Clubhouse veut devenir le « Facebook » vocal

En fait. Le 1er février, le milliardaire Elon Musk, patron de Tesla et de SpaceX, a déclaré oralement sur l’application Clubhouse : « Le bitcoin est une bonne chose ». Cela a fait non seulement fait bondir le cours de la cryptomonnaie mais aussi tourner les projecteurs sur Clubhouse. Ce futur « Facebook » vocal donne de la voix.

En clair. Dans la foulée du succès des podcasts et de l’engouement pour les assistants vocaux sur smartphones ou enceintes connectées, l’Internet des oreilles a maintenant son réseau social audio : l’application mobile Clubhouse qui pourrait être le futur « Facebook » vocal. Lancée de façon confidentielle il y a près d’un an, en mars 2020, elle est éditée par la société californienne Alpha Exploration Co, cofondée par Paul Davison et Rohan Seth. Clubhouse n’est pour l’instant disponible que sous iOS (pour les terminaux d’Apple) et uniquement sur invitation de l’un des « happy few » déjà inscrits dans la version bêta de ce réseau social vocal (1). Ces « early adopters » cooptés entre eux sont tout de même aujourd’hui 2 millions dans le monde à se connecter par semaine, d’après les deux créateurs dans un blog daté du 24 janvier dernier (2), sur déjà quelque 5millions d’inscrits. Maintenant qu’ils viennent de lever des fonds (100 millions de dollars, dit-on) auprès notamment de la société de capital-risque Andreessen Horowitz (alias « a16z »), créé en 2009 par Marc Andreessen et Ben Horowitz (3), leur objectif est d’« ouvrir Clubhouse au monde entier » et de lancer la version sous Android. Alpha Exploration Co est maintenant valorisée 1 milliard de dollars : une licorne est née. Chez a16z, l’associé Andrew Chen connaissait déjà Paul Davison depuis que celui-ci avait lancé en 2012 Highlight, un réseau social de proximité (musées, fêtes, salons, …) qui fut revendu à Pinterest. Cette fois, ce féru de réseau social donne de la voix, d’abord avec Talkshow puis maintenant avec Clubhouse (4). « La voix peut rassembler les gens, s’enthousiasme- t-il avec Rohan Seth. Vous pouvez être dans la pièce, souvent avec des gens dont l’expérience vécue est très différente de la vôtre ». Clubhouse s’organise virtuellement en plusieurs milliers de « rooms », chaque pièce accueillant plusieurs personnes pour parler de choses et d’autres, souvent autour d’un thème (musique, opéra, jeux, philosophie, méditation, voyages, etc.). « Tout cela grâce au pouvoir de la voix », ajoutent les cofondateurs. Elon Musk a même vanté les mérites du bitcoin dans une conversation « Clubhouse » le 1er février. Voilà en tout cas une licorne que Facebook, à qui l’on reproche déjà d’avoir racheté WhatsApp et Instagram, ne pourra pas mettre dans son escarcelle ! @

Retour sur le rapport parlementaire « antistrust » qui a convaincu des Etats américains d’attaquer les GAFA

Alors que des Etats américains se coalisent pour engager des poursuites judiciaires à l’encontre de Google et de Facebook, accusés d’abus de position de dominante, revenons sur les conclusions du rapport parlementaire « antitrust » qui appelle le Congrès des Etats-Unis à légiférer contre les GAFA.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique continue à désemparer les juristes dès lors que depuis plus de vingt ans, le droit ne cesse de courir désespérément derrière la technique. Que ce soit notamment du fait de l’abolition des frontières ou de la fin du monopole du support papier, le numérique s’est développé en dehors des lois et des Etats. Et c’est au nom de la défense de la liberté individuelle que les GAFA (1) se sont opposés à toute réglementation étatique. La tâche est d’autant plus facile que les Etats ne sont même pas d’accord entre eux sur la conduite à tenir.

Des start-up aux « killer acquisitions »
Schématiquement les Européens étaient en faveur d’une réglementation contraignante des GAFA, alors que les Américains – pensant être les bénéficiaires économiques de ces méga-plateformes numériques nées sur leur sol et suspectant des mesures protectionnistes européennes d’entraves à la mondialisation en marche – y étaient opposés ! Les Etats-Unis, eux, sont plus partisans d’une sorte de soft power par l’économie. Or, aujourd’hui, les GAFA sont devenus des monstres qui disposent d’une puissance dépassant ou rivalisant avec celle de certains Etats. Alors que le « Vieux Continent » – notamment la Commission européenne et les autorités de la concurrence françaises, allemandes et britanniques – ne cesse de réfléchir aux moyens de contrôler ladite puissance et de sanctionner ses abus, le « Nouveau Monde » semblent commencer à se préoccuper de la situation.
La commission des Affaires juridiques de la Chambre des représentants des Etats-Unis (2) a publié en octobre 2020 un rapport d’enquête concernant l’état de la concurrence sur les marchés numériques. L’objectif était de documenter les problèmes de concurrence, d’examiner si les entreprises dominantes se livraient à un comportement anticoncurrentiel, et d’évaluer si les lois antitrust existantes, ainsi que les politiques de concurrence et les niveaux d’application actuels, étaient adéquats. Après plus d’une année d’enquête, la collecte de preuves d’environ 1,3 million de documents, l’audition des différents intervenants et notamment les « Chief Executive Officer » (CEO) respectifs des GAFA (3), le rapport tire de nombreux enseignements. Ce rapport de 451 pages (4), qui fera date, constate que ces entreprises qui étaient autrefois des start-up rebelles et négligées sont devenues le genre de monopoles que les Etats-Unis ont connus à l’ère des barons du pétrole, des magnats des chemins de fer, et des financiers des télécommunications.
• Google a le monopole sur les marchés de la recherche générale en ligne et de la publicité. L’entreprise s’est depuis étendue à beaucoup d’autres secteurs d’activité (Chrome comme navigateur, Google Maps pour la cartographie, Google Cloud dans le nuage informatique, ou encore « l’Internet des objets » pour ne citer qu’eux).
• Amazon a une position dominante sur le marché des achats en ligne. Elle exerce un pouvoir de monopole sur de nombreuses petites et moyennes entreprises qui n’ont pas d’alternative viable à Amazon pour atteindre les consommateurs en ligne.
• Facebook a un pouvoir de monopole sur le marché des réseaux sociaux. Facebook a également maintenu son monopole grâce à une série de pratiques commerciales anticoncurrentielles.
• Apple a un pouvoir de marché significatif et durable sur le marché des systèmes d’exploitation mobiles lui permettant ainsi de contrôler toutes les distributions de logiciels sur les appareils iOS.
Bien qu’étant différentes, ces quatre sociétés ont des pratiques commerciales qui révèlent des problèmes communs. Chaque plateforme sert désormais de « portier » (gatekeeper) sur son canal-clé de distribution. En contrôlant l’accès aux marchés, les GAFA peuvent choisir les gagnants comme les perdants. Le succès des entreprises et des acteurs du marché (et donc leurs moyens de subsistance économiques) dépend donc du bon vouloir et de l’arbitraire des plateformes dominantes.

Première victime : le consommateur
Ce pouvoir est non seulement démesuré mais ils en abusent en facturant des frais exorbitants, en imposant des clauses commerciales abusives et en exploitant des data précieuses provenant de ceux qui utilisent leurs services. Pour renforcer leur position dominante, chaque plateforme utilise son statut de « portier » pour empêcher l’arrivée de nouveaux concurrents – notamment en identifiant et, le cas échéant, en annihilant des rivaux potentiels : soit en les rachetant, soit en les copiant ou soit en les détruisant. Le rapport mentionne même par deux fois l’expression « killer acquisitions ».
Le rapport reconnaît que les GAFA ont apporté des avantages évidents à la société américaine, cependant il constate que leur domination a un prix et qu’il est coûteux. La première victime est le consommateur. Par exemple, en l’absence de concurrence d’Apple, non seulement la qualité et l’innovation parmi les développeurs d’applications mais aussi le choix pour les consommateurs ont été réduits et les prix ont augmenté.
De même, la qualité de Facebook s’est détériorée au fil du temps, entraînant une dégradation de la protection de la vie privée de ses utilisateurs et une augmentation spectaculaire de la désinformation sur sa plateforme. En l’absence de garde-fous de protection de la vie privée adéquats aux Etats-Unis, la collecte persistante et l’utilisation abusive des données des consommateurs sont un indicateur du pouvoir de marché en ligne.

Pouvoir de marché en ligne accru
Le consommateur direct n’a pas été la seule victime de ces comportements ; le citoyen l’est aussi. En effet, les abus de ces positions dominantes affectent aussi la presse indépendante et diversifiée, l’innovation, la vie privée en ligne des Américains (la confidentialité et les données), mais aussi la démocratie. Le rapport relève qu’il existe une asymétrie de pouvoir significative et croissante entre les plateformes dominantes et les organes de presse. Cette domination a des effets néfastes sur la production et la disponibilité de sources d’information fiables. La domination de certaines plateformes en ligne a contribué au déclin des sources d’informations fiables qui sont pourtant essentielles à la démocratie.
La montée en puissance du pouvoir de marché en ligne a également affaibli considérablement l’innovation et l’esprit d’entreprise dans l’économie américaine. Certains investisseurs en capital-risque ne souhaitent pas financer de jeunes entreprises qui osent tenter d’entrer en concurrence frontale avec ces entreprises dominantes. Enfin, le pouvoir de marché de ces plateformes risque aussi de saper les libertés politiques. Du fait de leur position dominante, chacune de ces entreprises gère dorénavant sa part de marché et écrit sa propre quasi-réglementation privée sans rendre compte à personne d’autre qu’à elle-même. Par le lobbying, ces entreprises renforcent leur pouvoir d’influence sur le processus d’élaboration des politiques, façonnant davantage la manière dont elles sont gouvernées et réglementées. Elles sont devenues des Etats dans l’Etat. Les GAFA prennent aussi quelques libertés avec les tribunaux, soit parce que ces entreprises se considèrent comme au-dessus de la loi, soit parce qu’elles considèrent la violation de la loi comme un coût commercial. Ces géants du Net ont trop de pouvoir et cela va encore empirer car, dans la prochaine décennie, ils vont probablement concentrer à eux seuls 30 % de la production économique brute mondiale. Ce market power doit donc être limité et soumis à surveillance et contrôle, voire à sanctions. L’économie et la démocratie des Etats-Unis sont en jeu, et a fortiori aussi celles d’autres régions du monde. Pour tenter d’enrayer ce phénomène, le rapport affirme que les lois doivent être actualisées pour permettre à l’économie américaine de rester dynamique et ouverte à l’ère numérique. Il formule les objectifs suivants : restaurer la concurrence dans l’économie numérique, renforcer les lois antitrust, et relancer l’application de la loi antitrust. Cette condamnation sans appel du pouvoir démesuré et abusif des GAFA et cette invitation à agir – véritable appel à légiférer – sera-t-elle suivie d’effets ? Pour ce faire, il faudrait une évolution concomitante du pouvoir législatif, c’est-à-dire du Congrès américain (or ce rapport écrit essentiellement par des démocrates n’est probablement pas l’expression de la majorité du Congrès), du pouvoir exécutif (celui qui applique les lois de la concurrence) et du pouvoir judiciaire (puisqu’une évolution nécessiterait au préalable des revirements de jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis en matière de règles antitrust).
La tâche sera dure et la route longue. On peut y voir, a minima, une prise de conscience américaine et espérer que l’Amérique ne sera plus un obstacle aux tentatives de réglementation de l’Europe. Depuis 2016, la Commission européenne tente de repenser les règles du contrôle des concentrations dès lors que le critère du simple chiffre d’affaires de la cible n’est plus l’unique critère pertinent sur le marché numérique (5). Une des pistes serait de renforcer le caractère dissuasif des sanctions financières en cas d’abus de position dominante. Face aux chiffres d’affaires colossaux des GAFA, des amendes ont actuellement un effet marginal (6).

Les BATX et les YVOT en embuscade
Reste la solution du démantèlement pure et simple évoquée par ce rapport « anti-trust ». Si cette hypothèse semble être la seule solution concrète pour régler définitivement les abus des GAFA, elle n’est pas sans risque. En effet, elle ne peut être sérieusement envisagée qu’au niveau mondial. A défaut, démanteler les GAFA reviendrait à laisser la place vide aux BATX (7) chinois ou aux YVOT (8) russes qui sont en embuscade. Or le numérique est comme la nature, il a horreur du vide. Le risque serait donc de supprimer un risque américain pour lui substituer un risque d’un autre continent. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Brut et Loopsider sont portés par les médias sociaux

En fait. Le 4 décembre, le président de la République Emmanuel Macron a accordé une interview fleuve à la plateforme vidéo Brut. Le 26 novembre, une autre plateforme vidéo, Loopsider, révélait le tabassage du producteur de musique Michel Zecler (noir) par des policiers le 21 novembre. L’Elysée devient viral.

En clair. Brut, cofondé en novembre 2016 par Renaud Le Van Kim (ex-Canal+), et Loopsider, cofondé en janvier 2018 par Giuseppe de Martino (ex-Dailymotion), ont défrayé la chronique à une semaine d’intervalle grâce chacun à un « scoop 100% vidéo ». Ces deux plateformes de vidéo courtes ont chacune atteint avec un seul « sujet » une notoriété sans précédent auprès de tous les jeunes de France, les « Millennials » (1) – devenus « Génération covid » – qu’ils ciblent à coup de vidéos gratuites financées par la publicité (2). Les deux « vidéo-médias » misent à fond sur la viralité de leurs contenus, en les diffusant – ou en laissant leurs d’utilisateurs les partager – sur les caisses de résonnance que sont les puissants réseaux sociaux Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Twitch, TikTok ou encore Snapchat. Résultat : leur audience peut devenir massive d’un seul « coup » – médiatique justement, pour le plus grand intérêt aussi des annonceurs qui les financent par la publicité vidéo insérée dans les sujets traités ou par des « publi-vidéos » de marque. Et la viralité peut atteindre des niveaux très élevés – voire hors norme pour ce type de nouveau média – lorsque deux plateformes « 100% vidéo » se répondent en quelque sorte. Ce fut le cas entre Loopsider avec la diffusion à partir du 26 novembre d’un enregistrement de vidéosurveillance du tabassage à Paris d’un musicien noir (Michel Zecler) et Brut avec la retransmission le 4 décembre de l’interview du chef de l’Etat (Emmanuel Macron). Dans son entretien vidéo, ce dernier a redit avoir été « très choqué » par les images diffusées par Loopsider de l’interpellation brutale à caractère raciste. Sur Brut, il annonce la création dès janvier 2021 d’une plateforme pour signaler les discriminations.
En un peu plus de 24 heures, la vidéo de Loopsider a été vue plus de 12 millions de fois sur Twitter et près de 5 millions de fois sur Instagram, et partagé sur Facebook. Quant à la l’interview présidentielle de Brut, elle a été vue par plus de 7 millions de personnes sur les réseaux sociaux, auxquels se sont ajoutés plus de 100 millions de snaps sur Snapchat et plus de 6 millions de téléspectateurs sur les chaînes d’information en continu. En dehors de ces pics médiatiques, l’audience quotidienne de Brut (3) est actuellement de 13 millions de personnes, tandis que celle de Loopsider (4) est de plus de 2 millions. @

France : Huawei et TikTok se paient des personnalités

En fait. Le 25 novembre, l’administration Trump a accordé un délai supplémentaire – jusqu’au 4 décembre – au chinois ByteDance, maison mère de TikTok, pour céder ses activités américaines. De son côté, Huawei est aussi « blacklisté » au nom de la sécurité nationale des Etats-Unis. En France ? La diplomatie paie !

En clair. Les filiales Huawei France et TikTok France sont les bienvenues, contrairement aux Etats-Unis où leurs homologues américaines de ces deux groupes chinois sont « persona non grata ». Le contraste est saisissant. Les firmes chinoises de respectivement Shenzhen et Pékin se sont même payées le luxe de recruter pour l’Hexagone des personnalités qui ne passent pas inaperçues dans l’organigramme des entités françaises. Prenez TikTok France du groupe ByteDance : Eric Garandeau y a été recruté en septembre dernier en tant que directeur des Affaires publiques et des Relations avec le gouvernement (français). Embaucher un ancien président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui fut auparavant conseiller culturel de Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier était président de la République, est un coup de maître – digne d’une stratégie du jeu de Go très populaire dans l’Empire du Milieu. Eric Garandeau avait l’an dernier été pressenti pour présider la société publique-privée Pass Culture (1) que… Garandeau Consulting avait conseillée. Mais un article de Mediapart était venu contrarier ses ambitions (2). En démissionnant de Pass Culture, il a tourné la page mais sans se détourner des jeunes. Mieux qu’un lobbyiste, la filiale française de ByteDance s’est offerte une personnalité pour montrer patte blanche – comme avec le ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports dans la lutte contre le harcèlement en ligne. « Ça commence sur TikTok », scande la publicité pluri-média diffusée jusqu’au 20 décembre.
De son côté, Huawei France chercherait à amadouer le gouvernement français qu’il ne s’y prendrait pas autrement : après avoir hésité à être président du conseil d’administration de Huawei France (3), ce qu’il a finalement refusé en juillet 2019, Jean-Louis Borloo – ancien ministre, ex-député président de l’UDI – en a tout de même été membre de décembre 2016 à juillet 2020 (mandat écourté à mai). C’est Jean-Marie Le Guen, ancien député lui aussi et ex-secrétaire d’Etat et ancien adjoint de la Mairie de Paris, qui lui a succédé en septembre. Et fin octobre, c’est Jacques Biot – polytechnique dont la carrière avait débuté au ministère de l’Industrie et de la Recherche, avant d’être conseiller du Premier Ministre Laurent Fabius (1985) – qui a été nommé président du conseil d’administration de la filiale française (4)… « dans les intérêts de la France ». @

Les éditeurs n’ont plus que quatre mois pour adopter la nouvelle recette de la Cnil sur les cookies

La Cnil commencera fin mars 2021 à sanctionner les éditeurs de services en ligne qui ne se seront pas mis en conformité avec ses nouvelles règles les obligeant notamment à obtenir de manière plus stricte qu’avant le consentement des internautes avant de déposer des traceurs sur leurs terminaux.

Par Florence Chafiol, avocate associée, et Stéphanie Lapeyre, avocate, August Debouzy

Le cookie, ce petit fichier texte informatique déposé et lu sur le terminal d’un utilisateur, n’a vu le jour qu’en 1994. Si, au début de leur création, les cookies avaient une utilité limitée et méconnue du grand public, ils sont aujourd’hui au coeur de la stratégie numérique de la plupart des éditeurs de services en ligne et sources de nombreux débats. Victimes de leur succès, leur utilisation a rapidement été réglementée (1). En 2002, la directive européenne dite « ePrivacy » (2) est venue encadrer leur utilisation.

Base de la recette : informer les utilisateurs
Le consentement est alors devenu central : en principe pas de cookies sans accord préalable des utilisateurs. En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a adopté sa première recommandation sur le sujet en 2013, afin de guider les éditeurs dans l’application de la loi et notamment dans les modalités d’obtention du consentement. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ayant durci les conditions d’obtention d’un tel consentement, la Cnil a adopté le 4 juillet 2019 de nouvelles lignes directrices (3) qui sont venues abroger la recommandation de 2013. Ces lignes directrices ont été partiellement remises en cause par le Conseil d’Etat (4), et une nouvelle version a alors vu le jour le 17 septembre 2020 (5), assortie de recommandations opérationnelles (6) pour accompagner au mieux les éditeurs.
A la lecture de ces nouveaux documents adoptés par la Cnil, on note tout d’abord que l’obligation d’information préalable des utilisateurs est renforcée par rapport à 2013, même si ses modalités ne changent pas réellement : la Cnil recommande toujours une information à deux niveaux, avec un premier niveau mis en évidence lors de la connexion à la plateforme, qui contient les informations essentielles (dans la fameuse interface de recueil de consentement souvent appelée « bannière cookies ») et qui renvoie à un second niveau d’information plus complet. Cependant, les éléments devant figurer dans ces deux niveaux d’information sont largement précisés et apparaissent plus contraignants qu’auparavant. Les entreprises devront ainsi notamment s’assurer que leur bannière cookies :
Mette en exergue chaque finalité spécifique dans un intitulé court accompagné d’un bref descriptif. Un niveau de détail plus important que celui qui existe actuellement est donc requis dès le premier niveau d’information. Il ne sera dès lors plus possible, par exemple, de se contenter d’informer l’utilisateur de l’utilisation de cookies à des fins publicitaires ; il faudra préciser si ces derniers sont utilisés pour de la publicité ciblée, non-ciblée, géolocalisée, etc.
Permette à l’utilisateur d’accéder facilement à une information détaillée sur chaque finalité. L’utilisateur doit pouvoir cliquer sur un lien hypertexte « en savoir plus » ou ouvrir un menu déroulant lui donnant, pour chaque finalité, des informations plus précises sur les opérations techniques réalisées.
Permette à l’utilisateur d’accéder facilement à la liste exhaustive et à jour des responsables de traitement. Pour ce faire, la Cnil recommande d’indiquer le nombre de responsables de traitement et de renvoyer, via un lien hypertexte, vers une liste plus exhaustive (avec leur identité et un lien vers leur politique de protection des données) (7). L’éditeur devra donc être en mesure d’établir une liste de l’ensemble des organismes qui seraient susceptibles de déposer des cookies sur son site/application (cookies tiers) pour leur propre compte et devra mettre cette liste à jour régulièrement.

Ingrédient essentiel : le consentement
La « recette » reste inchangée : sans consentement, pas de cookies – sauf exceptions. Mais, à la suite de l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018, les modalités d’obtention de ce consentement préalable ont été durcies. Pour que le consentement soit valide il faut désormais, selon la Cnil, que la bannière cookies permette à l’utilisateur :
D’exprimer son consentement à l’utilisation de cookies par un acte positif clair, comme par exemple cocher une case (non pré-cochée) ou cliquer sur un bouton « accepter ». Changement majeur donc : la simple poursuite de la navigation ne peut plus être considérée comme une expression valide du consentement.
D’accepter ou refuser le dépôt de cookies avec le même degré de simplicité, via le même écran. Alors que la Cnil réclamait initialement dans son projet de recommandation une symétrie parfaite pour les boutons accepter et refuser (même niveau, même format), elle semble avoir quelque peu assoupli sa position en envisageant également d’autres modalités de refus comme par exemple un bouton « continuer sans accepter » situé sur le même écran, mais à un autre niveau. Même si la Cnil met en garde contre les pratiques trompeuses qui mettent visuellement plus en valeur un choix plutôt qu’un autre, un tel assouplissement risque néanmoins de permettre aux éditeurs d’orienter le choix des utilisateurs en adaptant le design de l’interface.
D’exprimer son choix de manière granulaire. Si l’utilisateur peut avoir la possibilité d’accepter tous les cookies en même temps (via un bouton « tout accepter » par exemple), il doit également avoir la possibilité d’exercer son choix finalité par finalité. Un bouton « personnaliser mes choix » qui se trouverait au même niveau que le bouton « tout accepter » doit lui être proposé.