Radio France : le mal vient aussi du retard numérique

En fait. Le 16 avril fut le 29e et dernier jour de la grève historique de Radio France. Son PDG contesté Mathieu Gallet a présenté le 8 avril aux salariés son plan stratégique pour la Maison ronde. Le numérique peine à être au cœur de
ses ambitions, malgré les critiques de la Cour des comptes le 1er avril.

En clair. « Radio France n’a pas achevé sa mue numérique. Si une forte impulsion a été donnée dans ce domaine en 2011, de lourds investissements et l’intégration du numérique dans la définition des métiers restent à réaliser ». C’est en ces termes que
la Cour des comptes a notamment présenté le 1er avril dernier son rapport (1) très critique sur le « retard inquiétant » de la radio publique dans son développement digital. Le plan stratégique de Mathieu Gallet, qui préfigure le prochain contrat d’objectifs et de moyens sur cinq ans (COM 2015-2019), censé être signé par l’Etat, doit rectifier le tir. Entre 2011 et 2013, seulement 17,4 millions d’euros avaient été consacrés par la Maison ronde au numérique. L’ancien directeur des nouveaux médias et du Mouv’ à Radio France, Joël Ronez, avait expliqué à EM@ en octobre 2013 qu’environ 6,5 millions d’euros par an était consacrés à la direction des nouveaux médias, laquelle
fut créée en juillet 2011. Cela lui a permis de mettre à niveau les services en ligne de Radio France, de lancer les plateformes musicales novatrices RF8 et NouvOson, et
de se préparer à la radio filmée (2). Mais ce fut insuffisant. Des lacunes numériques
de la radio publiques demeurent.

Les acteurs du Net fustigent les velléités de la France d’instaurer une fiscalité numérique nationale

Après le rapport « Fiscalité du numérique » publié par France Stratégie (service du Premier ministre), qui conseille l’Etat de taxer « à court terme » la publicité
en ligne et les données, les acteurs de l’Internet dénoncent une approche franco-française et demandent un cadre fiscal international.

Google, Dailymotion, Microsoft, Facebook, Yahoo, AOL, Spotify, Deezer, PriceMinister ou encore Wikimedia, tous membres de l’Association des services Internet communautaires (Asic), présidée par Giuseppe de Martino (photo), s’insurgent contre le rapport « Fiscalité du numérique » qui, selon eux, « stigmatise l’économie numérique sans comprendre que toute l’économie devient numérique ».

Cinq ans de rapports français !
Commandité par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective – alias
« France Stratégie » – qui dépend du Premier ministre, ce rapport de 170 pages en anglais et publié le 9 mars (1) suggère au gouvernement de mettre en oeuvre « une taxation spécifique pour lutter contre l’optimisation fiscale des géants du numérique ». Sont ainsi proposées une taxation de la publicité, une taxation sur le commerce électronique, une taxation sur les flux de données (bande passante), une taxation en fonction du nombre d’internautes, une taxation en fonction du nombre de données stockées sur le territoire français ou encore une taxation sur la base des données échangées. Après les rapports « Marini » d’avril 2010 et de juin 2012, « Blandin/Morin-Desailly » de janvier 2012, puis « Collin & Colin » de janvier 2013, « CNNum » de septembre 2013, tous consacrés à la fiscalité numérique (sans oublier le rapport
« Muet-Woerth » de juillet 2013 sur l’optimisation fiscale internationale), voici que le rapport « France Stratégie » pousse l’Etat français à taxer sans attendre les acteurs du Net. « A court terme, de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, au niveau européen ou d’un noyau de pays, dans l’attente d’une refonte du cadre fiscal international. Une telle fiscalité (…) reposerait sur une taxe ad valorem des revenus publicitaires ou de la collecte de données personnelles, plus facilement rattachables à un territoire », préconisent les dix économistes auteurs de « ce rapport sur le rapport
du rapport » (dixit l’Asic). Ont ainsi été sollicités par Matignon des experts de l’Ecole d’économie de Paris, de l’Ecole d’économie de Toulouse et de l’Institut Mines-Télécoms. Les acteurs du Net présents en France leur reprochent, via l’Asic, de faire des propositions « qui auront pour effet de s’appliquer aux seules entreprises ayant
une résidence fiscale en France, soit les acteurs français, et non pas aux entreprises établies dans les autres pays de l’Union européenne ». L’attractivité des services Internet français en serait d’autant plus compromise et les acteurs français seraient désavantagés par rapport à leurs homologues européens. « De telles mesures nationales, si elles sont mises en oeuvre, pousseront la France et son écosystème aux portes de la récession numérique », mettent-ils encore en garde (lire encadré page suivante). Intervenant lors du séminaire organisé à l’occasion de la présentation du rapport « France Stratégie », la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, a conclu que « de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, au niveau européen, en parallèle d’une adaptation du cadre fiscal international ».

Autrement dit, des taxes nationales sur le numérique ne sont pas envisageables. Une taxe sur la bande passante, comme le souhaite Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication (2), ou une taxe sur la publicité en ligne, sollicité notamment par Frédérique Bredin, présidente du Contre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ne peuvent se concevoir qu’à l’échelon européen (3) (*) (**), voire international. L’Internet Advertising Bureau (IAB) a mis en garde contre « les effets contreproductifs » de cette taxe. Quoi qu’il en soit, Axelle Lemaire a prévu de rencontrer ses homologues européens pour que la question de la fiscalité numérique soit à l’ordre du jour de la
« Stratégie numérique » que présentera la Commission européenne en mai prochain.

« Taxe Google » multiformes
Ce énième rapport français sur la fiscalité numérique en cinq ans préconise peu ou prou une « taxe Google » qui pendrait plusieurs formes selon qu’elle s’applique sur
les recettes publicitaires, sur l’exploitation des données ou encore sur le nombre d’utilisateurs. Objectif : lutter contre « une optimisation fiscale agressive » des GAFA
« réduisant drastiquement leur taux d’imposition ». Or les acteurs du Net ne veulent pas d’une fiscalité spécifique sur leurs activités numériques car, selon eux, « l’optimisation fiscale [n’est] pas le monopole du “numérique” ». La solution doit être trouvée au sein de l’OCDE (4) – dont le siège est à Paris – pour modifier au niveau international le cadre juridique applicable à toutes les multinationales, qu’elles soient françaises ou étrangères.

Le BEPS de l’OCDE pour septembre
C’est en septembre prochain que doivent aboutir, notamment sur le numérique, les négociations sur la coopération fiscale dans le cadre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, comprenez « érosion de l’assiette fiscale et déplacement des profits »).
« En matière de fiscalité des multinationales, il est important que les Etats adaptent le cadre juridique qu’ils ont élaboré au cours des quarante dernières années. La France se doit donc de supporter les travaux actuellement en cours au sein de l’OCDE relatifs à l’érosion des bases fiscales (BEPS), quand bien même ceux-ci viseraient l’ensemble des multinationales et non exclusivement celles du numérique », estiment les acteurs du Net. Car les GAFA ne sont pas les seuls à faire de l’optimisation fiscale jusqu’aux limites de la légalité. Beaucoup de multinationales profitent du « dumping fiscal » pratiqué par certains Etats de l’Union européenne pour organiser leur l’évasion fiscale.

C’est ainsi qu’ont été popularisés deux montages financiers baptisés « double irlan-
dais » et « sandwich hollandais » qui auraient permis par exemple à Google d’échapper en grande partie à l’impôt en Europe grâce à une filiale située dans le paradis fiscal des Bermudes (où est située sa filiale Google Ireland Holdings). Cette double pirouette fiscale, a priori légale, est décrite en détail dans le rapport français « Colin & Collin » (5). Pierre Collin est justement l’un des six experts qui ont rendu en mai 2014 à la Commission européenne commanditaire un rapport sur « la taxation de l’économie digitale » (6). Ce rapport européen d’il y a presque un an en conclut que « l’économie numérique ne nécessite pas un régime fiscal distinct ». Bruxelles a ensuite lancé, un mois après ce rapport (en juin 2014) une enquête sur des aides d’État dont auraient pu bénéficier Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-Bas, Fiat au Luxembourg et, depuis octobre dernier, Amazon au Luxembourg. Ce qui provoque des distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne. Rappelons en outre que le 6 novembre dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié une enquête – baptisée sous le nom évocateur de « Luxembourg Leaks » ou « LuxLeaks » (7) (*) – menée par 80 reporters de 26 pays sur les accords fiscaux (tax rulings) avantageux conclus entre 340 entreprises et le Luxembourg. Parmi les bénéficiaires
de ces arrangements fiscaux : la filiale iTunes d’Apple, Amazon Media, Vodafone, Accenture, Sportive Group (Lagardère), mais aussi LVMH et bien d’autres dans des secteurs économiques différents. Cet élargissement de la problématique « optimisation fiscale » va dans le sens des acteurs du numérique qui refusent d’être discriminés en tombant seuls sous le coup d’une éventuelle fiscalité digitale. « L’ensemble des services développés par l’économie numérique se retrouvent aujourd’hui dans tous les secteurs économiques. Les diverses plateformes de vidéos sont aujourd’hui utilisées par les industries culturelles qui y voient un vecteur de promotion, de communication mais aussi de valorisation de leurs oeuvres. Les réseaux sociaux sont présents en entreprises ; les services de stockage deviennent monnaie courante », explique l’Asic, qui déplore au passage que ce rapport des services du Premier ministre ait été réalisé sans réelle collaboration ni même échanges avec les divers acteurs français de l’économie numérique. « En effet, le rapport ne tient pas compte du fait que le numérique n’est plus un secteur à part entière. @

Charles de Laubier

FOCUS

Les critiques des acteurs du Net en cinq points
L’Association des services Internet communautaires (Asic), créée en 2007, formule à titres d’exemples cinq critiques sur les taxes préconisées par le rapport « France Stratégie » :
• Une taxe sur les données échangées ? « Il faudra donc installer des sondes pour espionner chaque fait et geste d’un internaute en France » ;
• Une taxe sur le stockage des données ? « Celui-ci deviendra donc plus cher sur le territoire français au plus grand bénéfice des concurrents européens » ;
• Une taxation en fonction du nombre d’utilisateurs français ? « Une excellente incitation à lancer sa start-up ou son entreprise, ailleurs qu’en France » ;
• Une taxation de la publicité ciblée ? « Elle forcera les entreprises françaises à recourir à un modèle économique, celui du modèle payant. Un avantage sans doute concurrentiel pour toutes les entreprises basées hors de France, non résidentes fiscales et donc, non soumises à cette nouvelle mesure » ;
• Une taxation de la publicité ? « Proposée initialement en 2007 par le sénateur [Philippe] Marini, maintes fois rejetées car visant exclusivement les acteurs domiciliés en France ». @

Orange mise sur son réseau, agrégateur de contenus

En fait. Le 17 mars, Stéphane Richard, PDG du groupe Orange, a présenté son nouveau plan stratégique baptisé « Essentiels 2020 », lequel succède au plan
« Conquêtes 2015 » – avec 15 milliards d’euros d’investissement à la clé dans
ses réseaux très haut débit fixe et mobile. Et les contenus ?

En clair. Le nouveau plan « Essentiels 2020 » est un recentrage d’Orange sur son métier d’opérateur de réseaux. Pour ne pas tomber dans la spirale de la baisse des prix, l’ex-France Télécom va investir en cinq ans 15 milliards d’euros dans la 4G et la fibre optique. Mais il est peu question de contenus dans cette stratégie de « qualité
de service ». Le seul moment où « Essentiels 2020 » en parle, c’est pour évoquer sa nouvelle interface TV, Polaris et la clé multimédia « TV Stick ».
Présenté en octobre dernier, Polaris propose une nouvelle interface et des services unifiés sur tous les écrans au sein d’un même foyer : téléviseur connecté, tablettes, mobiles, ordinateurs, … « Il est désormais facile de retrouver ses contenus (VOD, jeux, musique), ses choix et ses préférences dans un univers clair et intuitif. Vous pouvez ainsi poursuivre sur votre tablette ou sur votre smartphone le film ou la série que vous avez commencé à regarder sur votre TV, et vice versa », avait alors expliqué Stéphane Richard, lors de son Show hello 2014. Succédant à Liveplay lancé en 2012, Polaris donne accès par son moteur de recherche interne à un bouquet de contenus linéaires (chaînes de télévision, TV d’Orange et OCS) ou non linéaires (vidéo à la demande, musiques en ligne, jeux vidéo, …), ainsi qu’à Dailymotion toujours en quête d’un investisseur international (1). Avec Polaris, Orange se présente plus que jamais comme un agrégateur de contenus (y compris Netflix, CanalPlay, Filmo TV, PassM6 ou encore Jook Video).

Le manque de vision musicale coûte cher à Apple

En fait. Du 2 au 6 juin s’est déroulée la grand-messe des développeurs d’Apple,
la Worldwide Developers Conference (WWDC). Mais au-delà des nouveautés et du futur iOS 8, la marque à la pomme a dû aller chercher en dehors de son écosystème le relais de croissance potentiel qui lui fait défaut : Beats.

En clair. S’entourer de milliers de développeurs, en plus de ses équipes internes de R&D, n’a pas suffit à Apple pour trouver le chaînon manquant pour assurer l’avenir de son écosystème iTunes lancé il y a onze ans. Le groupe californien dirigé par Tim Cook a en effet dû faire le plus gros chèque de son histoire pour s’acheter une sorte d’« assurance vie ». Il s’agit de l’acquisition de la société Beats Electronics, cofondée par Jimmy Iovine et le rapper Dr. Dre, qui apporte à la marque à la pomme non seulement des casques stéréos branchés (dans tous les sens du terme !), mais surtout une service de streaming musical lancé le 21 janvier dernier.
Bien que « Beats Music » compte à peine plus de 250.000 abonnés payants, là où
Spotify en revendique 10 millions, il permet à Apple de monter dans le train en marche
du streaming pour laisser sur le quai le téléchargement dépassé. Mais le billet est hors de prix : 3 milliards de dollars, avec le recrutement des deux cofondateurs de Beats. Ironie de l’histoire, Jimmy Iovine – qui fut ingénieur du son de John Lennon ou de Bruce Springteen avant d’être producteur de Patti Smith, Dire Straits ou encore du groupe U2, et fondateur du label Interscope (1) – aurait convaincu Steve Jobs, le feu fondateur d’Apple, de lancer en 2002 la boutique en ligne iTunes, qui s’imposera comme le numéro un mondial du téléchargement de musique. On connaît la suite : Apple n’a pas su voir dans le streaming une nouvelle pratique de consommation de la musique en ligne, s’endormant sur ses lauriers du téléchargement et sa rente de situation. Aujourd’hui, ce manque de vision coûte très cher à la firme de Cuppertino. Le service de streaming iTunes Radio, bientôt
en Europe, fut lancé trop tardivement aux Etats-Unis.
Car c’est un fait acquis : le téléchargement de musique est en déclin au profit du streaming. Selon l’IFPI (2), le chiffre d’affaires mondial du streaming musical représente
27 % des revenus numériques en 2013, soit 642,8 millions d’euros. Ceux du téléchargement ont baissé l’an dernier de 2,1 %, pendant que ceux du streaming et
des abonnements faisaient un bond de 51,3 %. Spotify et Deezer, les deux pionniers
du streaming, ont franchi pour la première fois en 2013 le milliard de dollars de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, 450 services de streaming sont proposés dans le monde.
En attendant YouTube Music (lire ci-dessous), et, d’après BuzzFeed, Amazon
Music cet été. @

Vivendi : dernière ligne droite avant la scission en juin

En fait. Le 25 février, Vivendi a présenté ses résultats 2013 : 22,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires (- 2 %) et bénéfice net de 1,9 milliard (+ 1.000 % liés à la plus-value de la vente d’Activision Blizzard). Le groupe s’apprête à se séparer de SFR pour se recentrer sur les médias et les contenus.

En clair. A sa prochaine assemblée générale du 24 juin 2014, Vivendi ne sera plus comme avant. C’est dans les prochaines semaines que le groupe dirigé par Jean-René Fourtou (président du conseil de surveillance) et Jean-François Dubos (président du directoire) précisera dans quelles conditions il se séparera de sa filiale télécoms SFR :
la Bourse ou la vente (lire ci-dessus). Le projet de scission doit être mis en oeuvre fin juin. « Le groupe a décidé de se concentrer sur ses activités de médias et de contenus qui occupent des places de leader et bénéficient d’un marché du numérique en pleine croissance. Il s’est renforcé dans Canal+ France, dont il détient désormais 100 % du capital (1) », a souligné Vivendi lors de la présentation de ses résultats annuels.
D’un conglomérat pesant actuellement 22,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Vivendi va se transformer cette année en un groupe de médias et contenus délesté des 10,2 milliards de revenus de SFR. Cela fait deux ans maintenant que Jean-René Fourtou a cette idée fixe en tête, dans l’espoir que l’action en Bourse ne subisse plus la décote due à l’effet conglomérat. Pour l’heure, l’action de la holding Vivendi est passée en un an de 15 euros à 20 euros environ. Tout reste encore à faire : non seulement céder SFR mais aussi continuer à réduire l’endettement qui se situe au 31 décembre
à 11,11 milliards d’euros. Objectif : « Création de valeur pour l’actionnaire » (2).