A 75 ans, le CNC passe de l’exception à la diversité

En fait. Le 25 octobre, le CNC a fêté ses 75 ans, jour de l’adoption en 1946 à l’Assemblée nationale et à l’unanimité de la loi instituant cet organisme baptisé alors « Centre national de la cinématographie » (1). Devenu le grand argentier du cinéma, de l’audiovisuel et des jeux vidéo, le CNC semble dépassé par les événements.

En clair. Le projet de loi de finances 2022, débattu depuis le 11 octobre à l’Assemblée nationale et jusqu’au 5 novembre prochain, prévoit une hausse de 14,5 % du budget du CNC pour atteindre 694 millions d’euros l’an prochain, soit une évolution de 88 millions d’euros par rapport à cette année. Pour arriver à ce montant plus élevé que les années précédentes, et ce malgré la crise provoquée par la pandémie et la nouvelle donne induite par le numérique, le gouvernement a sorti le carnet de chèques : 165 millions d’euros ont été alloués au CNC dans le cadre du plan de relance 2021. Car à près de 75 ans, cet établissement public administratif rattaché au ministère de la Culture est doublement secoué.
D’une part, la pandémie a entraîné la fermeture des salles de cinéma, lesquelles lui rapportent gros en temps normal avec la taxe TSA (2) sur les tickets des spectateurs (154,4 millions d’euros en 2019 mais seulement 28,5 millions en 2020 à cause des restrictions). D’autre part, les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) – telles que Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Salto lancé il y a un an (le 20 octobre) par France Télévisions, TF1 et M6 – entrent dans la danse du fonds de soutien de « l’exception culturelle française » chère jusqu’à maintenant au microcosme du 7e Art français. Les plateformes numériques de films et séries soumises au décret SMAd entré en vigueur le 1er juillet dernier (lire p. 8) – pour peu qu’elles respectent leurs nouvelles obligations de financement de la création audiovisuelle et cinématographique – peuvent désormais bénéficier elles aussi d’aides du fonds de soutien du CNC au même titre que les chaînes de télévision.
D’autant que la taxe TSV (3), sur la vidéo physique et la vidéo à la demande, a été harmonisée depuis le 1er janvier 2021 pour assujettir au même taux les chaînes (linéaires) et les plateformes (non-linéaires). En réduisant ainsi l’asymétrie concurrentielle entre les chaînes françaises et les plateformes étrangère, c’est tout l’écosystème du CNC qui s’en trouve chamboulé. Et l’exception culturelle fait place à la diversité culturelle. Le méga-contrat pluriannuel signé par l’acteur producteur français Omar Sy, entre sa société de production Korokoro (basée à Los Angeles où il vit) et Netflix qui l’a confirmé le 12 octobre (4), est à cet égard sans précédent. @

Projet de décret SMAd et futur décret TNT : le paysage audiovisuel français (PAF) fait sa mue

La réforme de l’audiovisuel en France est à un tournant historique. Si les négociations interprofessionnelles et les ajustements des pouvoirs publics ne se bloquent pas, notamment sur la chronologie des médias, un nouveau cadre (décrets SMAd et TNT) pourrait entrer en vigueur le 1er juillet 2021.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Alors que l’année 2020 a renforcé les services délinéarisés, les téléspectateurs n’ont pas boudé les 31 chaînes métropolitaines de la TNT (1). Preuve que la distribution numérique via des fréquences attribuées (2) a encore un rôle à jouer – a minima, à titre transitoire. Pour l’heure, la révision prochaine du décret dit TNT nous invite à évoquer les enjeux historiques et structurels mais surtout conjoncturels – pour partie liés à la réforme de l’audiovisuel – de la télévision numérique terrestre.

Enjeux historiques, structurels et conjoncturels
La TNT, encadrée par la loi du 1er août 2000 (3), porte des enjeux historiques. Elle possède en effet certaines caractéristiques qui font sa spécificité auprès des téléspectateurs et des éditeurs de service de télévision – une couverture large, une offre riche et gratuite et une simplicité d’utilisation – qui participent à s’opposer aux effets de la fracture numérique. Les chaînes de la TNT ne peuvent cependant pas ignorer l’impact des changements en cours dans le secteur de l’audiovisuel. En effet, si la TNT reste essentielle pour de nombreux foyers, elle est sujette à la concurrence des nouveaux modes de consommation de biens culturels.
Aussi, depuis quelques années, la question de la modernisation de la TNT est-elle discutée de manière constante au fil des rapports et des consultations de l’Arcep et du CSA (4) (*) (**). La proposition de loi relative à la modernisation de la TNT, déposée le 4 février 2021 au Sénat par Catherine Morin-Desailly va dans ce sens (5). Selon la sénatrice, la modernisation de la TNT est une nécessité qui répond à la fois à « une demande forte » des acteurs du secteur et des téléspectateurs. Elle propose à cette fin : le lancement de services TNT en ultra-haute définition (UHD) ; l’attribution de nouvelles compétences de régulation au CSA ; l’adoption de nouvelles normes pour accroître la qualité des services (notamment des standards d’image et de son) ; le développement de services interactifs enrichis pour les téléspectateurs. Les Jeux olympiques de Paris en 2024 devraient constituer l’horizon auquel une plateforme TNT modernisée serait proposée aux Français. Pour ces raisons, la TNT va, au moins à titre transitoire, conserver un rôle. La TNT porte également des enjeux conjoncturels liés à la réforme du paysage audiovisuel français. Si l’on applique au secteur audiovisuel la citation de Paul Eluard « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », peuvent s’analyser comme une succession de rendez-vous destinés à donner in fine une « architecture logique et complète » au paysage audiovisuel français : le nouveau décret « SMAd » (pour services de médias audiovisuels à la demande) pris pour transposer la directive européenne SMA et abroger le premier décret SMAd de 2010 ; la renégociation de la chronologie des médias (régissant les fenêtres de diffusion des films sortant en France), et les négociations tenant à revoir le décret TNT datant de 2010 lui-aussi (6).
Premier rendez-vous : la TNT face à la transposition de la directive SMA. La directive européenne de 2018 sur les services de médias audiovisuels, dite SMA (7) et telle que transposée en droit français dans le projet de nouveau décret SMAd, ne régit pas la TNT (8). Pourtant, les changements que ce décret implique sont connexes aux discussions relatives à la révision du futur décret TNT. En effet, le nouveau décret SMAd permettra l’intégration des plateformes de streaming vidéo dans le système de financement de la création, en leur imposant – à l’instar des chaînes de télévision – de consacrer un pourcentage de leur chiffre d’affaires réalisé en France à la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques « européennes ou d’expression originale française ». Ainsi, dans le projet de décret SMAd (9) tel que notifié par la France à la Commission européenne le 18 décembre 2020 et en période d’observation à Bruxelles jusqu’au 19 mars 2021, deux taux de contribution à la création différents sont prévus : l’un équivalant à 25 % du chiffre d’affaires des plateformes, l’autre à 20 %.

Adapter la chronologie des médias à Netflix
Deuxième rendez-vous : la TNT dans la renégociation de la chronologie des médias. L’introduction de ces nouvelles obligations de financement rendent nécessaires la renégociation de la chronologie des médias, dernièrement modifiée en janvier 2019 par arrêté (10) à la suite d’un accord interprofessionnel (11) signé fin 2018. En effet, comme le rappelait le Premier ministre Jean Castex l’été dernier : « On ne peut pas exiger beaucoup des plateformes et leur imposer les délais de diffusion aujourd’hui prévus » (12). Le pendant de cette affirmation est que les chaînes de télévision de la TNT, considérées comme des acteurs historiques du financement de l’audiovisuel et bénéficiant, à ce titre, de leur place définie dans la chronologie des médias, se verront davantage encore concurrencées par les services de médias audiovisuels à la demande, les « SMAd », que sont notamment Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+.

Négociations jusqu’au 31 mars 2021
Selon la chronologie des médias actuelle, les chaînes – qu’elles soient payantes ou gratuites – disposent d’une avance sur les SMAd avec plusieurs modalités de diffusion comprises entre 8 et 30 mois à compter de sortie en salle des nouveaux films, contrairement aux SMAd qui disposent d’une fenêtre de diffusion allant de 17 à 36 mois. Cependant, la logique de la chronologie des médias – qui met en place des fenêtres d’exclusivité pour la diffusion d’un film après sa sortie en salle, en fonction de la participation au financement d’un film – invite à donner aux SMAd une place prenant en compte de leur participation au financement d’un film. Pour les chaînes de la TNT, les négociations qui se jouent sont donc cruciales puisqu’il en va de la survie de leur modèle. En effet, malgré l’attractivité des plateformes de SMAd, elles conservaient jusqu’à présent une valeur ajoutée liée à des fenêtres de diffusion plus stratégiques.
En l’état actuel, conformément à un décret paru en janvier, les acteurs de l’audiovisuel ont jusqu’au 31 mars 2021 pour négocier un nouvel accord relatif à la chronologie des médias (13). A défaut, un décret fixera, de façon temporaire, les fenêtres d’exploitation qui ne résultent pas de la loi et ce jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord interprofessionnel.
Troisième rendez-vous : le lancement de la négociation du décret TNT. La négociation autour du décret TNT de 2010 a fini par s’imposer comme le troisième et dernier rendez-vous pour « garantir l’équité entre services linéaires et non linéaires d’une part et entre opérateurs nationaux et internationaux d’autre part » (14). En effet, si la TNT demeure essentielle à la création puisqu’elle contribue de manière centrale au financement de la production cinématographique et audiovisuelle d’œuvres « européennes ou d’expression originale française », et à leur rayonnement, elle est tributaire d’obligations de production qui s’inscrivent dans un cadre règlementaire lourd et qui rendent les chaînes de la TNT moins compétitives par rapport aux SMAd. Depuis 2010, la contribution obligatoire des éditeurs de télévision diffusés par la TNT à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelle est régie par le décret TNT du 2 juillet 2010. Cette réglementation prévoit notamment : des obligations de quotas de diffusion d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles européennes et en langue française pour les éditeurs de télévision diffusés par la TNT ; des obligations de financement à la production cinématographique différentes selon qu’il s’agit d’une chaîne de cinéma ou non ; des obligations de financement à la production audiovisuelle différentes selon qu’il s’agit d’une chaîne en clair ou avec abonnement spécifiquement cinéma ou non. Par ailleurs, les dépenses prises en compte au titre des obligations de financement diffèrent selon le type de production (audiovisuel ou cinématographique). Par exemple, pour la production d’œuvres cinématographiques, le préachat des droits de diffusion est pris en compte. Ici, le but du législateur est de développer un secteur de production audiovisuelle indépendant. Les dépenses sont donc volontairement fléchées pour que les producteurs gardent un contrôle de la propriété des parts de leurs productions et coproductions, les droits des chaînes d’entrer en coproduction étant limités pour protéger la production indépendante. Dans la logique de préservation de la production indépendante, les chaînes de télévision sont limitées dans la patrimonialisation des droits.
A l’aube des négociations du futur décret TNT, les chaînes de télévision demandent de bénéficier de plus de droits une fois qu’elles ont rempli leur obligation de contribution à la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques. La question de l’allongement des droits sur les œuvres produites (aujourd’hui limités à trois ans) pourrait cristalliser les débats. Elle implique une négociation sur les parts de coproduction et sur la définition de la part devant être consacrée à la production dépendante et indépendante, sachant que les chaînes de télévision ne cessent d’exiger davantage de droits sur les œuvres qu’elles financent (15). Il s’agit de questions épineuses mais dont la réponse devrait s’attacher à illustrer deux constantes de politique de production audiovisuelle à l’œuvre depuis 1986 : développer et valoriser l’identité française et européenne des programmes, tout en permettant la constitution d’un secteur de production audiovisuelle solide.

Décret TNT révisé : en vigueur le 1er juillet ?
En tout état de cause, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot espère que ce décret TNT révisé entrera en vigueur le 1er juillet 2021 – soit en même temps que le nouveau décret SMAd – et que les négociations s’achèveront le 31 mars 2021 – soit en même temps que la fin des négociations relatives à la chronologie des médias. Et, en définitive, nous voyons, dans la concomitance de ces dates, l’étape-clé du processus logique et complet de la réforme du paysage audiovisuel français. @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit
de la propriété intellectuelle, des marques, des nouvelles
technologies et de l’exploitation des données personnelles.

Production cinématographique et audiovisuelle : Netflix « accélère » en France avant l’obligation de financement

Les plateformes de SVOD telles que Netflix vont devoir financer des films, séries ou documentaires européens à hauteur de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires – dont 85 % en oeuvres françaises. Avec le binôme « Bernet- Pedron », le groupe de Reed Hastings s’est renforcé en France où il compte plus de 6,4 millions d’abonnés.

C’est le baptême du feu pour Damien Bernet et Jérôme Pedron, depuis leur recrutement par Netflix en France, respectivement en avril et mai derniers. Le premier a été directeur général d’Altice Média après avoir été directeur délégué de NextRadioTV (racheté par Altice en 2016) et le second fut un ancien de Telfrance et directeur délégué de la société de production audiovisuelle Newen (rachetée par TF1 en 2015). Ce binôme de « Director Business and Legal Affairs » à la tête de la filiale française de Netflix, aux côtés de Marie-Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles depuis près de deux ans, est placé sous l’autorité de Tom McFadden (photo), lui-même aussi « Director Business and Legal Affairs » mais pour l’ensemble de la vaste région EMEA – Europe, Moyen-Orient et Afrique. Originaire de Pennsylvanie (Etats-Unis), cet Américain est basé au QG européen de Netflix à Amsterdam (Pays-Bas) depuis le début de l’année, après avoir fait ses premières armes de négociateur – commercial et juridique – dans les contrats de production, de coproduction et de licences de séries et de films chez Netflix à Hollywood, la Mecque du cinéma américain. C’est lui aussi qui supervise juridiquement les relations des équipes locales avec les gouvernements et les politiques. Damien Bernet et Jérôme Pedron en réfèrent à lui justement dans les discussions en France autour du projet de décret dit SMAd – Services de médias audiovisuels à la demande – que le pays de « l’exception culturelle » s’apprête à promulguer.

La production française dans l’ombre d’Hollywood
A peine dix mois après avoir inauguré son siège à Paris, Netflix  se retrouve en pleine effervescence dans la dernière ligne droite avant A peine dix mois après avoir inauguré son siège à Paris, Netflix se retrouve en pleine effervescence dans la dernière ligne droite avant la publication de ce décret SMAd qui va imposer aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) – telles que Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+ de consacrer jusqu’à un quart de leur chiffre d’affaires réalisé en France – 20 % à 25 % – au (co)financement de la production de films, de séries, d’animations ou de documentaires européens. Et l’essentiel de ces dépenses obligatoires, à savoir « 85 % au moins » du total, est réservé par ce texte – tant attendu par le 7e Art français – à des « œuvres d’expression originale française », dont « deux tiers (…) consacrés au développement de la production indépendante ». Les conventions et les cahiers des charges sont signés par les plateformes auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce projet de décret SMAd d’une vingtaine de pages (2), qui a été mis en consultation publique jusqu’au 10 novembre dernier par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), au sein du ministère de la Culture, réforme de fond en comble un précédent décret SMAd pris il y a tout juste dix ans (3).

350 à 500 millions d’euros de la SVOD
« Nous sommes encore en cours de discussion et d’évaluation du décret », indique Damien Bernet, à Edition Multimédi@. Lors de sa toute première intervention publique depuis sa nomination, lors d’une conférence de Médias en Seine (4) le 19 novembre, il a évalué l’impact du futur décret SMAd : « C’est vrai qu’avec le projet du gouvernement, qui met des obligations (d’investissement dans un production française) à des niveaux très élevés par rapport à des pays comparables européens, il va y avoir une injection d’argent dans le secteur de la production française », a convenu Damien Bernet. Et celui qui se présente comme le directeur du développement de Netflix en France de préciser : « En France, 1,2 milliard d’euros par an sont investis aujourd’hui par les chaînes de télévision traditionnelles dans la production audiovisuelle et cinématographique. Les estimations d’investissement par les plateformes de SVOD sont de 350 à 500 millions d’euros par an, soit une augmentation globale de 30 à 50 % ». Conséquence, même si Netflix conteste avec une étude d’Analysis Group (selon La lettre A) l’indexation des 20 %-25 % sur ses revenus hexagonaux, il reconnaît que cet afflux d’argent dans la production audiovisuelle et cinématographique va provoquer une inflation sur les talents que les plateformes de SVOD et les chaînes de télévision vont s’arracher.
Damien Bernet en a profité au passage pour évoquer un sujet fiscal qui préoccupe Netflix en France et qui fait l’objet de discussions plus larges autour du prochain décret SMAd : « Nous avons une TVA de 20 % contre 10 % pour nos concurrents des chaînes payantes [Canal+, OCS, …, ndlr]. Nous considérons que ce n’est certainement pas équitable. Maintenant, nous n’allons pas forcer les choses. C’est un débat qui est sur la table et nous espérons que cela évoluera vers une forme de convergence (fiscale) comme sur les obligations d’investissement ». Mais le changement de régime fiscal demandé par Netflix en France n’avait rien à voir, selon lui, avec le test mené depuis le 5 novembre auprès de quelques abonnés sur l’Hexagone – et c’est une première mondiale pour la firme de Los Gatos fondée par Reed Hastings – de la fonction « Direct ». Celle-ci permet de « regarder uniquement via le navigateur web des programmes définis, à toute heure de la journée » (5) – comme une chaîne de télévision. Cette « Netflix TV » est en fait plus qu’une expérimentation puisque « la fonctionnalité Direct sera déployée progressivement en France, avant d’être accessible à tous nos membres français, dès le début du mois de décembre » (6). Le géant mondial de la SVOD voudrait attaquer frontalement la chaîne payante Canal+, pourvoyeur historique de fonds du cinéma français, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Lors des Rencontres cinématographiques de L’Arp (7), le président de Canal+, Maxime Saada, s’est plaint le 6 novembre que le projet de décret SMAd permette une avancée de la SVOD dans la chronologie des médias – à moins de treize mois après la sortie d’au moins un film en salles en France (au lieu de trente-six mois) – si la plateforme numérique de type Netflix porte à 25 % de son chiffre d’affaire annuel son investissement dans un production européenne (française d’abord). Etant situé entre six et huit mois dans la chronologie des médias, la chaîne cryptée de Vivendi se sent menacée par la SVOD.
En réalité, sur les films de cinéma, c’est toutes les chaînes de télévision hertziennes (TF1, M6, France TV, Canal+, …) qui se sentent bousculées par les géants de la SVOD – « des prédateurs », selon elles – dont la fenêtre de diffusion sera améliorée. Sans parler de l’éternel débat sur la propriété des droits audiovisuels en cas de coproduction, qui échappent aux chaînes. Pour autant, Netflix – par sa présence en France – veut se positionner aussi comme partenaire des chaînes, comme l’a assuré Damien Bernet : « Lorsque nous collaborons avec les chaînes hertziennes traditionnelles, ce que l’on produit fait évoluer par exemple TF1 (« Le Bazar de la Charité », « 13 Novembre : “Fluctuat Nec Mergitur” diffusé sur TMC), ou France Télévisions (« Dix pour Cent » et le projet de série d’animation, “Oggy Oggy” avec Xilam) ».

Netflix France va encore plus « accélérer »
Que de chemin parcouru depuis la première production française cofinancée dès 2015 par Netflix avec TF1 et Federation Entertainment, « Marseille ». « Depuis, nous avons beaucoup accéléré, a-t-il indiqué. En 2020, nous avons lancé plus de vingt projets – que ce soit de films, de séries, de documentaires ou d’animations – qui arriveront pour la plupart en 2021 et certains en 2022 ». Pour le directeur du développement de Netflix, il n’y aura cependant « pas d’eldorado pour les producteurs français », mais plutôt « un eldorado pour [ses] abonnés français », au nombre de 6,4 millions aujourd’hui. @

Charles de Laubier

En Europe : les 5 ans du marché unique numérique

En fait. Le 6 mai, il y a 5 ans, le marché unique numérique – Digital Single Market (DSM) – était lancé par la Commission européenne, dont l’ancien président Jean-Claude Juncker avait fait l’une de ses priorités. Entre mai 2010 et mai 2020, des e-frontières sont tombées et des silos ont été cassés.

En clair. C’est Jean-Claude Juncker – alors au début de son mandat de président de la Commission européenne – qui avait fixé l’objectif ambitieux du marché unique numérique au sein des Vingt-huit (aujourd’hui Vingt-sept) : « Nous devons tirer un bien meilleur parti (…) des technologies numériques qui ne connaissent aucune frontière. Pour cela, nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécommunications, de droit d’auteur et de protection des données, ainsi qu’en matière de gestion des ondes radio et d’application du droit de la concurrence », avait-il prévenu dans sa communication du 6 mai 2010 sur « la stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (1).
Le Luxembourgeois l’avait aussi exprimé mot pour mot dans chacune des lettres de mission remises aux deux principaux commissaires européennes concernés de l’époque, Andrus Ansip et Günther Oettinger (2). Ce projet de Digital Single Market (DSM) avait été conçu un an auparavant – sous la présidence de José Manuel Barroso – par la commissaire européenne qui était chargée de la Société de l’information et des Médias, Viviane Reding, avec son homologue à la Concurrence, Neelie Kroes, devenue par la suite vice-présidente, en charge de la Société numérique. Le 19 mai 2010, l’exécutif européen publiait son plan d’action quinquennal (2010-2015) pour une « stratégie numérique », dont les deux premières mesures consistaient à créer un « marché unique numérique » et à réformer « le droit d’auteur et les droits voisins » (3). Ce programme s’inscrivait dans le cadre la stratégie « Europe 2020 » (4) lancée en mars 2010 en remplacement de celle de Lisbonne. Les mondes de la culture et de leurs ayants-droits – particulièrement en France – se sont arc-boutés sur leur « exception culturelle ».
Finalement, en 2020, nous y sommes : outre la fin des frais d’itinérance de roaming mobile en 2017, l’Europe s’est dotée : en 2019 d’une directive sur le droit d’auteur « dans le marché unique numérique » (5), en 2018 d’une directive sur les « services de médias audiovisuel » (SMAd), en 2018 aussi d’un règlement mettant fin au géo-blocage (hors audiovisuel), en 2017 d’un règlement sur « la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne » (audiovisuel compris), sans oublier le RGPD (6) applicable depuis deux ans maintenant. Prochaine étape sensible : le DSA, Digital Services Act (7). @

Droit moral des auteurs de films et de séries : le final cut «à la française» s’imposera par la loi

Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+ seront tenus de respecter le final cut « à la française », qui requiert l’accord du réalisateur pour le montage définitif d’un film ou d’une série. Ce droit moral est visé par le projet de loi sur l’audiovisuel présenté le 5 décembre dernier.

Charles Bouffier, avocat conseil, et Charlotte Chen, avocate, August Debouzy

Le final cut désigne la version définitive du montage d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle – un film ou une série par exemple – distribuée ou diffusée. Le final cut désigne également un droit, celui que détient la personne qui a le pouvoir de décider de ce montage définitif. S’il est d’usage aux Etats-Unis que le producteur ait ce pouvoir décisionnel (laissant éventuellement au réalisateur le loisir d’éditer une version « director’s cut »), la situation française est différente en vertu notamment des droits moraux dont jouissent les auteurs.