Viktor Arvidsson, Ericsson : « Les consommateurs doivent pouvoir accéder aux contenus légaux de leur choix »

Le directeur de la stratégie et des affaires réglementaires chez Ericsson France, filiale du numéro un mondial des réseaux mobiles, répond aux questions d’Edition Multimédi@ sur l’émergence d’un nouvel écosystème à l’heure de la convergence entre télécoms et audiovisuel.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Comment Ericsson perçoit-il
le souhait de l’industrie du cinéma français que les fabricants de terminaux interactifs puissent être obligés comme les fournisseurs d’accès à Internet d’investir dans des films? Viktor Arvidsson (photo) :
Il nous
semble que cette approche, qui consisterait à obliger les équipementiers télécoms à investir dans les contenus, n’est pas nécessairement la meilleure. A notre sens, les différents acteurs de l’écosystème contribuent conjointement au développement du marché. S’il n’y avait pas de vidéo à la demande, il y aurait moins de terminaux interactifs et inversement. Il faut donc être extrêmement prudent avant d’attribuer un succès – que l’on serait tenté de considérer comme un peu « parasitaire » – à un des acteurs d’un écosystème. Dans ce contexte, le réflexe qui consiste à « punir » les acteurs qui réussissent est plutôt contre-productif. Cette approche nous semble également assez inédite et l’on voit mal, par exemple, l’industrie de l’automobile financer les constructeurs d’autoroutes ! S’il y a des problèmes conjoncturels ou structurels dans une industrie, il faut les traiter en tant que tels. Il ne nous semble donc pas légitime et efficace de taxer ainsi les équipements télécoms.

Exclusivités sur les réseaux : le feuilleton continue

« Une modification du cadre législatif relatif à la régulation de la télévision payante n’apparaît (…) pas nécessaire dans l’immédiat », a indiqué le 3 février
le Premier ministre, qui a suivi les conclusions du rapport « Hagelsteen », rejettant la solution de l’Autorité de la concurrence.

Par Katia Duhamel, avocate, cabinet Bird & Bird

Le rapport demandé à Marie- Dominique Hagelsteen par le Premier ministre devait éclairer le débat – du moins en avait-on l’espoir (voir EM@2 p. 8 et 9) – en posant les règles applicables aux différents acteurs de la diffusion des contenus sur les réseaux de télécommunications. Or, ce rapport – publié le
11 janvier 2009 – est venu, d’une certaine façon, faire des recommandations à front renversé de celles émises dans
l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence du 7 juillet 2009. En effet, malgré une appréciation commune des effets négatifs des exclusivités (1), ce rapport rejette la solution législative proposée par l’Autorité de la concurrence pour encadrer strictement, voire interdire, ce type d’exclusivité dans le secteur de la télévision payante.

Les Etats-Unis tentent de préserver la neutralité d’Internet

Après avoir reçu jusqu’au 14 janvier les contributions à sa consultation publique sur la neutralité des réseaux, la FCC va les étudier et demander d’éventuelles précisions jusqu’au 5 mars 2010. La décision qui en découlera aura des répercutions jusqu’en Europe.

Par Winston Maxwell, avocat associé, cabinet Hogan & Hartson.

Dans le cadre de sa « Notice of proposed rulemaking » du 22 octobre dernier (1), le régulateur fédéral américain, la FCC (2), soumet à consultation publique un projet de règlement sur la neutralité des réseaux. Ce projet prévoit six obligations qui pèseraient sur tout fournisseur d’accès à l’Internet haut débit (FAI). Selon les règles proposées, un FAI serait tenu de se conformer à
six principes.
A savoir : ne pas empêcher un utilisateur d’envoyer ou de recevoir via l’Internet les contenus licites de son choix ; ne pas empêcher un utilisateur d’utiliser les applications ou services licites de son choix ; ne pas empêcher un utilisateur de connecter et utiliser les équipements licites de son choix, à condition que ceux-ci n’endommagent pas le réseau ; ne pas priver l’utilisateur de la faculté de choisir entre plusieurs opérateurs de réseau, fournisseurs d’applications, de services ou de contenus ; traiter de manière non-discriminatoire les contenus, applications et services licites ; informer de manière transparente les utilisateurs et fournisseurs de contenus, d’applications ou de services des mesures de gestion de réseau appliquées par le FAI.

Financement du très haut débit : entre initiative privée et intérêt général

lA l’heure où le Parlement vient d’adopter le projet de loi contre la fracture numérique, les projets de réseaux très haut débit se multiplient, à l’image
de celui lancé dans les Hauts-de- Seine . D’autres « services d’intérêt économique général » (SIEG) de ce type pourraient suivre.

Par Hervé Castelnau (photo), avocat associé, et Silvain Fock-Yee, avocat à la Cour, Norton Rose LLP

Les projets et déclarations de financement public des réseaux de très haut débit se multiplient en France. Les 2 milliards d’euros du grand emprunt destiné aux réseaux très haut débit (1) vont contribuer au plan national du très haut débit, dont la présentation par le président de la République est attendue au cours du mois de décembre.
Ces infrastructures très haut débit, dont la fibre optique est emblématique avec ses 100 Mbits/s, sont perçues comme essentielles pour prévenir une « fracture numérique » entre les territoires, tant au plan européen que national. L’adoption définitive du projet de loi contre la fracture numérique est justement intervenue le 10 décembre au Sénat.

Les quatre critères « Altmark »
Nombre de ces projets de financement devront, par leur importance budgétaire et économique, passer par le contrôle de la Commission européenne avant toute mise
en oeuvre, afin de vérifier qu’ils ne viennent pas indûment supplanter les initiatives
des acteurs privés sur le marché concerné. Soucieux « d’augmenter la sécurité juridique et la transparence de sa pratique décisionnelle », l’exécutif européen a publié fin septembre une série de lignes directrices pour l’application des règles relatives aux aides d’état en matière de déploiement des réseaux de communication à haut débit (2). Heureux hasard des calendriers, il a communiqué le jour même sur sa décision en faveur du financement public de 59 millions d’euros du projet de déploiement d’un réseau de très haut débit dans les Hauts-de-Seine, précisant que ce projet « était conforme aux critères “Altmark” et aux lignes directrices sur les réseaux à hauts
débits » (3). Il s’agit d’une exception en matière de financement, plus connue sous le vocable « Altmark », du nom de l’arrêt topique de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) qui a défini les critères applicables pour qu’un service d’intérêt économique général (SIEG) ne relève pas du régime général des aides d’état (4).
Dans quelles conditions l’Union européenne avalise-t-elle ces financements au regard
de cette exception ? Dans ses lignes directrices, la Commission européenne rappelle
que la CJCE a posé quatre conditions pour qu’un financement public à un opérateur
(ou groupement d’opérateurs) soit considéré comme relevant d’un SIEG et ne soit pas soumis aux contraintes du régime général des aides d’état : l’entreprise bénéficiaire
du financement doit être formellement investie d’une mission de service public dont les obligations sont clairement définies ; la compensation que représente le financement public doit être définie à l’avance et de façon transparente et objective ; la compensation ne peut dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution du SIEG ; le choix du bénéficiaire doit être effectué dans le cadre d’une procédure de marché public ; à défaut, la compensation octroyée doit correspondre aux coûts qu’une entreprise comparable et bien gérée aurait encouru pour exécuter les obligations issues du SIEG.

« Le réseau de très haut débit financé dans le
cadre d’un service d’intérêt économique général (SIEG)
doit présenter des critères de neutralité et d’”universalité“. »

Définition d’un « SIEG »
Si la jurisprudence a reconnu aux états membres un large pouvoir d’appréciation pour définir ce qu’ils considèrent comme un SIEG, cette définition reste néanmoins soumise au contrôle dit « d’erreur manifeste » de la Commission européenne (5) qui entend clairement se réserver l’opportunité de faire évoluer ses lignes directrices au fil des projets qui lui seront soumis. Et d’indiquer que, si son degré de contrôle reste assez souple et laisse aux états membres une grande marge d’appréciation pour déterminer ce qui relève d’un SIEG, cette détermination ne pourra être effectuée de manière arbitraire et devra « présenter certaines caractéristiques spécifiques par rapport à des activités économiques ordinaires ». Les financements réseaux de très haut débit
ne pourront, en principe, être qualifiés de financement de SIEG s’ils se rapportent à
des zones où, d’une part, les investisseurs privés ont déjà investi dans une infrastructure de réseau haut débit (ou sont en train d’étendre leur réseau d’infrastructure) et, d’autre part, ces investisseurs privés fournissent déjà des
services compétitifs d’accès au haut débit. Cette position n’est cependant pas intangible. Immédiatement après avoir énoncé le principe visant à éviter les distorsions qu’un financement public pourrait causer sur un marché en développement, la Commission européenne définit les contours de possibles exceptions, visant à prendre en considération le caractère urgent du développement du très haut débit sur les territoires européens. Pourraient ainsi constituer des financements de SIEG les soutiens financiers qui se rapportent à une zone, où des investissements privés ont
déjà investi dans une infrastructure et fournissent des services d’accès au haut débit,
si certaines conditions sont remplies.
En premier lieu, la démonstration d’une possible défaillance à moyen terme des investissements privés ; par ailleurs, des conditions tendant à la définition du périmètre
et à la pertinence du SIEG ; enfin, des conditions tenant à la « neutralité » du réseau.

Exclusivités sur les réseaux : un sujet embarrassant pour tout le monde

Les conflits sur les exclusivités se sont accumulés ces derniers mois. L’exclusivité iPhone- Orange a été suspendue, tandis que le modèle de double exclusivité Orange-France Télévisions et Orange Sport a été autorisé. La mission Hagelsteen prémunira-t-elle contre d’autres litiges ?

Par Katia Duhamel, avocate, cabinet Bird & Bird

Bâtis sur le sacro-saint principe de l’interopérabilité et de la neutralité, les télécommunications étaient jusqu’à présent ouvertes vis-à-vis des contenus. A l’inverse les médias – soutenues par une réglementation qui cloisonne l’exploitation des œuvres dans le temps et selon leur support de diffusion (chronologie des médias) – ont construit un modèle d’accès discriminant permettant de financer la création des œuvres et dont la valeur réside largement dans des exclusivités de distribution. Ces pratiques se heurtent aujourd’hui à l’évolution des technologies qui permet une personnalisation et une nomadisation croissantes des modes de consommation, de plus en plus indépendants des terminaux et des plateformes (catch-up TV; vidéo à la demande; télévision mobile, etc.). Par ailleurs, la banalisation des flux de communication contraint les opérateurs télécoms à se différencier par les contenus offerts sur leurs réseaux, comme ils le font déjà en offrant des terminaux mobiles subventionnés, packagés dans leurs offres.