Boosté par deux mois de confinement, le live streaming commence à faire de l’ombre à la télé

Le direct prend de l’ampleur sur Internet, au point d’éclipser la petite lucarne qui perd son monopole des retransmissions en live et même des mondovisions. Apparu il y a à peine dix ans avec YouTube et Twitch, le live streaming s’impose comme un redoutable concurrent pour la télévision.

« Le direct live des réseaux sociaux pourrait faire de l’ombre aux chaînes de télévision », titrait Edition Multimédi@ dans un article paru dans son n°139 en 2016. Plus de quatre ans après, dont deux mois de confinement touchant 4,5 milliards de personnes dans 110 pays ou territoires (1), soit près de 58 % de la population mondiale, la question n’est plus de savoir si le live streaming marche sur les plates-bandes de la télévision traditionnelle, mais dans quelles proportions.

Le live du Net a supplanté le direct de la TV
Le confinement a fait exploser les diffusions en direct sur Internet. Les réseaux sociaux, très majoritairement consultés sur les smartphones, ont été plus que jamais des plateformes vidéo pour des live de concerts, de DJ sets, de conférences, de colloques, de théâtres, de sketches ou encore de retransmission d’e-sport et de gaming. Caracolant en tête des plateformes mondiales de live streaming en 2019, d’après mesurées par StreamElements et Arsenal.gg, Twitch, la plateforme de jeux en streaming qu’Amazon a rachetée en août 2014 près de 1 milliard de dollars (2), affiche au compteur sur l’an dernier près de 10 milliards d’heures vue en direct (+ 20% de croissance annuelle). La filiale de Google, YouTube Gaming, arrive encore loin dernière avec un peu plus de 2,6 milliards d’heures vues (+ 16 %).
Si Facebook Gaming (alias Facebook Live pour la diffusion) et Mixer (lancé par Microsoft en 2017 pour concurrencer Twitch) ne totalisent respectivement que 356,2 millions et 353,7 millions d’heures streamées, leur croissance exponentielle en 2019 (+ 210 % et + 149 %) montrent que les jeux sont encore loin d’être faits. Ce marché du live streaming est en plein boom grâce avant tout aux jeux vidéo et, au-delà du quarté de tête, les challengers se bousculent au portillon : LiveStream (ex-Mogulus et aujourd’hui appartenant à Vimeo), UStream (devenu IBM Cloud Video), Dacast (orienté entreprises), StreamShark, Periscope (acquis par Twitter en 2015), Funny or Die, Dailymotion Games (devenu filiale de Vivendi), mais aussi Tencent, Instagib ou encore Azubu. L’année 2020 restera celle de l’explosion du direct sur Internet pour compenser la distanciation sociale. Parallèlement au live sur les médias sociaux, les applications de vidéoconférence ont fait l’objet d’un engouement sans précédent : Zoom (grande révélation de ce début d’année), Messenger Rooms (lancée en avril dernier par Facebook, en plus de WhatsApp et de Instagram Live), Hangouts (Google), Teams (lancée par Microsoft fin 2016 au côté de Skype), Snap Live (Snap), Webex (Cisco), ou encore les françaises Livestorm, Tixeo et Rainbow. Le confinement a affolé les compteurs du direct sur Internet. D’autant que la télévision traditionnelle s’est retrouvée fort dépourvue en raison de l’annulation des événements sportifs ou culturels pour cause de coronavirus. Le live a supplanté la télé. Les audiences en ligne peuvent être massives et ces diffusions très prisées de la jeune génération rivée sur son smartphone. Apprécié des fans, des followers, des amis et des gamers (3), le ton du live streaming est souvent plus libre, spontané et sincère qu’à l’antenne où les propos sont plus convenus et politiquement corrects. Exemple de succès d’audience : le 7 avril, l’éditeur de jeux vidéo Riot Games (dont « League of Legends ») a fait un carton sur Twitch en lançant son jeu de tir à la première personne « Valorant » qui a attiré un pic de plus de 1,7 million de spectateurs simultanés (4).
Les stars du foot (5) et d’autres sports (6) ont streamé en direct à la grande joie de leurs supporters. Côté musique, les diffusions ont aussi battu des records d’audience comme le live sur Instagram du rappeur newyorkais Tekashi 6ix9ine après sa sortie de prison : 2 millions d’internautes, du jamais vu sur ce réseau social ! Sur YouTube, la star PewDiePie (alias Felix Kjellberg) caracole en tête avec ses directs au potentiel de plus de 100 millions d’abonnés à sa chaîne. Les politiques s’y mettent : Jean-Luc Mélenchon, le président de La France insoumise, a lancé le 28 mai « Twitchons », sa chaîne Twitch. Le showbizz aussi : Jean- Marie Bigard se produira en live le 20 juin sur Internet.

Monétisation tous azimuts du live streaming
Avec le direct sur Internet se développe un écosystème prometteur. « La monétisation peut prendre plusieurs formes : libre participation, partenariat payant, publicités, système de pourboire (ou tips), entrées payantes pour accéder au contenu live, abonnement à une plateforme pour accéder au contenu, accès au live en échange d’un achat de merchandising, voire plusieurs de ces paramètres à l’instar de ce que propose la plateforme Veeps », indique le centre musical Irma (7). Sur France Info, le 17 mai dernier, le musicien Jean-Michel Jarre, ex-président de la Cisac (8), a prôné l’organisation de concerts payants en direct sur Internet. @

Charles de Laubier

La directive européenne « E-commerce » a 20 ans

En fait. Ce 8 juin marque, jour pour jour, les 20 ans de la directive européenne « E-commerce » datée du 8 juin 2000. Le 2 juin dernier, la Commission européenne a lancé – jusqu’au 8 septembre prochain – deux consultations publiques en vue de notamment de remplacer cette directive par le « Digital Service Act ».

En clair. La directive européenne du 8 juin 2000 sur « certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique » – la fameuse directive « E-commerce » (1) – va bientôt être modifiée, voire remplacée, par le futur « Digital Services Act » (DSA). La Commission européenne, qui a lancé le 2 juin deux consultations jusqu’au 8 septembre, proposera un « paquet législatif » d’ici la fin de l’année. Et ce, en tenant comptes des contributions : à la première consultation « publique » (citoyens compris) via un questionnaire de 59 pages (2), et à la seconde consultation des « parties concernées » par « un nouvel instrument de concurrence » via un autre questionnaire de 47 pages (3).
Mais d’ici là, débats, lobbyings et même polémiques ne manqueront pas de surgir au cours des prochains mois, tant cette réforme législative du marché unique numérique comporte des points sensibles. Il en va ainsi, par exemple, des exemptions de responsabilité dont bénéficient depuis deux décennies les plateformes numériques – GAFAM en tête. La directive « E-commerce » du 8 juin 2000, transposée depuis le 17 janvier 2002 par chacun des Vingt-huit, prévoit en effet dans son article 15 – intitulé « Absence d’obligation générale en matière de surveillance » (CQFD) – que « les Etats membres ne doivent pas imposer aux [plateformes d’Internet] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Cette responsabilité limitée des GAFAM, que leur octroie ce « statut d’hébergeur », a été confortée par la jurisprudence européenne malgré les coups de boutoir des industries culturelles et de leurs organisations d’ayants droits.
Ces dernières n’ont eu de cesse depuis des années d’exiger plus de responsabilité des plateformes numériques dans la lutte contre le piratage des œuvres qui sont protégées par le droit de propriété intellectuelle (4) (*) (**) (***) (****) (*****). Depuis des années, les acteurs du Net sont, eux, vent debout contre toute remise en cause de leur statut protecteur (5), en mettant en avant leur rôle d’intermédiaire technique. Ils ne manqueront pas de défendre becs et ongles leurs intérêts – via notamment leur lobby bruxellois Edima, dont sont membres les GAFAM et d’autres comme Twitter, Snap, eBay ou Verizon Media. @

Mark et Thierry dans le « bac à sable réglementaire »

En fait. Le 18 mai, le commissaire européen en charge du Marché intérieur, Thierry Breton, s’est entretenu en live streaming avec le PDG fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg. Ce débat en face à face était organisé par le « Centre on Regulation in Europe » (Cerre). Lobby ou think tank ?

En clair. C’est le « Centre on Regulation in Europe » (Cerre) qui a organisé le débat du 18 mai, en direct sur Internet, entre Mark Zuckerberg et Thierry Breton où la responsabilité des GAFAM et autres plateformes numériques a été évoquée en vue du Digital Services Act (DSA) attendu en fin d’année (1). Mais quel est le rôle de ce « Cerre » si ce n’est pas une espèce de chêne d’Europe (2) ? Basé à Bruxelles et dirigé depuis sa création il y a dix ans par le Belge Bruno Liebhaberg (ancien directeur de cabinet de Jacques Delors), ce centre est-il un lobby de plus pour influencer les décisions des institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil) ?
Sur son compte Twitter, qui compte plus de 2.000fellowers, le Cerre se présente comme « un think tank indépendant européen » ayant vocation à « promouvoir une smart regulation dans les réseaux et les industries numériques » (3). Sur son compte LinkedIn, aux 800 abonnés, ce centre sur la réglementation en Europe s’affiche là aussi comme groupe de réflexion qui « promeut une réglementation robuste et cohérente dans les industries de réseaux ». Le Cerre se présente surtout comme un « bac à sable réglementaire » (4). Neutre ? Le Cerre est aussi financé par la Commission européenne et Bruno Liebhaberg est par ailleurs président de l’Observatory on the Online Platform Economy (5) créé il y a deux ans par cette dernière (DG Connect). Ses membres – une cinquantaine (6) – sont des régulateurs, des opérateurs, des gestionnaires d’infrastructures, des universités et des centres de recherche. Mais y sont prépondérants les opérateurs télécoms (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Vodafone, …), les acteurs du Net (tous les GAFAM, Snap, Spotify, Uber, …), et les régulateurs des télécoms (Arcep, Agcom, Ofcom, …). Sébastien Soriano, président de l’Arcep, est même l’un des onze administrateurs du Cerre, au côté de Pascal Lamy. Public-privé, le Cerre élargit son influence à d’autres secteurs : énergie, transports (train), eau, poste, médias et jeux d’argent en ligne. « La possibilité pour tous les consommateurs et utilisateurs d’avoir accès à des services de qualité à des prix raisonnables n’est pas encore la règle générale (…). Une bonne réglementation est donc nécessaire pour améliorer à la fois le processus européen de libéralisation de ces industries et, plus largement, la gouvernance publique », déclare le Cerre (7). @

De quelle ampleur sera la catastrophe publicitaire ?

En fait. C’est mi-mai que l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep), Kantar et France Pub publient leur Baromètre unifié du marché publicitaire et de la communication (Bump) pour le 1er trimestre. Les résultats ne seront pas bons et laisseront présager une annus horribilis, tous médias confondus.

En clair. « Il est encore un peu tôt pour modifier nos prévisions annuelles… Nous pensons que nous serons probablement autour de – 30 % sur le 1er semestre 2020, une hypothèse un peu plus optimiste que celle diffusée mi-avril … Pour l’annuelle, cela dépendra de la dynamique de la reprise », a indiqué à Edition Multimédi@ Hélène Chartier, directrice générale du Syndicat des régies Internet (SRI).
Le 14 avril dernier, ses 38 adhérents – parmi lesquels Google, Facebook, TF1 Pub, FranceTV Publicité, Le Monde Publicité (M Publicité-RégieObs) ou encore Verizon Media (ex-Oath) – avaient constaté « une baisse drastique des revenus publicitaires digitaux : de l’ordre de – 40 % pour le seul mois de mars, avec des prévisions allant jusqu’à – 80 % pour avril et une estimation d’impact sur le marché du display de – 20 à – 30 % pour l’ensemble de l’année 2020 ». Cette chute annoncée de la seule publicité digitale – pourtant habituel amortisseur avec ses croissances annuelles à un ou deux chiffres par rapport à la publicité sur les médias classiques souvent, eux, en déclin (dont la presse) – ne laisse rien augurer de bon pour le marché global de la publicité en France. S’il n’y avait pas eu la crise sanitaire, les recettes publicitaires dans leur ensemble – télévision, presse, radio, cinéma, imprimés et Internet – auraient progressé cette année d’environ 1 %, contre 1,5 % en 2019. Bref, 2020 devait être en « léger ralentissement » avec notamment « une progression un peu plus limitée des médias numériques ». C’était du moins ce que prévoyait (1) l’Irep (2) avant la fermeture des lieux publics le 14 mars et la promulgation de la loi du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire.
Près de deux mois de confinement après, sur fond de récession économique, la question n’est plus de savoir s’il y aura une catastrophe publicitaire mais de quelle ampleur sera-t-elle. Surtout que la date du 11 mai, à partir de laquelle le déconfinement des Français et des entreprises sera progressif, ne marquera pas le retour à la normal du marché publicitaire – loin de là. Mi-mai, l’Irep, Kantar et France Pub publient les résultats publicitaires du premier trimestre 2020 dans le cadre de leur baromètre « Bump » (3). Ils donneront un aperçu de la catastrophe annoncée : – 20 %, – 30 %, – 50 % voire plus ? Puisque l’on vous dit que 2020 est une annus horribilis.@

Le géant chinois Tencent accélère sa conquête du monde, notamment en Europe et en Afrique

Le « T » de BATX se déploie plus que jamais hors de Chine. Son président cofondateur, Ma Huateng, veut conquérir le monde. Après avoir pris 10 % dans Universal Music (Vivendi), il étend sa propre plateforme musicale Joox à l’international. Et multiplie les investissements tous azimuts : streaming musical, jeux vidéo, fintech, …

En avril, le cofondateur président de Tencent – Ma Huateng, alias Pony Ma (photo) – est devenu l’homme le plus riche de Chine, devançant son compatriote Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, se hissant ainsi à la vingtième place mondiale des milliardaires. Selon le classement Forbes, la fortune de Ma Huateng (48 ans) approche les 47 milliards de dollars (au 08-05-20).
Il possède encore aujourd’hui 8,58 % du capital du groupe Tencent Holdings Limited, qui est enregistré dans le paradis fiscal des Iles Caïmans, distantes de 15.000 kilomètres de Hong Kong où le géant du Net chinois a été créé en 1998 et où il est coté en Bourse depuis 2004. La valorisation boursière de Tencent est l’une des plus importantes au monde, avec 513,7 milliards de dollars (l’équivalent de 473,9 milliards d’euros au 08-05-20). Au point d’avoir dépassé un temps les capitalisations d’Alibaba et de Facebook ! Ma Huateng est en outre actionnaire, majoritaire cette fois (à 54,29 %), de la société Tencent Computer qu’il avait initialement cofondée il y a vingt-deux ans à Shenzhen, ville située dans le sud de la Chine et en périphérie de Hong Kong, où le groupe dispose de son siège social dans ses propres « twin towers » – les Tencent Seafront Towers – construites de 2015 à 2017.

Le Parti communiste chinois veille sur Tencent
C’est d’ailleurs dans cette ville-monde de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine que se tient le 13 mai 2020 l’assemblée générale annuelle, laquelle validera les résultats 2019 (dévoilés le 18 mars dernier) de ce conglomérat du Net : bénéfice net de 93,3 milliards de yuans (12 milliards d’euros), soit un bond de 19 % sur un an, pour un chiffre d’affaires de 377,2 milliards de yuans (48,6 milliards d’euros), en hausse de 20 % sur la même période. Pour l’instant, seuls les jeux vidéo génèrent un quart de leurs revenus à l’international. La musique en ligne en prend le chemin. « Pony Ma » n’est pas un prince rouge (puisqu’il ne descend pas d’un haut dirigeant du Parti communiste chinois), mais il est vice-président cofondateur de la puissante Fédération chinoise des sociétés Internet (CFIS), aux côtés, entre autres, de Jack Ma (alias Ma Yun) et de Li Yanhong (alias Robin Li), le président fondateur du « Google » chinois Baidu. La CFIS, pour China Federation of Internet Societies (1), est basée à Pékin et fut créée il y a deux ans pour que les patrons des BATX – acronyme des « GAFA » chinois – s’engagent à respecter, y compris dans leurs investissements à l’étranger, les valeurs de la République populaire de Chine.

WeChat/Weixin, QQ, « HoK », Joox, …
Le CFIS revendique son rôle de « promouvoir l’esprit du Parti communiste chinois » auprès de ses 300 membres, comme l’a expliqué Ren Xianliang, l’actuel président de cette fédération parapublique, qui est aussi vice-président du Comité de construction sociale de l’Assemblée nationale populaire de Chine (2) : « Le CFIS fournira des conseils politiques aux organisations membres, (…) les aidera à (…) protéger leurs intérêts, supervisera les opérations des organisations membres et favorisera le développement des organisations du Parti [communiste chinois] dans l’industrie », avait déclaré le 9 mai 2018, lors de l’inauguration de cette fédération (3), celui qui fut chef adjoint de l’Administration du cyberespace de Chine (4), le bras armé de la censure sur Internet.
C’est donc sous la « bienveillance » de Pékin que Tencent, à l’instar des autres BATX, conquiert le monde. Ayant franchi l’an dernier la barre du milliard d’utilisateurs dans le monde (1,165 million au 31 décembre 2019 précisément), sa messagerie instantanée multimédia WeChat – le « WhatsApp » chinois mais aux multiples fonctions (texte, vocal, vidéo, paiement mobile) – se décline aujourd’hui à l’international dans une vingtaine de langues (dont le français). Baptisée Weixin par Ma Huateng lors de son lancement en Chine en 2011, elle a pris l’année suivante ce nom de WeChat pour partir à l’assaut d’autres marchés. Dix ans avant cette application mobile, Tencent avait lancé pour ordinateur la messagerie instantanée et portail web QQ (ex-OICQ), proposant jeux vidéo, musique, films, microblogging et e-commerce. Devenu le sixième site web le plus consulté au monde (5), derrière Google, YouTube, Tmall (Alibaba), Facebook et Baidu, QQ compte 647 millions d’utilisateurs à fin 2019 – soit dix ans après ses débuts à l’international. Mais autant Weixin/WeChat gagne des utilisateurs (+ 6,1 % sur un an), autant QQ en perd (- 7,5 %). Outre les communications interpersonnelles, Tencent s’est démultiplié. Dans la musique, la firme de Shenzhen vient de jouer l’un de ses meilleurs coups hors Chine : depuis fin mars, elle détient – via un consortium qu’elle mène – 10 % du capital d’Universal Music, première major mondiale de la musique (6) et filiale du français Vivendi, avec une option d’achat de 10 % supplémentaires que ce consortium peut lever d’ici le 15 septembre 2021. De plus, Tencent Music Entertainment a la possibilité d’acquérir une participation minoritaire dans les activités d’Universal Music en Chine dans les deux ans. La major de Vivendi/Bolloré, valorisée aujourd’hui 30 milliards d’euros, sera introduite en Bourse « au plus tard début 2023 ». Sans attendre, Ma Huateng renforce à l’international sa propre plateforme musicale freemium Jook, lancée il y a cinq ans et déjà devenue le « Spotify » dans plusieurs pays d’Asie (7). Jook est à QQ Music ce que WeChat est à Weixin, une application à vocation internationale. Ce service de musique en streaming a été lancé en Afrique du Sud, pays de l’actionnaire principal de Tencent : le groupe Internet sud-africain Naspers. Celui-ci détient via sa holding MIH TC (Prosus) 31 % du capital de la firme de Shenzhen. En investissant quelque 25 millions d’euros de capital-risque dans Tencent en 2001, Naspers se retrouve aujourd’hui avec une participation valorisée 145 milliards d’euros ! Il y a deux ans, Naspers avait cédé 2 % de ses parts pour 7,8 milliards d’euros mais s’était engagé (8) à ne pas en vendre à nouveau avant… 2021. Après l’Asie, l’Afrique du Sud et – comme l’a annoncé Poshu Yeung, directeur général de Tencent à l’international – bientôt au Nigeria (9), Joox s’apprête à conquérir le monde.
Le « T » de BATX est aussi à l’offensive sur le marché mondial du jeu vidéo : depuis 2004, des jeux en ligne ont été édités sous la marque QQ jusqu’au lancement en 2015 du jeu mobile multijoueur « Honor of Kings » (HoK). Ce blockbuster, inspiré de « League of Legends » de l’éditeur Riot Games racheté par Tencent en 2011 (10), est aussi proposé hors de Chine sous le nom de « Arena of Valor ». En outre, le groupe chinois contrôle Supercell depuis 2019, détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, 5 % du français Ubisoft (11) et 5 % également du suédois Paradox Interactive (12). Le chinois nourrit aussi de grandes ambitions mondiales dans la productiondistribution de films (Tencent Pictures), la création de bandes dessinés numérique (comics chinois appelés manhuaa), la VOD (v.QQ et Huya Live) ou encore le ecommerce (PaiPai, TenPay, JD.com détenu à 15 %).

WeChat Pay, TenPay et la fintech
Et dans la fintech, Tencent est embuscade hors de l’Empire du Milieu, fort du leadership chinois de son application de paiement mobile WeChat Pay lancée en 2013 et rival d’Alipay (Alibaba), de Baidu Wallet et de Sina Weibo (13). En espérant aller au-delà de ses millions de clients chinois voyageant à l’étranger et de se mesurer à Google Pay, Apple Pay, voire à Visa ou Mastercard, la firme de Shenzhen s’offre des participations dans des fintech occidentales telles que les françaises Lydia et Qonto. Des jalons pour conquérir l’Europe. @

Charles de Laubier