Le smart contract est déjà là : osons la vitesse sans la précipitation, tant en France qu’en Europe

Le Data Act, en vigueur depuis le 11 janvier 2024, est le premier texte européen à prendre en compte les « smart contracts ». C’est l’occasion de revenir sur ces « contrats à exécution automatique conditionnelle » qui avaient fait l’objet l’an dernier d’un livre blanc paru en France (1).

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA

La révolution numérique poursuit son œuvre de digitalisation, notamment de l’économie. Son développement ultime va probablement aboutir d’abord à la dématérialisation des actifs (à savoir les produits, les services et la monnaie permettant de les échanger), puis à l’automatisation de leurs échanges. Pour ce faire, l’outil idoine est connu sous l’appellation anglo-saxonne de « smart contract » (2) Il s’agit d’un protocole informatique organisant l’échange automatique d’actifs dématérialisés enregistré sur une blockchain.

Les smart contrats devancent la loi
Nous partons du postulat que cet outil – qui peut être traduit en français par « contrat à exécution automatique conditionnelle » (3) – a un très bel avenir et qu’il rencontrera la faveur des consommateurs, en raison de son apparence de facilité et de rapidité. Le smart contract est donc une nouvelle page blanche de notre histoire économique.
Les enjeux. Il appartient aux professionnels français et européens de contribuer à la détermination des standards du smart contract et/ou des sujets sur lesquels une vigilance particulière sera nécessaire. A ce jour, le smart contract constitue ce que l’on peut appeler un « OJNI » : un objet juridique non-identifié. Pourtant, il est aujourd’hui omniprésent, comme en attestent les millions de transactions – permettant la conversion entre la monnaie dite « fiat » (relevant de la politique monétaire des banques centrales des Etat) et la cryptomonnaie – opérées quotidiennement sur les différentes blockchains. Le fait précède donc la règle de droit.
Même si le smart contract semble actuellement s’affranchir significativement des lois existantes, c’est uniquement parce que lesdites lois ne sont pas (encore) adaptées aux situations nouvelles créées par ce type de contrat à exécution automatique conditionnelle. Le smart contract ne pourra pas durablement se développer, sur le territoire français, dans l’ignorance des règles juridiques européennes, qui sont le fruit de la lente recherche d’un équilibre entre les deux parties au contrat. C’est cet équilibre ancien qui va devoir être adapté à la situation nouvelle du smart contract. Le premier pas a été franchi par l’Union européenne (UE) avec l’adoption du Data Act (4). Dans son article 36, ce règlement européen pose à la fois des principes et organise des procédures (voir encadré page suivante). Alors que les entreprises commencent à réimaginer leur avenir, elles ont la possibilité d’explorer comment la technologie blockchain va pouvoir stimuler leur croissance. L’un des principaux avantages de la blockchain est son potentiel de création, de stockage et de partage d’informations sensibles en ligne. Les contrats, les documents d’identité, les certificats, les dossiers officiels et les accords peuvent tous être vérifiés de manière sûre et sécurisée. Dans cette logique, le smart contract apparaît être un outil essentiel et une étape supplémentaire. En effet, ce contrat à exécution automatique conditionnelle exécute justement automatiquement des conditions prédéfinies et inscrites dans une blockchain.
Dans ce contexte, réguler le smart contract et se préparer à son essor apparaissent comme des priorités pour les droits européen et français. Cela d’autant plus que les principaux systèmes juridiques ont déjà entrepris de démontrer en quoi ils étaient les mieux adaptés à l’essor du smart contract. C’est ainsi que, dès 2018, un rapport est paru en Grande-Bretagne en vue de démontrer que le système juridique britannique était le seul à même d’assurer un essor pérenne du smart contract. Même si on doit rendre hommage au travail réalisé par nos collègues anglais, nous sommes au regret de ne pas partager leurs conclusions selon laquelle c’est le droit anglais qui serait le mieux adapté pour réguler le smart contract – surtout depuis le Brexit…

Enjeux de souveraineté et d’équité
Le contrat à exécution automatique conditionnelle relève aussi d’un enjeu de souveraineté. La nécessité de réguler le développement du smart contract s’impose, d’abord, dans une démarche de souveraineté européenne. Ne pas contribuer à la détermination des standards reviendra de fait à la soumission au standard adopté par d’autres. Il relève aussi d’enjeu d’équité. Cette nécessité d’équité s’impose afin que le smart contract ne devienne pas un outil de spoliation au service d’une minorité. Le smart contract n’est en réalité qu’un simple outil qui n’est ni bon ni mauvais par nature. Dès lors, selon ce que nous en ferons, il pourrait devenir soit un outil de progrès contribuant à l’amélioration des affaires humaines, soit un outil de spoliation… En ce qu’ils placent la personne et non la marchandise en leur centre, les droits français et européen possèdent tous les atouts pour une régulation du smart contract permettant de faire peser la balance du bon côté entre « outil progrès » et « outil spoliation ».
Les recommandations. Huit recommandations concrètes ont vocation à permettre à l’UE, et donc à la France, de devenir une terre d’accueil pour des smart contracts conformes aux règles et valeurs françaises et européennes. Ces recommandations visent à la fois les « sujets » du smart contract et l’« objet » du smart contract.

Livre blanc : ses huit recommandations
Les recommandations relatives aux « sujets » du smart contract :
Eduquer les consommateurs.
Même s’il n’est qu’un outil, le smart contract est aussi la pièce d’un puzzle beaucoup plus large. Ce faisant, appréhender le smart contract impose de comprendre les autres pièces avec lesquels il est destiné à s’emboîter de manière à former le puzzle numérique. L’étude du smart contract ne peut donc être décorrélée de celle du Web3. Le développement durable du smart contract suppose la confiance du consommateur et du professionnel. Parce qu’une telle confiance ne peut être construite sur une méconnaissance des risques induits par le recours au smart contract, il est indispensable d’éduquer les consommateurs et de forger leur esprit critique pour leur permettre de déjouer d’éventuels pièges.
Eduquer les professionnels vendeurs. En parallèle de l’éducation des consommateurs, il est au moins aussi essentiel d’éduquer les professionnels vendeurs. En effet, ces derniers devront apprendre à recourir au smart contract afin de répondre à la demande de simplification du processus contractuel émanant des consommateurs.
Développer les développeurs. Disposer, d’une part, de consommateurs désireux d’avoir recours à la technologie pour se simplifier leur quotidien et, d’autre part, de professionnels susceptibles d’offrir leurs produits et leurs services ne suffira pas pour permettre l’essor des smart contracts. Encore faudra-t-il que des développeurs puissent les coder conformément aux attentes des parties.
Impliquer les juridictions et créer une juridiction spécialisée. Dès lors que le juge ne saurait être écarté du smart contract, il est indispensable d’impliquer les juridictions dès aujourd’hui dans la supervision de ces contrats à exécution automatique conditionnelle. Cette implication devra toutefois être pensée avec attention, notamment quant au moment d’intervention du juge dans les litiges impliquant des smart contracts.
Impliquer les autorités répressives. Des smart contracts frauduleux pourraient voir le jour. Aussi, convient-il d’envisager une implication des autorités répressives afin de permettre notamment une éradication sans délais de tels smart contracts qui auraient été signalés par des consommateurs.
Les recommandations relatives à l’objet du smart contract :
Encourager et accélérer l’essor des monnaies numériques de banque centrale (MNBC). L’essor de l’euro numérique constituerait un remède à l’instabilité de la valeur des cryptomonnaies, qui est de nature à entraver le développement des smart contracts. Dans ce contexte, il faudra non seulement que l’euro numérique soit effectivement mis en circulation dans l’UE, mais encore que la pratique se saisisse de cette monnaie.
Encourager la standardisation sous condition du smart contract. L’établissement de standards internationaux de smart contracts suppose deux volets : les conditions d’établissement de tels standards (dans la transparence) et leur contenu. Il pourrait notamment être envisagé que ces standards contiennent, d’une part, une liste des instruments à mobiliser lors du recours à un smart contract et, d’autre part, un tronc commun assimilable à des conditions générales (auquel pourraient s’ajouter des modalités de personnalisation).
Anticiper une nouvelle conception du règlement des litiges liés à l’utilisation des smart contracts. Les smart contracts n’engendreront pas une disparition des litiges ; il serait donc opportun d’anticiper une nouvelle conception du règlement des litiges les concernant. Dans cette optique, il pourrait notamment être envisagé d’opérer un traitement différent des litiges tenant aux conditions objectives du smart contract et des litiges tenant à ses conditions subjectives. Dans tous les cas, le développement de modes alternatifs de règlement des différends est à favoriser.

Un OJNI en cours d’identification
Ainsi, ce n’est que le tout début de l’histoire des contrats à exécution automatique conditionnelle. Cet OJNI est en passe d’être régulé et encadré par le droit positif, afin que le quasi vide juridique l’entourant fasse place à une sécurité juridique pour favoriser des smart contracts dans toutes les strates de l’économie numérique. La régulation est en marche, à commencer par le Data Act : c’est maintenant qu’il faut s’impliquer. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

La France veut aboutir en 2020 à la signature d’un « contrat de filière commun» aux industries culturelles

Avec des « Etats généraux des industries culturelles et créatives » qui se déroulent de décembre 2019 à mars 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, veut faire de l’« exception culturelle » française une filière industrielle à part entière avec la création d’un « comité stratégique de filière ».

La musique, le cinéma, le livre, l’audiovisuel, le jeu vidéo, les créations numériques, les arts visuels, le spectacle vivant, la presse, la radio, l’architecture, … L’objectif du chef de l’Etat est de « structurer les différents secteurs en une véritable filière » (1). Pourquoi ? Parce que tous ces secteurs des industries culturelles et créatives (ICC) sont confrontés à des défis communs, parmi lesquels la révolution numérique, la blockchain (chaîne de blocs) et l’intelligence artificielle (IA). Se posent aussi pour toutes les questions de financement de la création, d’exportation des oeuvres à l’international ou encore de formation.

Faire face à la révolution numérique
« Les secteurs qu’elles représentent en France pèsent 640.000 emplois et 91 milliards d’euros de chiffre d’affaires. C’est pour leur faire bénéficier pleinement de ce potentiel économique que nous lançons, les Etats généraux des industries culturelles et créatives (ICC) », a déclaré Franck Riester, ministre de la Culture, le 28 novembre dernier, en présence de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances. D’après le 3e Panorama des ICC, réalisé par le cabinet EY (ex-Ernst & Young), publié le jour même (2), la valeur ajoutée des ICC est de 47,5 milliards d’euros, soit 2,3 % de l’économie nationale – « un poids économique comparable à celui de l’industrie agroalimentaire et 1,9 fois plus important que celui de l’industrie automobile » (dixit EY).
A ceci près que le « chiffres d’affaires » de cette étude commanditée par le lobby des industries culturelles elles-mêmes – France Créative (3), qui dénonce depuis sa création en 2012 un « transfert de valeur » au profit des plateformes numériques (4) – mélange revenus directs et subventions publiques. Ces aides de l’Etat et des collectivités territoriales pèsent tout de même 16,6 milliards d’euros dans le « chiffre d’affaires » des ICC sur l’année 2018. Et encore, cette subvention globale dont bénéficient les industries culturelles ne prennent pas en compte les crédits d’impôts dont elles bénéficient chaque année (5). Par exemple, le crédit d’impôt du jeu vidéo (CIJV) instauré en 2017 fait que près d’un tiers des dépenses de production de ce secteur sont aujourd’hui défiscalisées. Ne sont pas non plus comptées les avances annuelles à l’audiovisuel public (environ 3,9 milliards d’euros via la redevance audiovisuelle) ni les dépenses fiscales en matière de culture et de communication (autour de 1,5 milliard d’euros). Ce montant de 16,6 milliards de subventions publiques exclut également les allocations octroyées dans le cadre du régime des intermittents du spectacle. Dès lors, la comparaison avec d’autres secteurs de l’économie française est sujette à caution.
Mais revenons aux motivations des Etats généraux des ICC, lesquels doivent aboutir à « l’installation d’un comité stratégique de filière en avril 2020 et à la signature d’un contrat stratégique de filière des industries culturelles et créatives [CSF ICC, ndlr] d’ici fin 2020 », sous l’égide d’Emmanuel Macron (photo). Pour préparer cette échéance, le gouvernement a lancé une consultation préalable en ligne (6), à laquelle les professionnels des secteurs culturels concernés ont jusqu’au 31 décembre prochain pour y répondre. La synthèse des contributions sera remise en mars 2020 au président de la République, qui installera le mois suivant le bureau du CSF ICC (bureau composé de 10 à 15 membres représentants du secteur privé, de l’Etat et des organisations syndicales), afin de parvenir à la définition et à la signature du contrat de filière en novembre 2020.
La mise en œuvre du contrat de filière des industries culturelles s’étalera alors jusqu’en novembre 2023. « Les industries culturelles et créatives (…) sont devenues un enjeu majeur pour la compétitivité, l’attractivité et le développement de notre économie. La révolution numérique a largement contribué à l’accélération de ce phénomène et à la profonde mutation du secteur. (…) Dans le même temps, l’ouverture et l’intensification de la concurrence internationale qui en découlent rendent indispensables l’élaboration d’une stratégie nationale concertée », justifie le gouvernement dans sa note explicative (7).

La culture, une industrie comme les autres
Ainsi, à l’instar de dix-huit autres filières telles que l’automobile, l’agroalimentaire, l’aéronautique, la mode & luxe ou encore la transformation & valorisation des déchets qui ont chacune leur propre comité stratégique de filière (CSF), les industries culturelles et créatives sont, elles aussi, appelées par le gouvernement à se regrouper au sein d’un CSF. Et ce, dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), créé en 2010 et placé sous la houlette du Premier ministre et du ministre de l’Economie et des Finances. @

Charles de Laubier