Réforme du droit d’auteur : pourquoi l’eurodéputée Julia Reda est déçue par la Commission européenne

La commission juridique du Parlement européen a adopté le 16 juin le rapport
de l’eurodéputée Julia Reda sur la réforme du droit d’auteur. Prochaine étape :
le vote final les 8 et 9 juillet. Mais la membre du Parti Pirate regrette que la Commission européenne n’ait pas été assez loin.

« Les propositions sur le droit d’auteur et le géoblocage sont trop frileuses. Le fait de pouvoir regarder du contenu payant tel que des vidéos à la demande pendant ses vacances ne mettra pas
fin au système gênant du géoblocage. Souvent, ce système affecte les fournisseurs de services ou les plateformes financées par la pub comme YouTube, qui ne sont même pas intégrés dans les propositions de la Commission européen », a déploré l’eurodéputée Julia Reda (photo) dans une interview à Euractiv.com le 9 juin dernier.

Industries culturelles face aux géants de l’Internet

En fait. Le 2 décembre, le Groupement européen des sociétés d’auteurs et
de compositeurs (Gesac) – dont Jean-Noël Tronc (DG de la Sacem) est vice-président – a remis à la Commission européenne une étude confiée à EY
et intitulée « les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance ».

En clair. L’étude de EY (ex-Ernst & Young) a été remise le 2 décembre aux commissaires européens Andrus Ansip, en charge du Marché unique numérique, Günther Oettinger, à l’Economie numérique, et Tibor Navracsics, chargé de la Culture et l’Education, alors que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a demandé aux deux premiers de « casser les silos nationaux dans (…) le
droit d’auteur » (1).
La Gesac, qui regroupe 34 sociétés d’auteurs européennes – dont en la France la Sacem (musique), la Scam (multimédia) ou encore l’Agagp (arts graphiques) – et
ses partenaires de « Creating Europe » (2) sont, eux, venus défendre la propriété intellectuelle et les revenus des créateurs qu’ils considèrent « menacés par les intermédiaires Internet qui en tirent d’énormes bénéfices sans en donner une juste part aux créateurs ». Ce plaidoyer en guise de lobbying culturel intervient alors que l’exécutif européen n’a pas renoncé à réformer la directive dite IPRED sur les droits de propriété intellectuelle – d’ici 2016. « Le droit d’auteur n’est un obstacle qu’à la domination d’une poignée d’acteurs géants », a même dit aux commissaires Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE). Cette étude européenne porte sur les onze marchés culturels. A savoir, dans l’ordre décroissant en valeur – « chiffres d’affaires », subventions et aides publiques comprises – sur un total de 535,9 milliards d’euros en 2012 : Arts visuels (127,6), Publicité (93), Télévision (90), Journaux/magazines (70,8), Livres (36,3), Architecture (36,2), Spectacle vivant (31,9), Musique (25,3), Cinéma (17,3), Jeux vidéo (16) et Radio (10,4). « Les technologies numériques ont renforcé
les liens et multiplié les collaborations entre les secteurs ».

YouTube « Music Pass » sous la menace d’une plainte

En fait. Le 23 mai, l’ultimatum lancé contre YouTube par la Worldwide Independent Music Industry Network (WIN) est arrivé à échéance. Les producteurs de musique indépendants qu’elle représente au niveau mondial menacent de saisir la Commission européenne sur les « rémunérations inéquitables » imposées.

En clair. Selon différentes sources, YouTube, s’apprête à lancer cet été son service payant de streaming musical qui devrait être baptisé «Music Pass » et proposé moyennant 5 dollars par mois avec publicité ou 10 euros par mois sans. Mais pour se lancer à l’assaut du marché mondial de la musique en streaming en pleine croissance
et dominé par le suédois Spotify, le numéro un des plateformes de partage vidéo doit boucler d’ici l’été prochain des accords avec les producteurs de musique. Si les contrats avec les trois majors « du disque », Sony, Warner et Universal, sont négociés directement et séparément, il n’en va pas de même avec les producteurs indépendants. Il est en effet proposé à ces derniers un contrat type avec « la menace explicite que leurs contenus seront bloqués sur la plateforme [YouTube] si ce contrat n’est pas signé ». C’est du moins ce qu’a rapporté le 22 mai dernier la Worldwide Independent Music Industry Network (WIN), organisation mondiale des producteurs de musique indépendants.

Manuel Valls était contre l’Hadopi : et la loi Création ?

En fait. Le 2 avril, Manuel Valls – que le chef de l’Etat François Hollande a nommé
le 31 mars Premier ministre à la place de Jean-Marc Ayrault – a formé son gouvernement « resserré » : Aurélie Filippetti reste à la Culture, Arnaud Montebourg ajoute l’Economie et le Numérique (1) au Redressement productif.

En clair. Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, fut un ardent opposant à la loi Hadopi : il a signé dès le 17 juin 2008 dans Libération un appel contre le projet de loi Hadopi « attentatoire aux libertés fondamentales et n’apportant aucune réponse aux besoins de financement des créateurs » ; il a encore fustigé la loi Hadopi dans un discours le 29 juin 2009 au Théâtre Michel (2), alors que le premier volet venait tout
juste d’être promulgué le 13 juin après la décision rectificative du Conseil constitutionnel du 10 juin.
Plus de deux ans après, cette fois lors des primaires socialistes où il était candidat
à l’investiture du PS pour la présidentielle, il déclarait sur son blog Valls2012.org de campagne le 8 octobre 2011 : « Je n’ai jamais tergiversé sur l’abrogation nécessaire
de cette loi qui induit la répression, soldée par une sanction pénale, administrative et financière ». Et celui qui est alors maire d’Evry se déclarait favorable à une « contribution créative adaptée », afin de « dégager des moyens de financement en faveur de la création, sous la forme d’un versement à la filière artistique ainsi que la réorientation vers cette filière du produit de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet (évaluée à 1 milliard d’euros par an)» (3). Le nouveau Premier ministre était ainsi en phase avec la position de la Sacem, prônant une « contribution compensatoire » prélevée sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI).

Vers une licence « copie privée » pour le streaming

En fait. Le 27 février, le Parlement européen a adopté le rapport Castex (252 voix pour, 122 contre et 19 abstentions) sur « les redevances pour copie privée ».
Si la résolution donne la part belle aux ayants droits, les industriels peuvent
encore espérer des avancées de la part de la Commission européenne.

En clair. A court terme, la taxe pour la copie privée est maintenue. A long terme, il faudra trouver mieux. Tel est en substance, ce que dit la résolution adoptée par le Parlement européen le 27 février (1). « Il est nécessaire que des discussions soient menées à long terme afin de trouver un modèle plus efficace et plus moderne qui ne soit pas obligatoirement fondé sur une redevance forfaitaire liée aux appareils », considèrent les eurodéputés, dans leur résolution issue du rapport de l’eurodéputée Françoise Castex.
Un peu plus loin, ils n’écartent pas l’idée de licence telle que le rapport d’Antonio Vitorino (2) le préconisait début 2013, bien qu’elle ne soit pas retenue dans l’immédiat
– au grand dam des industriels de l’électronique grand public (dont l’organisation Digital Europe).
« Dans le cadre des œuvres en ligne, (…) les pratiques d’octroi de licences sont complémentaires du système de redevance pour copie privée », considèrent les eurodéputés.