Régulation des plateformes numériques : état des lieux et des divisions

Cela fait un an, le 6 mai, que la Commission européenne a présenté sa « Stratégie pour un marché unique numérique ». Depuis, le principe de « loyauté des plateformes numériques » fait son chemin et pourrait devenir le pendant de la neutralité des réseaux. La France et l’Allemagne le réclament.

Le CSA veut obliger Netflix et YouTube à financer la création cinématographique et audiovisuelle

C’est le grand cheval de bataille du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) au niveau européen en 2015 : amener Netflix, YouTube et d’autres gatekeepers du Net à contribuer au financement de films et de productions audiovisuelles, en réformant en ce sens la directive européenne « SMA ».

Par Charles de Laubier

Olivier SchrameckEn France, Netflix ou YouTube ne sont ni soumis aux obligations de financement de la production cinématographique et audiovisuelle ou de quotas prévues par le premier décret dit « SMAd » (services de médias audiovisuels à la demande) de novembre 2010, ni aux dispositions « anti-contournement » du second décret « SMAd » de décembre 2010 censé s’appliquer aux services de vidéo en ligne situés dans un autre pays européens que la France.
Car ces plateformes mondiales d’origine américaine ne sont pas basées dans l’Hexagone : le numéro un mondial de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), Netflix, est aux Pays-Bas (Amsterdam) depuis le 1er janvier (après avoir été au Luxembourg) – et le numéro un mondial des plateformes de partage vidéo, YouTube, est basé à Dublin chez sa maison mère Google. Même le service Jook Video du groupe AB (fondé par le Français Claude Berda et basé au Luxembourg) échapperait aux obligations audiovisuelles françaises (1).

Distorsion de concurrence
C’est pour remédier à cette « distorsion de concurrence » au détriment des plateformes vidéo françaises comme CanalPlay, Videofutur ou Filmo TV que le CSA coopère avec la Commission européenne dans la réforme de la directive de 2010 sur les services de médias audiovisuels (SMA) (2).
Son président, Olivier Schrameck (photo), est aux avant-postes de la réforme depuis qu’il a été nommé il y a un peu plus d’un an maintenant à la présidence de l’ERGA (3), le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels alors créé auprès de la Commission européenne.
Son objectif est, avant la fin de son mandat à la tête de l’ERGA le 31 décembre prochain (il en sera ensuite vice-président en 2016), d’ »intégrer les nouveaux opérateurs dont les plateformes Internet pour qu’ils participent eux aussi au financement de la création » (4).
Son président, Olivier Schrameck (photo), est aux avant-postes de la réforme depuis qu’il a été nommé il y a un peu plus d’un an maintenant à la présidence de l’ERGA (5), le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels alors créé auprès de la Commission européenne. Son objectif est, avant la fin de son mandat à
la tête de l’ERGA le 31 décembre prochain (il en sera ensuite vice-président en 2016), d’« intégrer les nouveaux opérateurs dont les plateformes Internet pour qu’ils participent eux aussi au financement de la création » (6). Si Netflix ou YouTube sont les premiers en ligne de mire, d’autres acteurs du Net devenus des « gardiens d’accès » (gatekeepers) dans la chaîne de valeur du secteur audiovisuel font aussi l’objet d’une réflexion européenne sur l’opportunité de les inclure dans la future nouvelle directive SMA. Pour l’heure, cette dernière ne concerne que les services de VOD et de catch up TV. Mais quid des nouveaux intermédiaires audiovisuels que sont les plateformes vidéo, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) avec leur box d’accès à la télévision ADSL, les fabricants de terminaux connectés (smartphones, tablettes, smart TV, …) ?
« S’ils n’exercent pas nécessairement de responsabilité éditoriale sur les contenus qu’ils transportent, ils sont désormais des acteurs importants dans le paysage audiovisuel. Il apparaît donc nécessaire de réfléchir sur les conséquences de tels développements, notamment en termes (…) de financement des contenus (7) »,
est-il expliqué dans le programme de travail de l’ERGA pour 2015. Les conclusions
des « CSA » européens sur l’adaptation du cadre réglementaire sont attendues d’ici la fin de l’année. Après les trois premières réunions plénières de l’ERGA, de mars 2014, d’octobre 2014 et d’avril 2015, la prochaine aura lieu à l’automne prochain et les conclusions d’ensemble sont prévues en décembre. La dimension transfrontalière rend encore plus nécessaire une approche au niveau des Vingthuit. C’est là qu’entre en jeu la question de la « compétence territoriale » qui fait l’objet de divergences entre les Etats membres dans le cadre de la transposition de la directive SMA, laquelle – tout comme l’ancien directive « Télévision sans frontières » qu’elle avait remplacée – s’appuie sur le principe du « pays d’origine » et non sur celui souhaité de « pays de destination ». Par exemple, Netflix est basé aux Pays-Bas et relève donc pas de la réglementation audiovisuelle de la France sur le financement de la création (seule la TVA a commencé à être harmonisée depuis le 1er janvier). Pour remédier à cette
« asymétrie » entre services français et services provenant d’un pays tiers, l’ERGA veut changer la directive SMA sur ce point sensible et ainsi « résoudre les conflits en ce qui concerne la compétence territoriale, afin d’éviter tout vide juridique sur ce sujet ».

Compétence territoriale
La France, qui est le pays européen aux plus fortes obligations d’investissement dans le cinéma et l’audiovisuel via le compte Cosip du CNC, va tout faire pour que la directive SMA change pour le pays de destination. C’est le CSA qui préside justement, à l’ERGA, le nouveau groupe de travail sur la compétence territoriale. Quant à la Commission européenne, dans le cadre de son programme dit
« Refit » (Regulatory Fitness and Performance), elle espère parvenir à une nouvelle directive SMA dès l’an prochain. @

Charles de Laubier

Réforme de l’audiovisuel : plus de pouvoirs pour le CSAmais plus de fréquences pour l’Arcep

Le président de la République va continuer à nommer le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mais le projet de loi débattu cet été renforcera l’indépendance de l’audiovisuel public et le pouvoir de sanction du CSA. En attendant 2014 pour tenter de réguler Internet.

Comment le CSA, l’Arcep, la Cnil et le législateur mettent les médias sociaux sous surveillance

A peine ont-ils émergé dans le nouveau paysage médiatique que les médias
sociaux se retrouvent d’emblée l’objet de toutes les attentions des régulateurs et des parlementaires. La prochaine loi audiovisuelle pourrait constituer un premier pas vers la régulation d’Internet.

« Le régulateur ne doit ni stopper ni brider ces nouveaux médias, mais veiller à ce
qu’ils respectent la protection des données », a voulu temporiser Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil (1). « Il ne s’agit pas d’instaurer un carcan réglementaire mais plutôt un cadre s’appuyant sur la flexibilité du droit. Pas question non plus de contrôler les contenus », a tenu à rassurer Françoise Benhamou, membre du collège de l’Arcep.
« Je ne dis pas qu’il faille transposer stricto sensu dans le monde Internet la régulation des contenus audiovisuels », a tenté de rassurer à son tour Emmanuel Gabla, membre
du CSA.

Nouveau médias : qui contrôle quoi ?
Même la sénatrice Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe Médias et Nouvelles technologies du Sénat et auteur du rapport « Gouvernance européenne du numérique » attendu pour fin février, a voulu minimiser la portée des réflexions en cours : « Les médias sociaux sont encore un phénomène trop récent pour savoir quelle forme il prendra et quelle devra être l’évolution de la régulation et du droit existant ». Les trois régulateurs et le législateur, qui s’exprimaient le 20 décembre dernier lors des sixièmes Assises de la Convergence des médias (2), ont ainsi tenté de ne pas inquiéter leur auditoire sur leurs intentions vis à vis des médias sociaux. Le thème de leur table-ronde était, elle, sans ambiguïté : « Quelle régulation pour les médias sociaux ? ».
Un lapsus d’Emmanuel Gabla, vite rectifié, en dit long sur le regard que leur porte le CSA : « L’intrusion… L’implication des médias sociaux permet à l’utilisateur de passer de l’autre côté du miroir. Il faut que les médias classiques ne perdent pas les rames et que les chaînes gardent la maîtrise de l’antenne, dans le respect de la déontologie (3). La course à l’info et aux scoops induite par ces réseaux sociaux peut poser un problème », a-t-il mis en garde. Avec la TV connectée, le régulateur de l’audiovisuel voit l’avènement de la Social TV où vont cohabiter les contenus du public et ceux des professionnels. « Notre régulation que l’on considère comme un jardin à la française existe. Mais avec les nouveaux acteurs du Net et les magasins d’applications, il y a (comme) un trou dans la raquette (de la régulation) », a estimé Emmanuel Gabla.
La Cnil, elle, se demande si la régulation actuelle est encore pertinente à l’heure du «marketing de soi », dans la mesure où le droit à la vie publique est une nouveauté par rapport au droit à la vie privée. « Faut-il ajuster la législation ? Oui, dans certains cas »,
a clairement répondu Isabelle Falque-Pierrotin. Après la recommandation du 12 juin 2009 émise par le Groupe 29 des régulateurs européens chargés de la protection des données personnelles, la Cnil publie en janvier un avis sur l’« éducation numérique ». Et après la pédagogie, la régulation ? « La mobilisation des régulateurs vis à vis des réseaux sociaux – comme Google qui a vu ses nouvelles règles de vie privée contestées, comme Facebook qui a reculé sur la reconnaissance faciale, ou comme Instagram qui a fait marche arrière sur la propriété des photos des utilisateurs – les pousse à se mettre en conformité et à mieux informer leurs utilisateurs pour qu’ils puissent faire un choix éveillé et averti », s’est félicité Isabelle Falque-Pierrotin.
Le projet de règlement européen sur la protection des données – présenté il y a tout
juste un an par la commissaire européenne Viviane Reding (4) – veut aller plus loin
en soumettant les acteurs du Net extra-européens à la législation communautaire renforcée (5), dès lors qu’un internaute européen est concerné. Parmi les 14 propositions présentées le 5 décembre dernier par la commission de suivi des usages de la télévision connectée du CSA (6), l’une d’elle consiste à « élaborer des recommandations générales et bonnes pratiques en matière de données à caractère personnel », en y associant la Cnil.

Neutralité du Net et libertés fondamentales
Quant à l’Arcep, elle se défend de tout contrôle sur les médias sociaux et veut s’en tenir
à la neutralité de l’Internet. Françoise Benhamou a d’ailleurs fait à ce propos l’analogie avec le droit de la presse qui cherche « un équilibre entre les libertés fondamentales et
la sauvegarde de l’ordre public » (loi de 1986 sur la liberté de communication) et prévoit une neutralité dans la distribution des journaux (loi de 1947 dite « Bichet »). L’Arcep n’exclut cependant pas des points de convergence pour de « nouvelles régulations »
qui supposent « une évolution du droit ». Les médias sociaux sont donc d’ores et déjà prévenus et n’ont qu’à bien se tenir… @

Charles de Laubier

L’UIT veut devenir le super-régulateur du Net

En fait. Le 9 novembre, s’est achevée la consultation publique de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) sur la révision du Règlement des télécommunications internationales (RTI) prévue par l’UIT lors
de la conférence mondiale de Dubaï du 3 au 14 décembre.