La disparition prochaine de Vivendi signe l’échec de la stratégie de synergies d’Arnaud de Puyfontaine

C’est un échec pour Arnaud de Puyfontaine, bras droit de Vincent Bolloré et stratège des synergies au sein de Vivendi. La convergence entre les métiers d’édition, de publicité et de médias n’a pas porté ses fruits, ni au sein du conglomérat ni en Bourse. L’éclatement de ses activités met fin à l’aventure Vivendi.

Avec Vincent Bolloré, ce n’est pas « Veni, vidi, vici » (le « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu » cher à Jules César), mais plutôt « Veni, vidi, vixi » qui, en paraphrasant Victor Hugo, pourrait devenir « Vivendi est venu, Vivendi a vu, Vivendi a vécu ». Après plus de quinze ans de valorisation boursière décevante, et malgré la scission en septembre 2021 d’Universal Music, qui était soi-disant « l’arbre qui cachait la forêt », le président du directoire de Vivendi (« la forêt »…), Arnaud de Puyfontaine (photo), a échoué à faire un groupe intégré de la maison mère de Canal+/ StudioCanal, d’Editis (deuxième français de l’édition revendu en juin 2023 à Daniel Kretinsky pour pouvoir racheter le numéro un de l’édition Hachette), du groupe de presse Prisma Media et du publicitaire Havas. Dix ans après la prise de contrôle de Vivendi par Vincent Bolloré, ce dernier a décidé de façon radicale d’envisager le démembrement du groupe de l’avenue de Friedland (où est basé historiquement le siège social du conglomérat depuis l’époque de Jean-Marie Messier). Son fils Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi, et Arnaud de Puyfontaine lui-même ne sont à l’origine de ce revirement stratégique (1). Passée la surprise générale, les actionnaires en sauront plus sur ce projet de split lors de la présentation des résultats annuels 2023 prévue en mars prochain.

Vivendi ne sera pas le « Disney européen » rêvé par Vincent Bolloré
Pourtant, lors de la finalisation du « rapprochement » entre Vivendi et Lagardère le 21 novembre dernier – il y a à peine 55 jours ! –, le groupe de Vincent Bolloré se « réjoui[ssait] » encore : « Cette opération lui confère une toute nouvelle dimension en confortant ses positions d’acteur majeur de la culture, des médias et du divertissement, et en devenant un leader mondial de l’édition, du travel retail et des expériences ». Ce qui allait dans le sens de la stratégie de convergence des contenus que s’échinait à mettre en œuvre Arnaud de Puyfontaine (« ADP ») depuis 2014 pour tenter de concrétiser le rêve de son principal actionnaire Bolloré de faire du conglomérat multimédia un « Disney européen ». Il y a un peu plus de deux ans, le bras droit de Bolloré faisait sien ce rêve synergique, après un premier échec retentissant de Vivendi en 2016 dans le projet avorté de « Netflix latin » envisagé un temps avec le groupe italien Mediaset, appartenant à Sylvio Berlusconi via sa holding Fininvest et nourrissant des ambitions de SVOD européenne via sa nouvelle entité MediaForEurope (MFE).

Pas de « Netflix latin » non plus, split en vue
Le « contrat de partenariat stratégique » du 8 avril 2016 entre Vivendi et Mediaset va rapidement tourner au fiasco (2). L’affaire se terminera devant les tribunaux de Milan et d’Amsterdam (3). A défaut d’« Euroflix » avec Sylvio Berlusconi, Vincent Bolloré se met en tête de faire de Vivendi le « Disney européen » et en confie la tâche à ADP. « J’aime beaucoup un dessin fait en 1957 par Walt Disney (4), que j’ai dans mon bureau, avec Mickey Mouse au milieu et sa vision qui a donné le succès de la Walt Disney Company. Comparaison n’est pas raison, mais, si l’on regarde les valeurs qui ont permis la construction de ce qui est aujourd’hui Disney, la vision de l’ensemble des équipes de Vivendi est de créer un “Disney européen”… », avait avancé le président du directoire de Vivendi, le 12 octobre 2021, lors du festival Médias-en-Seine. ADP y croyait à cette convergence, prenant à témoin le célèbre petit ours Paddington, dont les droits de propriété intellectuelle ont été acquis par StudioCanal en 2016 : « Il s’agit de créer dans l’ensemble de nos métiers des passerelles pour que nos marques et nos projets travaillent ensemble. Par exemple : Paddington est exposé à la fois à travers Canal+ (Paddington 3 a été lancé en production et série de télévision), Editis (pour des livres) et bientôt chez Prisma (pour la presse) », avait-il démontré comme la voie stratégique à suivre pour devenir ce « Disney européen » (5). Vivendi a même été appuyé en 2017 par un jeune candidat à l’élection présidentiel, un certain Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) de François Hollande. Parmi les promesses de celui qui deviendra à 39 ans le 8e président de la Ve République : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes » (6). En vain. Cette ambition politico-culturelle s’est avérée sans lendemain.
Après avoir cédé en 2014 ses actifs télécoms (SFR, Maroc Telecom et GVT), soit après s’être délesté en 2013 de l’essentiel de ses parts dans Activision Blizzard (jeux vidéo), Vivendi devait devenir – selon son nouveau patron Vincent Bolloré, tout fier d’avoir acquis à l’époque Dailymotion – « un groupe mondial, champion français des médias et des contenus ». Mais l’industriel breton ne réussira pas à dissiper le flou stratégique qui entoure son conglomérat (7). Le cours de Bourse de Vivendi et sa capitalisation boursière n’ont cesser de traduire la perplexité des investisseurs sur l’une des plus anciennes valeurs cotées du CAC 40, en tant que groupe issu historiquement de la Compagnie Générale des Eaux et de Vivendi Universal de l’ère Messier.
D’ailleurs, après près d’un quart de siècle de présence, la sortie le 16 juin 2023 de Vivendi de cet indice des plus emblématiques entreprises françaises cotées et son retour le 18 décembre dernier, soit… six mois après, en disent long sur le « Je t’aime, moi non plus » du conglomérat avec les marchés financiers. Rien qu’entre septembre 2021, date de la scission d’Universal Music (encore détenu à hauteur de 10 % du capital), et aujourd’hui, malgré l’annonce en décembre 2023 du split envisagé, Vivendi a vu sa capitalisation boursière s’écrouler – passant de 38 milliards d’euros à seulement 10 milliards (8). On imagine bien Vincent Bolloré – 12e plus grande fortune de France (9) – exaspéré au point de décider le démantèlement de Vivendi décidément toujours maltraité à ses yeux. Le groupe Bolloré détenait un peu plus de 29 % du capital de Vivendi, alors que des rumeurs faisaient état depuis des mois d’une possible OPA de l’actionnaire de référence breton sur le reste du capital du conglomérat. Si le seuil des 30 % du capital était franchi, l’OPA serait obligatoire, ce que ne souhaite pas Bolloré. Pour éviter cette éventualité, le Breton a même cédé quantité de ses propres actions via sa Compagnie de Cornouaille (du nom de la région de Bretagne d’où il est originaire). A défaut d’OPA, le président désenchanté a surpris tout son monde en annonçant le 13 décembre 2023 « étudier un projet de scission de la société en plusieurs entités, qui seraient chacune cotées en Bourse, structurées notamment autour de : Canal+ […], Havas […], [et] une société d’investissement ».

Acquisitions et participations en vue
« Depuis la distribution cotation d’Universal Music Group en 2021, Vivendi subit une décote de conglomérat très élevée, diminuant significativement sa valorisation et limitant ainsi ses capacités à réaliser des opérations de croissance externe pour ses filiales », a justifié le directoire de Vivendi (présidé par ADP) auprès du conseil de surveillance (présidé par Yannick Bolloré). La « société d’investissement », elle, aura vocation à « déten[ir] des participations financières cotées et non cotées dans les secteurs de la culture, des médias et du divertissement » et « inclurait notamment la participation majoritaire dans le groupe Lagardère, un leader mondial dans l’édition et le travel retail ». A suivre… @

Charles de Laubier

Sorti en 2020 de la galaxie News Corp, en désaccord avec son père, James Murdoch n’a pas dit son dernier mot

Le 15 novembre 2023, lors de la prochain AG du groupe de médias News Corp, l’aîné des deux fils Murdoch, Lachlan (52 ans), en deviendra président – succédant à son père Rupert Murdoch. Le cadet, James (50 ans), n’est plus dans l’organigramme de la galaxie News Corp depuis juillet 2020. Qu’est-il devenu ? James Murdoch (photo) avait démissionné le 31 juillet 2020 du conseil d’administration de News Corp, le groupe fondé quarante plus tôt par son père Rupert Murdoch, magnat des médias, à la tête du plus grand empire de presse et de télévision. « Ma démission est due à des désaccords sur certains contenus éditoriaux publiés par les organes de presse de la société et certaines autres décisions stratégiques », avait justifié le fils cadet du milliardaire australo américain dans sa letter of resignation. Réputé bien moins conservateur que son père et que son frère ennemi Lachlan, James Murdoch avait déjà exprimé son opposition à la ligne éditoriale très à droite des médias du groupe. Pourtant pressenti un temps comme l’héritier naturel de la firme, il avait ainsi quitté la galaxie médiatique de son père qui comprend des journaux renommés tel qu’en Grande-Bretagne The Times, The Sunday Times ou The Sun ainsi qu’aux Etats-Unis The Wall Street Journal, et des tabloïdes en Australie The Daily Telegraph, Herald Sun ou encore The Courier-Mail. La compagnie « Murdoch » englobe aussi le groupe de télévision Fox Corporation, qui est issue de la séparation de 21st Century Fox d’avec News Corp en mars 2019. Et ce, lorsque Rupert Murdoch a cédé à Disney les studios de cinéma et certaines télévisions de la 21st Century Fox, dont James Murdoch avait été le directeur général de juillet 2015 à mars 2019. James, frère ennemi de Lachlan Parallèlement, James Murdoch avait aussi été président de la filiale britannique Sky, de janvier 2016 jusqu’à la vente de ce bouquet de télévisions payantes à Comcast en octobre 2018. Lors de la séparation en 2019 des activités audiovisuelles – délestées des studios 20th Century Studios et d’une partie des chaînes de l’ex21st Century Fox vendus à Disney, y compris ses parts dans la plateforme de streaming Hulu – a été créé le groupe de télévision Fox Corporation (éditeur des chaînes Fox News (pro-Trump), Fox Sports ou encore Fox Business restées dans le giron « Murdoch ». L’aîné Lachlan Murdoch continuera à diriger Fox Corporation, qui s’est emparé en 2020 de la plateforme de streaming Tubi, tout en devenant président de News Corp à partir de mi-novembre à l’occasion des deux assemblées générales des actionnaires des deux groupes. Celle de Fox Corporation sera le 17 novembre. Lupa Systems, un fonds milliardaire Ce n’est pas la première fois que la galaxie « Murdoch » optait pour la stratégie du spin-off. En 2013 déjà, le conglomérat News Corporation avait été coupé en deux entités, cotées en Bourse : d’une côté la presse et l’édition logées dans le nouveau News Corp, et, de l’autre, la télévision et le cinéma dans 21st Century Fox. Rupert Murdoch avait pris la décision de cette première scission il y a dix ans à la suite du scandale d’espionnage téléphonique de personnalités par le tabloïd britannique News of the World, fermé depuis juillet 2011 (1), qu’éditait la filiale britannique News International présidée de 2007 à 2012 par le fils James – dont la responsabilité fut reconnue avec celle de son père dans ce scandale (2). Ce premier spin-off s’était surtout fait sur fond d’échecs numériques de l’ex-News Corporation (3). Pour le patriarche Rupert Murdoch (92 ans aujourd’hui), le digital n’a jamais été sont fort. Son benjamin James, entré dans le groupe paternel en 1997, avait bien tenté de l’intéresser au Web. Mais l’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’avait pas facilité la tâche. Le magnat des médias essuiera à l’époque les plâtres : MySpace, le réseau social chèrement acquis en 2005 par le magnat, a été disqualifié par Facebook ; The Daily, le quotidien lancé en 2011 pour les tablettes iPad, fut un échec coûteux ; Hulu, la plateforme pionnière de la VOD en streaming cocréée en 2007 par AOL, NBC Universal, Yahoo et Myspace, est mis en échec par Netflix. News Corp cèdera finalement à Disney en 2019 sa participation de 30 % dans Hulu que détenait sa filiale 21st Century Fox – dont James Murdoch était alors encore directeur général. Cela fait maintenant quatre ans et demi que James (50 ans) a pris ses distances avec les affaires de son pater familias. Il est à la tête d’une société d’investissement qu’il a créée en mars 2019 et baptisée Lupa Systems. James Murdoch l’a financée en partie avec les 2 milliards de dollars qu’il a reçus sur le total des 71,3 milliards de dollars payés par Disney pour s’emparer de 21st Century Fox. Chacun des six enfants du nonagénaire (Prudence, Elisabeth, Lachlan, James, Grace et Chloe), issus de quatre mariages, avait reçu le même pactole. Aujourd’hui, la succession à venir du « président émérite » milliardaire s’annonce déjà comme une guerre fratricide. Pour l’heure, le trust familial Cruden Financial Services – basé aux Nevada – est contrôlé par « huit voix », dont quatre voix de Rupert Murdoch et une voix de chacun des quatre aînés de la fratrie (les deux autres héritières Grace et Chloe n’ayant pas de droit de vote). James Murdoch détient donc toujours une voix du trustee mais il se tient à l’écart, loin de son frère Lachlan – les deux se détestent. Mais le cadet n’a pas dit son dernier mot, d’après le journaliste américain Michael Wolff qui vient de publier « The Fall. The End of Fox News and the Murdoch Dynasty » le 26 septembre aux éditions Henry Holt and Co/Macmillan (4). Car James Murdoch reste passionné de médias, mais aussi de technologies. Lupa Systems est une société d’investissement newyorkaise présente aussi en Inde, à Bombay. Elle s’est alliée avec un incubateur de start-up Betaworks, fondé par un ancien dirigeant d’AOL et de Time Warner, John Borthwick. Ce « start-up studio » basé à New-York accompagne de jeunes pousses spécialisées dans l’intelligence artificielle (AI en anglais), l’intelligence augmentée (IA), les grands modèles de langage (LLM), le traitement automatique du langage naturel (NLP), les « rails » web3 (développement d’applications décentralisées pouvant interagir avec la blockchain) ou encore l’apprentissage automatique (ML). Lupa Systems et Betaworks ont créé Betalab Camp, dont la vocation est « la protection de la vie privée et les startup en amorçage visant à réparer Internet » (5). Y sont incubés Blockchain.art, International Persuasion Machines, Nth Party, Readocracy, Synthetaic et Rownd. James Murdoch veut aussi lutter contre les fake news sur Internet. Dans le Web3, Lupa Systems fait partie du tour de table d’Authentic Artists, qui a développé une IA générative de musique pour la plateforme d’artistes WarpSound et pour les métavers comme Meebits (6), ainsi qu’une collection de musique NFT sur OpenSea. James Murdoch avait aussi injecté de l’argent dans un pionnier de la réalité virtuel, The Void, repris en 2021 par Hyper Reality Partners. Lupa Systems détient depuis 2019 la majorité du capital de Tribeca Enterprises, plateforme orientée artistes, cofondée en 2003 par Robert De Niro et organisatrice du Tribeca Festival. L’éditeur américain de bandes dessinées Artists Writers & Artisans (AWA Studios) compte aussi Lupa Systems parmi ses actionnaires. Dans les médias, James Murdoch a participé en 2021 à une levée de fonds du média social français Brut. Il a aussi investi dans Vice Media, un groupe américain de médias numériques et audiovisuels, qui a été racheté en juin après avoir fait faillite (lire p. 3). James, le plus actif de la fratrie Murdoch Par ailleurs, James Murdoch a créé la fondation Quadrivium pour mettre les technologies au service de la démocratie, contre l’« illibéralisme high-tech » (7), ou encore pour lutter contre les changements climatiques. Et en Inde, James Murdoch s’est associé avec Uday Shankar (ex-patron de Disney en Asie-Pacifique) pour mettre en place en 2021 le fonds Bodhi Tree System afin d’investir dans des startup asiatiques. James est sans doute le plus actif de la fratrie Murdoch. @

Charles de Laubier

Les géants de l’Internet sont pris en étaux entre Margrethe Vestager et Lina Khan : le démantèlement ?

La Danoise Margrethe Vestager est vice-présidente exécutive de la Commission européenne, chargée de la concurrence ; L’Américaine Lina Khan est présidente de la Federal Trade Commission (FTC). Ces deux femmes de l' »antitrust », de part et d’autre de l’Atlantique, sont les bêtes noires des GAFAM. Elles sont redoutées par les Big Tech en général et par les GAFAM en particulier. Les abus de positions dominantes de ces géants du numérique, devenus des conglomérats de l’Internet à force d’effets de réseaux et d’acquisitions de concurrents potentiels, sont plus que jamais dans leur collimateur. Margrethe Vestager (photo de gauche) et Lina Khan (photo de droite) – respectivement vice-présidente exécutive chargée depuis novembre 2014 de la politique de concurrence à la Commission européenne, et présidente depuis septembre 2021 de la Federal Trade Commission (FTC) – leur mènent la vie (numérique) dure. Derniers faits d’armes de ces deux autorités « antitrust » : la Danoise a annoncé le 14 juin que la Commission européenne venait d’adresser à Google des griefs l’accusant de pratiques abusives sur le marché de la publicité en ligne ; l’Américaine a demandé le 12 juin devant un tribunal fédéral de San Francisco de suspendre l’acquisition de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard par Microsoft, opération à laquelle s’oppose la FTC qui a fixé une audition le 2 août prochain. Vis-à-vis des très grands acteurs du numérique, les deux grandes gendarmes de la concurrence n’hésitent pas aussi à agiter le spectre du démantèlement, qui est au marché ce que l’arme nucléaire est à la guerre. La FTC et la Commission européenne ont en outre déjà sorti le carton rouge et infligé des amendes aux contrevenants. Deux gendarmes antitrust face aux GAFAM Le démantèlement, Margrethe Vestager l’a encore évoqué explicitement le 14 juin mais sans utiliser le terme : « La Commission européenne estime donc à titre préliminaire que seule la cession [divestment] obligatoire, par Google, d’une partie de ses services permettrait d’écarter ses préoccupations en matière de concurrence ». Dans cette affaire d’abus de position dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne, où l’Autorité de la concurrence en France a fortement contribué à l’enquête européenne (1), il est reproché à la firme de Mountain View de « favoriser ses propres services de technologies d’affichage publicitaire en ligne au détriment de prestataires de services de technologie publicitaire, d’annonceurs et d’éditeurs en ligne concurrents ». Et ce, « depuis 2014 au moins ». Le numéro un des moteurs de recherche (avec Google Search), des plateformes de partage vidéo (avec YouTube) ou encore des systèmes d’exploitation pour mobile (avec Android) est accusé par la Commission européenne de favoriser son ad-exchange AdX (DoubleClick Ad Exchange), bourse d’annonces publicitaires qui permet aux éditeurs et aux annonceurs de se rencontrer en temps réel, généralement dans le cadre d’enchères, pour acheter et vendre des publicités d’affichage. Scinder Google, Meta, Amazon ou Microsoft ? Les deux outils de Google d’achat de publicités, que son « Google Ads » (ex-Google Adwords) et « Display & Video 360 » (DV360), ainsi que le serveur publicitaire des éditeurs « DoubleClick For Publishers » (DFP), favorisent tous les trois AdX. « Si [à l’issu de son enquête en cours, ndlr] la Commission européenne conclut que Google a agi de façon illégale, il pourrait exiger qu’elle se départisse [divest] d’une partie de ses services. Par exemple, Google pourrait se départir de ses outils de vente, DFP et AdX. Ainsi, nous mettrions fin aux conflits d’intérêts », a prévenu Margrethe Vestager (2). Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne agite le spectre du démantèlement Google. Le 27 novembre 2014, il y a près de dix ans, les eurodéputés avait adopté une résolution non contraignante appelant à la scission de la filiale d’Alphabet afin de « séparer les moteurs de recherche des autres services commerciaux » pour préserver la concurrence dans ce domaine (3). En France, l’Arcep y était favorable (4). Rappelons qu’en moins d’un an (juin 2017-mars 2019), Google a écopé de trois sanctions financières infligées par la Commission européenne pour un total de 8,25 milliards d’euros pour « pratiques concurrentielles illégales » (5). Aux Etats-Unis, pays des GAFAM, la question du démantèlement se pose depuis quelques années, bien avant l’arrivée de Lina Khan à la tête de la FTC qui n’écarte pas cette éventualité (6). Son prédécesseur, Joseph Simons, avait même fait le mea culpa de la FTC : « Nous avons fait une erreur », avait-il confessé dans un entretien à l’agence de presse Bloomberg (7) le 13 août 2019 en faisant référence à deux acquisitions de Facebook approuvées par la FTC : Instagram en 2012 pour 1 milliard de dollars et la messagerie instantanée WhatsApp en 2014 pour 19 milliards de dollars (sans parler d’Oculus VR racheté la même année pour 2 milliards de dollars). De son côté, Google obtenait le feu vert pour s’emparer de YouTube en 2006 pour 1,65 milliard de dollars, de DoubleClick en 2007 pour 3,1 milliards de dollars, et de l’application de navigation Waze en 2013 pour près de 1 milliard de dollars. « Ce n’est pas idéal parce que c’est très compliqué [de démanteler]. Mais s’il le faut, il faut le faire », avait estimé l’ancien président de la FTC. Sa successeure, Lina Khan, dont le mandat de trois s’achève en septembre 2024, est sur la même longueur d’ondes, elle qui a forgé tout sa doctrine anti-monopole sur le cas d’Amazon. N’a-t-elle pas publié en 2017 dans le Yale Law Journal un article intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon » (8) ? Avant de prendre la présidence de la FTC, elle avait travaillé à la sous-commission antitrust à la Chambre des représentants des EtatsUnis. Cette « subcommittee on antitrust » bipartisane avait publié en octobre un rapport de 451 pages intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (9) recommandant au Congrès américain de légiférer pour casser les monopoles numériques – quitte à en passer par leur « séparation structurelle » ou spin-off (10). En janvier dernier, le département de la Justice américain (DoJ) a entamé des poursuites antitrust contre Google sur le terrain de la publicité en ligne (11). Bien sûr, la filiale d’Alphabet n’est pas le seul géant du Net à faire l’objet de contentieux avec la Commission européenne et la FTC. Apple est aussi dans le collimateur de Margrethe Vestager, notamment sur les pratiques de la pomme sur son App Store à la suite d’une plainte de du géant de la musique en streaming Spotify qui s’estime victime d’une concurrence déloyale au profit d’Apple Music. La Commission européenne a ajusté le 28 février dernier ses griefs (12). L’an dernier, elle avait ouvert une autre enquête portant cette fois sur Apple Pay pour « abus de position dominante » sur le paiement mobile et le paiement sans contact (NFC) à partir des terminaux iOS (13). De son côté, le groupe Meta Platforms – maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp – s’est vu infliger le 12 mai 2023, pour infraction au règlement général sur la protection des données (RGPD), une amende record de 1,2 milliard de la part de la « Cnil » irlandaise (DPC) qui agissait au nom de la Commission européenne (14). Amazon, lui, l’a échappé belle en trouvant un accord en décembre 2022 avec Margrethe Vestager pour clore deux enquêtes. Le géant du e-commerce avait jusqu’à ce mois de juin 2023 pour se mettre en règle (15). Plus globalement, la Commission européenne a publié la liste des 19 « très grandes plateformes » (VLOP), qui, en Europe (16), seront soumises aux obligations renforcées du Digital Services Act (DSA). Les « contrôleurs d’accès » (gatekeepers) de type GAFAM ont, eux, jusqu’au 3 juillet prochain pour se déclarer auprès de la Commission européenne, laquelle les désignera d’ici le 6 septembre pour qu’ils se mettent en conformité avec Digital Markets Act (DMA) avant le 6 mars 2024. Aux Etats-Unis, des acquisitions contestées De l’autre côté de l’Atlantique, Lina Khan s’oppose aux projets de rachat d’Activision Blizzard par Microsoft (la FTC ayant saisi la justice pour bloquer l’opération), et de Within (contenu de réalité virtuelle) par Meta/Facebook. Elle a mis sous surveillance Amazon sur plusieurs fronts, infligeant notamment le 31 mai une amende au géant du ecommerce pour atteinte à la vie privé avec Alexa et Ring. Concernant le rachat des studios de cinéma MGM par Amazon, la FTC était divisée et n’a donc pas empêché cette opération au grand dam de Lina Khan. Apple est aussi accusé d’empêcher la réparation de ses iPhone. Ce que l’on sait moins, c’est que Margrethe Vestager et Lina Khan coopèrent étroitement sur de nombreux dossiers antitrust. @

Charles de Laubier