Publicité en ligne : les GAFA américains n’ont pas réussi à tuer l’ex-licorne française Criteo

Alors qu’il sera redevable de la taxe « GAFA » de 3 % applicable dès cette année,
le spécialiste mondial du (re)ciblage publicitaire en ligne – le français Criteo – a frôlé la catastrophe industrielle après avoir été déstabilisé par Apple et Facebook. Son chiffre d’affaires a stagné en 2018, à 2,3 milliards de dollars. Et son résultat net a reculé, à 96 millions de dollars.

Impactée coup sur coup, d’une année à l’autre, par deux décisions successives prises de façon unilatérale par les américains Apple et Facebook, l’ex-licorne française Criteo – valorisée 1,8 milliard au Nasdaq (1) où elle est cotée depuis 2013 – aurait pu mettre la clé sous la porte si elle n’avait pas « pivoté » à temps vers le ciblage mobile (2). Son PDG cofondateur Jean-Baptiste Rudelle (photo) a même parlé de « choc exogène très violent ».

Bataille larvée entre App et Web
La première déstabilisation de l’écosystème de Criteo – vulnérable aux choix technologiques des GAFA – est venue en décembre 2017 d’Apple, qui a fait des changements dans son système d’exploitation et son navigateur Safari – à partir de
sa version 11. Le but de la marque à la pomme : rendre plus difficile et limité le pistage des utilisateurs par des cookies – ces petits fichiers de suivi logé dans le terminal de
ce dernier à des fins de ciblage publicitaire. Apple interdit depuis toute utilisation de cookies plus de vingt-quatre heures, conformément à son Intelligent Tracking Prevention (ITP). Et au bout de trente jours, ils sont automatiquement supprimés !
Ces changements sont intervenus avec le système d’exploitation iOS 11.2 pour mobile. « Maintenant on comprend mieux pourquoi Apple a fait ça : ils veulent basculer un maximum les gens dans le monde des “app” [applications mobile, ndlr], qu’ils contrôlent mieux que le monde des navigateurs [sur le Web] », avait expliqué Jean- Baptiste Rudelle lors d’une conférence téléphonique avec des analystes financiers le 1er août 2018.
Apple, de son côté, justifie cette restriction pour éviter les pratiques dites de retargeting jugées abusives. Ces reciblages publicitaires – grande spécialité de Criteo – consistent à recourir à des cookies pour traquer les internautes dans leur navigation sur différents sites web – notamment de e-commerce – afin de leur envoyer ensuite des publicités digitales (bannières ou vidéos) en rapport avec leurs centres d’intérêt détectés. Le retargeting peut aussi se faire par mots-clés sur les liens commerciaux affichés par
les moteurs de recherche. Google a d’ailleurs dû mettre en place un nouveau cookie
« Google Analytics » et une nouvelle balise de conversion « AdWords » spécifiques
à Safari pour être conforme à l’ITP. Reste à savoir si Google limitera à son tour les cookies sur son navigateur Google Chrome (3). La marque à la pomme a ainsi souhaité reprendre la main sur les annonceurs publicitaires et les prestataires techniques comme Criteo qui font du cross-tracking (suivi d’un internaute d’un site web à l’autre
à l’insu de ce dernier et souvent au mépris du respect de sa vie privée). La firme de Cupertino mise surtout sur le monde fermé des « apps » de son App Store qu’elle contrôle, contrairement au Web ouvert. Résultat, dès mi-décembre 2017, Criteo a vu son cours de Bourse au Nasdaq s’effondrer de près de 30 % à l’annonce de l’ITP d’Apple. La pépite de la « French Tech » avait alors dû revoir à la baisse ses prévisions de croissance et d’objectifs de chiffre d’affaires, tout en rappelant Jean-Baptiste Rudelle à la rescousse en avril 2018 (après que celui-ci se soit mis en retrait en 2016). La vulnérabilité de Criteo était déjà apparue face aux logiciels anti-pub, les ad-blocks (4). Cette fois, les GAFA mettent le français à rude épreuve. Après Apple, ce fut au tour
de Facebook de s’en prendre l’an dernier à l’ex-licorne française en mettant un terme au partenariat avec elle à partir de juillet 2018. La perte de l’accréditation « Facebook Marketing Partner » empêche Criteo d’accéder aux outils de ciblage publicitaire proposés en version bêta par le premier réseau social mondial. Cette rétrogradation
fut révélée par Goldman Sachs début septembre, entraînant un recul jusqu’à 16 % de l’action Criteo en Bourse. Selon la banque américaine, le géant français du retargeting a été décertifié parce que « son intégration personnalisée ne correspondait plus aux priorités de Facebook ». Une autre analyse financière affirme que la firme de Mark Zuckerberg a décidé de pousser ses propres solutions de reciblage publicitaire et d’avoir des relations directes avec ses clients. C’est désormais plus difficile pour Criteo d’acheter auprès de Facebook des inventaires publicitaires.

Entre la fraude aux clics et le RGPD
Aux Etats-Unis, il se dit même que Facebook a eu des doutes sur la viabilité de Criteo après que Gotham City Research ait évalué à la moitié du chiffre d’affaires du français la part provenant de « sources douteuses » (clics frauduleux, robots virtuels à clics, clickbots, …) ou de sites web de « faible qualité » (5) (*) (**). A cela s’ajoutent les règles contraignantes depuis mai 2018 du RGDP en Europe, avec le consentement préalable des internautes avant le dépôt de cookies. Qu’il est loin le temps où Amazon (en 2012) et Publicis (en 2014) voulaient racheter Criteo… @

Charles de Laubier

Facebook (15 ans d’âge et moult scandales) : Mark Zuckerberg est responsable mais… pas coupable

Mark Zuckerberg, qui détient la majorité des droits de vote de Facebook alors qu’il en est actionnaire minoritaire, concentre tous les pouvoirs en tant que président du conseil d’administration. A bientôt 35 ans, le philanthrope milliardaire est intouchable malgré les scandales à répétition impactant le premier réseau social du monde.

Bernard Arnault, quatrième plus riche du monde, pourrait se voir détrôner en 2019 par Mark Zuckerberg (photo), qui le talonne
à la cinquième place des plus grandes fortunes de la planète. Comment un jeune Américain, qui va tout juste sur ses 35 ans (le 14 mai) pourrait-il faire subir un tel affront à un vénérable Français, deux fois plus âgé que lui et à l’aube de ses 70 ans
(le 5 mars) ? La richesse du geek, PDG de Facebook, a grimpée plus vite en un an que celle du patriarche, PDG de LVMH, pour atteindre au 8 février respectivement 65,5 et 76,3 milliards de dollars, selon le « Billionaires Index » de l’agence Bloomberg.
La fortune de Mark Zuckerberg a augmenté sur un an plus vite (+ 13,5 milliards
de dollars) que celle de Bernard Arnault (+ 7,7 milliards à la même date). Pour un trentenaire qui perçoit seulement un salaire annuel de… 1 dollar, depuis 2013 et conformément à sa volonté, contre 500.000 dollars auparavant, et sans recevoir non plus depuis de primes ou d’actions, c’est une performance ! Ses revenus proviennent en fait de ses actions qu’il détient en tant qu’actionnaire minoritaire de Facebook.
Mais les 17 % que le fondateur détient encore la firme de Menlo Park (Californie),
cotée en Bourse depuis mai 2012, ne reflètent pas vraiment son pouvoir de contrôle puisqu’il possède 60 % des droits de vote.

« Zuck » vend des actions Facebook jusqu’en mars 2019
Zuck – comme le surnomment ses proches collaborateurs – contrôle en effet Facebook grâce à une structure capitalistique très particulière composée de deux types d’actions : celles de « classe A » cotées en Bourse, mais surtout les « classe B » non cotées et à droits de votes préférentiels, ces dernières lui permettant de détenir plus de la majorité des droits de vote – bien que détenteur minoritaire du capital. Autant dire que le jeune multimilliardaire est, en tant qu’actionnaire de référence de Facebook, le seul maître à bord et ne peut être évincé sans son accord par le conseil d’administration qu’il préside!
« [Mark Zuckerberg] est en mesure d’exercer son droit de vote à la majorité du pouvoir de vote de notre capital et, par conséquent, a la capacité de contrôler l’issue des questions soumises à l’approbation de nos actionnaires, y compris l’élection des administrateurs et toute fusion, consolidation ou vente de la totalité ou de presque la totalité de nos actifs », souligne le groupe Facebook qui justifie cette concentration des pouvoirs sur un seul homme. A savoir : empêcher toute manœuvre capitalistique ou stratégique qui n’ait pas l’aval du PDG fondateur.

Entre potentat et philanthrope !
En septembre 2017, ce dernier avait bien tenté de créer une nouvelle catégorie d’actions – cette fois des « classe C », destinées à être cotées en Bourse – qui lui auraient permis de « prolonger » son contrôle sur son groupe par la majorité des droits de vote. Mark Zuckerberg avait défendu ce projet d’évolution de structure du capital pour pouvoir financer ses initiatives philanthropiques tout en gardant le contrôle des droits de vote et en ayant le dernier mot. Mais face à la levée de bouclier de certains actionnaires, il avait renoncé aux « classe C », tout en affirmant pourvoir quand même financer ses projets altruistes « pour encore au moins 20 ans ». Avec son épouse Priscilla Chan, le jeune PDG a alors prévu de « vendre 35 millions à 75 millions d’actions de Facebook dans les dix-huit mois [à partir de l’annonce faite en septembre 2017 et donc jusqu’à mars 2019, ndlr] dans le but de financer des initiatives philantropiques de [luimême] et de sa femme, Priscilla Chan, dans l’éducation, la science et la défense [de causes] ». Le couple a indiqué en décembre 2015 vouloir donner de leur vivant jusqu’à 99 % de leurs actions Facebook (2) à leur fondation,
la Chan Zuckerberg Initiative. « Mr. Zuckerberg nous a informé que durant cette période il avait l’intention de continuer à vendre de temps en temps des actions Facebook, principalement pour continuer à financer ses projets philantropiques », indique encore le rapport annuel 2018 publié le 31 janvier dernier.
Le philanthrope-milliardaire, hypermédiatisé, reste intouchable et concentre ainsi d’immenses pouvoirs entre ses mains. Et ce, malgré l’annus horribilis que fut pour
lui 2018 égrenée par des scandales à répétition provoqués successivement par : l’ingérence russe via le premier réseau social mondial dans l’élection présidentielle américaine de 2016 ; les fake news d’activistes ou de gouvernements propagées sur la plateforme ; l’exploitation illégale des données personnelles de 100 millions utilisateurs à des fins politiques par la société Cambridge Analytica (re-née de ses cendres en Emerdata) ; le piratage en ligne de millions de comptes permis par une faille de sécurité ; le recours de Facebook à une entreprise de relations publiques, Definers Public Affairs, pour discréditer ses adversaires, concurrents et critiques. Tout récemment encore, le 30 janvier, Facebook a été accusé d’avoir collecté les données personnelles sur smartphone auprès de « volontaires », notamment d’adolescents qui étaient rétribués 20 dollars par mois (3). L’intouchable dirigeant, accusé de légèreté face
à toutes ces affaires compromettantes (4), n’a pas jugé bon de démissionner, alors
que sa responsabilité est largement engagée et malgré les appels à son départ lancés par des investisseurs américains dès le printemps 2018. Au magazine The Atlantic,
le 9 avril (5), il déclarait ne pas avoir l’intention de démissionner. Plus récemment, sur
CNN Business le 20 novembre (6), il affirmait droit dans les yeux de son intervieweuse : « C’est pas prévu », tout en défendant au passage son bras droit et directrice des opérations du réseau social, Sheryl Sandberg, elle aussi mise en cause dans la mauvaise gestion des graves crises et controverses aux répercutions mondiales. Sous la pression, la firme de Menlo Park a dû quand même procéder en mai 2018 au plus vaste remaniement de son top-management depuis sa création (7). Même comme
« panier percé », Facebook affiche fièrement sur le seul réseau social historique ses 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels (1,5 milliard quotidiens), dont 381 millions en Europe.
Cette audience captive lui a permis de dégager sur l’année 2018 un bénéfice net de 22,1 milliards de dollars, en hausse insolente de 39 %, pour un chiffre d’affaire de
55,8 milliards de dollars, faisant également un bond de 37 %. Quant au trésor de guerre, à savoir le cash disponible, il culmine à 41,1 milliards de dollars.
Si l’on additionne Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger, « il y a maintenant 2,7 milliards de personnes chaque mois, dont plus de 2 milliards chaque jour, qui utilisent au moins l’un de nos services », s’est félicité Mark Zuckerberg lors de la conference téléphonique du 30 janvier dédiée à la presentation des résultats annuels. Une vraie « success story » malgré le départ de jeunes attirés par SnapChat ou TikTok (8). Depuis l’action grimpe (de 144 à 166 dollars) et la valorisation boursière de Facebook Inc atteint près de 500 milliards de dollars.

Intégration Facebook, WhatsApp et Instagram ?
Mais Zuck n’en a pas fini avec les enquêtes. Sept Etats américains (9) soupçonnent Facebook de violation sur la protection des données. La Federal Trade Commission (FTC) aussi. Le Congrès américain, devant lequel le PDG en cause s’est excusé au printemps dernier pour l’affaire « Cambridge Analytica », pourrait légiférer. En Europe, l’Irlande – via sa « Cnil », la DPC (10) – mène l’enquête sur son respect du RGPD (lire p. 6) et s’inquiète surtout du projet d’intégration de Facebook, WhatsApp et Instagram (11). L’Allemagne, elle, a décidé le 7 février d’empêcher Facebook d’exploiter les données entre ses services. @

Charles de Laubier

Comment gagner de l’argent sur YouTube, qui va atteindre 2 milliards d’utilisateurs dans le monde

YouTube a reversé plus de 3 milliards de dollars – cumulés depuis 2007 – aux ayants droits qui y ont monétisé l’utilisation de leur contenu, dont plus de 800 millions d’euros en Europe où l’on compte 35 millions de chaînes YouTube. Mais les conditions pour gagner de l’argent ont été renforcées.

Alors que YouTube a atteint en 2018 les 1,9 milliard d’utilisateurs par mois, le cap des 2 milliards sera dépassé en 2019. Mais très peu nombreux sont les Youtubers, ceux qui sont reconnus comme tels par la communauté et qui peuvent espérer gagner de l’argent. Wikipedia en recense plus de 400 parmi les plus connus. Mais tous les utilisateurs qui postent des vidéos sur YouTube ne pourront pas être en mesure de les monétiser, surtout que les conditions et les exigences ont été durcies il y a un an maintenant.

YouTube est devenu plus exigent
Dans son livre « YouTubeur » publié le 3 janvier aux éditions Eyrolles (1), Jean-Baptiste Viet (photo) liste les prérequis de la plateforme vidéo pour pouvoir afficher des publicités sur les vidéos qui y sont mises en ligne. Il faut, une fois après avoir activé
la monétisation de sa chaîne YouTube et avoir créé un compte AdSense (la régie publicitaire de Google), « remplir les seuils d’éligibilité à la monétisation », à savoir : cumuler plus de 4.000 heures de visionnage de vidéos au cours des douze derniers mois (soit l’équivalent de 100.000 vues avec une durée moyenne de visionnage de
2 minutes 30) ; revendiquer au moins 1.000 abonnés sur sa chaîne YouTube. « Ces conditions nous permettent d’évaluer correctement les nouvelles chaînes et contribuent à la protection de la communauté des créateurs », justifie de son côté YouTube qui,
plus exigent, a renforcé ses règles de monétisation publicitaire le 16 janvier 2018. Auparavant, il n’y avait quasiment aucun critère préalable pour activer la publicité sur les vidéos postées sur sa chaîne YouTube, à part d’être majeur, d’avoir un compte AdSense et d’atteindre 10.000 vues. « YouTube a eu quelques problèmes avec les annonceurs qui ont exigé des garanties pour avoir des chaînes un petit peu qualitative. C’était très facile d’obtenir 10.000 vues et beaucoup de gens se sont retrouvés en liste d’attente et n’ont pas eu l’opportunité de monétiser leur chaîne », explique Jean-Baptiste Viet dans une vidéo référencée dans la deuxième édition de son livre. En mettant la barre bien plus haute, à au moins 1.000 abonnés, le Youtuber doit être dans une logique de programme avec des rendez-vous réguliers avec les internautes au moins chaque semaine. « Pour atteindre 100.000 vues en un an, il faut avoir du contenu qualitatif. C’est atteignable mais cela demande beaucoup plus d’effort. On dit que
c’est inadmissible car on pénalise les petits créateurs. Oui, c’est vrai, mais ce seuil des 100.000 vues ne va leur coûter que 70 euros », précise l’auteur qui est par ailleurs responsable marketing digital des annuaires en ligne d’Orange. Une fois que la chaîne YouTube candidate à la monétisation publicitaire aura atteint les seuils requis, elle sera « automatiquement examinée » (automatiquement dans le sens systématiquement). Autrement dit, la plateforme vidéo vérifiera que le contenu respecte les « conditions d’utilisation du programme partenaire YouTube » ainsi que le « règlement de la communauté ». Concrètement, relève Jean-Baptiste Viet, « une fois que vous aurez rempli les seuils d’éligibilité à la monétisation, un modérateur chez YouTube viendra vérifier manuellement la conformité du contenu de votre chaîne aux attentes des annonceurs ». Etre ainsi passé au crible par la firme de San Bruno (Californie) peut prendre plusieurs semaines, voire des mois.
Une fois que la chaîne a reçu la bénédiction des modérateurs de la plateforme pour que soient monétisées ses vidéos, YouTube indique alors qu’il versera à l’éditeur « 55 % des revenus nets reconnus par YouTube à partir de publicités affichées ou diffusées par YouTube ou par un tiers autorisé sur les pages de visualisation de votre contenu ou sur le lecteur vidéo YouTube en rapport avec la diffusion de votre contenu ». Jean-Baptiste Viet donne l’exemple de ce que rapporte chaque 1.000 vues où « vous avez à chaque fois 10 % de publicités instream [vidéos publicitaires qui se jouent dans le player avant votre vidéo, pendant votre vidéo ou en fin de vidéo, ndlr] vendues à 190 euros les 1.000 vues, et 25 % de publicités de type bannière vendues à 1 euro les 1.000 vues ». Selon les calculs de l’auteur, cela fait en moyenne 1,25 euros bruts que YouTube va récupérer de l’annonceur : « Vous allez donc toucher 55 % de l’audience monétisée. Soit ici environ 0,70 euros les 1.000 vues. Si votre vidéo tourne à 1 million de vues et est “pubée”, vous toucherez donc 700 euros de revenus publicitaires ».

1 million de vues = 525 euros de revenu net
Mais attention, prévient Jean-Baptiste Viet, ces 700 euros ne sont pas vos revenus définitifs car il reste encore des impôts et des cotisations à payer (environ 25 % de frais supplémentaires à prévoir). Résultat : 1 million de vues peuvent donc vous rapporter
à la fin du mois 525 euros de revenus nets sur votre compte bancaire (4). YouTube insiste sur le fait que ne sont monétisables uniquement « les vidéo, musiques et images dont vous possédez les droits » (5). @

Charles de Laubier

Filiale médias du groupe Verizon, Oath passe à l’offensive éditoriale et publicitaire en Europe

Oath, la filiale médias de l’opérateur télécoms américain Verizon, passe à l’offensive en Europe. Dans un entretien à Edition Multimédi@, son vice-président pour l’Europe, Stuart Flint, explique sa stratégie éditoriale et publicitaire multi-marque (Yahoo, AOL, HuffPost, …) avec sa technologie omnicanal, ainsi que son partenariat avec Microsoft.

Yahoo! est mort, vive Yahoo ! Depuis son rachat il y
a deux ans – le 25 juillet 2016 – par Verizon pour 5 milliards de dollars, l’ancienne icône du Web n’est plus une entreprise en tant que telle mais une marque
« média » intégrée parmi d’autres au sein de la filiale Oath créée par l’opérateur télécom américain en juin 2017. Et dire qu’il y a tout juste dix ans, Microsoft était prêt à débourser 44,6 milliards de dollars pour acquérir Yahoo…
L’ancien moteur de recherche devenu portail Internet cohabite maintenant avec les autres marques d’Oath (1) telles qu’AOL, TechCrunch, Tumblr, HuffPost, Engadget ou encore Makers (2). Microsoft n’est toujours pas loin, via un partenariat stratégique où Oath monétise les plateformes en ligne
de la firme de Redmond – MSN, Outlook, Xbox, … L’ensemble de ces plateformes totalise 1 milliard de visiteurs dans le monde. « La mission d’Oath est de construire des marques que les gens aiment mondialement, que cela soit nos propres marques ou celles de nos clients. Nous produisons des contenus éditoriaux de qualité et originaux ; nous construisons des expériences de contenus reconnues pour les annonceurs grâce à l’équipe
de création de Ryot Studio ; et nous distribuons les contenus sur nos plateformes et sur celles de partenaires premium avec nos technologies », explique Stuart Flint (photo), vice-président d’Oath pour l’Europe dans un entretien à Edition Multiméd@.

Ryot Studio, nerf de la guerre publicitaire d’Oath
Plus connue aux Etats-Unis, la filiale médias de Verizon l’est moins en Europe où elle a décidé de passer à l’offensive après avoir fait ses premiers pas il y a un an (3). Présente dans quatorze pays dans le monde, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne, l’entité Ryot Studio est, elle, le nerf de la guerre du développement à l’international d’Oath dans les contenus pour le compte d’annonceurs et de médias. Cette nouvelle génération d’agence de création éditoriale et publicitaire a été créée il y a près d’un an, avec le regroupement des entités Yahoo Storytellers et Partner Studio by AOL. Ryot Studio est une division de Ryot, société créée en 2012 et basée à Los Angeles que le Huffington Post (AOL) avait rachetée en avril 2016 avant d’être intégrée dans Oath.

Publicité éditoriale disruptive et ciblée
On y trouve également la division Ryot Films pour de la production audiovisuelle (classique ou immersible) et Ryot Lab pour l’innovation technologique. « Avec la croissance continue du mobile, le contenu marketing sera la clé du succès dans la construction des marques du futur. Ryot Studio est à l’avant-garde de cette disruption, afin d’aider les agences et les marques à élaborer des relations approfondies entre les consommateurs et les contenus marketing remarquables », déclarait John DeVine, « Chief Revenue Officer » d’Oath, lors du lancement du studio de création en novembre 2017. Que cela soit sur ses propres médias ou ceux de partenaires, la publicité en ligne ainsi produite en interne s’apparente plus à du contenu éditorial en mode brand content ou native advertising qu’à des annonces publicitaires traditionnelles. « Oath ambitionne de façonner l’avenir des médias », affirme la filiale de Verizon. Pour aider les marques
à atteindre les bons médias et cibler les bonnes audiences, Ryot Studio s’appuie en outre sur la data des consom-mateurs, les économies d’échelle dans la diffusion de contenus, et l’édition premium.
Fort de cette stratégie de monétisation, Oath passe à l’action sur le Vieux Continent et, plus largement, sur la région EMEA (4). « Nous investissons dans nos propres marques en Europe et nous avons des partenariats mondiaux comme avec Microsoft [depuis 2009, ndlr] et plus récemment avec Samsung. Nous intégrons notre savoir-faire technologique pour fournir une plateforme unifiée et omnicanal aux annonceurs et aux éditeurs afin qu’ils atteignent les consommateurs par la qualité, des expériences et des formats de marques premium », nous indique Stuart Flint qui, lui, est basé à Londres où il fut l’ancien directeur général d’AOL, après avoir été directeur des ventes chez Microsoft. En 2013 et 2014, il fut aussi directeur des ventes de Yahoo au Royaume-Uni. Depuis plus d’un an,
il a la casquette « Oath ». Les principaux domaines éditoriaux dans lesquels la filiale de Verizon investit sont l’actualité, la finance, le divertissement, les styles de vie et les communications. « Vous verrez ainsi nos marques mises en avant en Europe, offrant les meilleures expériences sur les mobiles et
les ordinateurs de bureau pour les consommateurs et les annonceurs. En France, nos propres marques incluent Yahoo News, Sport et Finance, ainsi que Yahoo Mail et AOL. Nous monétisons aussi les plateformes en ligne de Microsoft comme MSN, Outlook et Xbox. Et HuffPost est une joint venture avec Le Monde », poursuit-il. L’historique messagerie instantanée Yahoo Messenger lancée il y a vingt ans s’est, elle, définitivement arrêtée le 17 juillet dernier (5) – en attendant le group chat Yahoo Squirrel actuellement en bêta-test. Quant à la plateforme de partage de photos Flickr, que Yahoo avait rachetée en 2005, elle a été finalement cédée en avril à SmugMug. Aux Etats-Unis, la plateforme vidéo Yahoo! View est partenaire de Hulu depuis 2016. L’offre technologique d’Oath s’étend en outre au marché B2B avec un service DSP (Demand Side Platform) destiné aux annonceurs et agences média pour réaliser et optimiser leurs achats d’espaces publicitaires, et un service SSP (Sell Side Platform) permettant aux éditeurs d’automatiser et d’optimiser la vente de leurs espaces publicitaires. Est aussi proposée la plateforme de marché Yahoo Gemini, qui associe en un guichet unique : publicités basées sur les recherches (search) et publicités natives (display). L’expertise technique d’Oath est aussi issue des sociétés One by AOL (ex-Millennial Media racheté par AOL en 2015) et BrightRoll (acquise par Yahoo en 2014).
Décidé à s’imposer en Europe, Stuart Flint nous indique que seront bientôt lancées d’autres offres pour les consommateurs et les annonceurs. Pour l’heure, sur les cinq pays européens où le groupe est présent avec Ryot Studio, Oath revendique une audience cumulée – plateformes de Microsoft comprises – de 175 millions de personnes, dont 36,7 millions en France (6). Afin de promouvoir sur l’Hexagone ses solutions publicitaires et ses plateformes technologiques, Oath a nommé début juin Fabien Omont directeur en charge des agences médias. Il fut auparavant chez AOL dans
le marketing, la data et le programmatique, après avoir été chez Microsoft Advertising France et antérieurement Skyrégie. Fabien Omont est placé sous la responsabilité de Erik-Marie Bion, un ancien DG d’AOL France, lui aussi passé chez Microsoft Advertising. Ce dernier nous indique avoir des partenariats avec les agences OMD (Omnicom), Publicis et Ecrans & Media, et les éditeurs Media Square, Webedia, Entreparticuliers, Jeune Afrique ou encore Media365 (Sporever).

Oath s’inquiète de la directive « Copyright »
Stuart Flint a en outre confié à Edition Multimédi@ qu’il s’inquiétait du projet de directive européenne sur le droit d’auteur, dont les débats se poursuivent en septembre, prévoyant un « droit voisin » (7) à payer par Yahoo News ou Google News aux éditeurs de presse. « La proposition de réforme du copyright actuelle risque de saper le pluralisme des médias
et mettre à long terme en échec les plus grands éditeurs de presse qui cherchent à détourner l’innovation en leur faveur », met-il en garde. @

Charles de Laubier

Outre la production audiovisuelle, Mediawan accélère dans l’édition de chaînes, le digital et l’e-sport

Si la société Mediawan – fondée par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – met en avant ses ambitions de devenir le premier producteur audiovisuel indépendant en Europe, force est de constater que ses chaînes et services digitaux associés génèrent encore le gros de son chiffre d’affaires.

Mediawan, la société d’investissement fondée en 2016 par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel,
a tenu son assemblée générale le 5 juin dernier sous la présidence de Pierre Lescure , lequel en est le président du conseil de surveillance depuis le décès de Pierre Bergé en septembre dernier. Les comptes annuels de l’exercice 2017 ont été approuvés à l’unanimité, et la nomination d’un neuvième membre au conseil de surveillance – la haute fonctionnaire retraitée de la finance Anne Le Loirier – a été ratifiée (1). « Si 2017 a été une année de construction pour le groupe, 2018 sera une année de consolidation de nos positions et d’accélération de notre stratégie à l’échelle européenne », déclare Pierre-Antoine Capton (photo), président du directoire de Mediawan, dans le rapport financier 2017 établi en mars. Le groupe de médias a réalisé en un an sept acquisitions pour devenir « un nouvel acteur indépendant des contenus audiovisuels en Europe ». Parmi ces achats : l’éditeur, producteur et distributeur audiovisuel Groupe AB, dont le rachat a été finalisé en mars 2017 pour 280 millions d’euros (2), est devenu « le premier pilier de la constitution de Mediawan ». La société de production documentaire CC&C (Clarke Costelle & Co) a ensuite été acquise en juillet 2017. Engagée à la fin de l’an dernier, la prise de participation majoritaire dans la société de production d’animations ON Entertainment
a été, elle, finalisée le 7 juin.

Groupe AB, CC&C, ON Entertainment, EuropaCorp TV, …
Le début de l’année 2018 a aussi été intense en acquisitions puisque Mediawan a jeté son dévolu sur trois sociétés de productions en France : le rachat de l’activité télévision d’EuropaCorp (hormis les séries américaines), la prise de participation majoritaire dans le capital du producteur Makever, et la finalisation de la prise de contrôle de Mon Voisin Productions. D’ores et déjà, Mediawan revendique être « le 1er groupe de producteurs de fiction et de documentaires en France » (3). Poursuivant sa stratégie « 3C » (convergence, consolidation et complémentarité (4) et de groupe de média intégré, Mediawan s’est en fait structuré autour de quatre métiers que sont les fictions et documentaires, l’animation, la distribution de programmes audiovisuels, et l’édition de chaînes et services digitaux associés.

Chaînes et digital : 70 % du CA en 2017
Or, à la suite de la consolidation du Groupe AB (5), c’est ce dernier segment – chaînes et digital – qui a généré 70 % des 115,6 millions d’euros de chiffre d’affaires de l’année 2017. La production et la distribution de films, séries, animations et documentaires (6) ne représentent que les 30 % restants. Mediawan est donc aujourd’hui plus éditeur de contenus que producteur audiovisuel, sans préjuger ce que sera la nouvelle répartition de ses activités en 2018 où le chiffre d’affaires est attendu à près de 270 millions d’euros. En effet, au-delà de la production de programmes de fiction prime-time, d’animation et des documentaires (environ 80 heures par an), et de 12.000 heures de programmes en catalogue, Groupe AB édite dix-neuf chaînes de télévision et des services digitaux associés tels que RTL9, AB3
(3e chaîne belge francophone), Science & Vie TV, Action, AB Moteurs, Trek, Mangas, etc.
Les chaînes sont diffusées par satellite et reprises sur les services des principaux opérateurs satellite, câble et ADSL français, ainsi qu’en Europe francophone (Belgique, Suisse, Luxembourg, …) et en Afrique. Une grande partie des revenus de l’activité « chaîne et digital » est générée par les redevances provenant des contrats passés entre Mediawan et les principaux opérateurs de télévision payante français pour la distribution des chaînes que le nouveau groupe de médias édite. Les contrats avec deux de ses principaux opérateurs – selon nos informations, Canal+ et Orange – ont d’ailleurs été renouvelés jusqu’en 2020, Mediawan reconnaissant au passage dans son rapport annuel des « risques liés à la dépendance vis-à-vis des opérateurs de télévision payante ». Ses revenus proviennent des redevances et de la publicité.
« De nombreux projets sont également à l’étude pour renforcer le portefeuille de chaînes avec une stratégie de rebranding ou avec le lancement de nouvelles thématiques », indique le groupe. A l’automne dernier, la nouvelle chaîne ABXplore dédiée aux documentaires de divertissement a été lancée en Belgique. AB3 est lancée cette année en Suisse. Sur la chaîne AB1 un magazine eSportZone a été créé avec un partenariat exclusif avec le leader mondial du jeu vidéo Activision Blizzard. Le 19 juin, Groupe AB a annoncé l’acquisition des droits de diffusion et de distribution de la série finlandaise d’e-sport « Dragonslayer666 », et la production du film d’e-sport « Inside Vitality ». Les revenus publicitaires suivent à la hausse l’augmentation de l’audience des chaînes thématiques. Selon Médiamétrie, le classement des programmes TV regardés en live, en différé et en replay sur le téléviseur (7) – par les téléspectateurs recevant une offre de chaînes via le satellite, l’ADSL, le câble ou la fibre optique en France – place la chaîne RTL9 (10,1 millions de personnes) en seconde position, juste derrière Paris Première du groupe M6. Quant à AB1, Science & Vie TV, Mangas et AB Moteurs, elles rassemblent respectivement 4,8 millions, 2,4 millions, 2,1 millions et 2,1 millions de téléspectateurs. L’an dernier, Mediawan avait acquis 35 % de la chaîne généraliste RTL9 à RTL Group. Groupe AB était actionnaire majoritaire de RTL9 depuis 1998 ; il en détient désormais 100 %.
Mediawan étend aussi son offre digitale avec, d’une part, « le lancement de l’application “Mon Science & Vie Junior” sur iOS et Android qui propose des vidéos dédiées aux sciences, du CP au baccalauréat », et, d’autre part, « le développement de chaînes YouTube comme “Instant Saga”, nouvelle chaîne YouTube des plus belles sagas françaises, ou la création de programmes originaux comme le magazine mensuel d’actualité pour les passionnés de nature sur la chaîne YouTube officielle de “Chasse & Pêche” ». En accès libre sur la plateforme vidéo de Google, la chaîne « Chasse & Pêche » compte à ce jour plus de 8.700 abonnés, et « Instant Saga » plus de 3.100 abonnés.
Mediawan ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin dans sa croissance externe, tant dans d’autres productions audiovisuelles en Europe que dans les contenus digitaux. « En 2018-2019, on va frapper encore plus fort », a déjà prévenu Matthieu Pigasse dans une interview aux Echos le 21 mars, précisant que Mediawan avait « la capacité de faire des acquisitions très significatives, de plusieurs centaines de millions ». A plusieurs reprises, des cibles d’acquisition potentielle ont été mentionnées telles que la mini-major EuropaCorp de Luc Besson ou la plateforme de télévision Molotov de Pierre Lescure – le président du conseil de surveillance de Mediawan, par ailleurs président du Festival de Cannes, étant aussi président du conseil d’administration de Molotov… Mais pour ces deux dossiers, Mathieu Pigasse a indiqué que « [les] conditions ne sont pas réunies ».

Un « breakout haussier » en Bourse
Pour l’instant, la capitalisation boursière de la holding de Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse dépasse à peine les 420 millions d’euros. Mais depuis le début de l’année, le titre a bondi d’environ 50 % à la Bourse de Paris. Le 13 juin dernier, et après un « breakout haussier » mi-mai, les analystes de TradingSat.com (édité par NextInteractive, filiale du NextRadioTV détenu par Altice) ont tablé sur « une tendance haussière à moyen terme ». A suivre. @

Charles de Laubier