Financement du très haut débit : vers l’impasse ?

En fait. Le 13 juillet, la commissaire européenne Neelie Kroes – chargée du Numérique – a tenu sa dernière réunion avec une quarantaine de PDG des secteurs des télécoms, des médias et du Web pour tenter de trouver – en vain finalement – un consensus autour du financement des réseaux (très) haut débit.

En clair. Aucun consensus n’a été trouvé en quatre mois de confrontation des acteurs
du numérique, réunis depuis mars dernier par Neelie Kroes sur le financement du déploiement des réseaux très haut débit en Europe (1). Opérateurs de réseaux et équipementiers télécoms rechignent à mettre seuls la main à la poche pour financer la fibre optique. Dans leurs onze propositions remis à Neelie Kroes le 13 juillet, ils prônent une « meilleure gestion des ressources rares » de l’Internet, s’inquiètent d’une
« situation de déséquilibre » entre les opérateurs télécoms « support[a]nt seuls le fardeau » des investissements réseaux locaux et les fournisseurs de contenus du Web d’envergure mondiale. Ils demandent « des règles du jeu (…) suffisamment souples » et veulent pouvoir pratiquer « la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services, et répondre à la demande de niveaux de qualité différents ». Ils plaident pour des « modèles économiques (…) bifaces [où les acteurs économiques peuvent se rémunérer des deux côtés, ndlr], basés sur des accords commerciaux » : par exemple, les Google/YouTube, les Yahoo, Amazon et les
Dailymotion doivent, selon eux, payer un droit de passage en fonction de la qualité de service demandée sur les réseaux (très) haut débit. Ils veulent à ce propos une
« interconnexion IP avec garantie de qualité de service (par exemple avec la norme
IPX) ». La commissaire européenne en charge du Numérique va maintenant étudier
ce cahier de doléances et émettre – en septembre – des recommandations sur le calcul des tarifs d’accès à ces réseaux (très) haut débit, tout en lançant une consultation sur la non-discrimination. Les opérateurs télécoms veulent bien investir dans les réseaux de nouvelle génération (NGN/NGA) à condition de mettre un terme à la neutralité du Net,
afin d’avoir un retour sur investissement en faisant payer – aux fournisseurs de contenus et aux internautes – différents niveaux de services. Ces derniers veulent
au contraire le respect de la neutralité du Net. La France, elle, a proposé l’idée d’une
« terminaison d’appel data » qui ne fait pas l’unanimité. Le dialogue de sourds débouchera-t-il sur une impasse ? La Commission européenne propose d’injecter
9,2 milliards d’euros pour aider au financement des NGN/NGA de 2014 à 2020, en échange d’un engagement d’investissement de 100 milliards de la part du secteur privé. Mais il faudrait 300 milliards pour que tous les Européens aient au moins 30 Mbits/s d’ici 2020, dont la moitié à 100 Mbits/s. @

La neutralité du Net à l’épreuve des besoins de financement des réseaux

Emergeant de l’interminable débat sur la neutralité du Net, la question de fond fait surface : celle d’une nouvelle répartition des revenus au sein de la chaîne de valeur de l’Internet, afin de continuer à développer les usages numériques. Vers de nouveaux modèles économiques.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

La neutralité de l’Internet et des réseaux est un principe essentiel des communications électroniques, qui renvoie
à un certain nombre de libertés fondamentales : liberté d’expression, protection des données à caractère personnel
et de la vie privée, etc. Pour autant, elle dissimule une problématique plus triviale, celle des financements des réseaux.

Alcatel-Lucent : “fossoyeur” de la neutralité du Net ?

En fait. Le 28 juin, le sixième équipementier mondial des télécoms, Alcatel-Lucent, a annoncé la commercialisation en 2012 d’un nouveau processeur baptisé FP3, qui multiplie par quatre – à 400 Gbits/s – la rapidité d’un réseau
et rend plus « intelligents » les routeurs qui jalonnent Internet.

En clair. La fin de la neutralité de l’Internet, déjà écornée par la multiplication des
« services générés » à l’insu des internautes, se rapproche au fur et à mesure que
les nouveaux réseaux dits « intelligents » se développent. Les équipementiers télécoms comme le sixième mondial, Alcatel-Lucent, sont en effet lancés dans une course à la
« performance » pour transformer les « dump pipes » – ces réseaux se contentant de transporter les paquets IP (1) sans réfléchir – en « super-réseaux », dotés non plus de
« routeurs de réseaux » mais de « routeurs de services ». « Les “dump pipes” c’est fini !
Il faut maintenant donner le choix aux consommateurs », a d’ailleurs lancé le PDG d’Alcatel-Lucent, Ben Verwaayen, lors du colloque NPA, le 23 juin à Paris. Car, audelà de l’objectif de faire face à la demande des opérateurs de réseaux fixe et mobile confrontés à l’explosion du trafic sur Internet, l’intelligence réseau à très haut débit
aura des répercutions directes sur les applications et les contenus du Net. «Un seul processeur FP3 peut par exemple gérer simultanément 70.000 flux vidéo haute définition ou encore 8,4 millions de sessions Web simultanées. (…).
Et cette technologie ne se contente pas de transporter des bits : elle génère aussi du revenu, crée de la valeur pour les fournisseurs de services (…) et suscite l’innovation dans le domaine des terminaux, des contenus et des applications pour les professionnels et le grand public, qui dépendent de plus en plus des réseaux des fournisseurs de services », explique l’industriel, qui réalise déjà 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2010 avec sa division IP (+ 24 % en un an). Par ailleurs, cela fait maintenant trois ans et demi que les « Bell Labs » d’Alcatel-Lucent travaillent avec l’Inria (2) à l’élaboration de « réseaux autonomes » pour l’Internet du futur, capables de « reconnaître automatiquement » les contenus des flux pour en faire des traitements différenciés. De quoi réconcilier à termes les opérateurs télécoms et les industries culturelles, lesquelles souhaiteraient que leurs droits de propriété intellectuelles soient respectés de bout en bout sur les infrastructures (très) haut débit ou sur les services de cloud computing. Ce n’est pas la première fois qu’une puce « s’intéresse » aux contenus. Le 5 janvier dernier, le numéro un mondial des micro-processeurs Intel a lancé Sandy Bridge, une puce multimédia avec – imprimée dans le silicium – un système anti-piratage qui a déjà séduit les studios d’Hollywood (3). Vous avez dit
« neutralité des réseaux » ? @

FTTH et LTE : vers une profonde fracture numérique ?

En fait. Le 9 juin se sont tenues les 5e Assises du très haut débit organisées à l’Assemblée nationale sur le thème de « L’heure des choix », sous le patronage d’Eric Besson. Le ministre chargé de l’Economie numérique y a annoncé la création de « commissions régionales d’aménagement numérique du territoire ».

En clair. Ces 5e Assises du très haut débit, organisées chaque année par l’agence Aromates, démontrent que la France tergiverse depuis au moins cinq ans pour savoir de quelle manière le public et le privé doivent déployer le très haut débit sur tout le territoire.
Il en résulte un retard chronique, alors que l’objectif du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy,
est de 100 % de la population en 2025. Au 31 mars 2011, l’Hexagone ne comptait que 520.000 abonnés très haut débit FTTx (1). Et encore, 380.000 d’entre eux étaient reliés
à la fibre par un câble coaxial (voir p. 11). Résultat : seulement 140.000 abonnés FTTH (2). Il y a pourtant 1,135 million de logements éligibles à ce FTTH.« Le temps est venu pour les opérateurs d’investir et pour les consommateurs de s’abonner ! », a lancé le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani.
Si le déploiement de la 4G avec la technologie LTE s’engage sur le même rythme
« de sénateur » que les infrastructures optiques, le risque de voir s’aggraver à grande vitesse la fracture numérique est réel. « La stratégie des grands opérateurs est de se concentrer sur les zones les plus denses et les plus rentables (Paris, Lyon, métropole lilloise, …) pour ne couvrir d’ici quelques années qu’environ 5 millions de foyers sur les
25 que compte la France », prévient Jean-Michel Soulier, président de Covage, opérateur d’opérateurs télécoms. La question de la création d’un opérateur de réseau national de fibre « noire » dans les zones peu denses, en fédérant les réseaux d’initiative publique (RIP) déjà existants des collectivités locales (3), reste posée. L’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca) « regrette le recul des obligations de couverture du territoire par les opérateurs ». Elle constate que « le délai global est rallongé d’un quart (de 12 à 15 ans) » et que « la “zone prioritaire” est amputée de 30 % de sa population ». Alors que le gouvernement lance l’appel à candidatures pour les licences 4G, l’incertitude grandit: si les fréquences en 2,6 Ghz permettent de couvrir des zones urbaines (75 % de la population d’ici à 12 ans), il faudrait, aux quatre ou cinq opérateurs retenus, des
« fréquences en or » en 800 Mhz qui, seules, permettraient de couvrir l’ensemble
du pays (98 % d’ici à 12 ans). Là aussi, mutualiser – comme le souhaite Martin Bouygues (4) – la bande des 800 Mhz du dividende numérique pour couvrir les campagnes avec l’Internet mobile aurait un sens… @

Pourquoi la séparation des réseaux et des services télécoms revient-elle sur le tapis

Vieille antienne de la régulation des télécoms, la séparation des réseaux et
des services de communications électroniques sur le marché de détail fait de nouveau débat, au point d’être présentée comme une solution au retard de l’Europe en matière de très haut débit.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

A l’occasion de son avis du 8 mars dernier (1), l’Autorité
de la concurrence a rappelé l’utilité, dans un certain nombre
de secteurs, de mesures structurelles visant à garantir une séparation entre les activités régulées – ou en monopole
légal – et les activités concurrentielles ou de diversification. L’Autorité de la concurrence a observé à cette occasion,
que parmi les industries de réseaux régulées, le secteur
des communications électroniques est celui pour lequel les mesures de séparation prévues à ce jour sont les moins fortes.