Films, musiques, sports, … : vers la portabilité transfrontalière des contenus en ligne

Le règlement européen sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne vient d’être approuvé par les ministres de la Concurrence, pour que l’accès aux œuvres culturelles et aux événements sportifs puisse se faire dès 2017 sans frontières au sein du marché unique numérique.

Les ministres européens de la Concurrence ont approuvé le 26 mai, lors d’un Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, le règlement qu’avait présenté la Commission européenne pour instaurer dès l’an prochain la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne. Les représentants permanents
des Etats membres l’avaient validé le 13 mai. Les négociations vont pouvoir commencer avec le Parlement européen, dont le vote devrait intervenir à l’automne prochain – a priori en octobre, selon nos informations.

Du roaming mobile au roaming audiovisuel
Il s’agit de lever les restrictions qui empêchent les Européens – lorsqu’ils se rendent dans un autre pays que le leur au sein du marché unique numérique – de se voir privés d’accès aux films, aux séries télé, à la musique, aux livres numériques, aux jeux vidéo ou encore aux retransmissions sportives, pour lesquels ils ont pourtant souscrit un service en ligne dans leur pays d’origine. Comme il s’agit d’un règlement, ses dispositions seront directement applicables par les Vingt-huit. La portabilité transfrontalière des contenus sera alors une réalité en 2017, soit la même année où
les frais d’itinérance mobile dits de roaming prendront fin dans l’Union européenne. Comme l’usage des smartphones et des tablettes 3G/4G est plébiscité (surtout par
la jeune génération) pour accéder à la vidéo à la demande (VOD), à la musique en ligne ou encore aux offres illimitées de livres numériques, le besoin de « roaming audiovisuel » sans surcoût se fait plus pressant.
De quoi accélérer la mise en oeuvre du marché unique numérique dont Jean-Claude Juncker (photo), président de la Commission européenne, a fait son cheval de bataille avec Andrus Ansip et Günther Oettinger (1). Leur objectif : élargir l’accès aux contenus culturels et sportifs dans toute l’Europe. Jusqu’alors, un abonné de Netflix en France qui se rend en Allemagne ne peut pas visionner les films proposés par Netflix aux abonnés allemands. De même, celui qui a l’habitude d’utiliser un service de VOD en France ne peut pas regarder les films désirés lorsqu’il est en voyage d’affaires au Royaume-Uni par exemple. Un abonnés français à Canal+ est lui aussi cantonné à l’Hexagone. Or, pour la Commission européenne et les ministres de la Concurrence, ces situations de géo-blocages pour des questions de propriété intellectuelle ne sont plus tenables. Les Européens doivent pouvoir bénéficier de la portabilité transfrontalière des contenus qu’ils paient, quels que soient les pays de l’Union où ils se rendent. Il s’agit en même temps de permettre une meilleure circulation des contenus, d’offrir un plus grand choix aux Européens et de renforcer la diversité culturelle. La Commission européenne entend en outre améliorer la distribution transfrontalière de programmes
de radio et de télévision en ligne, en réexaminant la directive « Câble et satellite » (2). Mais les industries culturelles et leurs ayants droit ont exigé que soit prévu dans le règlement « Portabilité transfrontalière » un critère temporel, c’est-à-dire que la présence de l’utilisateurs en dehors de son pays d’origine soit provisoire (passagère
et courte). Ce critère temporel vise à éviter une trop large interprétation qui risquerait, selon eux, d’être l’équivalent d’un accès permanent transfrontalier à leurs œuvres.
Ils y voit une violation du principe de territorialité, qui leur permettent par le jeu des exclusivités géographiques d’optimiser la monétisation de leurs contenus culturels.

Pour contourner les restrictions liées aux droits d’auteur, certains utilisateurs ont recours à des VPN (3) qui leur permettent de simuler une connexion provenant de France et d’accéder ainsi aux catalogues français depuis l’étranger. Ce contournement du filtrage géographique déplait non seulement aux ayants droits, mais aussi à… Netflix, qui doit se soumettre au géo-blocage exigé par ces premiers. La plateforme mondiale de SVOD est parti en guerre contre ces réseaux privés virtuels ou les serveurs dits proxy ou unblockers en bloquant les adresses IP associées. Par exemple, le prestataire technique NordVPN permet d’accéder en Europe à Netflix aux Etats-Unis.

Netflix contre les VPN anti-blocages
« Nous faisons des progrès dans l’obtention de licences d’envergure mondiale pour
les contenus et nous offrons maintenant notre service dans 190 pays, mais nous avons encore du chemin à faire avant que nous puissions offrir aux gens les mêmes films et séries TV partout dans le monde. (…) En attendant, nous continuerons à respecter et faire respecter l’octroi de licence de contenu par zone géographique », avait prévenu
en début d’année Netflix (4). Est-ce la fin du jeu du chat et de la souris ?
Le règlement « Portabilité transfrontalière » pourrait donner un coup de frein en Europe aux VPN, lesquels seront cependant toujours prisés. @

Charles de Laubier

La neutralité du Net, première étape très attendue vers le marché unique numérique

La Commission européenne mène jusqu’au 7 décembre une consultation publique en vue de la révision de l’actuel « Paquet télécom ». Cette initiative constitue l’étape suivante après l’accord, conclu en juin dernier, visant à supprimer les frais d’itinérance et garantissant un Internet ouvert.

Next Gen Regulation

Ce mois-ci, la décision vient de tomber dans les rédactions : les régulateurs états-unien et européen se sont mis d’accord pour que soit étudiée la disparition à terme des coûts du roaming entre les nations de ces deux continents. Ce précédent ouvre la voie, pour le reste de la planète, à la fin de la surtaxe des appels passés de son portable depuis l’étranger. A l’heure de l’universalité des services mobiles,
il s’agissait de l’un des symboles fort de la matérialisation d’un marché enfin unique des télécoms souhaité par les Européens. Réalisé avant 2020, la fin du roaming à l’échelle de l’Union européenne n’a cependant pas été obtenue sans d’âpres négociations. C’est la parfaite illustration de l’équilibre complexe auquel les régulateurs en charge des industries de communication doivent parvenir : obtenir le maximum d’avantages pour les consommateurs, tout en préservant de grands objectifs collectifs à long terme comme la capacité à investir dans les technologies du futur. Mais comme la gouvernance du monde est un vieux rêve de l’humanité, avant d’être une belle utopie en construction se heurtant aux mille-feuilles des nations, la règlementation de l’économie numérique est un chantier permanent et sujet à toutes les controverses. Le commun des mortels, lui, a du mal à s’intéresser aux subtilités byzantines d’autorités administratives dont les prérogatives sont souvent mal connues.

« Les régulateurs se retrouvèrent
à la remorque d’une industrie numérique
soumise à une accélération sans précédent. »

Il est vrai que le jeu combiné des lois du marché et de la régulation donne lieu, selon les domaines et les secteurs où il s’applique, à de bien surprenants résultats. Pourquoi trois, quatre ou cinq opérateurs télécoms par pays ? Quelle logique pour dire que telle ou telle chaîne est gratuite ou payante sur la TNT ? Quelles forces président à ce qu’il n’y ait pas de place pour plus de trois OS dominants ou qu’il y ait moins de dix géants du Net ? Qui
le décide ? D’autant qu’à travers les âges et selon les latitudes, l’exercice de la régulation varie énormément. Et la séparation des pouvoirs délégués à des autorités indépendantes est relativement récente.
Les pouvoirs de réglementation, d’investigation, d’injonction ou de sanction sont autant de prérogatives qui signent la maturité d’une démocratie acceptant de se doter d’institutions autonomes pour réguler des pans entiers de l’industrie. Pour l’Europe, cela relevait d’un vrai casse-tête : arriver à harmoniser des politiques nationales très diverses. Rien qu’en France, le numérique pouvait être administré par de nombreuses agences, selon qu’il s’agissait de télécoms, de télévision, de fréquences, ou de surveillance de l’Internet.
Mais après l’électrochoc numérique qui fragilisa les champions européens des télécoms, les maîtres mots de ces dix dernières années ont été allègement et simplification de la régulation. L’un des déficits de la réglementation, et plus largement des politiques publiques, fut d’avoir trop tardivement pris en compte l’extraordinaire transformation qui s’imposait aux opérateurs – eux-mêmes tardant à se remettre en question. Finalement, sur le moyen terme, l’intérêt des consommateurs et des fournisseurs pour l’innovation aurait dû compter tout autant que les exigences de baisse des prix – imposée aux opérateurs comme sur le roaming ou orchestrée par ces derniers comme sur le triple play.
Les régulateurs, qui furent à la manœuvre durant la décennie précédente, se retrouvèrent à la remorque d’une industrie numérique qui connaît une accélération sans précédent des usages connectés grâce à l’Internet, et une restructuration profonde des industries des télécoms et des médias. La course poursuite effrénée dure encore entre les entreprises européennes et leurs « prédateurs » venus d’ailleurs, les pouvoirs publics en quête d’une reprise en main de leur stratégie industrielle et les régulateurs contraints, eux aussi, à la réorganisation forcée par la convergence. Le régulateur européen, tant attendu, préside aujourd’hui à une Europe des télécoms et des médias enfin entrée dans une phase de développement continentale, les régulateurs nationaux étant focalisés sur des problématiques plus locales. Un accouchement douloureux qui a fait mentir Stephen Hawking pour qui « il n’est pas clair qu’à long terme l’intelligence soit une valeur de
survie ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : La gouvernance du Net
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/en2025).
Sur le même thème, lire « Grandes manœuvres
dans les télécoms ? », par Yves Gassot (http://lc.cx/YG).