Le président de Disney, Bob Iger, ne veut pas se faire « Netflixiser » et lance DisneyLife en Europe

Bien que la « Walt Disney Company » affiche une santé financière insolente pour la cinquième année consécutive (chiffre d’affaires et bénéfice net record cette année), son président Bob Iger constate une nouvelle perte d’abonnés à ses chaînes de télévision. Il veut les reconquérir directement sur Internet.

Robert Iger, dit « Bob » (photo), a de quoi être comblé. Le groupe qu’il dirige depuis maintenant 10 ans, depuis qu’il a été nommé le 1er octobre 2005 sixième PDG de
« la Walt Disney Company », est plus que jamais en pleine forme malgré la révolution numérique et les assauts d’Internet. Lui qui fêtera en février prochain ses 65 ans, il a encore de beaux jours devant lui puisque son mandat avait été prolongé jusqu’en juin 2018. Le groupe Disney aura alors 95 ans, né en 1923 sous le nom des « Disney Brothers Studios ».

50 Mds de dollars franchis en 2015
« Nous avons bouclé notre cinquième année de performance record. Au cours de notre exercice fiscal 2015 [achevée le 3 octobre dernier, ndlr], nous avons généré les plus hauts chiffre d’affaires et bénéfice net de l’histoire de la compagnie, ce qui reflète la puissance de nos marques et franchises, la qualité de nos contenus créatifs, notre innovation implacable pour maximiser la valeur provenant des nouvelles technologies », s’est félicité Bob Iger lors de la présentation des résultats annuels le 5 novembre. Le résultat net du groupe affiche une hausse de 12 % à plus de 8,3 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires en augmentation de 7 % à plus de 52,4 milliards de dollars. C’est la première fois depuis près d’un siècle d’existence que Disney franchit allègrement la barre des 50 milliards de revenus. Ce qui représente le double du chiffre d’affaire de l’année 2002 et plus six fois le bénéfice net de cette année-là ! Même si les analystes financiers espéraient encore un peu mieux, l’année 2015 est encore à marquer d’une pierre blanche.
L’activité « Media Networks » (les chaînes de télévision ESPN, ABC, Disney Channels, …) représente quelque 44,3 % des revenus du groupe, suivie de « Parks and Resorts » (les parcs d’attraction tels que Disneyland) pour 30 %. Viennent ensuite les activités
« Studio Entertainment » (studios et salles de cinéma, distribution audiovisuelle, SVOD) pour 15 % du chiffre d’affaires, « Consumer Products » (produits dérivés, licences) pour 8,5 %, et « Interactive » (jeux vidéo tels que Disney Infinity ou Tsum Tsum) pour 2,2 %. C’est d’abord l’activité télévision qui retient l’attention au regard de la montée en charge de l’audiovisuel sur Internet : selon Disney, le nombre cumulé d’abonnés à ses chaînes apparaît en croissance grâce au lancement de la dernière née de ses chaînes : SEC Network, ouverte en août 2014 dans le sillage du network sportif ESPN (1) pour diffuser des programmes régionaux sportifs. Mais à y regarder de plus près, le groupe de Bob Iger reconnaît une nouvelle fois « un déclin des abonnés à certaines chaînes ». C’est un signe qui ne trompe pas : Disney est, à l’instar de ses concurrents de l’audiovisuel classique (où le câble est dominant aux Etats-Unis), victime des premiers effets du cord-cutting (2) – les abonnés à des bundle câble-TV préférant résilier leurs abonnements aux chaînes pour se reporter sur des offres vidéo moins coûteuses sur Internet (VOD, SVOD, catch up TV, …). Le problème est que cette érosion du parc d’abonnés de Disney s’observe maintenant de trimestre en trimestre. Et comme l’icône des médias américains est très suivie par les analystes, la moindre faiblesse peut provoquer une réaction en chaîne sur d’autres groupes du secteur. Ce fut d’ailleurs le cas en août dernier lorsque, pour la première fois, Disney avouait une érosion de son parc d’abonnés, provoquant une baisse des valeurs médias en Bourse. « Pas de panique ! », dit aujourd’hui en substance Bob Iger pour tenter de rassurer, tout en voyant dans Internet et sa « bonne relation avec Netflix » de nouvelles « opportunités » pour distribuer ses contenus. Cependant, il n’exclut pas de changer son fusil d’épaule en les distribuant luimême directement aux consommateurs pour que Disney puisse
– à l’instar des services de télévision en ligne HBO Now et CBS All Access lancés
cette année – bénéficier lui aussi des nouveaux usages du streaming.

DisneyLife d’abord au Royaume-Uni
C’est dans cet esprit-là que le groupe lance – en novembre et dans un premier temps au Royaume-Uni « en avant-première mondiale » – DisneyLife (3), un service
« jeunesse » de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), qui a vocation à s’étendre sur toute l’Europe – à commencer par la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – à partir de début 2016 . Dans le Financial Times daté du 21 octobre,
Bob Iger a révélé que pour 9,99 livres sterling par moins (14 euros), DisneyLife allait proposer non seulement des films et séries pour enfants et toute la famille mais aussi des programmes télé, de la musique, des livres et des applications – provenant de Disney, ABC, ESPN, Marvel, Lucasfilm, Club Penguin ou encore Playdom. DisneyLife se veut le « Netflix » de toute la famille, en proposant jusqu’à six comptes pour que chacun puisse y trouver son bonheur en fonction de ses goûts culturels. Outre le Web, les grands classiques de Disney – « Le Livre de la Jungle », « La Belle et le Clochard », « Toy Story », « Monsters » ou encore « Le Monde de Nemo » (« Trouver Nemo » au Québec) – seront aussi proposés sur l’Apple TV ou le Chromecast TV de Google.

Œuvres, du producteur au consommateur
S’adresser directement aux internautes et mobinautes sans s’embarrasser d’intermédiaires (Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV, ….) qui rognent sa marge et le concurrencent avec leurs propres séries originales : telle est l’ambition de plus en plus affirmée par Bob Iger. « C’est l’avenir. Il y a une tendance générale que le monde aille dans ce sens. Il y aura de la télévision multicanaux et nous en ferons partie, mais les applications offrent beaucoup plus de niveaux et de richesse de contenus que les chaînes [linéaires] », a-t-il affirmé dans le quotidien de la City. C’est surtout le seul moyen pour un géant culturel comme Disney de ne pas se faire « Nexflixiser » et de garder la maîtrise de sa clientèle, de ses usages et de ses centres d’intérêt, les algorithmesmaison de recommandation faisant le reste. C’est aussi l’occasion de reconquérir des abonnés qui s’étaient désengagés de ses chaînes de télévision câblées. Le patron de Disney, qui a indiqué que les films de Marvel et Lucasfilm (comme « Star Wars ») ne seront pas disponibles dans l’immédiat en Europe, ne précise cependant pas quand DisneyLife sera lancé aux Etats-Unis. L’explication de
ce geoblocking – autrement dit cette restriction géographique des droits – est simple : Netflix détient les droits exclusifs de diffusion outre-Atlantique (Etats-Unis et Canada)
– de 2015 jusqu’en 2018, selon nos informations – pour les tous les nouveaux films Disney après leur sortie en salles. Cet accord rapporterait, selon des médias américains, environ 300 millions de dollars par an à Disney. En France, c’est Canal+
qui détient les droits de « première exclusivité » en vertu d’un accord signé initialement en 2012 et renouvelé en octobre dernier pour l’année 2016. Son service de SVOD CanalPlay enrichit au passage son catalogue.
Dans sa volonté d’aller sur Internet, Disney a renforcé son emprise sur Vice Media en y investissant en octobre quelque 200 millions de dollars, tandis que A&E – société commune entre Disney et Hearst – est monté à hauteur de 15 % du capital. Pourquoi ? Pour accompagner le développement du groupe de médias d’origine canadienne Vice Media sur le Web, avec notamment le lancement de la chaîne en ligne Viceland qui sera accessible aux Etats-Unis dans un premier temps, puis en Europe où le DG cofondateur de Vice Media, Shane Smith, a déjà annoncé fin octobre le lancement en 2016 d’une douzaine de chaînes ! En France, Vice Media a lancé il y a un an la version en français de son site d’information Vice News, lequel dispose aussi d’une émission quotidienne sur France 4. Aller directement à la rencontre de son public en ligne, Disney le pratique déjà depuis 2007 en partenariat avec deux autres majors américaines, Fox Entertainment (News Corp) et NBC Universal (Comcast), via la plateforme de streaming vidéo Hulu – dans laquelle Disney détient 33 % du capital (4). Des programmes télé et des films y sont là aussi diffusés par Internet gratuitement et financés par la publicité, lorsque ce n’est pas par abonnement sans publicité (Hulu Plus). Sur les 750 millions de dollars d’investissement décidés en juillet 2013, Disney
y a déjà contribué à hauteur de 134millions. Cette volonté des ayants droits des industries audiovisuelles et cinématographiques de proposer leurs oeuvres directement en OTT (Over-The-Top) se retrouve aussi dans l’offre de télévision Epix, une joint-venture créée en 2009 entre Viacom/Paramount, MGM/Metro-Goldwyn-Mayer et Lionsgate pour diffuser leurs contenus par câble, satellite ou sur Internet (Epix HD).
Les studios hollywoodiens veulent ainsi valoriser les titres de leurs catalogues et contrer par la même occasion le piratage de leurs œuvres (5). Par ailleurs, Disney poursuit tant bien que mal la promotion aux Etats-Unis et au Canada de sa propre
offre DVD-VOD (vous achetez une vidéo sur support physique ; vous pouvez aussi la télécharger en ligne) avec « Digital Copy + » (6) qui concurrence la solution UltraViolet lancée en juillet 2010 par les autres majors du cinéma américain et disponible, elle, en Europe (bien que sans grand succès).

Disney, un géant sur YouTube
Cette conquête d’Internet par Disney ne serait pas complet sans parler de son acquisition, pour 500 millions de dollars en mai 2014, de Maker Studios, l’un des plus importants réseaux multi-chaînes (ou Multi-Channel Network) sur YouTube (7) (*) (**). Et en fonction de performances fixées d’ici fin 2015, Disney pourrait verser 450 millions de dollars supplémentaires si ces objectifs étaient atteints. Selon l’institut de mesure d’audience ComScore, Maker Studios se place en 5e position aux Etats-Unis avec près de 40 millions de vidéonautes uniques par mois – derrière Google/YouTube, Facebook, Yahoo et Vevo (8). La bataille entre les ayants droits et les géants du Net ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Ubisoft et Gameloft : à quoi joue vraiment Vivendi

En fait. Le 14 octobre, Vivendi annonce qu’il entre au capital de d’Ubisoft et
de Gameloft, participations portées le 20 octobre à respectivement 10,39 % et 10,20 %. Les frères Guillemot, fondateurs des deux sociétés françaises de jeux vidéo (Yves et Michel étant leur PDG), cherche à contrer l’OPA hostile.

En clair. C’est Guillemot contre Bolloré. C’est cinq contre un : les cinq frère Guillemot – Yves, Claude, Michel, Gérard et Christian (lesquels détiennent 9% du capital et 16 % des droits de vote de la société cotée) – contre le milliardaire Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance du Vivendi, lequel s’est emparé à la hussarde, et coup sur coup en moins d’une semaine, d’un peu plus de 10 % dans le capital de chacune de leur société de jeux vidéo. Ubisoft Entertainment est le numéro trois mondial des jeux vidéo (« Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins », «Watch Dogs », …), valorisé près de 3 milliards d’euros. Le groupe familial, qui fêtera ses 30 ans l’an prochain, fut fondé par Yves Guillemot, son actuel PDG.

Pourquoi Alain Weill cède son groupe NextRadioTV à Altice Media Group de Patrick Drahi

Ce fut la surprise de l’été : Altice, la maison mère du Franco-israélien Patrick Drahi, a annoncé le 27 juillet dernier l’acquisition de NextRadioTV, le groupe d’Alain Weill propriétaire de BFM TV et de RMC. Ce dernier devient directeur des activités médias du groupe Altice, sur fond de convergence médias-télécoms.

C’est un rapprochement inattendu : Patrick Drahi et Alain Weill (photo) main dans la main. L’accord annoncé le 27 juillet prévoit qu’Altice Media Group prenne le contrôle de NextRadioTV à partir de 2019, soit dans quatre ans. D’ici là, Alain Weill conservera plus de 51 % de la nouvelle entité commune qui regroupera les actifs de NextRadioTV. Alain Weill en sera le président, tout en devenant directeur des activités médias d’Altice où il devient membre du comité exécutif.

De nouvelles acquisitions en vue
Cette opération intervient au moment où la maison mère de BFM et de RMC projette
de racheter la chaîne Numéro 23 de la TNT, le CSA (1) ayant estimé le 29 juillet que
ce rachat « ne devrait pas avoir d’effets anticoncurrentiels sur le marché » (la part de marché publicitaire de cette chaîne étant à ce jour très faible). Cette future acquisition de Numéro 23, sur laquelle le CSA doit encore se prononcer définitivement d’ici octobre 2015, donne un avant-goût des prochains développements du pôle média d’Altice dont Alain Weill aura la charge. Ce dernier devient en effet dans les médias le bras droit de Patrick Drahi, lequel possède déjà en France L’Express-L’Expansion et Libération, ainsi qu’en Israël la chaîne d’information continue i24News. Les magazines professionnels Stratégies, Coiffure de Paris et CosmétiqueMag (actuellement édités par le groupe Intescia) sont aussi en passe d’être rachetés. « Juridiquement, les activités de presse écrite, rassemblées dans Altice Media Group, ne dépendent pas d’Altice, mais de Patrick Drahi. En tant que directeur des activités médias d’Altice, je serai disponible mais me concentrerai sur les activités audiovisuelles et les acquisitions futures dans ce domaine », a précisé Alain Weill dans une interview au Monde le 28 juillet. Ces futures acquisitions, y compris à l’international, s’inscriront dans la stratégie du groupe Altice, maison mère de Numericable SFR, de proposer des contenus – notamment exclusifs – et des services aux abonnés des réseaux. « Le rapprochement entre les télécoms et les médias est inéluctable. (…) Pour un groupe audiovisuel comme NextRadioTV, s’allier avec un opérateur de télécommunications est une garantie de distribution. Demain, tous les spectateurs seront connectés. L’essentiel de la consommation de télévision va passer du hertzien à la fibre optique. Et les réseaux mobile vont également peser. (…) Pour Altice, il s’agit d’accompagner l’activité de la division télécoms en investissant aussi dans les médias. (…) Il s’agit d’augmenter le revenu par abonné
pour améliorer la rentabilité du réseau », a encore affirmé le patron fondateur de NextRadioTV. Il l’a réexpliqué lors de sa conférence de rentrée le 2 septembre.

Comme toutes les activités médias – non seulement l’audiovisuel mais aussi la presse – ont vocation à être regroupées dans Altice Media Group (2), Alain Weill fait du même coup son grand retour dans la presse. En 2010, il a en effet revendu le quotidien économique et financier La Tribune qu’il avait acquis en 2008 à Bernard Arnault.
En 2013, son groupe NextRadioTV a revendu 01 (presse informatique) après les
l’avoir acheté en 2007. C’est Marc Laufer, un ancien directeur général délégué de NextRadioTV, qui les avait racheté avant de rejoindre le groupe de Patrick Drahi pour
y diriger la presse professionnelle.

Alain Weill a cédé 49 % de ses parts de son groupe pour 670 millions d’euros, moyennant 37 euros l’action : soit 30% de plus que le cours moyen de NextRadioTV au cours de ces six derniers mois. Ce montant a aussitôt été injecté Altice Contents, dont Alain Weill possèdera 24 %. Altice Contents étant détenu par Altice Media Group. Le groupe NextRadioTV a réalisé un chiffre d’affaires de 195 millions d’euros en 2014, en croissance de 12 % sur un an, pour un résultat net de 16,8 millions, soit le double de l’année précédente. Comme prévu par ailleurs, le siège social et le quartier général d’Altice a été transféré de Luxembourg à Amsterdam afin que le groupe dispose de nouveaux moyens d’acquisitions par échange d’actions, tout en préservant le contrôle exercé par Patrick Drahi, malgré la dilution de sa part qui atteint près de 60 % du capital d’Altice. Cela donne plus de souplesse à Altice, malgré une dette de plus de 30 milliards d’euros.

Le modèle de John Malone
Ce modèle de fonctionnement cher à Patrick Drahi est celui du milliardaire américain John Malone, qui s’est constitué à travers sa holding Liberty Media un groupe aux multiples investissements dans les réseaux et les médias : il possède le câblo-opérateur Liberty Global, largement présent en Europe (sauf en France, en Espagne,
ni au Portugal) avec Virgin Media en Grande-Bretagne et en Irlande, Ziggo aux Pays-Bas et Unitymedia en Allemagne. @

Charles de Laubier

Nouveau statut de l’AFP : la bataille multimédia des agences de presse mondiales va s’intensifier

L’Agence France-Presse (AFP), qui a 70 ans, change de statut pour s’engager   encore plus dans une bataille mondiale face à Reuters, AP ou encore Bloomberg. Sa présence multimédia sur Internet (texte, images, vidéos) se renforce, avec la tentation d’être un « méta-média » directement accessible par les internautes et mobinautes.

Ses 2.326 collaborateurs (dont 1.525 journalistes « AFP »), de
80 nationalités différentes, répartis dans 150 pays à travers 200 bureaux, font de l’Agence France-Presse (AFP) l’une des trois
plus grandes agences de presse mondiales – aux côtés de l’agence britannique Reuters et de l’américaine Associated Press (AP).
Le 11 juin dernier, son PDG Emmanuel Hoog (photo) a annoncé
le lancement d’une nouvelle offre de flux vidéo en direct (actualité internationale, événements sportives, vie culturelle, rendez-vous institutionnels, …) à destination des médias (chaînes de télévision, presse sur Internet, …) et sous forme d’abonnement. Plus de 500 retransmissions vidéo par an seront ainsi proposées en live, venant compléter l’offre de vidéos déjà produites par l’AFP à raison de 200 environ par jour. « Le lancement d’AFPTV Live est un moment décisif dans le développement de la vidéo, qui est une priorité stratégique et le premier relais de croissance de
l’AFP », a déclaré Emmanuel Hoog, ce jour-là. C’est la toute première annonce faite par l’agence de presse française depuis la signature avec l’Etat – le 8 juin – de son premier Contrat d’objectifs et de moyens (COM) définissant sa mission d’intérêt général. « Nous avons réassuré nos bases en nous donnant des perspectives dans le monde complexe de la presse et du numérique », s’est-il alors félicité.

AFP Blue, la nouvelle filiale qui va tout changer
Le nouveau contrat, qui couvre la période quinquennale 2014- 2018, prévoit que l’Etat verse à l’AFP 125,5 millions d’euros hors taxe en 2015, dont 20,5 millions sous la forme d’abonnements aux « fils » de l’agence et 105 millions en compensation de la mission d’intérêt général désormais reconnue à l’AFP par la Commission européenne depuis mars 2014. Cette reconnaissance est intervenue à la suite de la plainte, en 2010,
de l’agence de presse allemande DAPD (disparue depuis) qui avait accusé l’AFP de percevoir des subventions illicites de l’Etat français. Mais à côté de cette « mission d’intérêt général », le COM prévoit aussi la création d’une « filiale technique de moyens et d’innovation » (1) – baptisée AFP Blue – qui sera financée en plus à hauteur de 26 millions d’euros de prêts provenant de la Caisse des Dépôts, de la Banque publique d’investissement (BPI) et d’une banque privée.

A 70 ans, l’AFP doit s’émanciper de l’Etat
Car l’Etat français ne doit plus financer les investissements, notamment numériques,
de l’AFP. Or, malgré des ressources totales de 119 millions d’euros en 2014 (somme qui progressera peu d’ici 2018, à 127 millions (2)), l’agence de presse a enregistré
l’an dernier une perte nette de 2,2 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 290,7 millions d’euros (en hausse de 3,5 %). Et elle affiche un endettement croissant de 40 millions d’euros (50 millions attendus en fin d’année). Le nouveau contrat avec l’Etat transpose la loi du 17 avril 2015 sur la modernisation du secteur de la presse (3), laquelle a modifié le statut de l’AFP – qui datait de 1957 (4) – et renforcé sa gouvernance. Cette évolution historique de l’agence âgée de 70 ans, doit aussi aboutir avec les représentants des salariés à un accord social d’entreprise unique, dont les négociations en cours devraient aboutir début juillet – sur fond de limitation de la progression de la masse salariale (1 % par an et gel des salaires).
Entre investissement, désendettement et économies, Emmanuel Hoog – dont le mandat est passé de trois à cinq ans, soit jusqu’en 2018 – va donc devoir trouver
de nouvelles recettes, sur le marché concurrentiel des agences de presse mondiales
de plus en plus numériques, ainsi que des financements bancaires pour innover et diversifier ses services (vidéo en direct, infographie interactive, applications sportives innovantes, …).
La nouvelle filiale privée AFP Blue, créée en janvier dernier, détenue à 100 % par l’AFP et présidée par Emmanuel Hoog, devient le fer de lance de l’innovation de l’agence. Son comité stratégique vient d’accueillir en mai deux représentants indépendants : Valérie Peugeot, chercheuse « prospective » chez Orange, et Jean-Pierre Caffin, associé « médias » dans le cabinet Bain & Company.
L’AFP est ainsi prête à accélérer sa mutation numérique et médiatique, qui ne relève plus seulement de sa mission d’intérêt général (MIG) mais aussi d’objectifs commerciaux (chiffre d’affaires et marge d’exploitation). Le programme d’investissement d’AFP Blue – 34,4 millions d’euros sur les cinq prochaines années – sera décisif. Des syndicats de l’agence déplorent, eux, « le désengagement progressif de l’Etat » et dénoncent ce qu’ils appellent « la marchandisation de l’information ». L’Agence France- Presse, placée sous surveillance – à la fois de la Commission européenne et de l’Etat français – joue maintenant son avenir. Emmanuel Hoog espère que l’activité vidéo, proposée sur catalogue et de plus en plus en direct grâce à AFPTV Live, va générer de nouvelles recettes en croissance (+ 29 % en 2014). Mais au-delà de la concurrence frontale avec Reuters, AP ou encore Bloomberg, de plus en plus présents en ligne (Web et mobiles), l’AFP est aussi confrontée à la force de frappe informationnelle de l’Internet et des réseaux sociaux mondiaux (Twitter, Facebook, Google News, …) – où la gratuité et l’instantanéité de l’actualité court-circuitent les médias (agences comprises). Elle est d’autant plus exposée à cette hyperconcurrence que plus de la moitié de son chiffre d’affaires 2014 (+ 4,1 % sur un an) est réalisé à l’international. Si l’explosion de la vidéo participe à cette progression, c’est que l’AFP
a fait du sport sa spécialité – comme Reuters s’est spécialisé en économie et AP sur les Etats-Unis. « Cela peut nous permettre de trouver d’autres clients que les médias, comme la FIFA ou Samsung. Nous venons de lancer avec Twitter un produit, TweetFoot, qui permet de suivre l’actualité du football sur la base de comptes sélectionnés par la rédaction. Enfin, nous voulons développer la couverture live de l’actualité, non seulement par la vidéo, mais aussi le texte et la photo, pour le Web et les mobiles », a expliqué Emmanuel Hoog dans une interview parue le 28 mai dernier dans Le Monde.
C’est que l’AFP est de plus en plus présente auprès des internautes et des mobinautes : indirectement via ses clients médias, qui ont tendance à mettre en ligne gratuitement les dépêches AFP dès qu’elles sont « tombées », voire directement avec ses propres services en ligne proposés au grand public (5). L’AFP a aussi signé dès 2009 un partenariat stratégique mondial avec Relaxnews, agence spécialisée pour des abonnés médias et/ou sites web dans l’actualité des loisirs – via fil AFPrelaxnews.com – que le groupe publicitaire Publicis vient d’acquérir.

AFP grand public : YouTube et Facebook
Pour le grand public, l’AFP a lancé en octobre 2009 une chaîne YouTube (6) qui compte aujourd’hui 73.984 abonnés « gratuits » et totalise à ce stade près de 102 millions de vues. Y sont notamment proposés deux éditions quotidiennes de journaux télévisés (JT), des vidéos en live ou encore des playlists vidéo. L’agence est aussi depuis 2010 (année de la nomination d’Emmanuel Hoog) sur Facebook (7), « aimée » par 281.000 personnes pour l’instant. Elle utilise aussi Instagram. Et depuis juillet 2011, elle alimente un compte Twitter (@afpfr) suivi actuellement par près de 1 million de followers (8). Sans oublier le site web institutionnel et grand public qu’est AFP.com. L’Agence France-Presse prend ainsi des airs de métamédia, passant d’une logique
« filaire » a une logique de « plateforme de services », au risque de concurrencer ses propres clients… @

Charles de Laubier

Musique : face au streaming, le téléchargement mise sur la qualité sonore, mais avec des tarifs peu lisibles

L’année 2014 aura été celle du « délitement du téléchargement » dans la musique en ligne. Mais la meilleure qualité sonore des fichiers est devenu un nouvel enjeu pour les plateformes. Mais pour l’Observatoire de la musique, cela s’accompagne d’une stratégie commerciale et tarifaire « peu lisible ».

« Le second semestre 2014 confirme le changement de paradigme définitif de l’économie musicale. En effet, semestre après semestre, nous assistons à un délitement du téléchargement. Constaté dès septembre 2013, le recul du téléchargement s’est aggravé au cours de l’année 2014 qui n’a connu en termes de chiffre d’affaires aucune période mensuelle de croissance », constate le rapport semestriel (1) de l’Observatoire de la musique, réalisé avec la collaboration de Xavier Filliol (photo), expert indépendant et par ailleurs trésorier du Syndicat des éditeurs
de services de musique en ligne (ESML), lequel est membre du Geste dont il est coprésident de la commission Musique & Radio.

Nouveau paradigme musical
Après la fermeture en toute discrétion du service de téléchargement chez le suédois Spotify début 2013, ce fut au tour d’Orange d’y mettre un terme – entraînant dans la foulée la fin du téléchargement chez le français Deezer (2). D’autres services ont aussi arrêté le téléchargement de musiques : Rhapsody, Nokia, Rdio ou encore Mog. Lorsque ce ne fut pas la fermeture du service lui-même : We7, VirginMega ou encore Beatport.
« Face à ce délitement, on voit poindre une stratégie commerciale – de nouveau – peu lisible, où l’on joue la qualité sonore, vertu du confort d’écoute, comme la variable d’une politique tarifaire qui n’est pas sans poser problème. Ainsi, le focus prix met en évidence des écarts très significatifs sur un même album, ce qui n’est pas sans rappeler les abus mortifères pour l’économie du disque que nous avons connus il y a
15 ans dans le physique », déplore l’Observatoire de la musique, lui-même créé il y a maintenant 15 ans au sein de la Cité de la musique (3). Le second semestre de l’an dernier est marqué par l’amélioration de la qualité sonore, qui devient un nouvel enjeu pour les plateformes de téléchargement de musique. C’est ainsi que sont apparues de nouvelles offres telles que celles de l’allemand HighResAudio, dont les albums peuvent être téléchargés en très haute résolution sonore (24 bits à des taux d’échantillonnage de 88,2 Khz à 384 Khz), et du label britannique Warp Records et son service Bleep proposant des titres ou des albums au format MP3 encodé à 320 Kbit/s, des versions Flac (4) pour certains téléchargements, ainsi que des versions Wav non compressées.

Il y a aussi la plateforme du label allemand Deutsche Grammophon de musique classique qui intègre iTunes pour le téléchargement. Ils rejoignent ainsi le français Qobuz qui, créé en 2008, a abandonné le format MP3 dès 2012 pour miser exclusivement sur la qualité audio HD. Les hauts niveaux de qualité sonore permettent aux plateformes de téléchargement de proposer des tarifs plus élevés, limitant tant bien que mal la chute des revenus face à la montée en charge du streaming. Les prix pratiqués par Qobuz sont présentés selon le format de fichier proposé au téléchargement : si la qualité CD a remplacé le MP3, l’offre Studio Masters disparaît au bénéfice de l’offre dite Hi-Res (pour haute résolution) qui propose des fichiers encodés 24 bits/44.10 Khz et jusqu’à 192 Khz sans perte. Une autre plateforme, 7Digital, a aussi fait le choix depuis fin 2013 d’améliorer la qualité de ses fichiers audio et d’adopter une nouvelle politique tarifaire avec des prix différents au téléchargement en fonction de la qualité des fichiers (5).
Mais la tendance à la hausse des tarifs justifiés par une meilleure qualité sonore aboutit à « quelques errements » (dixit le rapport), notamment avec un écart maximal de plus de 42 euros sur un album jazz entre sa version normale sur Google Play (à 9,99 euros) et sa version en son HD sur 7Digital (à 52,64 euros). Mais le téléchargement n’a pas le monopole de la meilleure qualité sonore. Le streaming HD, aux tarifs plus lisibles (avec un abonnement de 9,99 euros par mois), se développe lui aussi. Après Spotify, Deezer vient à son tour de lancer la qualité CD au format Flac.

Le retour de la hi-fi hd
Des partenariats se multiplient en outre autour des fabricants de ces appareils hi-fi numériques sans fil tels que l’américain Sonos qui intègre par exemple les plateformes Fnac Jukebox, Soundcloud, Tidal (récemment acquis par l’artiste américain Jay-Z) ou encore Spotify. « Si l’amélioration de la qualité sonore est le nouvel enjeu de bon nombre de plateformes, leur intégration au sein des systèmes audioconnectés n’en est pas moins essentielle, tant l’équipement ou le rééquipement du foyer (de l’écran 4K au système multi-room) est susceptible de constituer l’un des loisirs domestiques des plus prisés », souligne l’Observatoire de la musique. Et la TV connectée devrait accroître la visibilité de ces plateformes musicales dans les foyers. @

Charles de Laubier