Culture digitale : dichotomie entre Europe et Etats

En fait. Le 19 novembre, Neelie Kroes – vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique – s’est exprimée dans un débat
sur la propriété intellectuelle au Forum d’Avignon, qui réunissait en même temps
le Sommet culturel G8-G20 sur « la création à l’ère du numérique ».

En clair. Ces 4e Rencontres internationales de la culture, de l’économie et des médias
– organisées par le Forum d’Avignon, dirigé par d’anciens de la DDM (devenue DGMIC) et lié au ministère de la Culture et de la Communication – ont montré l’obsolescence des frontières culturelles dans un monde numérisé. « L’espace sans frontières d’Internet ne se satisfait pas d’approches purement nationales qui, même convergentes, restent trop fragmentées, et se heurtent à des comportements de ‘’paradis numériques’’ non coopératifs », a expliqué Frédéric Mitterrand. Pourtant,
les débats à Avignon se sont souvent focalisés sur le renforcement des politiques nationales pour lutter contre le piratage.
Nicolas Sarkozy s’y est exprimé pour annoncer l’élargissement aux sites de streaming de la loi Hadopi (lire p. 1 et 2), laquelle n’intervient pour l’heure que sur les réseaux peer-to-peer. Pour cela, la France devrait promulguer une troisième loi Hadopi :
« Certains d’entre vous se sont inquiétés lorsque j’ai dit que j’étais prêt à Hadopi 3.
(…) Si la technologie nous permet une nouvelle évolution, et bien on adaptera la législation », a lancé le chef de l’Etat français. Ce qui n’est pas forcément du goût
de la Commission européenne qui doit présenter au printemps 2012 une révision de
la directive sur la propriété intellectuelle (1) avec gestion collective des doits sur le Net et licences multi-territoriales. Neelie Kroes, chargée de l’Agenda numérique, a constaté que « le débat tourne autour du renforcement du copyright », alors que « ce n’est pas toute l’histoire ». Et la vice-président de la Commission européenne d’interroger l’aréopage culturel réuni devant elle : « Est-ce que le système actuel de copyright est
le bon moyen, et le seul, pour atteindre nos objectifs ? Pas vraiment, je le crains.
Nous devons continuer à combattre le piratage, mais le renforcement législatif [legal enforceability] est devenu de plus en plus difficile ».
Et d’ajouter : « Nous avons besoin de flexibilité dans le système, pas d’une camisole
de force d’un modèle seul ». Elle encourage la création d’un « répertoire global » des œuvres et remarque que le Cloud computing remet en question de système des licences.
« Je vois comment certains en Europe voient avec horreur l’arrivée de Netflix ou l’expansion de iTunes. Mais nous ne devons pas être paralysés par la peur », a prévenu Neelie Kroes. @

Le siècle des lumières

La célèbre course du lièvre et de la tortue permet de décrire assez fidèlement celle qui a vu s’affronter, durant plus de trois décennies, la fibre optique à la paire de cuivre. Même
si, dans ce cas, nous n’en connaissons pas encore l’issue. Le réseau historique de cuivre, plutôt lent au départ, est toujours bien présent aujourd’hui. Qui eut pu prédire une telle longévité ? Il est vrai que la fibre a pris son temps : à la fin
de 2010, on ne comptait encore que 2% d’abonnés FTTH (Fiber-To-The- Home) en France. La paire de cuivre est, quant à elle, apparue à la fin du XIXe siècle quand il fallut remplacer le réseau existant
du télégraphe. On a même pensé un temps pouvoir faire l’économie de la construction d’un nouveau réseau, en tentant de faire passer les conversations téléphoniques sur
les fils métalliques du réseau télégraphique ! Mais on s’est rapidement rendu compte
que transmettre des communications téléphoniques nécessitait deux fils pour une même liaison. Il fallut donc se résigner à construire un réseau totalement nouveau. Mais à peine les premiers circuits interurbains installés, on dut, pour aller plus loin, lutter contre l’affaiblissement du signal en augmentant tout d’abord le diamètre des fils. Cela fut rapidement une limite, on y ajouta des répéteurs, innovation permise par l’extraordinaire invention des triodes au début du XXe siècle. Cette quête, poursuivie par tant de générations d’ingénieurs visant à faire reculer les limites de la paire de cuivre, ne s’est, dès lors, plus arrêtée.

« La fibre optique a mis du temps à décoller, notamment
en raison de la qualité du réseau de cuivre permettant aujourd’hui de tutoyer les 500 Mbit/s »

La plus étonnante bataille est sans doute celle qui a fait entrer l’antique réseau dans l’ère du numérique et d’Internet. Celà fut ensuite possible grâce aux travaux des équipes des laboratoires BellCore commencés en 1987 et de John Cioffi, professeur à Stanford, souvent présenté comme le père du DSL (Digital Subscriber Line). C’est pourtant en Europe que le lancement commercial eut lieu grâce aux efforts conjugués des équipes d’Alcatel et d’opérateurs qui lancèrent leurs premières offres commerciales : dès 1997 pour le suédois Telia, et en 1999 pour France Telecom. Pendant ce temps, l’Asie faisait
le choix de la fibre optique, comme un pari sur l’avenir, en se dotant de réseaux couvrant rapidement toute un Etat, comme le Japon et la Corée du Sud ou en se dotant d’équipementiers, leaders mondiaux dans leur catégorie, tels que les chinois Huawei
ou ZTE.
Aujourd’hui, un pays comme la France affiche un taux de pénétration du FTTH d’environ 50 %, car la demande a mis du temps à décoller malgré des tarifs attractifs dès le début. L’une des raisons tenait sans doute à la qualité du réseau de cuivre permettant de supporter les progrès croissants des performances du DSL. En 2011, Alcatel-Lucent lançait sur le marché une technologie aux prouesses annoncées en 2006 – la vectorisation VDSL2 – permettant des débits de 100 mégabits par seconde (Mbits/s). Cette limite a depuis encore été repoussée pour venir tutoyer aujourd’hui les 500 Mbits/s. Cela n’a cependant pas remis en cause la complémentarité de ces deux technologies, notamment en raison des qualités intrinsèques de la fibre, en mesure de délivrer un débit garanti quelle que soit la distance. Si, en théorie, cet éventail de possibilités est un atout et permet de graduer la montée en puissance de réseaux en optimisant les investissements et les stratégies des différents opérateurs, cela a jeté un certain trouble dans les débats entre « pour » et « contre » la fibre. Les économistes s’affrontent par exemple sur l’opportunité de monter ou baisser le prix du dégroupage de la boucle locale de cuivre pour accélérer ou non le saut technologique vers le VDSL3. Tandis que certains pays comme l’Australie ont rattrapé le Japon et la Corée du Sud avec plus de 90 % de la population raccordable à 100 Mbits/s.
Couvrir l’Europe en fibre optique se révèle être encore un très grand et long chantier. L’âge du cuivre ne laisse que progressivement la place au siècle des lumières. Le
« De quoi vous sert votre vitesse ? », demandé par la tortue au lièvre de la fable de
La Fontaine, pourrait être repris par le cuivre qui ajouterait sans doute « … si vous
n’êtes pas raccordé ! ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : TNT versus IPTV
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, « Enquête Très Haut Débit :
Comprendre les mécanismes de migration des abonnés
Grand Public », par Valérie Chaillou et Anne Causse

FTTH ou VDSL2 : des opérateurs s’interrogent encore

En fait. Le 27 septembre, le FTTH Council Europe a divulgué – lors du Broadband World Forum – les chiffres de la fibre jusqu’à domicile ou immeuble au 30 juin : dans les Vingt-sept, il n’y a que 4,1 millions d’abonnés sur les 23,4 millions de raccordements déployés – soit un taux d’adhésion de 17,5 %.

En clair. Mettre en fibre les Vingt-sept nécessiterait un total de 300 milliards d’euros
selon le cabinet McKinsey. Pour quel retour sur investissement ? Les chiffres de l’Idate (1) présentés par le FTTH Council Europe ont de quoi faire réfléchir les opérateurs télécoms : sur les 23,4 millions de « prises » FTTH ou FTTB (2) déployées dans l’Union européenne à fin juin, seules 17,5 % ont fait l’objet d’un abonnement. En France, par exemple, l’étude montre que 5,7 millions de foyers peuvent être raccordés à la fibre optique mais seulement 556.000 sont abonnés. Taux de transformation : 9,6 %, soit moitié moins que la moyenne européenne ! La France se situe ainsi en avant-dernière position des Vingt-sept, suivie de l’Italie, même si le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne ne figurent pas dans le classement du FTTH Council, qui ne prend en compte que les pays ayant au moins 200.000 abonnés. Et encore, la France s’en tire
à bon compte grâce à Numericable (3). Sans le câbloopérateur, il n’y a que 155.000 abonnés FTTH/FTTB à fin juin… Face à ce retard chronique de l’Europe, la boucle locale de cuivre, elle, n’a pas encore dit son dernier mot. « Les opérateurs télécoms s’interrogent encore sur l’opportunité d’investir dans le FTTH. Certains comme Belgacom ont choisi le VDSL2 », indique Roland Montagne, consultant à l’Idate. Cette nouvelle technologie moins coûteuse offre sur la paire de cuivre téléphonique jusqu’à 100 Mbits/s, voire plus. Soit autant que la fibre ! Belgacom mais aussi Telekom Austria font appel à Alcatel-Lucent, qui a lancé le 22 septembre le VDSL2 dit vectoriel (4).
Or, ironie de l’histoire, l’équipementier télécom est cofondateur du FTTH Council Europe.
Il précise d’ailleurs que le VDSL2 est « en combinaison avec la fibre optique », alors que cette technologie pourrait très bien être déployée sur la sous-boucle locale de France Télécom qui s’interroge encore. Mais selon une circulaire de François Fillon aux préfets, datée du 16 août (lire EM@41, p. 5), le VDSL ne devra pas concurrencer la fibre… @

Pourquoi Netflix pourrait être tenté par la France

En fait. Le 26 août est parue au « Journal Officiel » l’ordonnance de transposition du Paquet télécom qu’Eric Besson – ministre en charge notamment de l’Economie numérique – avait présentée en Conseil des ministres le 24 août,
ainsi que le rapport correspondant au Président de la république.

En clair. Ne cherchez pas « neutralité des réseaux » et encore moins « neutralité d’Internet » dans le texte de l’ordonnance de transposition du Paquet télécom : ce principe n’y apparaît pas explicitement. Certes, le texte soumis ce 24 août au président de la République Nicolas Sarkozy mentionne bien dans ses motifs deux objectifs :
« garantir la neutralité des réseaux » et « promouvoir la neutralité des réseaux », mais l’ordonnance elle-même ne repend pas ces termes. En fait, il faudra désormais s’en remettre aux opérateurs télécoms, dont les obligations sont accrues, et à l’Arcep, dont les pouvoirs sont renforcés. Pour les internautes et les mobinautes, l’article 3 complète le Code des postes et des communications électroniques pour que « [le ministre chargé des communications électroniques et l’Arcep] veillent (…) à favoriser la capacité des utilisateurs finals à accéder à l’information et à en diffuser ainsi qu’à accéder aux applications et services de leur choix ». S’il n’est pas satisfait, le consommateur pourra faire jouer la concurrence en changeant d’opérateur télécoms ou de fournisseur d’accès
à Internet (FAI). Encore faut-il que ces derniers informent correctement leurs abonnés. C’est ce que prévoit l’article 33 de l’ordonnance. Sur les treize informations que doivent donner les fournisseurs aux consommateurs « sous une forme claire, détaillée et aisément accessible », quatre touchent de près ou de loin la neutralité du Net : niveau de qualité, procédures pour mesurer et orienter le trafic, restrictions à l’accès à des services et à leur utilisation (ainsi qu’à celle des équipements terminaux fournis), mesure afin de réagir à un incident ayant trait à la sécurité ou à l’intégrité (1). Cela suppose qu’en amont le gouvernement et le régulateur « veillent à l’exercice de la concurrence relative à la transmission des contenus (…) », et « fixent des obligations en matière d’accès » et fassent respecter le « principe de non discrimination ». Pour y parvenir, l’Arcep « peut [c’est-à-dire qu’elle n’est pas obligée, ndlr] fixer des exigences minimales de qualité de service » (article 16) et « peut également être saisie des différends portant sur (…) les conditions réciproques techniques et tarifaires d’acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des services de communication au public en ligne [tels que Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, etc, ndlr] » (article 17). Les rapports de force peuvent commencer, comme dans la plainte récente de Cogent contre Orange. @

Financement du très haut débit : vers l’impasse ?

En fait. Le 13 juillet, la commissaire européenne Neelie Kroes – chargée du Numérique – a tenu sa dernière réunion avec une quarantaine de PDG des secteurs des télécoms, des médias et du Web pour tenter de trouver – en vain finalement – un consensus autour du financement des réseaux (très) haut débit.

En clair. Aucun consensus n’a été trouvé en quatre mois de confrontation des acteurs
du numérique, réunis depuis mars dernier par Neelie Kroes sur le financement du déploiement des réseaux très haut débit en Europe (1). Opérateurs de réseaux et équipementiers télécoms rechignent à mettre seuls la main à la poche pour financer la fibre optique. Dans leurs onze propositions remis à Neelie Kroes le 13 juillet, ils prônent une « meilleure gestion des ressources rares » de l’Internet, s’inquiètent d’une
« situation de déséquilibre » entre les opérateurs télécoms « support[a]nt seuls le fardeau » des investissements réseaux locaux et les fournisseurs de contenus du Web d’envergure mondiale. Ils demandent « des règles du jeu (…) suffisamment souples » et veulent pouvoir pratiquer « la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services, et répondre à la demande de niveaux de qualité différents ». Ils plaident pour des « modèles économiques (…) bifaces [où les acteurs économiques peuvent se rémunérer des deux côtés, ndlr], basés sur des accords commerciaux » : par exemple, les Google/YouTube, les Yahoo, Amazon et les
Dailymotion doivent, selon eux, payer un droit de passage en fonction de la qualité de service demandée sur les réseaux (très) haut débit. Ils veulent à ce propos une
« interconnexion IP avec garantie de qualité de service (par exemple avec la norme
IPX) ». La commissaire européenne en charge du Numérique va maintenant étudier
ce cahier de doléances et émettre – en septembre – des recommandations sur le calcul des tarifs d’accès à ces réseaux (très) haut débit, tout en lançant une consultation sur la non-discrimination. Les opérateurs télécoms veulent bien investir dans les réseaux de nouvelle génération (NGN/NGA) à condition de mettre un terme à la neutralité du Net,
afin d’avoir un retour sur investissement en faisant payer – aux fournisseurs de contenus et aux internautes – différents niveaux de services. Ces derniers veulent
au contraire le respect de la neutralité du Net. La France, elle, a proposé l’idée d’une
« terminaison d’appel data » qui ne fait pas l’unanimité. Le dialogue de sourds débouchera-t-il sur une impasse ? La Commission européenne propose d’injecter
9,2 milliards d’euros pour aider au financement des NGN/NGA de 2014 à 2020, en échange d’un engagement d’investissement de 100 milliards de la part du secteur privé. Mais il faudrait 300 milliards pour que tous les Européens aient au moins 30 Mbits/s d’ici 2020, dont la moitié à 100 Mbits/s. @