Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, veut renforcer les contenus français dans « l’océan numérique » mondial

C’est « le » 27e ministre de la Culture sous la Ve République française et la 11e femme à cette fonction (1). La Franco-Libanaise Rima Abdul Malak est depuis le 20 mai la nouvelle locataire de la rue de Valois. Jamais les défis n’ont été aussi grands pour les « industries culturelles et créatives », notamment face à « la révolution numérique ».

« Je suis résolue à défendre notre souveraineté culturelle pour affirmer la place de la création française, de la langue française, de l’innovation française dans l’océan numérique, et bientôt dans le métavers, vous l’avez dit [se tourant vers Roselyne Bachelot], amplifier le développement de notre cinéma, de nos industries créatives, à la fois en France, en Europe et à l’international », a lancé Rima Abdul Malak (photo) lors de la passation de pouvoirs avec Roselyne Bachelot, le 20 mai, au ministère de la Culture, rue de Valois. Et de poursuivre au cours de son discours : « Je suis résolue à défendre un audiovisuel public, pluraliste et indépendant, un audiovisuel qui va continuer à s’adapter aux nouveaux usages et à cette révolution numérique qui ne cesse de s’accélérer ». Rima Abdul Malak (43 ans) est une « Millennial » de la première heure, née 11 février 1979 à Beyrouth, au Liban. Dès son enfance, elle a été immergée dans la télévision, le cinéma, le jeu vidéo et les terminaux numériques. Elle découvrira Internet avec la « Génération Z » suivante, ceux nés dans le milieu des années 1990. Lors de son allocution d’intronisation, Rima Abdul Malak (« RAM ») a emboîté le pas à Roselyne Bachelot, notamment sur la question des « industries culturelles et créatives » (ICC) confrontées à « la révolution numérique ».

La perspective des « métavers » culturels agite la rue de Valois
RAM est la ministre de la Culture dont les attentes de la part des ICC – pesant 91,4 milliards de chiffre d’affaires en 2018 et 2,3 % du PIB français avant la pandémie (2) – n’ont jamais été aussi élevées, après deux ans de restrictions et de fermetures (salles de cinéma, concerts, spectacles vivants, théâtres, librairies, …) dues au covid-19, mais aussi face à la révolution numérique qui s’amplifie d’année en année. L’ex-conseillère Culture d’Emmanuel Macron à l’Elysée devra notamment mettre en œuvre l’engagement de son mentor, alors président-candidat, d’investir « pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle, autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations, en protégeant les droits d’auteur et droits voisins » (3). Le locataire de l’Elysée (44 ans), à peine plus de treize mois plus âgé qu’elle, n’a donné que les grandes lignes de ce qu’il entendait par « métavers européens » et notamment dans le domaine de la culture.

Redevance audiovisuelle, Web3, streaming, NFT, …
« Concrètement, je veux faire en sorte que les acteurs européens maîtrisent les briques technologiques associées au Web3 et au métavers pour ne pas dépendre des géants américains ou chinois », avait expliqué Emmanuel Macron fin avril dans une longue interview à The Big Whale. Et le chef d’Etat d’envisager ces univers virtuels et immersibles pour la culture justement : « Bâtir un métavers européen c’est aussi produire, promouvoir et maîtriser nos contenus culturels et créatifs. Le métavers a un immense potentiel dans la culture et les loisirs grâce à ses applications dans la musique, concerts, expositions artistiques, etc. Nous ne pouvons réfléchir notre politique culturelle en dehors de cette révolution. Je souhaite que nos principaux établissements culturels développent une politique en matière de NFT (…). La France, à travers sa langue, son patrimoine, ses villes et villages, ses monuments, doit aussi exister dans le métavers. Je souhaite que nous puissions réfléchir à ce que serait un musée dématérialisé de l’histoire de France dans cet univers » (4). RAM, déjà confronté aux difficultés réelles de la culture, devra faire face à celles des métavers.
Autre gros dossier sur son bureau rue de Valoir : la suppression de la redevance audiovisuelle, « décision précipitée et malvenue du Président de la République », dit le 23 mai la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Un rapport sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel » devrait lui être remis avant la fin de ce printemps par la mission qu’il avait confiée en octobre 2021 à l’IGF (5) et à l’Igac (6). Mais le flou nourrit les inquiétudes. « L’absence de toute garantie d’un financement affecté – de nature à maintenir une ambition élevée du service public, à l’égard notamment de la création, et à assurer une indépendance incontestable – ouvre la porte à une fragilisation durable et dangereuse de l’audiovisuel public », a pointé le 20 mai la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) prévient, lui, qu’il sera « vigilant ». Ou encore le Syndicat des radios indépendantes (Sirti) et Locales.tv qui appellent à créer « un statut pour les médias audiovisuels locaux privés ».
Dans le secteur de la musique, alors qu’un « accord historique » a été signé le 12 mai sur la rémunération minimale des artistes diffusés en streaming musical (lire p. 6 et 7), la question du mode calcul de ces rémunérations reste encore en suspens : faut-il passer de l’actuel market centric au user centric, comme le suggèrent encore le 20 mai l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et son bras armée « copyright » la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) ? Un rapport commun du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et du Centre national de la musique (CNM), attendu pour juillet, devrait aider RAM à trancher, alors que la musique est en passe d’être « NFTéisée ».

Pass Culture, concentration, « mur d’investissements », …
Quant à l’« extension du Pass Culture pour accéder plus jeune à la culture », cette appli culturelle créditée de 300 euros offerts pour les 18 ans, elle devra aller plus loin que l’extension mis en place depuis janvier dernier à partir de 15 ans – les 15, 16 et 17 ans ne recevant que respectivement 20, 30 et à nouveau 30 euros. Sans parler des défis de la concentration dans les médias (TF1-M6, …) ou l’édition (Hachette-Editis, …) qui se poseront à elle. Quoi qu’il en soit, les 4 milliards alloués en 2022 à la Culture – soit 0,5% du budget de l’Etat – semblent bien maigres face au « véritable mur d’investissements » (dixit Roselyne Bachelot) qui se présente à RAM. Du jamais vu sous la Ve République. @

Charles de Laubier

Bilan et perspective de Roselyne Bachelot-Narquin, par elle-même
Verbatim (extrait) :

« Il fallait accompagner les évolutions majeures de ces industries culturelles et créatives. Tout d’abord, en réformant profondément le financement de la création audiovisuelle et du cinéma : la mise en place – à l’issue de… longues [levant les yeux au ciel] et interminables négociations du décret SMAd (7) qui intègre les plateformes américaines [Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …, ndlr] dans notre système original de financement, et sa déclinaison pour la TNT (8), et puis la fameuse renégociation – que l’on nous disait impossible – de la chronologie des médias (9). Il nous a fallu batailler, notamment au Parlement, pour préserver un autre mode de financement indispensable au secteur, comme les festivals et la rémunération pour copie privée ; l’accès aux contenus culturels se fait de plus en plus à travers différents supports et il faut vraiment protéger les droits des artistes. Nous avons modernisé la régulation du secteur audiovisuel grâce à sa loi sur ‘”la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique” ; personne n’y croyait : tant mieux ! Et puis nous avons accompagné les évolutions de l’ensemble de nos industries culturelles à travers le PIA4 (10), puis  »France 2030 » – 1 milliard d’euros au total [en 2021, ndlr] – pour qu’elles puissent préparer l’avenir et affronter une compétition internationale de plus en plus rude. La révolution numérique est à l’œuvre depuis si longtemps ; elle est loin d’être terminée ; des évolutions majeures sont en cours autour des nouvelles pratiques de diffusion de la culture, comme le métavers par exemple. Notre culture a un rôle majeur pour proposer très vite des contenus pour ces nouvelles formes de diffusion. Le développement accéléré des grandes plateformes de musique et de vidéo à la demande a aiguisé une compétition terrible et mondiale. Nous pourrons ainsi financer de nouvelles capacités de formation de tournage, de création dans tous les domaines de l’audiovisuel, du cinéma et de la réalité virtuelle. Nous ne pouvons pas passer à côté de ces évolutions majeures ni laisser le champ libre aux seules cultures extra-européennes. Il s’agit de notre rayonnement. (…) Sans parler de la réforme de la redevance de l’audiovisuelle publique … [ouvrant de gros yeux perplexes en direction de sa successeure Rima Abdul Malak, ndlr],qui devra être garante de son indépendance… ». @

Raison fiscale ou digitale : fin de la redevance ?

En fait. Le 7 mars, lors d’un déplacement à Poissy (Yvelines) pour son premier meeting de président-candidat, Emmanuel Macron a lancé lors d’un échange avec des Pisciacais : « On va supprimer des impôts qui restent ; la redevance télé en fait partie ». Trois de ses rivaux la supprimeraient aussi. Dès 2023. Démagogique ?

En clair. La droite et l’extrême droite promettent la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, alias la redevance, tandis que la gauche et l’extrême gauche sont contre sa disparition. Preuve encore que le clivage gauche-droite resurgit dans cette campagne présidentielle 2022.
Les réactions du monde de la production audiovisuelle et cinématographique, qui dépendent de la manne des chaînes publiques, ont fusé : « Le candidat-président assume un choix hypocrite et dangereux. Hypocrite car les ressources (…) devront être prélevées sur les ressources de l’État, financées par les impôts des Français. Dangereux car ce choix aboutira à la fragilisation de l’audiovisuel public et à la remise en cause de son indépendance en soumettant son financement aux aléas et au bon vouloir des décisions gouvernementales », a vertement critiqué la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), fustigeant « la démagogie en marche » et « un cynisme insupportable ». Le BBA (Bloc, Blic, Arp), lui, parle d’« une grande inconséquence » aux « conséquences dramatiques ». Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) a fait part de son côté de « sa stupéfaction et son incrédulité ». Quant à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), elle évoque « le bug Macron » où le candidat « ignore » que le président a confié en octobre 2021 une mission à l’IGF (1) et à l’Igac (2) sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel », dont le rapport lui sera remis au printemps. Au gouvernement, Bercy et Culture sont en désaccord sur le plan B. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (ex-CSA) a suggéré le 8 mars sur France Inter : « Pourquoi ne pas envisager (…) que le régulateur donne chaque année un avis sur les dotations qui sont attribuées au service public ? ».
Au-delà de sa remise en cause par quatre candidats (Le Pen, Zemmour, Pécresse et Macron), la redevance audiovisuelle faisait débat depuis dix ans. La Suisse a été le premier pays a décider en mai 2013 de ne plus la faire payer aux seuls détenteurs de téléviseur, mais par tous les foyers dotés d’écrans numériques – en réduisant la taxe au passage (3). En France, la règle obsolète du poste de télévision perdure malgré la révolution numérique. Cette taxe annuelle, stabilisée à 138 euros depuis 2020, a rapporté l’an dernier 3,7 milliards d’euros – dont 65% affectés à France Télévision et 16 % à Radio France (4). @

Pas de front uni des groupes publics de télévision en Europe face aux Netflix, Disney+ et autres Amazon Video

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a-t-elle abandonné l’idée d’un « “Netflix public” européen » ? Car face aux grandes plateformes de SVOD, les télévisions publiques en Europe sont divisées. Il ne tient qu’à l’Union européenne de radio-télévision (UER), qu’elle préside en 2021 et 2022, d’y remédier.

« Un “Netflix public” européen est possible et peut naître dans les mois qui viennent. Un projet numérique d’ambition européenne au service de la création peut être le moyen de redonner de la fierté à l’audiovisuel public, et de prendre notre place dans la compétition mondiale », assurait Delphine Ernotte (photo) dans une tribune parue dans Le Monde le 14 novembre 2017.
Trois ans et demi après, alors que la patronne de France Télévisions préside aussi cette année et l’an prochain l’Union européenne de radio-télévision (UER) qui est composée de groupe public de l’audiovisuel : aucun « Netflix public » européen en vue. Les grandes plateformes privées américaines de SVOD (1), que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore AppleTV+, s’en donnent à cœur-joie sur le Vieux Continent où elles ne rencontrent aucun rival européen sérieux. Pourtant, c’était un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, formulée noir sur blanc dans son programme électoral : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes ». Une fois élu président de la République, le locataire de l’Elysée avait aussitôt confié à la présidente de France Télévisions le soin de concrétiser sa promesse de plateforme commune au niveau européen.

Britbox, Salto, Viaplay, Now, Joyn, Discovery+, …
Mais c’était sans compter l’ADN nationale des services publics de chaque pays, et l’absence de coordination des Etats membres – propriétaires de ces chaînes publiques – susceptibles de mener à bien un tel projet, chacun y allant de son projet. On connaît la suite : la BBC, le groupe audiovisuel public britannique, a lancé en novembre 2019 avec l’entreprise privée de télévisions ITV, son compatriote, la plateforme Britbox au Royaume-Uni ; le groupe de chaînes publiques France Télévisions a de son côté lancé en octobre 2020 avec les groupes français privés de télévision TF1 et M6 la plateforme vidéo Salto. Avant que les services publics de l’audiovisuel ne partent en ordre dispersé, des initiatives 100 % privées ont aussi fleuri. C’est ainsi que le groupe suédois Modern Times Group (MTG) a été pionnier dans l’offre de streaming vidéo en lançant en février 2011 Viaplay, service qui est maintenant opéré par le groupe scandinave Nordic Entertainment Group (groupe Nent), un spin-off créé par MTG il y a près de trois ans.

L’émiettement SVOD en Europe
Dans le privé toujours, le groupe britannique de télévision payante Sky, filiale de l’américain Comcast, a lancé quant à lui Now TV en juillet 2012 au Royaume-Uni, devenu Now et disponible dans d’autres pays. Les groupes audiovisuels américain Discovery et allemand ProSiebenSat.1 Media ont lancé ensemble en mai 2017 la plateforme Joyn Plus+ en Allemagne. De son côté, Discovery a aussi lancé en juillet 2018 en Grande-Bretagne et en Irlande le service de vidéo à la demande QuestOD, lequel a changé de nom en octobre 2019 pour Dplay, avant d’être à nouveau rebaptisé en octobre 2020 Discovery+. A ces principales plateformes de SVOD et/ou de TVOD (4) dans l’Union européenne (UE) s’ajoutent bien d’autres initiatives telles que TIM Vision (Telecom Italia) et Mediaset Infinity en Italie, TV 2 Play au Danemark, Videoplay et Videoland aux Pays- Bas, Ruutu+ en Finlande, Streamz en Belgique, Voyo en Slovénie, ou encore C More en Scandinavie. Sans parler du japonais Rakuten TV et du français Molotov TV.
Cet émiettement des plateformes fait le jeu des géants américains de l’Internet. Même NBCUniversal, filiale audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms américain Comcast avait les coudées franches pour lancer en février dernier, sur l’Hexagone, Hayu, sa plateforme d’émissions de téléréalité à la demande désormais disponible dans une dizaine de pays européens. Et son compatriote ViacomCBS, qui a redu disponible il y a plus de deux ans Pluto TV en Europe, y déploie parallèlement Paramount+ (ex- CBS All Access). Le champ est d’autant plus libre que le projet de « Netflix latin » envisagé en avril 2016 par le français Vivendi et l’italien Mediaset avait aussitôt tournée court, les deux groupes de respectivement Vincent Bolloré et Sylvio Berlusconi ne trouvant pas mieux que d’aller ferrailler en justice l’un contre l’autre durant cinq ans pour des rivalités capitalistiques (5). Quant aux groupes publics de télévision, le plus souvent financés par des redevances audiovisuelles payées par les foyers européens (138 euros en France, 220 en Allemagne), ils n’ont pas su s’organiser – même au sein de l’UER – pour donner la réplique aux GAFAN. Ce fut surtout faute d’une véritable volonté politique de la part des différents Etats membres. A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Emmanuel Macron a échoué à faire émerger un « Netflix européen » public et, par ailleurs, a abandonné sa grande réforme de l’audiovisuel (6). Le marché européen de la SVOD est pourtant bien là, avec ses 9,7 milliards de chiffre d’affaires en 2020 selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) – auxquels s’ajoutent 1,87 milliard pour la TVOD, soit un total de 11,6 milliards d’euros généré l’an dernier (voir graphique). Delphine Ernotte, à la tête de France Télévisions depuis août 2015 et reconduite à ce poste en juillet 2020 pour un mandat de cinq ans, peut-elle relancer l’idée de « “Netflix public” européen » en tant que présidente de l’UER jusqu’au 31 décembre 2022 ? Le 28 mai, cette union de « médias de service public » – dépassant largement l’UE avec 115 organisations membres dans 56 pays – a annoncé la nomination d’un directeur du numérique, de la transformation et des plateformes (7). Le Belge Wouter Quartier prendra ses fonctions en août prochain. Il a été le « Monsieur digital » de la radiotélévision flamande VRT et de sa plateforme vidéo VRTNu. « Wouter Quartier travaillera en étroite collaboration avec un comité numérique nouvellement élu qui s’est engagé à soutenir l’UER à mesure que nous progressons dans ce domaine », a indiqué Jean Philip De Tender, directeur média de l’UER.
Reste à savoir si, au-delà de sa mission première d’aider les médias publics à développer leurs activités numériques et leurs propres plateformes, émergera une volonté d’une plateforme SVOD commune, du moins dans l’UE. Rien n’est moins sûr, les homologues de France Télévisions continuant à résonner « national » lorsque ce n’est pas « régional ». Et la stagnation des financements publics, voire leur recul, et la baisse des recettes publicitaires, dans un contexte de crise sanitaire, entraîne un « repli sur soi » des médias publics. A défaut de plateforme paneuropéenne publique, Delphine Ernotte et Emmanuel Macron se sont repliés sur la co-production.

Repli sur la coproduction européenne
« Je crois à la construction d’un audiovisuel européen, non pas à une seule chaîne européenne, mais à l’alliance, au soutien entre les médias publics. Très concrètement, je me suis attachée à des coproductions européennes entre la ZDF (Allemagne) et la Raï (Italie) et vous verrez prochainement sur nos antennes le produit de ces coproductions » (8), a indiqué Delphine Ernotte le 3 mai dernier sur France Inter. Il y a six mois, dans Le Monde, elle déclarait : « L’addition de nos budgets représente 20 milliards d’euros. Investir ensemble une petite partie de cette manne permettra de faire naître un marché de la création européenne qui s’exporte au-delà de nos frontières ». Pas de quoi inquiéter pour l’instant les « Netflix » et les autres géants de la SVOD. @

Charles de Laubier

La plateforme Salto est payante et… avec publicités

En fait. Le 20 octobre, le groupe public France Télévisions et ses concurrents du privé TF1 et M6 ont enfin lancé leur plateforme commune de TV et de SVOD pour jouer la carte de « l’exception culturelle française » face aux Netflix, Amazon Video et autres Disney+. Salto est payant mais la publicité n’est pas bien loin.

Les offres payantes de l’audiovisuel public posent toujours questions au regard de la redevance

Alors que la nouvelle plateforme payante Madelen de l’Ina dépasse les 55.000 abonnés (dont 15.000 hérités de l’Ina Premium), se pose à nouveau la question de faire payer une offre lorsque celle-ci est censée être déjà financée par la redevance audiovisuelle.

Au regard de la redevance audiovisuelle que paient la quasi-totalité des 28 millions de foyers fiscaux en France (138 euros en 2020), n’est-il pas contradictoire que des entreprises de l’audiovisuel public fassent payer en plus les Français pour des services censés être déjà financés justement par cette contribution à l’audiovisuel public (CAP) ? C’est la question que Edition Multimédi@ a posée au président de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), Laurent Vallet (photo de gauche), lors du lancement de Madelen.

Payer la redevance et un abonnement
« La question de proposer une offre de streaming illimité payante est d’abord une question d’usage : existe-t-il un marché pour une offre patrimoniale payante ? L’expérience du service Ina Premium, lancé à l’automne 2015, nous a montré que c’était le cas, et nous avons souhaité développer Madelen », nous a répondu Antoine Bayet (photo de droite), responsable du département des éditions numériques de l’Ina. Cet établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) justifie aussi cette nouvelle source de revenu par le fait que sur son budget annuel d’environ 130 millions d’euros par an, 30 % sont des ressources propres. Ce chiffre d’affaires provient de la facturation de services audiovisuels ou multimédias à des professionnels (chaînes, producteurs, documentalistes, …) et, depuis le lancement d’Ina Premium il y a près de cinq ans, aux particuliers. Avec ces 30 %, l’Ina revendique d’ailleurs le taux de ressources propres le plus élevé (et de loin) parmi les entreprises de l’audiovisuel public, où ce taux est en général inférieur à 10 %. Il n’empêche : l’Ina est déjà bien financé par la redevance audiovisuelle que paient l’ensemble des 28 millions de foyers fiscaux disposant d’un téléviseur en France (97 %), et cette taxe – la CAP – rapporte chaque année plus de 3 milliards d’euros à l’audiovisuel public, dont près de 100 millions d’euros à l’Ina – en l’occurrence quelque 88 millions d’euros cette année (1).
Mais en payant 35,9 euros par an pour accéder à la plateforme Madelen (2), après trois mois d’essai gratuit, les abonnés n’ont-ils pas l’impression de payer deux fois pour un contenu déjà financé par la CAP ? « Ceux qui choisissent de s’abonner à notre nouvelle offre de streaming illimité – ils sont 55.000 au moment où nous nous parlons – peuvent accéder à un service éditorialisé riche de plus de 13.000 programmes vidéo et audio (3) sélectionnés parmi les millions d’heures du catalogue de l’Ina », a poursuivi Antoine Bayet. Et d’ajouter : « Concernant le tarif de 2,99 euros par mois, qui était celui d’Ina Premium, nous avons décidé de le maintenir inchangé. Faire payer une modique somme – pour couvrir le coût du service, son investissement technique et l’éditorialisation de ses contenus – nous semble approprié » (4).
Lancé quelques jours après le début du confinement, le service Madelen profite du #restezchezvous pour engranger des abonnés qui sont la plupart encore dans la période des 90 jours gratuits. « A ce stade, nous avons déjà 15.000 abonnés payants hérités de l’ancien service Ina Premium, lequel avait séduit jusqu’à 60.000 inscrits. Avec Madelen, nous verrons à l’été prochain les éventuels désabonnements (des nouveaux abonnés) au terme de la période de gratuité », nous a indiqué le Monsieur « Digital » de l’Ina. Y a-t-il d’autres services payants envisagés par l’Epic du patrimoine audiovisuel ? « Nous avons suffisamment à faire actuellement avec Madelen ! D’autant que son lancement a été avancé pour permettre aux abonnés d’en profiter durant le confinement », a expliqué Antoine Bayet. Dans le même esprit, mais cette fois gratuitement, l’Ina a lancé le 23 mars une nouvelle chaîne sur YouTube destinées aux enfants : Ina Kids (5). Pourquoi ne pas en avoir fait là aussi un service payant ? « Sur Ina Premium, il y avait des programmes pour enfants mais ils ont été très peu regardés. Le choix a été de les rendre accessibles sur une chaîne dédiée, laquelle proposera 1.500 vidéos », a-t-il répondu.

Du gratuit au payant, de France.tv à Salto
L’Ina et sa Madelen n’est pas la seule entreprise de l’audiovisuel public où se pose la question de services payants censés être « gratuits ». France Télévisions, pourtant le plus gros consommateur de redevance audiovisuelle, envisage avec TF1 et M6 de lancer – en version bêta fermée à parti du 3 juin et commercialement en septembre – un service de SVOD payant, Salto (6). Le prédécesseur de l’actuelle présidente Delphine Ernotte, Rémy Pflimlin, n’avait pas osé lancer un tel service payant par scrupule vis-à-vis de la redevance et des Français (7) (*) (**). Quant au site web France.tv (ex-Pluzz jusqu’en mai 2017), qui devait proposer quelques contenus payants identifiés par une pastille orange et le signe «€», il reste gratuit, pour l’instant. @

Charles de Laubier