Pourquoi la ministre Fleur Pellerin s’en prend à Free

En fait. Le 25 septembre, s’est tenu le colloque « Territoires numériques » de l’Arcep. Si la fibre optique était au cœur des débats, la ministre déléguée en charge de l’Economie numérique a en a profité pour défendre les industries culturelles et le financement du cinéma français face aux réseaux.

En clair. C’est un coup de gueule qu’a poussé Fleur Pellerin en ouvrant le colloque de l’Arcep sur les territoires numériques. Pourtant, rien dans le programme de cette journée n’était vraiment prévu sur les industries culturelles. Verbatim : « Vous le savez, il y a cette discussion difficile avec la Commission européenne à propos de la TST, la taxe sur les distributeurs de services de télévisions, que paient, parmi d’autres, les opérateurs télécoms pour financer le CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée.
Cette taxe est menacée parce qu’on ne peut pas empêcher un opérateur télécom [en l’occurrence Free, tout juste rejoint par SFR, ndlr] de proposer un prix très faible pour
les seuls services audiovisuels (par exemple 1,99 euros TTC pour ne pas le citer) dans
le cadre d’une offre triple play ou quadruple play. Or, la taxe porte uniquement sur le chiffre d’affaires audiovisuel des opérateurs télécoms, et le droit communautaire interdit de l’élargir à l’ensemble du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms. Aujourd’hui, seul un opérateur profite [depuis le 29 décembre 2010, ndlr] de cette faille de la législation. C’est pour le moment un problème d’équité entre opérateurs télécoms. Certains paient plus que d’autres. C’est un premier problème. Mais surtout, demain, rien n’empêchera les autres opérateurs de s’aligner [c’est justement le cas depuis le 25 septembre de SFR qui facture désormais séparément 3 euros TTC son offre TV, ndlr]. Alors, ce sont les ressources du CNC (1) et sa mission d’exception culturelle qui seront en danger. Je le dis devant vous, je ne serai pas la ministre de l’Economie numérique qui laissera ce dispositif de financement du cinéma français se déliter » (2).
Aussi, pour y remédier, Fleur Pellerin annonce qu’elle ira dès ce lundi 1er octobre défendre à Bruxelles une « TST 2 ». Celleci consistera en une taxe forfaitaire assise
non pas sur le chiffre d’affaires du fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – pour écarter toute critique de la Commission européenne – mais sur chaque abonnement. Cette TST
2 « présenterait le triple avantage de garantir un rendement satisfaisant [équivalent au
190 millions d’euros prélevés en 2011, ndlr], de rétablir l’équité entre les opérateurs et
de respecter le cadre communautaire », a assuré la ministre. @

Vivendi hésite à séparer « réseaux » et « contenus » : faut-il le faire pour Orange ?

Près de trois ans après le spin-off entre Time Warner et AOL, suite à l’échec de la méga fusion historique de 2001, voilà que Vivendi doute sur l’idée de scinder ses activités télécoms et médias. Tandis que le spectre de la séparation structurelle plane toujours sur France Télécom.

Conglomérat n’est plus synonyme de convergence. L’heure semble être au démantèlement plutôt qu’à l’intégration des grands groupes de médias et de communication. En annonçant, ce 20 août, la création d’un poste de « directeur général des activités télécoms » (Jean-Yves Charlier) et d’une mission de « réflexion pour le développement des médias et des contenus » (Bertrand Méheut), Vivendi ferait-il un pas de plus vers la scission ou le spin-off entre ses activités réseaux (SFR fixe et mobile, Maroc Télécom, GVT) et celles des contenus (Canal+, Universal Music, Activision Blizzard) ?

Entre la Bourse et la régulation La perspective de couper en deux Vivendi n’était plus taboue depuis le départ fin juin de Jean-Bernard Lévy, opposé à un démantèlement du groupe. Le cours de l’action Vivendi, sous-évalué selon Jean-René Fourtou, a précipité son éviction. « Faut-il vendre des activités ou séparer le groupe en deux, voire trois ? Cette question n’est pas taboue », a écrit ce dernier aux actionnaires, fin mars (1).
Le problème réside dans le fait que Vivendi a toujours été en mal de synergies, malgré
la volonté affichée de son ex-président du directoire de les créer (2). « Nos investissements dans les réseaux, les plateformes et les contenus s’accompagnent d’efforts soutenus pour développer les partages d’expertises et les projets communs
entre nos métiers », prêchait-il… en vain. Victime du syndrome AOL-Time Warner ?
Celui qui voulait « déplacer les frontières de ses activités, pour accroître la valeur
ajoutée » (3), a finalement échoué. La filiale Activision Blizzard, numéro un mondial des jeux vidéo ou GVT, opérateur télécoms brésilien, pourraient être cédés. Encore faut-il
qu’il y ait des acquéreurs au prix fort… La présentation le 30 août des résultats du premier semestre, lesquels sont pénalisés par SFR (4), n’a pas permis d’y voir plus clair, si ce n’est que le directeur financier Philippe Carpon s’est prononcé le 30 août contre une « scission brutale ».
Il y a par ailleurs les démêlés de Vivendi avec les autorités anti-trusts qui reprochent
à certaines de ses activités, soit d’être un « monopole durable » au détriment des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), selon l’Autorité de la concurrence au sujet de Canal+ depuis la fusion TPS (voir notre article p. 5), soit de présenter un risque
d’« abus de position dominante » sur le marché de la musique en ligne, selon la Commission européenne à propos de l’acquisition envisagée de EMI par Universal Music (lire EM@55, p. 4). Bref, il ne fait pas bon être un groupe intégré et puissant
dans un monde soumis
aux contrôles, voire aux sanctions, des régulateurs. Mais il en va de la préservation de
la diversité concurrentielle comme de la diversité culturelle : il faut laisser leur chance
aux nouveaux entrants face aux oligopoles, voire aux quasi monopoles.
Dans cette logique, certains – du côté du Sénat – verraient bien l’Arcep exiger la séparation fonctionnelle, voire structurelle, de France Télécom (d’un côté les réseaux
et de l’autre, les services) comme « remède » qui permettrait aux FAI concurrents d’accéder plus facilement (sans risque de discrimination) et à des tarifs moins élevés (prix orientés vers les coûts) à ses « infrastructures essentielles » (réseaux haut débit
et fibre optique). Mais la ministre Fleur Pellerin a affirmé le 24 juillet que François Hollande écarte cette hypothèse. Pourtant, depuis l’ordonnance de transposition du Paquet télécom, publiée il y a un an maintenant au « Journal Officiel » du 26 août 2011, le gendarme des télécoms a le pouvoir – en « dernier recours » – d’imposer la séparation fonctionnelle à France Télécom verticalement intégré (5). En mars 2011, l’Autorité de la concurrence avait pressé l’Arcep d’« entamer les travaux préalables » sur cette séparation. Mais l’Arcep n’est pas seule à pouvoir couper en deux Orange, comme l’a rappelé le 22 mars son président, Jean-Ludovic Silicani, devant le Club parlementaire du numérique (6). « Le gouvernement, en tant qu’actionnaire [à hauteur de 27 %, ndlr], peut proposer au conseil d’administration de France Télécom d’opérer une telle séparation », a-t-il dit. Mais le président de l’Arcep prévient que dans ce cas,
il faudra revoir toute la régulation depuis 15 ans !

Hollande : couper l’« Orange » en deux ?
Durant la campagne présidentielle, François Hollande, l’actuel chef de « l’Etat action-
naire », avait écrit le 16 février aux salariés de France Télécom pour démentir une information selon laquelle il se prononçait pour la scission fonctionnelle de l’opérateur historique (7). De plus, Stéphane Richard n’est pas Jean-René Fourtou. Le PDG du groupe Orange ne veut pas entendre parler de « cette perspective » qui pourrait, selon
lui, « briser la volonté des opérateurs qui veulent déployer la fibre optique jusqu’aux
foyers » (8). @

Charles de Laubier

Europe : les « Arcep » devront toutes proposer des outils de mesure de la qualité d’accès aux réseaux

Après plus de deux ans de débat, la neutralité du Net a enfin des lignes directrices : le « super-régulateur » européen, l’ORECE, souhaite notamment que les « Arcep » mettent à disposition des particuliers des outils gratuits de mesure de la qualité de leurs accès aux réseaux fixe ou mobile.

Selon nos informations, l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE), qui réunit depuis dix ans maintenant les vingtsept régulateurs télécoms sous la houlette de la Commission européenne, va lancer une consultation publique portant sur des lignes directrices destinées à préserver la neutralité de l’Internet.

Mesures : par logiciel ou site web
Lors de sa 11e assemblée plénière des 24 et 25 mai à Dubrovnik en Croatie, l’ORECE (1) devait adopter – à l’appui de cette consultation publique – deux rapports, l’un sur les différentes pratiques des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en matière de gestion de trafic (2), l’autre sur une évaluation de l’interconnexion IP. Devaient aussi être adoptées des lignes directrices – à l’attention des régulateurs – sur la qualité de service. Le tout
va être transmis à la Commission européenne. La plus concrète des mesures, qui concernera les millions d’internautes et de mobinautes européens, sera la forte incitation faite aux « Arcep » européennes de mettre à la disposition des particulier
des outils de mesure de la qualité de leur accès à l’Internet fixe et mobile. Objectif : que les abonnés puissent – avec un logiciel de monitoring – contrôler par eux-mêmes les éventuels blocages ou ralentissements de leur ligne et vérifier ainsi que leur FAI et opérateur mobile respectent la neutralité du Net. L’ORECE tient particulièrement à la mise à disposition auprès du public connecté de ces outils de mesure que devront leur fournir – gracieusement – soit les régulateurs eux-mêmes, soit les FAI, soit des tierces parties agréées préalablement. Cette mesure « ex post » sera le pendant de la régulation « ex ante » de l’obligation de transparence des FAI au regard de la neutralité des réseaux.
Dans certains Etats membres, des régulateurs ont déjà pris l’initiative de développer des outils spécifiques de mesure du débit. Ce que l’ORECE souhaiterait généraliser à toute l’Europe. Dans ses Guidelines pour une qualité de service (« QoS »), le super-régulateur européen fait état des bonnes pratiques en matière de mise à disposition d’outils de mesure pour les particuliers. Déjà, dans un premier rapport publié en décembre 2011, l’ORECE avait fait l’éloge de ces outils promus par des régulateurs. En France, l’Arcep – qui a lancé une consultation publique jusqu’au 20 juin sur la neutralité du Net (4) et qui adoptera cet été une décision fixant les indicateurs de QoS à mesurer à partir de 2013 – pourrait s’inspirer de son homologue italien. L’AGCOM propose en effet un logiciel gratuit et téléchargeable sur son site web, NeMeSys (5), qui mesure les performances de chaque FAI en Italie et permet aux internautes de vérifier la qualité de leur accès haut débit. A moins que l’Arcep ne propose un outil fonctionnant directement en ligne, comme c’est le cas au Danemark où le régulateur a créé un site web de mesure en temps réel de sa connexion. Il calcule à partir de la connexion de l’internaute le temps de latence en millisecondes (ping), de download et d’upload en kilobits par seconde, tout en identifiant bien sûr le FAI concerné. La NPT norvégienne propose un site web de mesure équivalent, Nettfart.no. Sur le même principe la Public Utilities Commission de Lettonie propose les mêmes paramètres. En Grèce, le régulateur EETT a développé un outil en ligne baptisé SPEBS (6) qui mesure une multitude de paramètres (7).
Autre solution : l’Arcep pourrait s’appuyer sur des prestataires extérieurs labellisés comme le fait la Suède, où l’organisation indépendante du Net (8) propose un site web de mesure en ligne appelé Bredbandskollen. En Grande-Bretagne, l’Ofcom a certifié dès 2008 les outils de SamKnows qui ont été retenus en 2010 par la FCC aux Etats-Unis (lire ci-dessous), puis en 2011 par la Commission européenne. En France, l’Arcep pourrait s’appuyer sur la société Cedexis qui fournit un outil de monitoring en temps réel aux FAI ou aux sites web, dans les serveurs desquels ont été placés de petits agents numériques (tags). D’autres outils font aussi référence en Europe, tels que Ripe Atlas ou Neubot. @

Charles de Laubier

FOCUS

Google a co-fondé M-Lab pour « mesurer » la neutralité du Net
Aux Etats-Unis, Google a fondé avec l’Open Technology Institute et PlanetLab Consortium un laboratoire de mesure – Measurement Lab (M-Lab). Il s’agit d’une plate-forme ouverte de mesures des connexions haut débit et de performance de certaines applications (9). Une dizaine d’outils sont proposés gratuitement, comme NDT (Network Diagnostic Tool). Le régulateur américain, la FCC (10), le propose en beta-test depuis le 11 mars. BitTorrent est aussi partie prenante dans le M-Lab, aux côtés d’Amazon ou de Skype (Microsoft). En Europe, le régulateur grec (EETT) supporte aussi M-Lab, tout comme SamKnows. Les données recueillies sont exploitées à des fins de recherche sur la qualité et la neutralité du Net. @

Câble : la révolte des cord-cutters

Selon Pascal, paraphrasant Montaigne : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Il en va des réseaux de communication comme des idées et des valeurs humaines : elles varient en fonction de la géographie. C’est encore plus vrai pour les réseaux câblés, dont l’avenir ou pas dépend
du pays dont on parle. L’histoire du câble a commencé aux Etats-Unis, dès 1945, pour pallier la mauvaise réception
de la télévision hertzienne en ville. Son énorme capacité
de diffusion lui a rapidement assurée un succès à la hauteur de la promesse de proposer un grand nombre de chaînes. A tel point que, en 2011,
un téléspectateur américain sur deux accédait toujours à des programmes de télé via
le câble.
En France, c’est une tout autre histoire. Au début des années 80, les premiers réseaux câblés voient le jour sous l’impulsion de la « DGTP », direction des télécoms du ministère des PTT qui lance un « Plan câble » pour raccorder en dix ans 52 villes de France (objectif de 10 millions de prises pour un coût estimé à plus de 3 milliards d’euros). L’échec technique, l’absence de terminaux adaptés, l’insuffisance de programmes diversifiés et le cadre législatif contraignant (interdiction de desservir plus de 8 millions
de foyers) ont fini par tuer le projet dans l’œuf.

« Le câble atteint des taux de pénétration élevés mais arrive à saturation. En Europe, le câble perd même
du terrain, notamment au profit de l’IPTV »

Et pourtant, trois décennies après, c’est grâce à ce réseau que la France pouvait afficher un nombre de foyers ayant accès au très haut débit parmi les plus importants d’Europe. Le pays arrivait ainsi en troisième position, derrière la Russie et la Suède, avec plus de 500.000 abonnés au très haut débit. Mais la plupart était en fait du ressort du câblo-opérateur national Numericable, et non des investissements très limités des opérateurs télécoms dans le déploiement de la fibre optique au cœur de leur réseau. Malgré une image entachée d’obsolescence, le câble (fibre prolongée par du coaxial) a en réalité une dynamique propre qui lui a même permit de devenir, en 2012, le premier mode d’accès aux services de télévision dans le monde (sur le premier téléviseur). Avec plus de 550 millions de foyers, le câble s’installe pour l’instant en tête des modes de réception, devant le réseau hertzien en baisse régulière et devant le satellite et l’IPTV en croissance continue. Technologie d’accès historiquement privilégiée par les pays à forte densité de population ou à l’organisation décentralisée, le câble est logiquement très présent dans ces pays continents que sont la Chine, le Canada ou la Russie, ainsi que dans les pays
à organisation fédérale tels que l’Allemagne ou les États-Unis.
Cependant, sur les marchés matures, le câble atteint des taux de pénétration élevés
mais arrive à saturation. En Europe, le câble perd même du terrain, notamment au profit de l’IPTV. En Amérique du Nord, où le câble est encore de très loin le premier mode de réception TV, il est entré dans une phase de déclin irréversible. La remise en cause aux Etats-Unis fut parfois virulente et militante, tant la position dominante historique des câblo-opérateurs semblait anachronique à l’heure de la révolution Internet : abonnements mensuels de plus 100 dollars par mois, centaines de chaînes que l’on ne regarde jamais, services à valeur ajoutée presque inexistants, … Autant de raisons pour aiguiser les appétits de challengers, lesquels pensaient le moment enfin venu de proposer des services TV de nouvelles générations, quitte à casser les prix. Les Tivo, Vudu, Boxee, Apple TV et autres Google TV ont lancé une offensive en règle saluée par des cohortes de plus en plus nombreuses de cord-cutters.
Sentant le vent de la révolte se lever, les « câblos » ont peu à peu révisé leurs offres,
en suivant la stratégie de Time Warner Cable : de nouveaux packages du type « TV essentials », entre 30 et 50 dollars par mois, de nouveaux modes d’accès aux programmes sur le modèle du site de musique Pandora, la personnalisation de la
publicité, et, bien sûr la capacité d’offrir du triple play dans un contexte où même un Verizon reconnu la puissance des « CableTV » en abandonnant son offre audiovisuelle sur fibre FiOS pour se concentrer sur ses offres mobile de quatrième génération. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’Art et le Web
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut publie chaque année
son étude « Le marché mondial de la télévision »,
par Florence Le Borgne.

La justice européenne s’oppose au filtrage généralisé du Net : l’Hadopi menacée ?

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, daté du 24 novembre,
est à marquer d’une pierre blanche. C’est la première fois que la juridiction communautaire considère que demander à un FAI de généraliser le filtrage
sur son réseau est illégal. Une mise en garde pour certains.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le récent arrêt Scarlet réjouit (1) les partisans de l’Internet
libre qui le qualifie de décision historique et fondamentale pour les droits et liberté sur Internet. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’obligation de filtrer les communications électroniques imposée aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) est contraire au droit communautaire. En France, cet arrêt a suscité également l’euphorie chez les opposants de la loi Hadopi qui voient en lui un moyen d’obtenir son retrait. On peut cependant se demander si cette joie n’est pas prématurée.