La société DStorage continue de défendre la licéité de son service d’hébergement 1fichier.com

La société DStorage, fondée il y a 15 ans par son actuel PDG Nessim Yohan Tordjman, défend inlassablement la légalité de son service d’hébergement 1fichier.com qualifié à tort de « site illicite ». Dernière action en date : un droit de réponse publié par l’Alpa dans la dernière étude de Médiamétrie.

La société vosgienne DStorage fête ses 15 ans, ayant été créée le 9 avril 2009 par son PDG Nessim Yohan Tordjman, un ancien administrateur systèmes et réseaux de chez Free durant dix ans. Elle exploite notamment le site d’hébergement 1fichier.com, qui est souvent désigné depuis plus de dix ans comme « site illicite » ou « site illégal » par les ayants droit. Mais que cela soit devant la justice ou auprès des médias, DStorage ne cesse de défendre la légalité de son service de stockage.

« Pas plus illicite que Wetransfer ou Google Drive »
Ce fut encore le cas fin mars, DStorage ayant obtenu de l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) un « droit de réponse » qui, selon les constatations de Edition Multimédi@, a été inséré dans sa dernière étude « Audience des sites illicites dédiés à la consommation vidéo en France ». Celle-ci montre l’évolution du piratage audiovisuel sur Internet de décembre 2021 à décembre 2023. Cette étude mise en ligne le 7 mars dernier a été commanditée auprès de Médiamétrie par l’Alpa, présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (photo).
Le site 1fichier.com y est désigné comme étant en tête du « Top 10 » des « sites illégaux les plus utilisés », avec plus de 1,3 million de visites uniques sur le mois de décembre 2023, devant Yggtorrent.qa (0,65 million) ou encore Wawacity.autos (0,5 million). Toujours en décembre 2023, 1fichier.com dépasse même le site légal Paramount+ en termes d’audience. Le droit de réponse est apparu dans l’étude quelques jours après sa publication, soit fin mars (1), à la demande de l’avocat de la société DStorage, Ronan Hardouin. « La société DStorage souhaite attirer l’attention du lecteur de cette étude sur les largesses de qualification juridique que s’autorise l’Alpa en ciblant le service de cloud storage 1fichier.com comme un site illicite. Le service 1fichier.com n’est pas plus illicite que les services de cloud storage comme Wetransfer ou Google Drive. Il ne peut être assimilé à des fermes de liens », assure l’entreprise de Nessim Yohan Tordjman. Et son droit de réponse de poursuivre : « Aucune juridiction n’a d’ailleurs considéré 1fichier.com comme un service illicite malgré les tentatives d’ayants droit appuyant leurs prétentions en étroite collaboration avec l’Alpa.

Les enjeux du droit d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle (IA) : entre exceptions et interprétations

La propriété intellectuelle est entrée dans une zone de turbulences provoquées par les IA génératives. L’utilisation d’œuvres reste soumise à l’autorisation des auteurs, mais le droit d’auteur est limité dans certains cas comme la fouille de textes et de données. L’AI Act sera à interpréter.

Par Jade Griffaton et Emma Hanoun, avocates, DJS Avocats*

La récente législation européenne sur l’intelligence artificielle (IA) – l’AI Act dans sa dernière version de compromis final datée du 26 janvier 2024 (1) (*) (**) – adopte une définition flexible de « système d’IA », désigné comme « un système basé sur des machines conçues pour fonctionner avec différents niveaux d’autonomie et d’adaptabilité après leur déploiement et qui, à partir des données qu’il reçoit, génère des résultats tels que des prédictions, du contenu, des recommandations ou des décisions pouvant influencer des environnements physiques ou virtuels » (2).

Exception de « fouille de textes et de données »
La question de la relation entre le droit de la propriété littéraire et artistique et l’IA est une préoccupation ancienne. Lors de la phase d’entraînement, le système d’IA reçoit des données. A ce stade, se pose la question de l’intégration de contenus protégés par le droit d’auteur aux fins du développement du système. Lors de la phase de génération, le système d’IA génère des résultats, voire des créations, à la demande de l’humain. Se pose alors la question de l’encadrement juridique de ces créations générées, en tout ou partie, par un système d’IA. Ces problématiques juridiques actuelles doivent être envisagées à la lumière des nouveaux textes destinés à réguler le domaine de l’IA, et notamment la récente proposition de règlement européen sur l’IA, et la proposition de loi française visant à encadrer l’utilisation de l’IA par le droit d’auteur (3).
De nouveaux contours de la possibilité d’utiliser des œuvres pour entraîner l’IA ? Les systèmes d’IA ont besoin, au stade de leur apprentissage et développement, d’avoir accès à de grands volumes de textes, images, vidéos et autres données. Ces contenus sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur. L’objectif principal du règlement IA, dévoilé en 2021 par la Commission européenne, consiste à réguler les systèmes d’IA introduits sur le marché européen, en adoptant une approche axée sur les risques et en assurant un niveau élevé de protection des droits fondamentaux, de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement.

Taxe « copie privée » : les industries culturelles lorgnent sur le « hors connexion » du streaming

Le rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour la copie privée préconise d’« exclure explicitement » le « hors connexion » qui permet aux internautes d’écouter ou de visionner un contenu sans être en ligne. Alors que les ayants droit veulent taxer ces « copies de confort ». Ce rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour copie privée, publié le 31 octobre dernier, a été réalisé par l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), lesquelles dépendent respectivement de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, et de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Parmi les 22 propositions faites par le gouvernement, il y en a une qui concerne le sort des copies dites de confort permettant d’écouter du contenu hors connexion ou offline. Commission copie privée : réunion en vue Faut-il taxer ces copies pour rémunérer la copie privée, ce droit des internautes de reproduire une œuvre pour y avoir accès dans le cadre d’un cercle restreint familial ? La réponse du gouvernement est non. « Encourager la commission [pour la rémunération de la] copie privée à clarifier le statut des copies dites de confort permettant les écoutes hors connexion, et à suivre la proposition de la mission IGF-IGAC préparatoire au présent rapport de les exclure explicitement du champ de la rémunération pour copie privée », préconise le rapport dans sa proposition n° 11. Cette commission pour la rémunération de la copie privée, présidée depuis un an par le conseiller d’Etat Thomas Andrieu (photo), est donc appelée à ne pas taxer le hors connexion. Et ce, contrairement à la demande des ayants droit des industries culturelles de taxer ces copies de confort, sous prétexte que cela génèrerait – selon eux – un manque à gagner devant être rémunéré. Contacté par Edition Multimédi@, le président de cette commission dite « L311-5 » (1) nous indique que « la commission (copie privée) se réunira avant la fin de l’année et les conclusions du rapport IGF-IGAC seront à l’ordre du jour ». Les ayants droit, qui bénéficient d’un avantage lors des votes face aux représentants des industriels et des consommateurs en raison de la répartition des sièges, ont fait savoir à la mission gouvernementale qu’une rémunération pour copie privée se justifiait pour le offline du streaming. Ce n’est pas l’avis du gouvernement : « La question du traitement des possibilités d’écoute hors connexion offertes par les plateformes de streaming a été soulevée auprès de la mission [IGF-IGAC], certains ayants droit considérant que ces “téléchargements” constituent des copies privées devant être compensées. A ce stade, ces téléchargements à partir de plateformes de streaming payantes sont mesurés par les études d’usages mais ne sont pas inclus dans le volume de copies privées. En l’absence d’une décision de justice tranchant ce point, un faisceau d’indices amène à considérer que ces copies de confort ne relèveraient pas du champ de la copie privée créant un préjudice et devant donner lieu à compensation », estime le rapport. Si ces téléchargements aboutissent bien à une copie du fichier musical ou vidéo sur le terminal de l’utilisateur (smartphone, ordinateurs, tablette, …), cette copie est exploitable uniquement sur la plateforme de streaming : elle ne peut être transférée ou dupliquée. A cela s’ajouter le fait que ces copies sont éphémères et attachées à l’abonnement de l’utilisateur au service de streaming en question. Ces copies de confort permettent des écoutes hors connexion qui ne sont possibles que pendant la durée de l’abonnement au service payant. C’est par exemple le cas pour Deezer qui propose cette facilité dans son abonnement payant premium, afin de permettre au bénéficiaire de télécharger des albums et des playlists pour les écouter hors connexion quand il n’a pas de connexion Wifi disponible ou de réseau accessible. « Les plateformes de streaming rencontrées par la mission ont assuré que la possibilité de visionnage ou d’écoute hors connexion était prévue dans les contrats de licence et donne lieu à rémunération, dans les mêmes conditions que les écoutes ou visionnages classiques », souligne en plus le rapport, même s’il est difficile d’obtenir des informations certaines sur ce partage dans le cadre de ces contrats de licence soumis au secret des affaires. Réguler pour mieux rémunérer le offline ? Les copies de confort pour le hors connexion font-elles l’objet d’un traitement spécifique dans le contrat et d’une rémunération distincte, comme l’exige implicitement le code de la propriété intellectuelle (CPI) lorsque celui-ci dit que la cession d’un droit (droit de représentation ou droit de reproduction) n’emporte pas celle de l’autre (2) ? De plus, selon le même CPI, « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » (3). La mission part donc du principe que les contrats de licence entre plateformes de streaming et ayants droit sont conformes au CPI. En mettant en garde cependant : « Dans le cas contraire, ou si les termes des contrats sont trop vagues, l’exception de copie privée pourrait être invoquée ». Tout en excluant a priori une éventuelle taxe « copie privée » sur le hors connexion, le gouvernement suggère néanmoins aux parlementaires la mise en place d’« une régulation de la rémunération spécifique de la copie pour lecture hors connexion, par des tarifs négociés en commun entre toutes les plateformes et les OGC [organisme de gestion collective des droits d’auteur, ndlr] concernés, au niveau européen ». Faisceau de quatre indices contre une taxe La généralisation du streaming payant avec copie de confort pour une lecture offline justifie, selon les auteurs du rapport, de veiller à la rémunération des créateurs (auteurs et artistes-interprètes). Environ 70 % du prix des abonnements est reversé aux ayants droits – 55 % pour les producteurs et 15 % pour les organismes de gestion collective –, à charge pour eux de reverser aux auteurs et artistes interprètes la rémunération qui leur revient selon les indications fournies par les plateformes sur le comptage des streams. Mais quelle part concerne le hors connexion ? Sur ce point, c’est le flou artistique. Alors que le hors connexion est de plus en plus répandu. « Cette possibilité existe dans le cadre d’abonnements payants (offres premium) et constitue le plus souvent le facteur démarquant par rapport aux offres gratuites (freemium) de ces mêmes plateformes », relève le rapport gouvernemental. Selon les représentants des industries culturelle, ces copies à usage privé et de source licite dérogent au droit exclusif d’autorisation d’exploitation des ayants droit et génèrent un manque à gagner devant être rémunéré. Mais la mission IGF-IGAC a convaincu le gouvernement qu’un « faisceau d’indices » tend à exclure les copies de confort de la rémunération de la copie privée : Bien qu’elles soient physiquement stockées dans la mémoire du terminal de l’abonné, ces copies sont cryptées, de sorte qu’il est impossible pour l’utilisateur de les dupliquer ou de les transférer (elles ne peuvent sortir de l’univers de la plateforme) ; Ces copies sont éphémères puisqu’au bout de quinze jours sans reconnexion de l’utilisateur, la plateforme les supprime ; Ces copies donnent déjà lieu à une rémunération car, pour les plateformes de streaming musical telles que Deezer ou Spotify, les écoutes hors connexion sont comptabilisées dans le nombre total d’écoutes qui sert de base à la rémunération des ayants droit ; L’examen des conditions tarifaires de certains organismes de gestion collective montre que la rémunération qu’elles ont négociée avec les plateformes de streaming prend en compte les copies de confort. Et le rapport de prendre l’exemple de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour l’écoute ou la visualisation de la musique en streaming par abonnement : la rémunération correspond à 15 % des recettes d’abonnement, assortie d’« un minimum de 1,20 euro hors taxe par abonné et par mois dans le cas d’une offre permettant la portabilité ainsi que l’écoute et la visualisation hors connexion » (4). Toutes ces questions autour des copies de confort au regard de l’articulation entre droit exclusif et exception de copie privée amènent le gouvernement à appeler les parlementaires à « une réflexion plus large (…) concernant la juste contribution des plateformes de streaming, payantes et non payantes, au financement de la création culturelle ». Le rapport n’évoque cependant pas la dernière tentative de taxer le streaming pour « financer de façon pérenne » le Centre national de la musique (CNM), selon les députés à l’origine de trois amendements déposés fin septembre dernier mais tous rejetés en octobre (5) dans le cadre du projet de loi de finance 2023. Tout en écartant une éventuelle taxe sur les copies de confort, qui reviendrait à taxer le streaming, le rapport « IGF-IGAC » du gouvernement reproche en outre à la commission copie privée le manque de transparence dans sa méthodologie de fixation des barèmes et de reversement de la rémunération en question. Taxe « copie privée » : 300 millions d’€/an Les études d’usage sont jugées trop anciennes (2017 et 2018 pour les dernières). Ce sont quand même près de 300 millions d’euros qui sont collectés. La taxe est prélevée sur le prix des appareils permettant le stockage numérique (smartphones, tablettes, clés USB, CD/DVD, disques durs externes, etc.) – par l’unique organisme français mandaté pour collecter la redevance pour la copie privée : Copie France (6), lequel n’a pas vraiment apprécié ce rapport « IGF-IGAC » (7). Le gouvernement appelle aussi à une meilleure gouvernance de la commission copie privée. Sa réunion prévue avant la fin de l’année s’annonce donc chargée, alors même que son rapport 2021 n’a pas encore été publié. « Nous le publierons début 2023 », nous indique Thomas Andrieu. @

Charles de Laubier

Sacem: des NFT via Polygon et Musicstart via Tezos

En fait. Le 14 octobre, s’est achevée le 13e MaMA Festival & Convention qui s’est tenu durant trois jours à Paris. La Sacem y était présente, notamment pour y présenter son tout premier « drop » – dans le jargon du Web3, un lancement sur le marché de jetons non-fongibles, ou NFT. On peut en obtenir jusqu’au 24 octobre. En clair. Sacem Lab se veut le fer de lance de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) dans le Web3 dans toutes ses dimensions (blockchain, NFT, métavers, …). En prévision de la remise le 13 décembre prochain de ses Grands Prix 2022 à la Maison de la radio et de la musique, la société de gestion de collective des droits d’auteurs a, le 12 octobre, mis « en vente sa première collection gratuite de NFT » auprès du public dans le monde entier pour qu’il tente de remporter « des lots exceptionnels ». Plus de 2.800 NFT ont ainsi été obtenus en 24 heures. L’obtention de son NFT est possible jusqu’au 24 octobre (1). Pour cette première, la veille institution (171 ans) s’appuie sur la blockchain Polygon et a ouvert son serveur de messagerie sur Discord. Le jeu-concours-loterie se poursuivra à partir du 25 novembre, date à laquelle le détenteur d’un NFT pourra se connecter jusqu’au 12 décembre à son portefeuille électronique – soit via son propre wallet, soit via son custodial géré par l’application Paper (2). Le NFT changera alors d’apparence : or, silver, bronze ou classique, selon « les cadeaux qui lui sont associés » (3). Chaque NFT ainsi offert appartient à son détenteur (dans la limite de la licence accordée) et peut être revendu –10 % de royalties étant alors prélevés sur le montant de la revente – sur les places de marché comme OpenSea. « La technologie des NFT est aujourd’hui utilisée dans le milieu de la musique pour vendre des certificats liés à des œuvres d’art numériques, des titres, des albums, des artworks ou encore des places de concert », explique la Sacem. Cette opération dans le Web3 permet à la société de gestion collective de dompter « un nouveau monde, qui ressemble encore à un Far West » : dixit Cécile Rap-Veber (« CRV »), directrice généralegérante de la Sacem, dans le « Mag » aux sociétaires paru en juin. La cellule innovation Sacem Lab, elle, a été fondée début 2022 par son actuelle directrice, Adeline Beving (après dix ans passés à Radio France). L’incubateur belge Wallifornia MusicTech l’a aidée au printemps à « imaginer l’avenir de la Sacem dans le métavers ». Par ailleurs, Urights, filiale présidée par CRV (4), a lancé en juillet la version bêta de Musicstart (hébergé par Amazon) qui permet à tout artiste (5) de « déposer » une œuvre (texte de chanson, partition, master, …) en obtenant la preuve de son antériorité via la blockchain Tezos. @

Plus personne ne parle de la société Trident Media Guard (TMG), 20 ans cette année, et pour cause

Spécialisée dans « la recherche de contenu et l’anti-piratage sur Internet », l’entreprise nantaise TMG – créée il y a 20 ans – avait défrayé la chronique après que les SACEM, SDRM, SCPP, SPPF et Alpa l’aient retenue en 2010 pour traquer les internautes « pirates » sur les réseaux peer-to-peer. Cofondée en mars 2002 par Alain Guislain et Bastien Casalta sous le nom de Mediaguard, la société nantaise TMG – Trident Media Guard – compte depuis 2007 à son capital (1) et dans son conseil d’administration l’acteur-producteur Thierry Lhermitte. C’est elle qui fut choisie fin 2009 par quatre organisations des droits d’auteur de la musique et du cinéma (2) réunis en « consortium » : côté musique, la SACEM et sa SDRM, la SCPP et la SPPF ; côté audiovisuel, l’Alpa. Des millions d’adresses IP identifiées Ces organisations des ayants droits des industries de la musique et de l’audiovisuel piègent depuis lors les internautes en les amenant à télécharger sur les réseaux peer-to-peer des fichiers musicaux ou cinématographiques protégés par le droit d’auteur. Mais pas n’importe quel fichier. TMG, aujourd’hui présidé et dirigé par Alain Ghanimé (photo), s’infiltre en effet sur les réseaux peer-to-peer comme BitTorrent, eMule ou encore μTorrent pour y déposer des œuvres protégées (musiques ou films), mais leurs fichiers sont banalisés et surveillés à distance. Autrement dit, il s’agit de sorte de leurres ou d’appâts pour « flasher » les internautes pris en flagrant délit de piratage. C’est là que Trident Media Guard porte bien son nom : un trident – du latin tridens – est une fourche à trois pointes servant à harponner les poissons ! Une fois que l’un d’eux a « mordu », son adresse IP est transmise à l’Hadopi (désormais l’Arcom) dans le cadre du « traitement automatisé de données à caractère personnel » qui avait été officialisé le 7 mars 2010. Ce cadre permet à la commission de protection des droits (CPD) de collecter auprès de ces organismes représentant les ayants droit les pseudonymes et adresses IP – y compris le protocole peer-to-peer utilisé – de chaque abonné incriminé (3). Bref, ce trident – attribut de nombreuses divinités marines… – évolue depuis une douzaine dans les eaux profondes du Net. Le pic du volume d’adresses IP « pirates » livrées à l’Hadopi par les ayants droit (SACEM/SDRM, SCPP, SPPF et Alpa) fut atteint en 2017 avec plus de 18,7 millions dont 15,6 millions adresses IP ont pu être identifiées. C’est d’ailleurs ce qui motive l’action en justice lancée en 2019 par La Quadrature du Net – avec la FFDN (4), la FDN (5) et Franciliens.net – pour demander l’abrogation du décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel » (6). L’affaire suit son cours (7) devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pour les autres adresses IP qui n’ont pu être identifiées, la raison en est qu’il y a un recours croissant aux VPN (8), mais aussi à la pratique du partage d’adresses IP. Même les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) recourent eux aussi au partage d’adresses IP entre plusieurs abonnés pour faire face à la pénurie des adresses IPv4 (9). Pour y remédier, l’Hadopi a obtenu qu’un décret pris fin 2021 – en vigueur depuis le 1er janvier 2022 – conserver et traiter le « port source » (« port associé ») que lui communiquent les ayants droit, au même titre que l’adresse IP, puis de le transmettre pour identification aux FAI (10). Ainsi, alimentée par TMG, l’Hadopi a pu de 2010 à fin 2021 envoyer à des abonnés Internet plus de 13,3 millions d’emails d’avertissement (appelées « recommandations »), dont le deuxième envoi (soit 10 % de ce total) est doublé d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Il leur est reproché des « téléchargements et mises à disposition illicites constatés à partir de leur connexion ». Et selon l’Hadopi, au moins sept personnes sur dix averties prennent des mesures pour éviter tout renouvellement d’actes de piratage (11). Concernant les autres, plus de 23.000 dossiers – toujours en cumulé sur plus de dix ans – ont fait l’objet d’un « constat de négligence caractérisée », envoyé par e-mail et courrier remis contre signature. Parmi eux, 8.476 dossiers ont été transmis à la justice (au parquet alias le procureur de la République) puis, selon les calculs de Edition Multimédi@, 3.148 suites judiciaires portées à la connaissance de l’Hadopi ont été engagées. Mais entre les relaxes, les classements sans suite, les rappels à la loi, les mesures alternatives aux poursuites et les régularisations sur demande du parquet, très peu de sanctions pénales sont in fine prononcées : quelques centaines tout au plus depuis douze ans. Le P2P n’est pas mort ; il bouge encore La pédagogie de l’Hadopi aurait largement triomphé sur le répressif. Si TMG continue à alimenter la réponse graduée en adresse IP, force est de constater que l’usage du peer-topeer s’est effondré au profit du streaming, du téléchargement direct et du live streaming. « Le nombre d’utilisateurs illicites des réseaux pair-à-pair est passé de 8,3 millions d’internautes par mois en 2009 à environ 3 millions par mois aujourd’hui, soit une baisse de plus de 60 % », s’est félicitée l’Hadopi dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier