Europe : les plateformes numériques visées sont préoccupées par le projet de régulation du Net

Les GAFAM sont les premiers concernés par les deux textes législatifs proposés le 15 décembre 2020 par la Commission européenne. Un mois après la publication de ce « paquet numérique » (Digital Services Act et Digital Markets Act), Edition Multimédi@ revient sur les réactions des acteurs du Net.

« Le diable sera dans les détails », a lancé Siada El Ramly (photo), directrice générale de Dot Europe (ex-Edima), lobby des GAFAM et d’autres. De son côté, Christian Borggreen, directeur de la CCIA Europe, où l’on retrouve aussi les géants du Net, dit en substance : « La réglementation numérique ne doit pas empêcher l’innovation numérique ». Tandis que DigitalEurope (ex-Eicta), également porte-voix de la high-tech dirigé par Cecilia Bonefeld-Dahl, estime que tout est question d’« équilibre entre la protection des droits fondamentaux et la prévention des activités illégales et nuisibles en ligne ».

Régime de responsabilité limitée en question
La présentation des projets de loi Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) par la Commission européenne le 15 décembre dernier n’a pas laissé les Big Tech indifférentes. Lors d’un séminaire en ligne organisé le 17 décembre dernier par Dot Europe, sa directrice Siada El Ramly a prévenu : « Si elle est élaborée et mise en œuvre de la bonne façon, la loi sur les services numériques – le DSA – pourrait offrir un cadre plus robuste pour la modération du contenu en ligne. Il reste cependant beaucoup de détails à régler et le processus en est encore à un stade précoce ». Et la directrice de Dot Europe basée à Bruxelles de rappeler : « Il existe déjà une législation sur le contenu en ligne au niveau national et européen et il sera crucial que le DSA travaille de manière cohérente avec toutes les règles déjà en place. Les principes de la directive (européenne) sur le commerce électronique demeurent une base solide et importante pour l’élaboration de futures règles et nous devrions nous appuyer sur ses fondements avec la loi sur les services numériques ». Entrée en vigueur il y a vingt ans maintenant, la fameuse directive dite « E-commerce » assure aux plateformes numériques et aux réseaux sociaux un statut protecteur d’hébergeur qui leur accorde une responsabilité limitée dans les contenus stockés, partagés et/ou diffusés par leurs millions d’utilisateurs. Ainsi, les GAFAM et les autres acteurs concernés ne peuvent être tenus pour responsables des informations et contenus exploités par internautes qui utilisent leurs plateformes numériques – à moins que ces dernières n’aient pris connaissance du caractère illicite de ces contenus illicites et/ou piratés mais ne les aient pas  promptement retirés ou rendus inaccessibles. « En janvier 2020, nos membres ont demandé à la Commission européenne d’introduire un nouveau cadre de responsabilité en ligne pour leur permettre de mieux lutter contre le contenu illégal en ligne et nous sommes encouragés de voir que certains des points que nous avons soulevés ont été pris en compte dans le projet de DSA », a indiqué Dot Europe dès le 15 décembre.
Une des autres préoccupations concerne la transparence exigée concernant les algorithmes utilisés par les plateformes numériques, lesquelles seront tenues de divulguer les paramètres utilisés par ces règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé, comme le classement de produits et ou de services dans les résultats de recherche. « Nous avons certaines préoccupations en matière de sécurité concernant la possibilité d’exiger que les plateformes fournissent un accès direct à leurs algorithmes, a expliqué Siada El Ramly. La transparence peut être obtenue par de nombreuses façons différentes et le saut pour potentiellement forcer les entreprises à exposer leurs informations exclusives peut être disproportionné ».
Les GAFAM auront l’obligation de donner aux autorités qui le demandent un accès à leurs algorithmes, comme l’avait justifié en octobre dernier Margrethe Vestager, viceprésidente exécutive de la Commission européenne, chargée de la Concurrence : « Nous ne pouvons pas laisser les décisions qui affectent l’avenir de notre démocratie être prises dans le secret de quelques conseils d’administration d’entreprises ». Intervenant lors d’un événement organisé par AlgorithmWatch (3), la Danoise a prévenu les grandes plateformes qu’elles devront fournir aux régulateurs demandeurs plus d’informations sur le fonctionnement de leurs algorithmes.

Trop de régulation tue l’innovation
L’organisation Dot Europe, qui représente les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ainsi que TikTok, Spotify, Snap, Twitter, eBay, Verizon Media, King, Airbnb, Expedia, Mozilla, Allegro, Etsy ou encore Yelp, ne se focalise pas seulement sur le DSA (4), axé sur les contenus (lutter contre la cyberhaine, la désinformation et tout contenu illicite), mais aussi sur le DMA (5) qui veut imposer à la dizaine de grandes plateformes numériques dites « systémiques » (dont les GAFAM) des contraintes antitrust et empêchant les abus de position dominante de certains écosystèmes. L’association américaine CCIA (Computer and Communications Industry Association) a, elle aussi, réagi dès le 15 décembre avec notamment un semblant de pointe d’ironie : « Nous espérons que les futures négociations viseront à faire de l’Union européenne un leader en matière d’innovation numérique, et pas seulement en matière de réglementation numérique ».

Des amendes jusqu’à 10% du chiffre d’affaires
Basée à Washington, la CCIA – vétérane de la high-tech (créée en 1972) – dispose aussi à Bruxelles d’un bureau qui veille au grain. « Une réglementation solide et fondée sur des données probantes jouera un rôle essentiel pour encourager l’innovation, les investissements et le choix des consommateurs en Europe », prévient Christian Borggreen, directeur de la CCIA Europe basée aussi à Bruxelles, tout en se « réjouiss[ant] à la perspective de travailler avec les décideurs politiques de l’Union européenne pour veiller à ce que les propositions atteignent les objectifs énoncés, afin que les Européens continuent de récolter tous les avantages des produits et services numériques ».
La CCIA, dont sont membres les GAFA (sauf Apple) aux côtés de Twitter, Pinterest, Rakuten, eBay, Uber et d’autres, relève que le projet de loi européen sur les marchés numériques – le DMA (6) – vise à cibler les services de base des « gatekeepers » numériques en restructurant leurs relations avec les utilisateurs commerciaux et en imposant de nouvelles modalités et obligations (lesquelles pourront évoluer et être étendues). Le DMA menace aussi de sanctionner ces grandes plateformes du Net en cas d’infraction à ces nouvelles règles européennes : « Des sanctions structurelles et comportementales [seront] imposées en cas de non-respect, y compris des amendes pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires annuel global d’une entreprise ». Dans le même esprit, le projet de loi européen sur les services numériques – le DSA (7) – impose des obligations de réactivité raisonnable (due diligence obligations) aux plateformes en ligne. Il introduit également un régime spécifique pour les « très grandes plateformes en ligne » (à partir de 45 millions d’utilisateurs actifs dans l’Union européenne), qui devront se conformer à des obligations supplémentaires telles qu’en matière de transparence stricte et de déclaration, de vérifications annuelles, de divulgation des principaux paramètres utilisés dans leurs systèmes de recommandation (dont les algorithmes) et la nomination d’un agent de conformité. Là aussi la CCIA retient que les amendes peuvent atteindre 6% du chiffre d’affaires annuel en cas de non-conformité. « Nous appuyons les efforts visant à encourager l’innovation et une concurrence efficace. Nous espérons que la loi finale ciblera les comportements problématiques plutôt que la taille de l’entreprise », a déclaré Kayvan Hazemi-Jebelli, un ancien du cabinet d’avocats Hogan Lovells, conseil depuis plus d’un an de la CCIA à Bruxelles en matière concurrentielle et réglementaire. « Le DMA introduirait de nouvelles règles de définition du marché régissant les services de base des plateformes. Dans ces marchés numériques en évolution dynamique, le risque de législation contre-productive est élevé. Nous espérons que le résultat final sera bon pour les consommateurs de l’Union européenne, les utilisateurs commerciaux et l’écosystème numérique dans son ensemble », a-t-il fait valoir. Concernant le DSA, cette fois, la CCIA espère ce que les Européens continueront à bénéficier de tous les avantages économiques et sociaux des services numériques. « Toute nouvelle obligation doit être réalisable et proportionnée aux risques connus. La création d’un régime spécifique axé sur les “très grandes plateformes en ligne” risque de pousser par inadvertance le contenu et les produits illégaux vers les petits fournisseurs de services numériques », met en garde Victoria de Posson, directrice des affaires publiques de la CCIA Europe.
Quant à l’association DigitalEurope, également installée à Bruxelles et représentant les GAFAM ainsi que Samsung, Huawei, Sony, Nvidia ou encore Dropbox, elle plaide pour une réglementation de l’Internet qui soit « un équilibre entre la protection des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la vie privée, d’un côté, et la prévention des activités illégales et nuisibles en ligne, de l’autre ». Sa directrice générale, Cecilia Bonefeld-Dahl, appelle l’Union européenne à « exploiter au maximum les outils de concurrence existants avant d’envisager l’introduction de nouveaux mécanismes susceptibles d’entraver l’innovation et l’entrée sur le marché ».

Google se sent visé ; Facebook tacle Apple
Membre de ses trois lobbies européens, Google – la filiale d’Alphabet – a fait part de ses inquiétudes vis-à-vis du DSA et du DMA. « Nous sommes préoccupés par le fait que les propositions faites par la Commission européenne semblent cibler spécifiquement une poignée d’entreprises et rendre plus difficile le développement de nouveaux produits pour soutenir les petites entreprises en Europe », a déclaré Karan Bhatia, directeur des affaires publiques et réglementaires de Google. Un porte-parole de Facebook en a profité, quant à lui, pour s’en prendre à la marque à la pomme : « Nous espérons que le DMA fixera également des limites pour Apple. Apple contrôle tout un écosystème, d’un appareil à l’autre et utilise ce pouvoir pour nuire aux développeurs et aux consommateurs, ainsi qu’aux grandes plateformes comme Facebook ». Ambiance. @

Charles de Laubier

La régulation audiovisuelle deviendra-t-elle la régulation de l’Internet ?

En 2006, le professeur Eli Noam avait prédit que la régulation de l’audiovisuel
« deviendrait » la régulation des communications électroniques (1). Avec les débats autour de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA),
la prophétie se confirme. Pourtant l’Internet, ce n’est pas de l’audiovisuel.

Audiovisuel : YouTube n’est pas « éditeur », quoique…

En fait. Le 27 septembre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a organisé ses premières Rencontres sur le thème de « L’audiovisuel dans l’espace numérique : plateformes et données ». En première ligne, Google a défendu son statut d’hébergeur : « Nous ne sommes pas éditeur de contenus ». Vraiment ?

L’Hadopi remet en cause le statut d’hébergeur

En fait. Le 25 février, Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, a remis à la présidente de cette dernière son rapport sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites ». Elle y critique le statut d’hébergeur.

Editeurs ou hébergeurs ? Controverses autour de la qualification des sites de partage

YouTube, Dailymotion, Facebook,… Quel est leur statut ? Ont-ils une responsabilité limitée d’hébergeur ou bien sont-ils responsables de plein droit des contenus qu’ils mettent en ligne en tant qu’éditeur ? En fait, plusieurs régimes peuvent s’appliquer. D’où l’insécurité juridique.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Les sites de partage proposent aux internautes de mettre
en ligne les contenus qui les intéressent, dans une approche
« collaborative ». Ils stockent sur leurs serveurs des contenus de nature et d’origines différentes qu’ils mettent à la disposition des internautes. Ces sites sont d’une grande diversité puisqu’on y trouve aussi bien des sites de réseaux sociaux (Facebook), des sites d’échanges de contenus (partage de vidéos, d’images, d’encyclopédies en ligne comme YouTube, Dailymotion ou encore Wikipedia) que des sites de flux de syndication de contenus en ligne, flux dits RSS
(par exemple Fuzz.fr), ou encore des sites de notation (tels que Note2be.com).

Un statut incertain Ces sites web ont connu un succès spectaculaire mais, en permettant l’accès à des contenus qui contiennent tout ou partie d’éléments d’œuvres protégées par un droit de propriété intellectuelle, ils ont provoqué de nombreux contentieux à l’initiative des ayants droits. Ces derniers considèrent que cette situation relève de la responsabilité de ces sites.
Les sites de partage revendiquent, quant à eux, le statut d’hébergeur et le régime dérogatoire de responsabilité qui y est associé. Cette divergence a conduit les juridictions à apprécier les critères de qualification des sites de partage qui leur ont été présentés, pour décider au cas par cas de leur rattachement au régime dérogatoire de responsabilité dont bénéficient les hébergeurs ou au régime applicable aux éditeurs. Les sites de réseaux sociaux ne sont visés ni par la directive communautaire sur le commerce électronique du 8 juin 2000, ni par la loi pour la confiance dans l’économie numérique adoptée le 21 juin 2004 (dite LCEN). Il n’existe donc aucun statut légal spécifique et, pour l’heure, ce sont les tribunaux qui doivent trancher. Les ayants droits estiment que les sites de partage exploitent des services de communication au public en ligne et que cette activité est différente de la simple prestation technique de stockage de l’hébergeur. Comme cette activité n’est pas concernée par le régime dérogatoire de responsabilité de l’hébergeur, ils en concluent que les sites de partage ne peuvent pas en bénéficier et que leur responsabilité doit donc être examinée selon les règles de droit commun.
Tel n’est évidemment pas le point de vue des sites de partage qui revendiquent le statut de « simple intermédiaire technique », estimant que leurs activités ne se distinguent pas de celles d’un prestataire d’hébergement traditionnel au sens de l’article 6 de la LCEN.
Ils font ainsi valoir qu’ils n’interviennent pas dans le choix du contenu des fichiers qui leur sont adressés par les internautes et que leur rôle se limite au stockage et à la mise en oeuvre de moyens de diffusion. Dans ces conditions, leur responsabilité ne peut être engagée que s’il est établi qu’ils ont connaissance d’un contenu manifestement illicite (1) et qu’ils n’ont pas promptement agi afin de le retirer ou d’en rendre l’accès impossible (2), conformément au régime dérogatoire dont bénéficient les prestataires d’hébergement. Confrontée à ces prises de position radicalement opposées, la jurisprudence apporte les premiers éléments de réponse. Cependant, certaines décisions retiennent une double qualification, témoignant, s’il en est besoin, de la difficulté de l’exercice. En l’absence d’un régime légal spécifique, la recherche du statut qu’il convient d’appliquer semble indissociable de l’analyse des services proposés par le site concerné.

Un rôle « interactif »
En effet, les sites de partage n’offrent pas seulement une activité de stockage et, entre
la réception d’un fichier et sa mise en ligne, ils interviennent sur le contenu. Faut-il alors considérer, comme le soutiennent les sites de partage, qu’il s’agit d’activités accessoires à l’activité principale de stockage, justifiant l’application du régime de responsabilité de l’hébergeur à l’ensemble ? Ou bien doit-on faire coexister deux régimes de responsabilité en fonction des activités concernées, celle d’éditeur de contenus et celle d’hébergeur ? Selon les ayants droit, un site de partage ne peut pas être assimilé à un hébergeur traditionnel en raison du rôle « interactif » qu’il joue dans la diffusion de ces contenus, lesquels sont accessibles aux internautes via son adresse web et donc sous son enseigne ou sa marque. Un hébergeur traditionnel est, quant à lui, un prestataire technique « transparent », « neutre » dans la transmission des contenus stockés vers les destinataires. Dans un premier temps, les juges se sont montrés sensibles à cette position. C’est ainsi qu’en matière d’atteinte à la vie privée sur des sites publiant des informations par le biais de flux RSS, plusieurs ordonnances de référé ont considéré que le renvoi, par un lien hypertexte, vers un site d’informations relevait effectivement d’un choix éditorial. Par ailleurs, les ayants droit ont également fait valoir que les conditions contractuelles proposées par les sites de partage s’apparenteraient à celles proposées par les éditeurs pour l’exploitation de droits de propriété intellectuelle. S’ils ne revendiquent aucun droit de propriété sur ces contenus, ils bénéficient néanmoins d’une licence les autorisant à les utiliser, les modifier, les reproduire, les diffuser, etc. Ces modifications, reproductions et autres interventions
se matérialiseraient par le « formatage » en quelque sorte des contenus ou par les contraintes techniques énoncées par les sites de partage. Rien de tel pour l’hébergeur traditionnel, dont le rôle reste cantonné à celui de la fourniture des prestations techniques, à l’exclusion de toute intervention sur les contenus. Là encore, la jurisprudence a également admis cette analyse : le 22 juin 2007 (3) devant le TGI de Paris ; le 7 juin 2006 à la Cour d’appel de Paris (4) et le 14 janv. 2010 par la Cour de cassation (5). Ce dernier arrêt de la Haute juridiction a suscité la vive inquiétude des sites de partage (lire EM@9, p. 4). Cette décision a été rendue en application du droit antérieur à la LCEN et que le raisonnement n’est donc pas forcément transposable dans le cadre du nouveau régime juridique mis en place par cette loi.

Modèle économique particulier
Les sites de partage réfutent évidemment l’analyse des ayants droits, observant qu’ils opèrent de la même manière que les forums de discussion (même interface technique, même enseigne, contenus postés par des tiers, etc.), ce qui confirme que l’interactivité n’est pas un critère qualifiant du statut d’éditeur mais bien, au contraire, celui d’un simple intermédiaire technique. Certaines décisions ont admis ces arguments : les 12 déc. 2007 (6), 26 nov. 2007 (7), 20 févr. 2008 (8), 6 mai 2009 (9), et 25 juin 2009 TGI Nanterre, 25 juin 2009 (10). Les ayants droits ont également fait valoir que les recettes publicitaires dont bénéficiaient les sites de partage créent un intérêt économique sur les contenus, ce qui les différencie du statut de l’hébergeur traditionnel. Cet argument a été accueilli favorablement par certains juges : les 22 juin 2007 (11) et 14 janv. 2010 (12). Par contre, selon d’autres décisions, la commercialisation de publicité n’exclut pas la qualification du statut d’hébergeur (décisions des 15 avril 2008 (13), 13 juillet 2007 et 6 mai 2009 (14)), en considérant que la LCEN prévoit que l’hébergement peut être assuré même à titre gratuit, « et qu’elle n’édicte, en tout état de cause, aucune interdiction de principe à l’exploitation commerciale d’un serveur hébergeur au moyen de la publicité » (décision du 14 avril 2010 (15)). Dans le cas d’espèce, la Cour a retenu qu’il n’est pas démontré « une relation entre le mode de rémunération par la publicité et la détermination des contenus mis en ligne ».

Plusieurs régimes de responsabilité
Avec cette dernière décision, on observe que désormais la jurisprudence invite à une analyse de l’activité en cause, considérant qu’un site peut être soumis à plusieurs régimes de responsabilité, suivant les rôles qu’il exerce : vendeur pour la distribution
de produits dont il est propriétaire, éditeur pour l’exploitation de la structure du site et hébergeur pour la plateforme de mise en relation.
Enfin, la qualification d’hébergeur n’exclut pas une condamnation lorsque les sites de partage ne sont pas diligents et ne retirent pas « promptement » les contenus illicites. C’est sur ce fondement que Dailymotion a été condamné en juin dernier pour ne pas
avoir accompli les diligences nécessaires en vue de retirer promptement et de rendre impossible une nouvelle mise en ligne d’un contenu signalé comme illicite. Une décision de la Cour de cassation sur le régime juridique applicable à ces sites depuis l’adoption de la LCEN est néanmoins très attendue compte tenu de l’insécurité juridique que suscite cette diversité jurisprudentielle. @

* Christiane Féral-Schuhl publie aux éditions Dalloz
(collection Praxis Dalloz) la sixième édition de
« Cyberdroit. Le droit à l’épreuve de l’Internet »,
disponible depuis le 29 septembre (58 euros). L’ouvrage
est complété par un site web d’actualité juridique :
www.cyberdroit.fr. Christiane Féral-Schuhl est par
ailleurs présidente de l’Association pour le développement
de l’informatique juridique (ADIJ), laquelle a fêté ses
40 ans le 30 septembre avec une journée de
débats sur le thème « Générations numériques ».