cette échéance. Il nous faut impérativement disposer, avant cette date, d’une chronologie modernisée », a-t-il prévenu en clôture des rencontres cinématographiques de l’ARP, le 3 novembre dernier. Cet arrêté signé par Franck Riester (le prédécesseur rue de Valois) a été publié au J.O. le 10 février 2019 et prévoit que l’actuelle chronologie des médias – signée par les professionnels du secteur en septembre et décembre 2018 – est valable « pour une durée de trois ans » (1). Et cette échéance arrive à grand pas, alors les négociations patinent autour de la dernière proposition en date du CNC, celle du 19 juillet dernier (2). Celle-ci prévoit que les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ pourraient diffuser de nouveaux films 15 mois après leur sortie en salle de cinéma en France (au lieu de 36 mois actuellement), et même à 12 mois – sous réserve de payer la taxe « TSV » au CNC (3) – voire jusqu’à 6 mois s’ils contribuent au prix fort du décret SMAd (entré en vigueur le 1er juillet) et en cas d’accord avec le cinéma français. La chaîne cryptée Canal+ y est opposé. Sans attendre l’issue du bras de fer autour de la chronologie du cinéma, le CNC a pris les devants pour intégrer les plateformes de SVOD étrangères – soumises aux obligations « SMAd » de financement de films et séries – dans le soutien à la production audiovisuelle. Et ce, en décidant le 5 novembre d’ouvrir jusqu’au 30 avril 2022 un « fonds sélectif plateforme » dit FSP (4). Les œuvres éligibles seront retenues le 5 décembre par le CNC. @

A défaut de grande réforme du quinquennat, le paysage audiovisuel français (PAF) entame sa mue

Alors que plus de soixante sénateurs ont saisi le 30 septembre 2021 le Conseil constitutionnel sur le projet de loi « Anti-piratage », adopté définitivement la veille par l’Assemblée nationale, la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat n’a pas eu lieu. Mais le gouvernement y est allé par touches.

Par Charles Bouffier, avocat counsel, et Cen Zhang, avocat, August Debouzy*