Droit d’auteur : pourquoi la SACD n’a pas cosigné le communiqué à charge contre Google et YouTube

Le communiqué du 4 décembre 2018, cosigné par une trentaine d’organisations et d’entreprises françaises, ne fait pas l’unanimité dans le monde des industries culturelles car il semble fait l’impasse sur la rémunération supplémentaire des auteurs d’œuvres mis en ligne. La SACD ne le cautionne pas.

Edition Multimédi@ a demandé à Pascal Rogard (photo), directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), laquelle compte plus 50.000 auteurs membres, pourquoi celle-ci n’avait pas été cosignataire le
4 décembre du communiqué commun de 33 organisations, syndicats et entreprises françaises accusant Google et sa filiale YouTube de «campagne de désinformation massive (…) en abusant de leur position dominante » dans le cadre du projet de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Droit d’auteur exclusif ou inaliénable ?
« Parce qu’il [le communiqué du 4 décembre, ndlr] ignore la position du gouvernement défendant globalement les articles 11, 13 et ‘-14’ de la directive pour ne se concentrer que sur l’article 13. Au surplus, nous n’avons pas de problèmes avec YouTube, même si leur campagne de presse ne nous a pas plue », nous a répondu celui qui dirige depuis 2004 l’influente SACD, société de gestion collective des droits très présente dans l’audiovisuel, le cinéma et le spectacle vivant. A y regarder de plus près, le contenu de ce communiqué – intitulé « L’Europe doit résister au chantage de Google
et YouTube » (1) – parle seulement de « rééquilibrer un partage de la valeur aujourd’hui inégalitaire entre les plateformes et les industries de la culture et des médias ».
Ce que prévoit bien pour la presse l’article 11 (rémunération juste et proportionnée des publications par les plateformes numérique en guise de « droit voisin ») et l’article 13 (contrats de licence justes et appropriés avec les ayants droits dans la musique, le cinéma, l’audiovisuel, etc.). En revanche, l’article « -14 » pour les auteurs (rémunération juste et proportionnée des auteurs, interprètes et exécutants) n’est pas évoqué dans le communiqué collectif du 4 décembre. Alors que, pourtant, la déclaration commune est signée par de nombreuses sociétés d’auteurs telles que la Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem), la Société civile des auteurs multimédias (Scam), l’Union nationale des auteurs et compositeurs (Unac), la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (Saif), la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), ou encore la Société des gens de lettres (SGDL). La SACD, qui a d’ailleurs conclu il y a huit ans avec YouTube et plus récemment avec Netflix des accords pour rémunérer les auteurs quand leurs œuvres sont diffusées en ligne, manque donc à l’appel du côté des auteurs (2). Mais ce n’est pas la seule société de gestion collective des droits d’auteur
à ne pas avoir signé le 4 décembre la charge contre Google et YouTube. N’y figurent pas non plus l’Adami (Administration des droits des artistes et musiciens interprètes), qui gère les droits de 73.000 membres, ainsi que la Spedidam (Société de gestion des droits des artistes interprètes), qui, elle, reverse à 110.000 sociétaires. L’Adami est membre de l’organisation européenne AEPO-Artis (3), laquelle regroupe 36 organismes de gestion collective. Et cette dernière est elle-même membre de la coalition des artistes-interprètes européens « Fair Internet for Performers », qui milite pour une juste rémunération des artistes pour l’exploitation en ligne de leurs prestations (4). Les producteurs et éditeurs (musique, films, livres, …) ne veulent pas, eux, entendre parler de rémunération proportionnelle, ni de gestion collective si elle n’est pas obligatoire, estimant avoir un droit exclusif de la propriété intellectuelle sur l’oeuvre dès lors qu’ils ont un contrat avec l’auteur (réalisateur, scénariste, musicien, créateur, …), lequel est
le plus souvent un forfait (buy out).
Des sociétés d’auteurs comme la SACD, l’Adami, la Spedidam, mais aussi la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), leur opposent le « droit inaliénable » de l’auteur. Pas étonnant que le communiqué du 4 décembre tirant à boulets rouge sur la firme de Mountain View soit cosigné aussi par : (pour les producteurs de musiques) la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le bras « droit d’auteur » du Snep, également cosignataire, la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), le pendant « droit d’auteur » de l’UPFI, cosignataire aussi ; (pour les producteurs audiovisuels et cinématographiques) la Procerep, l’UPC, le SPI, l’API, l’USPA et le SPFA : (pour les chaînes) France Télévisions, Canal+, M6 et TF1 ; pour les éditeurs) le Syndicat national de l’édition (SNE).

Le « droit voisin » médiatique
Concernant le projet de droit voisin pour la presse (article 11 de la directive), sont cosignataires l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), et le CFC (5), sans parler du Syndicat national des journalistes (SNJ). @

Charles de Laubier

Rémunération proportionnée, pas proportionnelle

En fait. Lors des 28èmes Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), qui
se sont déroulées du 7 au 9 novembre, Radu Mihaileanu, le président de L’ARP,
a voulu entraîner Google sur le terrain glissant de la « rémunération proportionnée » introduite dans le projet de directive européenne
« Droit d’auteur ».

Les réactions au rapport Bergé « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique »

La présentation à l’Assemblée nationale le 4 octobre du rapport « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique » a suscité de nombreuses réactions de producteurs et d’auteurs. Les voici regroupées autour des principales propositions faites par la députée « macroniste » Aurore Bergé.

Aurore Bergé (photo), c’est un peu comme « la voix son
maître ». La réforme de l’audiovisuelle qu’elle préconise
en tant que rapporteur est l’exposé de ce que souhaite le présidentielle de la République – que l’ex-élue LR devenue députée LREM des Yvelines avait rejoint dès février 2017 lorsque Emmanuel Macron n’était encore que candidat (1). Ses quarante propositions préparent le terrain au projet de
loi sur la réforme de l’audiovisuel, texte qui sera présenté au printemps 2019.

SACD, UPC, SPI, Scam, Adami, Sirti, …
• Lutte contre le piratage : « La lutte contre le piratage est à juste titre placée comme priorité première, qui conditionne l’ensemble des autres », se félicite l’UPC. La SACD, elle, déclare que « les auteurs (…) sont en particulier en phase avec la logique (…) visant à renforcer la lutte contre le piratage tout en développant l’offre légale et en assurant un renforcement de la diffusion et de la visibilité des œuvres audiovisuelles et cinématographiques ». Et d’ajouter « à cet égard » que « la réforme de la chronologie des médias, comme l’assouplissement des conditions de diffusion des films de cinéma, sont des mesures urgentes ». De son côté, « le SPI approuve le fait que [la lutte contre le piratage] soit posé comme un préalable à toute réforme de fond ». La Scam est aussi « favorable (…) à un renforcement de la lutte contre le piratage ainsi que des pouvoirs de sanction et du champ de compétence de [l’Hadopi]». • Fusion envisagée de l’Hadopi et du CSA : La Scam « invite (…) à la prudence quant à la fusion envisagée de la Hadopi et du CSA et à la conduite – a minima- d’une étude d’impact ».
• Redevance audiovisuelle : La SACD estime que la proposition de « transformation de la redevance audiovisuelle en contribution universelle déconnectée de la possession d’un téléviseur [et payée par tous les foyers français, ndlr],comme l’ont fait de nombreux grands pays européens » va « dans le bon sens ». La Scam « salue » aussi « la proposition relative à l’universalisation de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) » et s’attend à sa « revalorisation ». Le SPI « salue », lui aussi, « la volonté affirmée par le rapport de réformer la CAP pour lui donner un caractère universel adapté à l’évolution des usages » mais il considère que « l’hypothèse de financements supplémentaires dégagés ne doit pas être fléchée vers une suppression de la publicité pour France 5 et Radio France mais vers un engagement renforcé à l’égard de la création ». • Rémunération des auteurs : « La volonté de garantir l’existence d’une rémunération proportionnelle des auteurs à l’ère numérique et d’assurer le développement de pratiques contractuelles équilibrées entre auteurs et producteurs sont des exigences indispensables », prévient la SACD qui a déjà passé des accords avec Netflix et YouTube mais pas avec Amazon ni Facebook. « L’invitation faite aux plateformes de conclure rapidement des accords avec les ayants droit afin de leur assurer une rémunération proportionnelle » est aussi accueillie favorablement par
la Scam. Et l’Adami : « Il convient désormais d’inscrire un principe de rémunération proportionnelle des comédiennes et comédiens au titre de l’exploitation de leur travail notamment dans l’univers numérique ». • Transparence des relations auteurs-producteurs : La Scam estime qu’« une plus grande transparence dans les relations auteurs·rices-producteurs·rices et une meilleure connaissance des données d’exploitation des œuvres est essentiel à l’ère de la multiplication des moyens de diffusion et compte tenu de la place prise par certains acteurs étrangers ». L’Adami, elle, déclare que « ce rapport [reconnaît les artistes] comme “les perdants de la nouvelle donne numérique”. C’est un geste fort. Il devra inspirer les décisions législatives à venir ». • Fiscalité et financement de la création : La Scam considère que « les propositions relatives à une meilleure convergence des dispositifs fiscaux servant au financement de la création afin de faire contribuer équitablement acteurs historiques et ‘’nouveaux services’’ semblent de très bon aloi ». La taxe prélevée sur
le chiffre d’affaires publicitaire des plateformes vidéo pourrait être augmentée et son assiette élargie. L’UPC « salue le rééquilibrage du partage de la valeur ». Pour sa part, le SPI estime que « ces objectifs (…) doivent répondre aux enjeux de l’avenir du secteur, dans un contexte de fragilisation des acteurs par l’entrée des plateformes et GAFAN, mais aussi de remise en cause des systèmes de financement de la création (…), sur la base de l’ensemble des recettes liées à l’exploitation des œuvres et à laquelle les nouveaux acteurs doivent participer ». • Indépendance de la production : « Le SPI salue la définition proposée pour une réelle et nécessaire indépendance de
la production, exigeant l’absence de liens capitalistiques entre diffuseur et producteur. Elle doit s’articuler avec un encadrement des étendues de droits cédés. Il en va de la diversité et de la liberté de la création ». L’UPC, elle, souligne que « la production cinématographique indépendante est un pivot de la diversité des œuvres et du dynamisme de la création à l’ère numérique et qu’il est crucial de la développer ». • La radio numérique terrestre (RNT) : Le Sirti considère que « la volonté d’accélérer le déploiement de la radio numérique terrestre (DAB+) pour assurer l’émergence d’une offre radiophonique renouvelée » est « encourageante », tout en rappelant que l’équipement des récepteurs radio d’une puce DAB+ sera obligatoire« avec le lancement en décembre prochain du DAB+ à Lyon et Strasbourg ». • Les quotas francophones : Pour le Sirti, sera bienvenu « l’adaptation du dispositif des quotas francophones aux nouvelles réalités numériques » et « une simplification législative ».

L’ARP appelle à la poursuite des débats
Les débats vont se poursuivre. Les cinéastes de l’ARP, qui constatent « avec satisfaction que de nombreuses propositions positives et modernes, adaptées aux nouveaux usages », invitent à poursuivre les « débats constructifs », notamment aux Rencontres cinématographiques de Dijon qui se tiendront du 7 au 9 novembre prochains. @

Charles de Laubier

TVA des offres couplées « presse-accès » proposées par les FAI : ce qui change au 1ermars 2018

Après avoir bénéficié d’un délai de trois mois pour s’y préparer, Orange,
SFR, Bouygues Telecom et Free vont devoir appliquer à partir du 1er mars 2018 une nouvelle fiscalité à leurs forfaits triple play lorsqu’ils intègrent une offre
« presse » de kiosque numérique.

Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free sont les principaux opérateurs télécoms concernés par l’entrée en vigueur, le 1er mars 2018, des nouvelles règles de TVA applicables à leurs offres triple play qui intègrent une offre de presse en ligne via un kiosque numérique. Conformément à l’article 8 de la loi de Finances 2018, ces fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne pourront plus abuser de pratiques fiscales liées à la TVA qui consistaient jusque-là à surévaluer la partie de la facture soumise au taux super-réduit de TVA à 2,10 % sur la presse en ligne, au lieu des 20 % de TVA applicables.

Du « hold-up fiscal » (Spiil)…
A l’origine de cet abus, il y a la loi du 27 février 2014 qui a harmonisé les taux de la
TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne – à savoir sur le taux super-réduit de 2,10 %. Mais il fut reproché à Orange, SFR, Bouygues Telecom et
Free de pratiquer un détournement de TVA à leur profit, alors qu’ils n’en sont pas légitimement bénéficiaires, et ce au détriment de ceux à qui elle est réservée – en l’occurrence la presse imprimée et en ligne. Les FAI, qui ont bénéficié d’un délai de trois mois depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier de la loi de Finances 2018, doivent donc se mettre en conformité avec l’article 298 du Code général des impôts ainsi modifié :
« Sont également soumis aux mêmes taux de la taxe sur la valeur ajoutée les ventes, commissions et courtages portant sur les versions numérisées d’une publication (…) et sur les services de presse en ligne (…). Lorsque ces prestations sont comprises dans une offre, composée ou non de plusieurs autres offres, qui comprend l’accès à un réseau de communications électroniques (…) ou à un équipement terminal (…) ou la fourniture de services de télévision (…), le taux réduit est applicable au supplément de prix payé par le client par rapport à une offre identique, mais ne comprenant pas tout ou partie de ces mêmes prestations, commercialisée dans des conditions comparables ». Cette mesure qui devient obligatoire à partir du 1er mars 2018 a pour but de mettre
fin à ce que le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil)
– regroupant quelque 160 éditeurs de presse – dénonçait comme « un détournement fiscal pratiqué par les opérateurs téléphoniques depuis le lancement de leurs offres presse couplées » (1). Selon le Spiil, ce « hold-up fiscal » faisait peser sur le secteur de la presse trois risques majeurs : un risque fort de délégitimation de la TVA super-réduite pour la presse ; une dévalorisation des contenus de presse aux yeux du public ; des distorsions de concurrences nombreuses (2). « La gratuité apparente de ces offres envoie un message regrettable au marché : l’information de presse ne vaut rien. La valeur est dans de la contenant (l’abonnement au package média ou à l’opérateur téléphonique), mais pas dans le contenu », a mis en garde fin 2017 le syndicat présidé par Jean-Christophe Boulanger (président de Contexte). De plus : « Les offres presse se caractérisent par l’opacité des conditions d’accès et de rémunérations proposées aux médias participants. Il est ainsi impossible de savoir si le groupe Altice (SFR) favorise certains médias, soit qui lui appartiennent [Libération, L’Express, …, ndlr],
soit qu’il juge leur participation indispensable au succès de l’offre ».
C’est le 24 novembre 2017 au Sénat que la disposition a été adoptée sur proposition du gouvernement représenté en séance par Gérald Darmanin (photo), ministre de l’Action et des Comptes publics, lequel a plaidé en faveur de l’amendement modifiant le Code général des impôts sur ce point. « Les opérateurs téléphoniques proposent parfois des offres de presse en ligne et utilisent la TVA très basse pour motiver l’achat d’une presse bon marché, dont le rôle est moins important que la fiscalité dans leur offre générale – certains se souviendront des offres groupées triple play avec la télévision. Nous avons proposé un amendement pour remettre l’église au milieu du village – permettez-moi d’évoquer ce dicton populaire dans cette instance laïque –, en précisant que les opérateurs ont évidemment le droit, en lien avec les organismes de presse, d’utiliser la TVA à 2,10 % pour l’organe de presse, mais au prorata de l’utilisation de la presse dans cet abonnement », a-t-il prévenu.

… au « dumping fiscal » (gouvernement)
Et le ministre Darmanin d’ajouter : « Cet amendement, attendu par le secteur de la presse, est raisonnable. Il encourage la lecture de la presse sur les offres modernes que rend possible la technologie, et évite la pratique d’une sorte de “dumping fiscal”
qui permet d’utiliser la TVA réduite à autre chose qu’à la lecture de la presse. C’est, me semble-t-il, un amendement de bon sens ». Pour le gouvernement, il s’agit de réparer une erreur d’interprétation possible qui permettait aux opérateurs télécoms – « agents économiques » soumis au taux normal de TVA (20 %) – de profiter d’un vide juridique en utilisant le taux super-réduit de TVA destiné à la presse, à leur avantage. Les FAI considéraient ainsi que la proportion d’achat de la presse leur permettait d’élargir le bénéfice du taux réduit de TVA à d’autres activités.

1 milliard d’euros d’économie par an
SFR (groupe Altice) avait été le premier – avec son offre SFR Presse – à appliquer la TVA à 2,10 % sur une bonne partie des forfaits triple play payés par ses abonnés. Bouygues Telecom lui avait ensuite emboîté le pas, en s’appuyant sur la plateforme LeKiosk (également partenaire de Canal+). De son côté, Orange a intégré depuis l’automne dernier le kiosque ePresse qui avait été reprise par le groupe Toutabo. Potentiellement, selon une analyse de JP Morgan daté de juin 207, si les deux autres FAI – Orange et Free – avaient suivi, le total aurait représenté pour l’Etat une perte fiscale de 1 milliard d’euros sur une année ! Autrement dit, cette « cuisine » à la TVA peut permettre à chacun des opérateurs télécoms de générer une économie fiscale de plus ou moins 250 millions d’euros par an. C’est cet effet d’aubaine – coûteux pour le budget de l’Etat – que la loi de Finances 2018 a rendu hors-la-loi. En revanche, par ailleurs, le ministre de l’Action et des Comptes publics a refusé d’aller jusqu’à supprimer la TVA super-réduite à 2,10 %, dont bénéficie la presse en ligne depuis 2014, comme le lui demandait un amendement antérieur, déposé cette fois à l’Assemblée nationale en octobre dernier, mais aussitôt rejeté (3).
En voulant mettre un terme à ce qu’il désigne comme du « dumping fiscal » lié aux kiosques numériques des FAI, le gouvernement a voulu éviter des manipulations fiscales similaires à celles pratiquées il y a quelques années par les FAI dans leurs offres de télévision. En avril 2010, la Commission européenne avait d’ailleurs mis en demeure la France sur le fait que « le taux réduit [5,5 % au lieu de 19,6 % à l’époque, ndlr]est applicable sur la moitié du prix [de l’offre triple play], même si le client n’est pas matériellement susceptible de bénéficier du service de télévision en principe inclus dans l’“offre” ». Ce qui aux yeux de Bruxelles relevait d’une infraction aux règles fiscales européennes. Et le commissaire européen d’alors en charge de la Fiscalité reprochait que cette pratique illégale se soit faite avec l’aval du gouvernement français : « Cette mesure, issue de la loi [française] du 5 mars 2007 relative à la modernisation
de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, aurait été accordée comme “contrepartie” à la taxe prélevée sur les opérateur [les FAI, ndlr] pour le financement
du Cosip [compte de soutien à l’industrie des programmes cinématographiques et audiovisuels] » (4). A l’époque, La Fédération française des télécoms (FFTélécoms), Free, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sevad) s’étaient inquiétés de cette remise en cause
de la TVA à 5,5 % sur le triple play. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique (Sacem) avait, elle, craint un risque de « pénaliser le développement des offres légales en ligne ». Le monde du 7e Art français, par la voix de l’Association des producteurs de cinéma (APC, devenue par la suite UPC), avait critiqué ouvertement Free accusé « de faire une économie sur le dos de la création cinématographique et audiovisuelle, en ayant pour objectif de réduire drastiquement l’assiette de la taxe destinée à cette dernière, qui est perçue par le CNC, tout en continuant plus que jamais à faire des œuvres un “produit d’appel” » (5). Un soir de septembre 2010, Nicolas Sarkozy – du temps où il était président de la République – avait annoncé aux organisations du cinéma français que le gouvernement leur garantirait le financement des films via le fonds Cosip à l’occasion du projet de loi de Finances 2011. Ce qui fut fait en décembre 2010 avec l’adoption du texte qui prévoyait le maintien de la contribution des FAI calculée sur 45 % de leur chiffre d’affaires triple play. Aujourd’hui, soit près de huit ans après ce coup de semonce de Bruxelles, l’article 279 du Code général des impôts a levé toute ambiguïté fiscale :« La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 10 % en ce qui concerne (…) les abonnements souscrits par les usagers afin de recevoir les services de télévision (6). (…) Néanmoins, lorsque les droits de distribution des services de télévision ont été acquis en tout ou partie contre rémunération par le fournisseur des services, le taux réduit de 10 % est applicable à la part de l’abonnement correspondante. Cette part est égale aux sommes payées, par usager, pour l’acquisition des droits susmentionnés » (7).
Il restait à se mettre d’accord entre députés et sénateurs sur le délai d’entrée en vigueur de l’article 4 de la loi de Finances concernant cette ventilation des taux de TVA au sein des offres Internet. Au départ, la disposition devait s’appliquer au 1er janvier 2018 en même temps que la loi. Puis, dans un second temps, les sénateurs ont repoussé l’entrée en vigueur de la mesure au 1er juin 2018 pour laisser six mois aux FAI afin de se retourner.

Délai réduit de six à trois mois
Mais c’était sans compter les députés qui ont ramené le délai à cinq mois, au 1er mai 2018. Finalement, le gouvernement a déposé mi-décembre un amendement pour mettre d’accord tout le monde sur la date du 1er mars 2018 : réduire de cinq mois à deux mois le moratoire est apparu suffisant pour que les FAI aient le temps d’adapter leurs offres aux nouvelles règles fiscales et de mettre à jour leurs logiciels de facturation. @

Charles de Laubier

Velléité de réforme de la redevance audiovisuelle : serpent de mer d’une taxe devenue obsolète

La redevance audiovisuelle a 30 ans. Depuis le 1er janvier 1987, elle ne concerne que les détenteurs d’un téléviseur pour financer chaînes et radios publiques ainsi que les archives audiovisuelles. La généralisation des écrans numériques la rende archaïque, mais sa réforme est une arlésienne !

Depuis plus de dix ans maintenant que le débat est lancé sur la réforme nécessaire
de la redevance audiovisuelle, la France continue d’appliquer une taxe archaïque pour le financement de l’audiovisuel public. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de réformer cette taxe du PAF (1) public. En 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin avait écarté l’idée de « redevance sur Internet », qui avait pourtant été avancée à l’époque par le ministre de la Culture et de la Communication (2) et le ministre délégué au Budget (3).

Déjà 10 ans d’occasions manquées
Résultat : la loi « Télévision du futur » de mars 2007 n’a pas réformé la redevance audiovisuelle. Ce fut une première occasion manquée (4). En 2008, Jean Dionis du Séjour, alors député, monte au créneau et propose une extension de la redevance aux abonnés triple play qui peuvent regarder la télévision sur leur écran d’ordinateur (les tablettes étant encore quasi inexistantes). Il propose même que cette taxe soit fixée à la moitié du montant de la redevance. En vain. Il faudra un rapport de juin 2010 – coécrit par Catherine Morin-Desailly et Claude Belot – pour relancer le débat de la réforme de la redevance audiovisuelle en préconisant de l’appliquer aussi aux ordinateurs recevant la télé, tout en l’augmentant. Les auteurs seront entendus puisqu’en novembre 2010 Philippe Marini, alors sénateur, propose en commission des Finances un amendement d’extension de la redevance télé aux ordinateurs et aux tablettes – mais il est ensuite contraint de le retire.
Alors que les candidats à l’élection présidentielle de 2012 feront l’impasse sur le sort de la redevance audiovisuelle – à part Eva Joly, à l’époque candidate d’Europe Écologie Les Verts, qui évoque devant la Société des journalistes de l’audiovisuel public « la fusion entre la redevance TV et les abonnements aux différents systèmes de diffusion des textes, des images et des sons » –, la question reviendra au-devant de la scène en juin 2012, évoquée cette fois par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) (5). Mais en juillet 2012, Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au Budget, rejette l’idée d’étendre la redevance audiovisuelle aux ordinateurs telle que l’avait exprimée quelques jours auparavant Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et
de la Communication, notamment félicitée sur ce point par la Société civile des auteurs multimédias (Scam). A Bercy, le Budget a dit non au nom du gouvernement. Fermez le ban !
Comme si l’extension de la redevance audiovisuelle à d’autres écrans restait décidément un sujet tabou en France. En réalité, les gouvernements français successifs ont toujours craint l’impopularité d’une telle mesure et le risque encouru en termes de fracture numérique et de taux d’équipement des ménages (6). C’était dans compter la pugnacité de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui, en novembre 2012, préconise à nouveau d’étendre la redevance audiovisuelle « à tous les terminaux équipés pour recevoir la télévision ». Or le Code général des impôts stipule que la redevance est due lorsque l’on détient un récepteur de télévision ou… un « dispositif assimilé », c’est-à-dire – selon une instruction du 6 juillet 2005 : magnétoscopes, lecteurs ou lecteurs-enregistreurs DVD, vidéoprojecteurs équipés d’un tuner ou encore démodulateurs de signaux provenant d’un satellite.
Mais, y précise-ton sans explication, « les ordinateurs équipés pour la réception des chaînes de télévision ne sont pas taxés ». Ainsi, en France, le Code général des impôts prévoit bien depuis plus de dix ans que la redevance audiovisuelle peut être appliquée à tout détenteur d’un appareil capable de recevoir la télévision. Mais cette disposition n’est pas appliquée ! Aurélie Filippetti, toujours ministre de la Culture et de la Communication en juin 2013, en profite pour suggérer que « le [contribuable] pourrait déclarer s’il consomme de la télévision publique, quel que soit le support », rejoignant ainsi David Assouline, alors sénateur, qui propose lui aussi d’étendre la redevance télé aux nouveaux écrans. En août 2013, Martin Ajdari, alors secrétaire général de France Télévisions, déclare à son tour : « [On doit pouvoir] moderniser l’assiette de la redevance, l’adapter peut-être à l’évolution des usages comme cela a été fait cette année en Suisse, en Suède ou en Allemagne » (voir encadré page suivante).

Elargir l’assiette aux écrans ou aux foyers
Le président de France Télévisions, alors Rémy Pflimlin, milite pour cette réforme
– tous les écrans pour rapporter plus – et le fait savoir en septembre 2013 rue de
Valois : « Il doit y avoir aujourd’hui une analyse de la redevance liée au foyer plus qu’à la possession d’un téléviseur. Cela permettrait d’avoir un peu plus de recettes » (7). Un élargissement de l’assiette de la redevance à tous les foyers français pourrait rapporter encore plus, dans la mesure où 3,3 % d’entre eux déclarent aujourd’hui ne pas posséder de téléviseur et échappent donc à la redevance.
Près d’un an après, en août 2014, Véronique Cayla, alors présidente d’Arte, lance une piqure de rappel en réclamant que « la redevance télé soit élargie aux foyers qui possèdent un ordinateur ou une tablette ». Quelques jours auparavant, une source
à Bercy indiquait qu’un moniteur connecté à une « box » était soumis à la redevance télé… En septembre 2014, Fleur Pellerin, qui vient de succéder à Aurélie Filippetti en tant que ministre de la Culture et de la Communication, tente relancer le débat : « Il va falloir engager une réflexion, voir s’il y a d’autres pistes à explorer à côté de la redevance ».

Faire payer tous les foyers fiscaux ?
Quelques jours avant elle, Mathieu Gallet, devenu PDG de Radio France après avoir présidé l’INA durant quatre ans, avait entretenu la réflexion : « La question d’une révision de l’assiette de la [redevance audiovisuelle] se pose », avec les tablettes et
les smartphones. Le président de la République, à l’époque François Hollande, s’est pour la première fois exprimé publiquement, lors d’un colloque au Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA) en octobre 2014, en souhaitant « une assiette plus large et plus juste » de la redevance audiovisuelle pour prend en compte les ordinateurs, les tablettes et les smartphones – et non plus seulement l’écran de télévision. Mais le chef de l’Etat d’alors avait aussi en tête une autre idée avancée un peu trop vite fin 2013, à savoir la création à terme d’« un grand service public audiovisuel », dont les différentes sociétés qui la composent ont déjà la redevance audiovisuelle comme ressource commune (8).
En février 2015, le rapport Schwartz – du nom de l’exdirecteur financier de France Télévisions, Marc Schwartz – sur France Télévisions recommande au gouvernement
« que l’élargissement de l’assiette de la CPA [contribution à l’audiovisuel public] soit mis en chantier dès maintenant, pour pouvoir être voté, dans la mesure du possible, dès le projet de loi de Finances pour 2016 » (9). Une fois ce rapport remis à Fleur Pellerin, celle-ci précise début septembre 2015 qu’« il n’est pas question de taxer les smartphones ou les tablettes » pour élargir l’assiette de la redevance, mais que son
« extension aux boxes » des fournisseur d’accès à Internet (FAI) est « une option ». Alors que Axelle Lemaire, à l’époque secrétaire d’Etat au Numérique, déclare qu’elle
n’y est « pas tellement favorable ». Nommée en août 2015 présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci – ancienne directrice exécutive d’Orange France – se dit, elle, favorable à une extension de la redevance audiovisuelle aux écrans numériques – «à l’allemande, en l’élargissant à d’autres supports » (10). Le lancement fin août 2016 sur Internet de la chaîne publique d’information Franceinfo – avant la TNT en septembre – pour s’interroger à nouveau sur l’éventualité d’une hausse de la redevance audiovisuelle et de son extension à tous les terminaux numériques. Ainsi,
le rapport du député Jean-Marie Beffara publié en juillet 2016 se demandait déjà si la disponibilité en mode « multimédia et multisupport » de la chaîne publique d’information ne démontre pas l’ambition de l’audiovisuel public de penser cette chaîne de télévision au-delà du petit écran traditionnel. Le député abonde dans ce sens en parlant de
« réforme de bon sens au regard du positionnement numérique de la nouvelle chaîne » et plaide en faveur d’« une réforme qui s’inscrirait dans une approche neutre du point de vue des supports utilisés pour accéder au service public audiovisuel » (11). Puis, le projet de loi de Finances pour 2017 d’il y a un an a fait l’impasse sur la réforme de la redevance – néanmoins augmentée d’un euro à 138 euros.
Et il devrait en être de même pour le PLF 2018, passant à 139 euros que devront payer plus de 23 millions de foyers en France (12). « Je souhaite qu’un débat soit ouvert autour notamment d’un élargissement de l’assiette. Nous avons lancé les travaux, ils aboutiront dans les prochains mois », s’est engagée à son tour l’actuelle ministre de la Culture, Françoise Nyssen, lors d’une audition fin octobre 2017 devant la commission Culture, Education et Communication du Sénat (commission présidée par Catherine Morin-Desailly). Ce ne sera donc pas avant le PLF 2019 ! A moins des amendements ne viennent bousculer le gouvernement lors des débats en cours sur le projet de loi de Finances pour 2018. Quant à la proposition de « redevance universelle et automatique [payée par]chaque foyer fiscal » lancée début novembre 2017 par Mathieu Gallet (13), elle est la énième idée avancée en dix ans. @

Charles de Laubier