Secrétaire d’Etat au Numérique : la « feuille de route » interministérielle et européenne de Mounir Mahjoubi

Septième ministre en charge du Numérique depuis la création de cette attribution gouvernementale il y aura dix ans en mars 2018, le secrétaire d’Etat Mounir Mahjoubi a pour la première fois déjeuné avec des journalistes pour parler en « off » de son action politique aussi bien nationale qu’européenne.

PAR Charles de Laubier

Ce fut, le 6 octobre dernier, le premier déjeuner de Mounir Mahjoubi (photo) avec des journalistes, en l’occurrence ceux de l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). Une première pour lui, depuis qu’il a été nommé le 17 mai, « secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargé du Numérique » (1). Mais pour cette tout première rencontre – présentée comme « une prise de contact » – avec des médias (dont faisait partie Edition Multimédi@), le plus jeune membre (33 ans) du gouvernement d’Emmanuel Macron a préféré jouer la prudence en imposant le « off », voire du triple off-the-record.
Autrement dit, les propos qu’ils aura tenus durant son tout premier repas journalistique devaient être tenus strictement confidentiels. Dommage ! D’autant que le secrétaire d’Etat au Numérique, en pleine forme et souriant ce jour-là comme à son habitude et malgré un agenda de ministre très chargé, fut disert voire prolixe sur ses dossiers qu’il semble connaître sur le bout des doigts.

Actions « tous azimuts », agenda surbooké
Mounir Mahjoubi a ainsi répondu aux questions des journalistes sur des sujets aussi variés que la cybersécurité, la transformation numérique de l’Etat, l’inclusion numérique, la numérisation des TPE et PME, le déploiement du haut et très haut débit, le financement de l’innovation, la diversité dans les start-up, ou encore la taxation des GAFA. Il faut dire que les nombreuses attributions qui lui ont été déléguées par le Premier ministre Edouard Philippe – dont il dépend directement – en font le seul ministre du gouvernement véritablement « interministériel ».
C’est aussi la seconde fois depuis la création de cette fonction de « secrétaire d’Etat au Numérique » au sein d’un gouvernement français – et cela fera dix ans en mars 2018 – que ce portefeuille ministériel dépend du Premier ministre et non pas de Bercy, c’est-à-dire sans être sous tutelle du ministère de l’Economie aux dénominations variables selon les époques. Si les deux premiers « secrétaires d’Etat au Numérique », Eric Besson (mars 2008-janvier 2009 (2)) et Nathalie Kosciusko-Morizet (janvier 2009-novembre 2010 (3)), l’ont été en effet successivement auprès du Premier ministre de l’époque, François Fillon, il n’en a pas été de même pour les quatre suivants. Ainsi, durant près de sept ans, Eric Besson (novembre 2010- mai 2012), Fleur Pellerin (mai 2012-mars 2014), Axelle Lemaire (avril 2014-février 2017) et Christophe Sirugue (février 2017-mai 2017) se retrouveront nommés secrétaires d’Etat placés sous la houlette de Bercy.

Actions « tous azimuts », agenda surbooké
Deux ministres de l’Economie accoleront même «Numérique» au libellé de leur portefeuille : Arnaud Montebourg en tant que «ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique » (avril 2014-août 2014) et… Emmanuel Macron en tant que « ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique » (août 2014-août 2016). Auparavant, avant mars 2008, il n’est pas encore question de
« Numérique » dans les attributions ministérielles mais seulement de « Technologies
de l’information » : François Fillon fut « ministre des Technologies de l’information et de la Poste » (mai 1995- novembre 1995), suivi de Claudie Haigneré « ministre déléguée
à la Recherche et aux Nouvelles technologies » (juin 2002- mars 2004). Entre ces deux ministres, les « Technologies de l’information » disparaissent même au profit des
« ministres de la Recherche et des Télécommunications ».
Puis, de 2004 à 2008 et à défaut de ne toujours pas avoir de ministre du Numérique en France pourtant déjà jugé nécessaire à l’époque (4), les « Technologies » réapparaissent au détour des « ministres de la Recherche et des Technologies ». C’est alors qu’une sorte d’anomalie gouvernementale va perdurer de 2008 à 2012 : malgré la nomination finalement du tout premier « secrétaire d’Etat chargé au Développement de l’économie numérique » en mars 2018, le décret des attributions du ministre de la Recherche, lui, n’est pas modifié pour autant. Résultat, durant la majeure partie du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le gouvernement français aura eu à la fois un ministre de l’Economie numérique, un autre chargé des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) – à savoir le ministre de la Recherche qui « prépare »
la politique du gouvernement en la matière –, ainsi qu’un ministre chargé des Télécommunications et un autre de la Communication audiovisuelle !
Mais revenons à Mounir Mahjoubi, le septième ministre en charge du Numérique.
C’est à croire qu’il ne sait plus où donner de la tête tant son action interministérielle l’amène à parler avec tous ses collègues du gouvernement, les collectivités territoriales et les instances européennes. Par exemple, rien que sur la semaine du 9 au 13 octobre, son agenda officiel ne comptait pas moins d’une quinzaine d’entretiens avec des personnalités, allant de Fleur Pellerin, présidente du fonds d’investissement Korelya Capital, ancienne ministre de l’Economie numérique (5) et exministre exministre de la Culture et de la Communication, à Gilles Babinet, Digital Champion de la France auprès de la Commission européenne, en passant par Thierry Delville, délégué aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces au ministère de l’Intérieur, Yannick Bolloré, PDG du groupe Havas (tout juste racheté par Vivendi présidé par le père de ce dernier) ou encore Sébastien Crozier, président du syndicat CFE-CGC chez Orange. A ces entretiens menés au pas de charge sont venues s’ajouter une audition devant la Commission numérique de Régions de France, une rencontre administrations-entrepreneurs pour l’appel à candidature « Entrepreneur.e d’intérêt général » (6), un déplacement à Option Start-up auprès des collégiens et lycéens dans toute leur diversité (fin septembre, il s’est rendu à Start-up Banlieue), une intervention à l’événement Bpifrance Inno Génération, une visite de la plateforme d’innovation Le Cargo. En outre, il a participé à l’Elysée au conseil de Défense et dans la foulée à celui des Ministres, sans oublier de répondre aux inévitables questions au gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat. S’il y a une semaine qui illustre au mieux la course effrénée contre la montre qu’a engagée depuis cinq moins maintenant l’ancien président du Conseil national du numérique (CNNum), ex-responsable numérique de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron et élu député (REM) de la seizième circonscription de Paris, c’est bien celle-ci ! Son action a aussi une portée européenne. Par exemple, la veille de son déjeuner avec l’Ajef, Mounir Mahjoubi recevait Mariya Gabriel, la commissaire européenne à l’Economie et à la Société numériques (7), pour parler de la réforme en cours du
« Paquet télécoms » visant à inciter les opérateurs de réseaux à plus investir dans la couverture du très haut débit fixe et mobile – quitte à inscrire des obligations lors du renouvellement prochain de leurs fréquences hertziennes. Il a aussi été question entre eux de développement des start-up, de numérisation de l’industrie et de l’administration, d’économie des données, de formation des jeunes au codage, ou encore de cybersécurité et de lutte contre les contenus illicites en ligne de propagande terroriste ou de discours haineux (lire p. 4).

Sa longue « feuille de route » aux cinq piliers
Devant les journalistes de l’Ajef, Mounir Mahjoubi a justifié ce qui pourrait être perçu comme une hyperactivité, comme il l’avait déjà fait devant des parlementaires : « Ma feuille de route comporte cinq piliers. Le premier pilier, que je qualifierai de numérique économique, vise à accélérer la croissance et l’innovation. Le deuxième, consacré au numérique public, consiste à réinventer la puissance publique. Le troisième, le numérique inclusif, entend faire du numérique une chance pour tous. Le quatrième répond aux enjeux de la confiance, de souveraineté et de sécurité. Le cinquième, enfin, concerne la diffusion du numérique sur l’ensemble du territoire ». Vaste programme. @

Charles de Laubier

Malgré ses pertes financières chroniques, Spotify vise une entrée en Bourse d’ici le début 2018

La société suédoise Spotify, devenue numéro un mondial de la musique en ligne, veut réussir d’ici un an à lever suffisamment d’argent en Bourse pour assurer son avenir. Car, pour l’heure, les pertes financières se creusent malgré un chiffre d’affaires qui franchira cette année les 3 milliards d’euros.

Le numéro un mondial du streaming musical a revendiqué mi-juin 140 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, dont près de 50 millions d’abonnés payants, mais continue de perdre de l’argent : 349 millions d’euros en 2016, en hausse de 47 % sur un an, d’après les données financières publiées par sa holding Spotify Technology SA basée au Luxembourg. Quant au chiffre d’affaires, il a progressé de plus de 50 % à 2,93 milliards d’euros.

Introduction en Bourse pour ses 10 ans
La société suédoise espère signer avec les majors de la musique enregistrée Sony Music et Warner Music des accords de licence à l’échelle mondiale sur le long terme, comme elle l’a fait avec Universal Music (Vivendi) en avril dernier. Comme les majors sont actionnaires minoritaires de Spotify pour quelques pourcentages chacun (1),
en échange de la mise à disposition de leur catalogue, cela ne devrait pas poser de problème. En attendant, la plateforme de streaming a dans la foulée signé un nouvel accord avec un groupement de labels indépendants, la société néerlandaise Merlin Network (20.000 producteurs de musique), qui est considérée comme une « quatrième major potentielle » (dixit Spotify). Ces accords pluriannuels lui permettraient de trouver enfin le chemin de la rentabilité.
Ces accords de long terme seraient aussi le meilleur atout de Spotify pour rassurer les investisseurs dans la perspective de son introduction en Bourse, prévue à New York – sur le Nyse – d’ici le début de l’année 2018. Cette perspective boursière, que le cofondateur de Spotify Martin Lorentzon (photo de gauche) a tenté de démentir, a été confirmée à Reuters début juin. En fait, Martin Lorentzon s’était déjà opposé à une entrée en Bourse. Or, ce n’est plus lui qui dirige la plateforme de streaming musical depuis qu’il en a cédé les rênes de PDG à un autre cofondateur, Daniel Ek (photo de droite). N’est-ce pas pour mieux préparer son introduction en Bourse que l’entreprise
a renoncé en décembre dernier à acquérir – pour l’instant – la plateforme musicale allemande SoundCloud ? La dernière valorisation boursière de Spotify est estimée à
13 milliards de dollars – contre 8,5 milliards de dollars en 2015. Ce qui en fait une belle « licorne » mondiale, du surnom de ces sociétés non cotées mais valorisées au moins un milliard de dollars. Cependant, Spotify perd de l’argent depuis son lancement public en 2008 (le logiciel éponyme fut développé à partir de 2006). Si cette année 2017 marque le franchissement de la barre des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires,
le numéro un mondial du streaming musical doit encore convaincre sur sa viabilité économique. La croissance des revenus de 2016 (+ 53 %) est certes moins élevée qu’en 2015 (+ 80 %), mais un peu plus forte qu’en 2014 (+ 45 %). Une cotation en Bourse permettait à Spotify de poursuivre son expansion internationale, en ajoutant
à sa soixantaine de marchés où il est déjà présent le Japon – considéré comme le second marché mondial pour l’écoute de la musique. Si Spotify se décide et réussit
à entrer en Bourse dans les prochains mois, ce sera la première plateforme musicale
à le faire après que Deezer ait renoncé à franchir le pas en octobre 2015 (2). Les plateformes de streaming musical gagnent en notoriété partout dans le monde, notamment en France auprès des utilisateurs, que cela soit Deezer (+ 2 points), Spotify (+ 5 points) et Apple Music (+ 7 points), d’après GfK dans son baromètre de début 2017 mis en place pour le Snep (3). Toujours sur l’Hexagone, Spotify s’arroge 24,5 % de parts de marché en 2016 dans le streaming musical audio et vidéo. Ce qui place la plateforme suédoise derrière le français Deezer et ses 38,8 % de parts de marché.

Vers de la musique sponsorisée à la « Payola »
En plus de ses revenus de publicité pour financer l’accès aux musiques gratuites, et surtout les abonnements qui montent en puissance à raison de plus de 30 % de ratio gratuit-payant, l’entreprise suédoise basée au Luxembourg a commencé à tester le
« pay per play ». Il s’agit de proposer aux producteurs de musique et différents labels de financer la diffusion de titres musicaux dans les playlists de Spotify. Ce « sponsored content » n’est pas proposé comme une publicité en tant que telle, mais comme un morceau avec les autres lors de la diffusion auprès des seuls utilisateurs du streaming gratuit. « Sponsored song » est une option fonctionnant sur le mode opt-out, selon
le site web TechCrunch. Pour la plateforme, et indirectement les ayants droits, les chansons sponsorisées permettraient d’engranger plus de recettes de la part des utilisateurs du gratuit qui rapportent habituellement moins que les abonnés payants. Cette pratique rappelle celle dite « Payola », qui est un système de paiement effectué par les maisons de disques à des stations de radio si elles veulent que leurs titres soient mieux exposés à l’antenne et donc dans les « Charts ». Décrié aux Etats- Unis dans les années 1950, la payola – néologisme créé à l’époque à partir de pay (payer) et le nom de l’un des premiers lecteurs de 33 tours, Victrola – est interdite, sauf à ce que la radio avertisse clairement le caractère sponsorisé du morceau de musique passant
à l’antenne. Avec les « Sponsored songs » de Spotify, les producteurs de musique enregistrée renouent avec cette pratique américaine qui ne fut pas exportée en Europe.

Il y a plus de dix ans, des majors ont été soupçonnées de contourner la législation en employant des promoteurs présentés comme indépendants : Sony BMG en juillet 2005, Warner Music en novembre 2005 et Universal Music en mai 2006 ont conclu un arrangement avec l’Etat de New York en payant respectivement 10, 5 et 12 millions de dollars d’amendes. Quatre des principales sociétés de radiodiffusion – Clear Channel Communications, CBS Radio, Entercom Communications et Citadel Broadcasting
– ont ensuite accepté de payer une amende de 12 millions de dollars. Avec le développement du streaming, des cas de payola ont été révélés par Billboard en 2015. Pour empêcher ce type de pratique, Spotify a modifié l’année suivante ses conditions générales d’utilisation afin d’interdire aux utilisateurs d’accepter toute rétribution pour influencer une playlist et/ou son contenu. Encore faut-il que les ayants droits de la filière musicale, préférant l’abonnement récurrent à la gratuité financée par la publicité, y trouvent leur compte. Spotify doit leur reverser des royalties qui grèvent sa rentabilité. Selon le Financial Times du 17 mars dernier, les majors ont accepté de baisser leurs royalties en échange pour Spotify de réserver des nouveaux albums à ses abonnés payants. L’accord pluriannuel avec Universal Music (labels EMI, Capitol, Virgin, Polydor, Geffen, etc.) prévoit notamment que les artistes du numéro un mondial de la musique enregistrée puissent réserver aux abonnés payants de Spotify leurs nouveaux albums pour une durée exclusive de deux semaines.
Afin d’arriver en Bourse dans les meilleures conditions et attirer les investisseurs, Spotify doit non seulement montrer patte blanche aux majors mais aussi convaincre des artistes tentés par le boycotte de la plateforme (4). C’est ainsi que la chanteuse américaine Taylor Swift a mis fin début juin à son boycotte qu’elle avait infligé à Spotify – notamment pour la sortie de son album « 1989 » – pour protester contre sa trop faible rémunération. Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droits, a payé à ce jour plus de 5 milliards de dollars cumulés depuis sa création il y a neuf ans. Ce sont les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music qui
en profitent le plus, suivies des artistes eux-mêmes. Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), le streaming a pour la première fois en 2016 généré
la majorité des revenus de l’industrie musicale américaine.
Pour faire bonne figure avant son introduction en Bourse, le groupe suédois a en outre accepté en mai dernier de créer un fonds de près de 43,5 millions de dollars pour mettre fin à une procédure judiciaires à son encontre. Une action collective (class action) avait en effet été lancée par deux artistes indépendants, Melissa Ferrick et David Lowery, des groupes Cracker et Camper Van Beethoven, qui accusaient la plateforme de streaming de diffuser des oeuvres sans autorisations. Un accord avait par ailleurs été conclu en 2016 avec la National Music Publishers Association (NMPA).

IA : acquisition de la start-up française Niland
En mai , Spotify a annoncé l’acquisition de Niland, une start-up française spécialisée dans l’optimisation de la recherche de musique en ligne et des recommandations boostées à l’intelligence artificielle « pour faire émerger le bon contenu pour le bon utilisateur au bon moment ». Niland va quitter Paris pour New York. Spotify avait déjà acquis en mars la start-up newyorkaise MightyTV, spécialisée dans la recommandation de programmes de télévisions. Spotify se voit déjà en « Netflix » de la musique, mais surtout table sur le ciblage publicitaire et la personnalisation du marketing. @

Charles de Laubier

Bilan numérique et audiovisuel du quinquennat Hollande : limites de l’action publique

Ni la révolution numérique nécessaire à l’économie, ni la révolution audiovisuelle promise par François Hollande n’ont eu lieu. Ces occasions manquées montrent les limites de l’action publique française dans le numérique et l’audiovisuel, dans un contexte marqué par l’impératif sécuritaire.

Lee Jae-yong (alias Jay Y. Lee), le discret héritier de Samsung, est attendu au tournant en 2017

L’année 2017 sera décisive pour le conglomérat familial Samsung créé il y a près de 80 ans. Discret, Lee Jae-yong – petit-fils du fondateur – est propulsé à la tête du groupe et de sa plus célèbre filiale : Samsung Electronics. Mais le n°1 mondial de la high-tech est au bord de la scission et mêlé à un scandale d’Etat.

(A l’heure où nous avons publié cet article dans EM@, nous apprenions qu’un mandat d’arrêt contre Jay Y. Lee était demandé. Le 19 janvier, la justice sud-coréenne refusait de délivrer ce mandat d’arrêt. Le 17 février, le « prince héritier » a été arrêté.)

Son père, Lee Kun-hee, vient de fêter – le 9 janvier – ses 75 ans et dirige le conglomérat – chaebol en coréen – depuis 30 ans maintenant. Mais lui, Lee Jae-yong (photo), fils unique et aîné de trois soeurs (1), a été propulsé à la tête du groupe Samsung. Cette montée en grade s’est accélérée depuis que le patriarche – lui-même troisième enfant de Lee Byung-chul, celui qui a fondé l’entreprise Samsung il y aura 80 ans l’an prochain – a été hospitalisé en mai 2014 à la suite d’une crise cardiaque et est depuis lors souffrant.
Le « prince héritier », comme certains le surnomment lorsqu’il n’est pas appelé familièrement « Jay Y », tient entre ses mains l’avenir de l’une des plus importantes multinationales connues au monde. Il en est officieusement le patron en l’absence de son père, lequel prépare sa succession depuis près de trois ans maintenant via la méconnue et opaque holding familiale du groupe appelée Cheil Industries (ex-Samsung Everland).

Samsung Electronics, porte-drapeau du chaebol
Le groupe « trois étoiles » – c’est la signification en coréen de Samsung – présentera le 24 janvier les résultats financiers 2016 de Samsung Electronics. Ils sont annoncés comme « supérieurs aux attentes », malgré les déboires du groupe l’an dernier avec le retrait du marché de la phablette (2) Galaxy Note 7 pour cause d’explosions ou d’embrasements (les résultats de l’enquête sur les causes seront publiés avant la fin du mois), et le rappel de millions de… machines à laver le linge défectueuses. Pour Lee Jae-yong, fin janvier s’annonce donc comme un baptême du feu…
La filiale high-tech – créée en 1969 et devenue numéro un mondial des smartphones ainsi que numéro un mondial des téléviseurs – est plus que jamais aujourd’hui le porte-drapeau planétaire du conglomérat sud-coréen, également présent dans le bâtiments, les chantiers navals, les parcs d’attraction ou encore dans l’assurance. En près de 50 ans, l’entreprise de fabrication de produits électroniques et électroménagers – Samsung Electronics – s’est développée à coup de diversifications technologiques : téléviseurs, écrans plats, magnétoscopes, lecteurs de vidéodisques, ordinateurs, téléphones mobiles, semi-conducteurs, puces mémoires, écrans pour smartphones, mais aussi laves linge, réfrigérateurs, fours à micro-ondes, climatiseurs, …

Holding opaque et scandale financier
A un an près, Lee Jae-yong (48 ans) a le même âge que Samsung Electronics, dont
il est vice-président depuis décembre 2012, après en avoir été directeur opérationnel durant trois ans. Et c’est lors d’une assemblée générale extraordinaire organisée le 27 octobre dernier que le quadra a fait son entrée au conseil d’administration de Samsung Electronics que préside Oh-Hyun Kwon (64 ans), auquel Lee Jae-yong pourrait succéder. Fort de ses deux pouvoirs, opérationnel et stratégique, le dauphin devient
le tycoon du groupe familial – coté en Bourse et valorisé 260 milliards de dollars. Multimilliardaire, la fortune personnelle de Lee Jaeyong est estimée par le magazine Forbes à 6 milliards de dollars en 2016, ce qui en fait la 201e personne la plus riche du monde – tandis que son père est en 112e position avec un patrimoine de 14,4 milliards de dollars. Bien qu’à la manoeuvre depuis l’éloignement de son père, l’intronisation de Lee Jae-yong au board l’amène officiellement à prendre part aux décisions stratégiques du groupe – quant aux investissements, à la réorganisation des activités ou encore à la « création d’une culture d’entreprise plus ouverte » (dixit Oh-Hyun Kwon).
Le groupe de Séoul avait fait savoir au printemps dernier qu’il souhaitait adopter une culture de start-up pour être plus réactif – dans un monde high-tech à la croissance ralentie – grâce à des processus de décisions simplifiés. De là à « pivoter », comme disent les dirigeants de jeunes pousses ? Difficile pour un poids lourd de la taille de Samsung. Des décisions majeures ont néanmoins déjà été prises sous l’égide de « Jay Y. Lee » telles que la vente en septembre de l’activité imprimantes à HP pour plus de 1milliard de dollars afin de se recentrer sur ses coeurs de métier, et l’introduction en Bourse en novembre de la filiale pharmaceutique Samsung Biologics permettant de lever 1,9 milliard de dollars. Mais c’est l’acquisition en décembre du groupe Harman International Industries, pour 8 milliards de dollars, qui est un coup de maître. En s’emparant du spécialiste des appareils audio, vidéo et systèmes automobiles connectés (Harman Kardon, JBL, Lexicon, Mark Levinson, AKG Acoustics, …), Samsung Electronics donne un coup d’accélérateur à sa diversification afin d’aller chercher dans la voiture connectée de nouveaux relais de croissance. A la grandmesse de l’high-tech grand public, le Consumer Electronic Show (CES) qui s’est tenu à Las Vegas début janvier, le groupe sud-coréen a annoncé le lancement du fonds Samsung Next doté de 150 millions de dollars qui ont commencé à être orientés vers des investissements dans des start-up de la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, et d’autres innovations technologiques (3). Mais Lee Jae-yong n’était pas présent aux Etats-Unis, car il était entendu à Séoul comme suspect dans le scandale politico-financier qui met en cause la présidente de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, soupçonnée de trafic d’influence et menacée de destitution : elle aurait permis en 2015 une fusion – contestée par des actionnaires minoritaires, dont le fonds américain Elliott – de deux entités de Samsung, Cheil Industries et C&T, opération qui devait renforcer l’emprise de la famille Lee et faciliter la passation de pouvoir à la tête du géant sud-coréen de l’électronique sans trop payer de droits de succession. Le hedge fund Elliott (4) est le même qui pousse à une scission de Samsung Electronics évoquée depuis longtemps, avec les activités industrielles d’un côté et financières de l’autre. La direction s’est donnée au moins jusqu’à mai pour mener sa « revue stratégique ».

Autre affaire que l’héritier suit de prêt : celle des brevets où Apple accuse depuis 2011 Samsung d’avoir copié l’iPhone. D’après une décision de la Cour suprême des Etats-Unis datée du 6 décembre dernier, le groupe sudcoréen pourrait ne plus avoir à payer que 149 millions de dollars de dommages et intérêts au lieu de 548 millions (jugement en 2015) ou de 930 millions (jugement de 2012). Lee Jae-yong a en outre eu à gérer
la crise historique de l’accident industriel du Galaxy Note 7, qui a finalement coûté à Samsung plus de 6 milliards de dollars (selon l’agence Bloomberg) et la perte de parts de marché au profit de fabricants chinois comme Huawei (pas d’Apple). Mais le numéro un mondial des smartphones a les reins solides et pourrait afficher un bénéficie record dès cette année 2017. C’est du moins ce que pense un analyste financier cité par l’agence Reuters, en tablant sur le succès des futurs Galaxy S8 dotés d’intelligence artificielle et attendus en avril.

Apple n’a qu’à bien se tenir
Et selon le site d’informations économiques Business Korea, le numéro un mondial
des smartphones compte aussi lancer au second semestre un Galaxy Note 8 ultra performant et doté d’un écran 4K pour entrer dans la réalité virtuelle et faire oublier le fiasco du prédécesseur. Le géant de Séoul devrait in fine se remettre rapidement de ses catastrophes industrielles. D’autant que les ventes de puces mémoire et d’écrans pour smartphones ont été bonnes. @

Charles de Laubier

Lagardère Active met le numérique et la data au coeur de sa stratégie afin de résister aux GAFA

Nommé il y a près de cinq ans (le 7 novembre 2011) à la présidence de Lagardère Active (regroupant la presse et l’audiovisuel du groupe d’Arnaud Lagardère), Denis Olivennes change de braquet cette année en faisant du numérique et du traitement des données sa priorité pour générer de nouveaux revenus.

C’est un signe : Valérie Salomon, jusqu’alors directrice des régies publicitaires d’Altice Media et de Libération, vient d’arriver chez Lagardère Active en tant que présidente de Lagardère Publicité et se voit rattachée à Corinne Denis, directrice du numérique et du développement des revenus. « C’est d’autant plus important que la data et le numérique sont au cœur de notre problématique de revenus. Il fallait donc que cela [la publicité et le numérique, ndlr] soit marié de manière très étroite », a souligné Denis Olivennes (photo), le patron de Lagardère Active, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 4 octobre dernier.
Sous son autorité, Corinne Denis – nommée à la tête de la nouvelle direction numérique de Lagardère Active en mai 2015 – a non seulement vu ses attributions étendues depuis janvier dernier au développement des revenus, mais voit maintenant passer sous sa coupe la régie publicitaire de Lagardère Active (1). « Lorsque je suis arrivé, j’ai décentralisé le groupe autour de ses marques [Elle, Paris Match, Le Journal du Dimanche, Europe 1, Gulli, …, ndlr], ainsi que les régies, a poursuivi Denis Olivennes. Mais il y a une couche transversale pour les outils, le marketing, la data, pour le numérique ou encore les grand comptes. C’est de tout cela dont Valérie Salomon a en charge. Et pour être sûr que le tournant du numérique est pris et le faire avancer, elle est sous l’autorité de Corinne Denis ».

Un trésor de guerre de 100 millions de contacts
Lagardère Active a donc décidé de mettre les bouchées doubles dans le digital et la data, devenus le nerf de la guerre des médias en pleine mutation face aux géants du Net, les fameux GAFA. « Nous devons arriver à générer de nouveaux revenus et de nouvelles activités. C’est le développement du numérique et, encore balbutiant, de la data dont on espère beaucoup ». Ce trésor de guerre est constitué par les quelque 100 millions de contacts que traite Lagardère Active en France et à l’international. Mais cela ne suffit pas à faire le poids face aux Google, Facebook, Twitter ou encore Snapchat, lesquels revendiquent chacun plusieurs centaines de millions d’utilisateurs dans le monde – lorsque cela ne relève pas du milliard pour certains.

Une plateforme data commune ?
Aussi, pour arriver à se battre à armes égales, le président du directoire de Lagardère Active (2) en appelle aux autres médias français pour se fédérer autour des données numériques selon un principe d’open innovation : « Je souhaite que nous nous réunifions. Car la taille des médias français est trop peu critique à l’échelle du monde pour que l’on soit divisé. Nous sommes en train de créer, avec le groupe Les Echos, une plateforme sur la data, qui doit être ouverte (à d’autres médias) comme pour La Place Média, ainsi qu’à des start-up. Nous serons ainsi beaucoup plus puissants nombreux contre eux (les GAFA) ». Lagardère Active a été l’initiateur de La Place Média, une plateforme de publicité programmatique lancée en 2012 avec, outre Lagardère Publicité, les régies Amaury Médias, FigaroMedias, TF1 Publicité et France Télévisions Publicité, rejointes depuis par 200 éditeurs partenaires.
Mais toutes les grandes régies n’ont pas fait cause commune, certaines préférant créer une plateforme concurrente. Ainsi est né Audience Square, initié par M6, Le Monde,
Le Nouvel Observateur, NextRadioTV, Le Point, Prisma, RTL, L’Express-Roularta, Libération et Les Echos. « Si l’on peut faire une seule plateforme sur le traitement des données, nous sommes pour. Si l’on ne veut pas reproduire ce qui s’est passé avec La Place Média et Audience Square, ce serait encore mieux. On s’y prend tôt. On a fait un appel ouvert. J’espère que l’on va réussir à ramener tout le monde », a confié Denis Olivennes. Pour préparer cette plateforme « Data Science », qui fut annoncée le 5 septembre dernier mais dont la structure reste à constituer, des expérimentations sont déjà menées depuis quelques semaines entre Lagardère Active et les deux médias du groupe LVMH (Les Echos et Le Parisien), avec des start-up spécialisées, sur le partage et l’analyse de données, ainsi que sur la modélisation de systèmes algorithmiques (3). L’union des médias français dans la data serait en tout cas une réponse aux GAFA qui bousculent à leur avantage le marché publicitaire. Le patron de Lagardère Active estime qu’il y a là transfert de valeur au détriment de la presse : « La publicité dans les médias en France est de l’ordre de 11 milliards d’euros par an. Entre 2004 et 2015, ce montant n’a pas vraiment changé. Sauf que 2 milliards de ce marché sont passés des médias traditionnels vers les nouveaux médias, dont 1,5 milliard partis de la presse imprimée (print). Et malheureusement, 80 % de cette manne publicitaire a été captée par les GAFA. Nous n’avons pas retrouvé dans les sites Internet des journaux l’argent que les journaux imprimés avaient perdu ». Il fallait donc réagir. Pour sa part, Lagardère Active a comme objectif d’atteindre 10 % de résultat d’exploitation. « Lorsque je suis arrivé, nous étions à 6,2 %. Aujourd’hui, nous sommes à 8,2 %, proche de la rentabilité de Lagardère Publishing [Hachette Livres, ndlr] », se félicite Denis Olivennes qui compte aussi pour y parvenir sur le hors-média tel que l’organisation physique de forums (comme le font déjà Elle et Le JDD) ou le développement du brand content (dont aura la charge Emilie Briand, ex-Webedia, recrutée en février).
Encore faut-il que le groupe Lagardère Active poursuive sa mue engagée par Denis Olivennes fin 2011 dans le cadre du projet « Réinventer Lagardère Active ». Cela s’est traduit pour l’instant par une réduction des effectifs de près de 1.000 personnes, une stabilisation du chiffre d’affaires pour la première fois depuis 2008 (à 963 millions d’euros en 2015, contre 958 millions l’année précédente), une progression du résultat opérationnel de 25 % ces trois dernières années, et un retour à la croissance de leurs revenus des sites Internet du groupe. « Pour autant, nous sommes à la moitié du chemin. On est loin d’avoir accompli cette mutation », a prévenu Denis Olivennes,
qui compte encore « réduire l’exposition » de Lagardère Active à la presse, tout en l’augmentant à l’audiovisuel et au digital. Après un plan de départs volontaires qui s’achèvera en février 2017 chez Télé 7 Jours, Ici Paris et France Dimanche, ces trois titres de presse dite « populaire » devraient être cédés s’ils trouvaient preneur(s) comme l’ont été auparavant une dizaine de titres (4).
Reste à savoir si Denis Olivennes a les moyens financiers de ses ambitions numériques, comparé à des groupes tels que Axel Springer et Webedia. « Une partie du cash des 80 millions d’euros opérationnel nous permet de restructurer notre activité. Et ce qui nous reste, nous le consacrons aux investissements dans notre développement. Ce donc des investissements plus limités que si nous avions choisi de nous endetter », a-t-il reconnu. Et de défendre la stratégie du groupe : « Nous n’avons pas, comme l’a fait Axel Springer, investi massivement dans un numérique, qui n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec le numérique des médias puisque ce sont principalement des annonces classées. C’est une autre stratégie. Nous, nous avons choisi de demeurer un groupe média et de se transformer comme tel ».

Ne plus décevoir Arnaud
Si la stratégie numérique avait pu décevoir Arnaud Lagardère (échec de l’agence digitale Nextidea, déboires du comparateur de prix LeGuide.com, tout juste revendu à Kelkoo, …), malgré les performances de Doctissimo.com, Boursier.com ou encore de Billetreduc.com, Denis Olivennes espère lui donner cette fois satisfaction. @

Charles de Laubier