Frédéric Mitterrand : un ministre pris dans le tsunami du numérique

En employant le terme tsunami lors du Marché international des Programmes de Télévision (MipTV) à Cannes le 4 avril dernier, pour désigner l’avènement de la télévision connectée, Frédéric Mitterrand aurait pu aussi parler ainsi de l’ensemble
du numérique qui déferle sur la culture et la communication. « C’est un tsunami qui
se prépare », avait en effet lancé le ministre de la rue de Valois en annonçant la mise en place de la mission « Candilis- Manigne-Tessier-Rogard-Lévrier » sur les enjeux
de la télévision connectée. Ses conclusions sont attendues à partir du 1er octobre.

Aider la musique comme le cinéma
Plus largement, c’est toute l’industrie audiovisuelle qui devrait être « menacée » par l’arrivée de nouveaux acteurs venus du Web et terminaux interactifs (téléviseurs connectés, consoles de jeux, boîtiers externes, …). L’industrie du cinéma et son mode
de financement des films via la chronologie des médias est, elle aussi, concernée.
L’industrie musicale, elle, fait déjà face depuis quelques années à ce « tsunami numérique ». Là aussi, Frédéric Mitterrand a fort à faire depuis le rapport Création & Internet de janvier 2010 et les 13 engagements en faveur de la musique en ligne de janvier 2011.
Il a lancé, en avril dernier également, la mission Chamfort-Colling- Thonon-Selles-Riester sur le financement de la diversité musicale à l’ère numérique. Le rapport a été remis au ministre le 23 septembre. Il prévoit un soutien financier des pouvoirs publics
à la filière musicale, première impactée par Internet, en s’inspirant du mécanisme de subventions dont bénéficie déjà le cinéma à travers le Compte de soutien à l’industrie des programmes (Cosip) géré par le CNC (lire EM@36, p. 4). Comme pour les producteurs de films, un « droit de tirage » (aide automatique annuelle en fonction des recettes) est envisagé pour la musique. Un Centre national de la musique (CNM), qui serait à la musique ce que le CNC est au cinéma, est prévu pour venir en aide aux producteurs de musique (lire EM@38, p. 3). Le Syndicat nationale de l’édition phonographique (Snep), qui s’est finalement rallié à l’idée de CNM, évalue à 45 millions d’euros par an l’aide nécessaire pour produire de nouveaux talents (lire EM@42 p. 3).

Ce que le Snep attend du gouvernement et de l’Hadopi

En fait. Le 14 septembre, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep)
a dressé un bilan du marché de gros de la musique enregistrée sur le premier semestre 2011 : 225,9 millions d’euros de ventes, dont 53,2 millions d’euros
– soit 23,5 % du total – générés par la musique en ligne.

En clair. Si le « jeu des vases communicants » – dixit David El Sayegh, le DG du Snep – entre le marché des ventes physiques (en baisse) et les ventes numériques (en hausse) est désormais acquis pour la filière musicale, les attentes des producteurs restent grandes. Après un premier semestre 2011 d’« accélération de la croissance du
numérique » (+ 22,7 %), qui constitue désormais une « tendance lourde » (voir tableau page 10), le syndicat des majors de la musique (Universal Music, Sony Music, Warner Music et EMI Music) attend beaucoup du gouvernement et de l’Hadopi au second semestre. De la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), le Snep espère que « dans les quatre prochains mois » les premiers dossiers d’internautes pirates récidivistes (ayant reçus tous les avertissements) seront transmis au juge. L’Hadopi a confirmé le 8 septembre à Edition Multimédi@ qu’« il n’y a en effet aucun dossier transmis à la justice à ce stade ». Tout en estimant que la réponse graduée a des effets « encourageants » (baisse de moitié des utilisateurs de réseaux peer to peer depuis un an, selon Nielsen), le Snep met en garde : «Si l’Hadopi ne transmet pas de dossiers à la justice : à quoi sertelle ? Nous avons identifié [via la SCPP (1), ndlr] des massive uploaders que l’Hadopi ne peut pas ignorer. Il ne faut pas être hypocrite. (…) Nous reconsidérerons notre position dans quatre mois si rien n’est transmis », prévient David El Sayegh. Le syndicat, qui comprend 48 membres, espère également beaucoup du gouvernement. « Investir
dans des nouveautés [francophones], nécessite 220 millions d’euros [sur l’année].
D’où la nécessité d’un soutien automatique à la production comme pour l’audiovisuel », explique David El Sayegh.
Pour le Snep, qui évalue à 45 millions d’euros l’aide nécessaire (2), il faut agir vite en prévision du prochain projet de loi de finances 2012 pour adopter des aides à la musique, comme c’est le cas pour le cinéma avec le Compte de soutien à l’industrie des programmes (Cosip) géré par le CNC (lire EM@36, p. 4). C’est dire qu’est très attendu le rapport sur « le financement de la diversité musicale à l’ère numérique » que remet à Frédéric Mitterrand – a priori cette semaine – la mission Chamfort- Colling-Thonon-Selles-Riester. Il prévoirait la création d’un Centre national de la musique (CNM) pour venir en aide aux producteurs de musique (lire EM@38, p. 3). @

André Nicolas, Observatoire de la musique : « Il faut des indicateurs plus pertinents sur l’offre numérique »

Le responsable de l’Observatoire de la musique, créé il y a dix ans au sein de la Cité de la musique, explique à Edition Multimédi@ pourquoi le marché français de la musique en ligne manque d’analyses plus pertinentes. Un « comité professionnel » s’impose dès 2011. Explications.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pourquoi l’Observatoire de la musique propose que soit créé un « comité professionnel pour le suivi du marché numérique » ?
André Nicolas :
L’Observatoire de la musique a déjà mis en place deux comités professionnels pour le suivi de la diversité musicale dans les médias. C’est ainsi que,
dès 2003 pour la radio et en 2008 pour la télévision, ces comités professionnels nous assistent dans la mise en place d’indicateurs pertinents, le suivi statistique de ces derniers, ainsi que dans l’exploitation de tableaux de bord qui permettent un suivi régulier de l’exposition de la musique dans les médias (1). Ces comités professionnels bénéficient par ailleurs, d’examens croisés, réalisés par l’Observatoire de la musique, centrés sur les artistes, sur les évolutions des marchés physiques et numériques, les investissements publicitaires du secteur des éditions musicales dans les médias et des performances d’exposition dans les médias (panel de 31 radios et de 17 télévisions). Compte tenu de la profonde mutation des marchés de la musique, la constitution d’un troisième comité professionnel pour suivre et analyser les évolutions du marché numérique est indispensable.
A l’évidence, il faut aborder dans sa dimension complète l’offre numérique qui dépend
des « outils » offerts (le web, les applications, le mobile, la TV connectée, les consoles
de jeux, …), des usages (rapport encore insatisfaisant entre une filière numérique et les communautés d’internautes), de l’offre légale et d’indicateurs plus précis de la consommation comme les ventes mais aussi une volumétrie de la consommation gratuite. Ce comité devrait se mettre en place dès 2011.

La mission « Création et Internet » est impossible… ou presque

Taxe « triple play », crédit d’impôt, financement de films, taxe sur la pub, licence globale, taxe de terminaux, TVA à 5,5 %… La mission « Zelnik » croule sous les doléances, dont celles du cinéma.

Prise de court, la mission « Création et Internet » – lancée le 3 septembre par le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, entre les promulgations des lois « Hadopi 1 » le 13 juin et « Hadopi 2 » le 29 octobre – deviendrait-elle impossible ? Les quelques 200 questionnaires et leurs neuf interrogations envoyés aux professionnels des télécoms, de l’Internet, des médias et des industries culturelles – complétés par des « auditions sélectives » – ont déclenché un afflux de propositions pour « améliorer l’offre légale sur Internet et la rémunération des artistes et de tous ceux qui concourent à la création de ces œuvres ».