A l’ère de l’IA et de la data, la gestion collective des droits d’auteur veut devenir plus « intelligente »

Le 26 juin, lors de l’AG de la SCPP, organisme de gestion collective des droits des producteurs de musique, a été adopté le projet d’une filiale commune avec l’Adami (artistes et interprètes). Objectif : faire « données communes », notamment face à l’IA. La SPPF veut aussi les rejoindre.

Voilà qui devrait aller dans le sens de la Cour des comptes : un mouvement de rapprochement en France entre les organismes de gestion collective (OGC) des droits d’auteur et des droits voisins. Cette mise en commun concerne d’abord leurs systèmes d’information pour mieux moderniser leur « Big Data » et se mettre en ordre de bataille face à la déferlante de l’intelligence artificielle. Les magistrats du palais de Cambon, présidés par Pierre Moscovici (photo), ne cesse de prôner un tel rapprochement dans le rapport annuel de la commission de contrôle des OGC.

Rationaliser en faisant « Big Data » commun
Lors de l’assemblée générale annuelle de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le 26 juin, une résolution validant la création d’une « filiale commune paritaire » avec l’Adami (Administration des droits des artistes et musiciens interprètes) a été adoptée. Le premier OGC collecte et répartit les droits d’auteur gérés collectivement pour le compte des producteurs de musiques enregistrées, dont les trois majors que sont Universal Music, Sony Music et Warner Music. Le second OGC collecte et répartit les droits d’auteurs pour le compte des artistes interprètes de la musique et de l’audiovisuel.
La SCPP est le bras armé financier du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) et compte plus de 4.500 producteurs de musique membres, tandis que l’Adami est au service de près de 100.000 artistes-interprètes. Improbable par le passé, ce rapprochement entre les deux organismes a été annoncé le 27 mai dernier (1) et va se concrétiser par « une mise en commun, à travers la création d’une filiale commune et paritaire, de leurs bases de données respectives et de leurs outils de répartition pour les droits à rémunération que sont la rémunération pour copie privée et la rémunération équitable ». Une étude de faisabilité est en train d’être menée pour savoir comment sera mise en œuvre opérationnelle cette répartition, et pour adopter des règles communes d’affectation « par phonogramme » – comprenez par musique enregistrée où le streaming domine désormais.

Plus personne ne parle de la société Trident Media Guard (TMG), 20 ans cette année, et pour cause

Spécialisée dans « la recherche de contenu et l’anti-piratage sur Internet », l’entreprise nantaise TMG – créée il y a 20 ans – avait défrayé la chronique après que les SACEM, SDRM, SCPP, SPPF et Alpa l’aient retenue en 2010 pour traquer les internautes « pirates » sur les réseaux peer-to-peer. Cofondée en mars 2002 par Alain Guislain et Bastien Casalta sous le nom de Mediaguard, la société nantaise TMG – Trident Media Guard – compte depuis 2007 à son capital (1) et dans son conseil d’administration l’acteur-producteur Thierry Lhermitte. C’est elle qui fut choisie fin 2009 par quatre organisations des droits d’auteur de la musique et du cinéma (2) réunis en « consortium » : côté musique, la SACEM et sa SDRM, la SCPP et la SPPF ; côté audiovisuel, l’Alpa. Des millions d’adresses IP identifiées Ces organisations des ayants droits des industries de la musique et de l’audiovisuel piègent depuis lors les internautes en les amenant à télécharger sur les réseaux peer-to-peer des fichiers musicaux ou cinématographiques protégés par le droit d’auteur. Mais pas n’importe quel fichier. TMG, aujourd’hui présidé et dirigé par Alain Ghanimé (photo), s’infiltre en effet sur les réseaux peer-to-peer comme BitTorrent, eMule ou encore μTorrent pour y déposer des œuvres protégées (musiques ou films), mais leurs fichiers sont banalisés et surveillés à distance. Autrement dit, il s’agit de sorte de leurres ou d’appâts pour « flasher » les internautes pris en flagrant délit de piratage. C’est là que Trident Media Guard porte bien son nom : un trident – du latin tridens – est une fourche à trois pointes servant à harponner les poissons ! Une fois que l’un d’eux a « mordu », son adresse IP est transmise à l’Hadopi (désormais l’Arcom) dans le cadre du « traitement automatisé de données à caractère personnel » qui avait été officialisé le 7 mars 2010. Ce cadre permet à la commission de protection des droits (CPD) de collecter auprès de ces organismes représentant les ayants droit les pseudonymes et adresses IP – y compris le protocole peer-to-peer utilisé – de chaque abonné incriminé (3). Bref, ce trident – attribut de nombreuses divinités marines… – évolue depuis une douzaine dans les eaux profondes du Net. Le pic du volume d’adresses IP « pirates » livrées à l’Hadopi par les ayants droit (SACEM/SDRM, SCPP, SPPF et Alpa) fut atteint en 2017 avec plus de 18,7 millions dont 15,6 millions adresses IP ont pu être identifiées. C’est d’ailleurs ce qui motive l’action en justice lancée en 2019 par La Quadrature du Net – avec la FFDN (4), la FDN (5) et Franciliens.net – pour demander l’abrogation du décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel » (6). L’affaire suit son cours (7) devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pour les autres adresses IP qui n’ont pu être identifiées, la raison en est qu’il y a un recours croissant aux VPN (8), mais aussi à la pratique du partage d’adresses IP. Même les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) recourent eux aussi au partage d’adresses IP entre plusieurs abonnés pour faire face à la pénurie des adresses IPv4 (9). Pour y remédier, l’Hadopi a obtenu qu’un décret pris fin 2021 – en vigueur depuis le 1er janvier 2022 – conserver et traiter le « port source » (« port associé ») que lui communiquent les ayants droit, au même titre que l’adresse IP, puis de le transmettre pour identification aux FAI (10). Ainsi, alimentée par TMG, l’Hadopi a pu de 2010 à fin 2021 envoyer à des abonnés Internet plus de 13,3 millions d’emails d’avertissement (appelées « recommandations »), dont le deuxième envoi (soit 10 % de ce total) est doublé d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Il leur est reproché des « téléchargements et mises à disposition illicites constatés à partir de leur connexion ». Et selon l’Hadopi, au moins sept personnes sur dix averties prennent des mesures pour éviter tout renouvellement d’actes de piratage (11). Concernant les autres, plus de 23.000 dossiers – toujours en cumulé sur plus de dix ans – ont fait l’objet d’un « constat de négligence caractérisée », envoyé par e-mail et courrier remis contre signature. Parmi eux, 8.476 dossiers ont été transmis à la justice (au parquet alias le procureur de la République) puis, selon les calculs de Edition Multimédi@, 3.148 suites judiciaires portées à la connaissance de l’Hadopi ont été engagées. Mais entre les relaxes, les classements sans suite, les rappels à la loi, les mesures alternatives aux poursuites et les régularisations sur demande du parquet, très peu de sanctions pénales sont in fine prononcées : quelques centaines tout au plus depuis douze ans. Le P2P n’est pas mort ; il bouge encore La pédagogie de l’Hadopi aurait largement triomphé sur le répressif. Si TMG continue à alimenter la réponse graduée en adresse IP, force est de constater que l’usage du peer-topeer s’est effondré au profit du streaming, du téléchargement direct et du live streaming. « Le nombre d’utilisateurs illicites des réseaux pair-à-pair est passé de 8,3 millions d’internautes par mois en 2009 à environ 3 millions par mois aujourd’hui, soit une baisse de plus de 60 % », s’est félicitée l’Hadopi dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier