La réforme IPRED remise aux calendes grecques ?

En fait. Le 5 décembre, la Commission européenne a dévoilé un nouveau calendrier « pour moderniser [adapter] le droit d’auteur dans l’économie du numérique » et relancé pour 2013 un dialogue sous la houlette de trois commissaires : Michel Barnier, Neelie Kroes et Androulla Vassiliou. Décisions en… 2014.

En clair. La directive Respect des droits de propriété intellectuelle, dite IPRED (Intellectual Property Rights Enforcement Directive) et datant de 2004 (1), ne sera
pas révisée avant 2014, voire 2015. Surtout que le mandat de l’actuelle Commission européenne de José Manuel Barroso se termine en… octobre 2014. Bruxelles a en
effet prévu de « décider en 2014 de l’opportunité de présenter ou non des propositions
de réforme législative ». Autrement dit : un pas en avant, deux pas en arrière ! Malgré l’explosion de la musique en ligne depuis dix ans et les bouleversements que le numérique engendre dans cette industrie culturelle, suivie aujourd’hui par le cinéma notamment, la Commission européenne a décidé de se hâter lentement. Alors qu’initialement des propositions législatives devaient être présentées au printemps 2011 (2) (*) (**), elles ont été repoussées ensuite au printemps 2012 comme le commissaire européen Michel Barnier nous l’avait indiqué (cf. son interview en juin 2011 dans EM@37 p. 1 et 2). Puis, mi-2012, on apprenait que la Commission européenne ne fera pas d’emblée des propositions législatives au Conseil et au Parlement européens mais lancera une consultation publique auprès des parties prenantes (auteurs, artistes, producteurs, éditeurs, sociétés de droits d’auteur, plateformes numériques, etc) et une étude de marché et analyse d’impact. Rapidement, le calendrier glissait à fin 2012, les lobbies étant à l’oeuvre.
Nous y sommes ! Or la réforme est renvoyées aux calendes grecques : le président
de la Commission européenne, José Manuel Barroso, vient de demander à trois de ses commissaires – Michel Barnier (Marché intérieur), Neelie Kroes (Agenda numérique) et Androulla Vassiliou (Education et culture) – de poursuivre la réflexion baptisée Licencing Europe. Certes, la Commission a transmis le 12 juillet au Parlement européen et au Conseil de l’Union son projet de directive sur la gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins, ainsi que sur les licences multi-territoriales pour les plates-formes de musique en ligne (3). Mais le plus dur reste à venir avec la révision de la directive IPRED, notamment des notions d’exceptions au droit d’auteur et de copie privée. C’est sur ce sujet sensible que le médiateur António Vitorino doit remettre dans les toutes prochaines semaines ses recommandations. @

Pierre-François Racine, nouveau président du CSPLA, a déjà la tête dans les « nuages »

Les « nuages » s’amoncèlent au-dessus du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), dont Pierre-Français Racine vient d’être nommé président. Son projet d’avis sur « l’informatique en nuage » est contesté. La séance plénière
du 23 octobre s’annonce houleuse.

(Depuis la parution de cet article, le CSPLA a rendu son avis consultatif le 23 octobre 2012 et a adopté le rapport correspondant. La balle est dans le camp du gouvernement)

C’est un casse-tête. Réactivé il y a un peu plus d’un an maintenant, après trois ans de mise en sommeil, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) voudrait adopter lors de
sa prochain séance plénière du 23 octobre – qu’ouvrira la ministre Aurélie Filippetti – un projet d’avis sur « l’informatique en nuage » qui est vivement contesté par les opérateurs télécoms et les acteurs du Web. Mais, selon nos informations, le remplacement récent – par arrêté du 2 octobre – de Sylvie Hubac, devenue directrice de cabinet du chef de l’Etat, par Pierre-François Racine (notre photo), conseiller d’Etat,
à la présidence du CSPLA pourrait retarder l’adoption de cet avis qui est accompagné d’un rapport.

Apple, Amazon, Google, Orange, SFR, …
Que dit en substance l’avis du CSPLA ? « Les copies faites dans le cadre d’un service
de cloud computing ne peuvent bénéficier du régime de l’exception de copie privée et doivent donc faire obligatoirement l’objet – de la part des prestataires de ces “nuages informatiques” – de demandes préalables systématiques auprès des ayants droits ». Autrement dit : les Apple, Amazon, Google et autres Dropbox, ainsi que les centrales numériques des opérateurs télécoms Orange, SFR ou encore Bouygues Telecom (1), auraient une responsabilité nouvelle vis-à-vis des ayants droits. En effet, ces derniers
ne reconnaissent pas que les copies réalisées par un prestataire de cloud computing
et de stockage – pour le compte d’utilisateurs qui possèdent les fichiers d’œuvres – puissent entrer dans le cadre de l’exception de copie privée.
Si cet avis ne se prononce pas sur une taxe copie privée que les ayants droits souhaitent voir appliquée aux « nuages » (2), il tente en revanche de trancher une autre question tout aussi épineuse : celle du régime de l’exception de copie privée, laquelle autorise un utilisateur à faire des copies d’une oeuvre – musiques, films, journaux, radios, chaînes, livres, vidéos, photos, dessins, etc. – sans qu’il ait à demander l’autorisation aux ayants droits et/ou à payer en plus pour ces copies (3). Or, aux yeux des industries culturelles, il n’y a pas de « partage » – c’est-à-dire pas de « mise à disposition du public » (4) – mais uniquement du « stockage ». En conséquence, affirme le CSPLA, ceux qu’il appelle les « purs services de casier » ne peuvent bénéficier du statut d’hébergeur. Ce statut aménagé par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite LCEN) devrait en effet – revendiquent
les opérateurs télécoms et les plateformes du Web – leur accorder une responsabilité limitée en tant qu’hébergeurs, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne – et a fortiori des copies illicites – que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification (5). Ainsi, les prestataires de nuages
– à l’instar des sites de partage vidéo comme YouTube ou Dailymotion (6) (*) (**)
– n’ont aucune obligation de contrôle préalable des contenus stockés chez eux et encore moins de filtrage ou de blocage généralisé des œuvres non autorisées. Contactée  par Edition Multimédi@, l’Association des services Internet communautaires (Asic)  – réunissant notamment Google, Microsoft, Yahoo, Dailymotion, Myspace, Spotify ou encore AOL – s’inscrit en faux contre l’avis du CSPLA : « Il n’entre pas dans cette mission du CSPLA de débattre à nouveau du statut des intermédiaires de l’Internet. L’interprétation adoptée par la commission [« Informatique en nuage »]
est totalement contraire aussi bien à l’esprit qu’à la lettre de la directive européenne “Commerce électronique” et même de la LCEN. Expliquer que les personnes qui stockent des fichiers pour le compte de tiers ne seraient pas des hébergeurs est, par définition même, une aberration », s’insurge Benoît Tabaka, secrétaire général de l’Asic et responsable des relations institutionnelles de Google France. L’Asic rejoint ainsi
la Fédération française des télécoms (FFT) qui, dans un courrier daté du 2 octobre adressé à l’avocat Jean Martin (président de la commission « nuage » du CSPLA) et révélé par notre confrère PC INpact (7), estime « extraordinaire » que cette instance juridique parapublique puisse remettre en cause le statut d’hébergeur.

La balle dans le camp d’Aurélie Filippetti
Le rapport et le projet d’avis, concoctés par la commission « Informatique en nuages », ont été transmis le 28 septembre à la cinquantaine de membres titulaires qui la composent (sans parler d’autant de suppléants…) pour recueillir leurs dernières remarques avant que le tout ne soit remis à la ministre de la Culture et de la Communication. @

Charles de Laubier

Piratage sur Internet : « La société TMG n’est pas à la pointe »

Le 5 septembre, en marge de la présentation du bilan de deux ans de « réponse graduée » par la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, un membre du collège de l’autorité a déploré que « la société nantaise TMG ne soit pas à la pointe technologiquement » pour identifier les pirates.

La petite société nantaise Trident Media Guard (TMG), qui a fêté ses 10 ans cette année, est-elle à la hauteur des enjeux technologiques dans la lutte contre les pirates et leur identification sur Internet ? Pour au moins un des membres du collège de l’Hadopi, la réponse est claire : « TMG n’est pas à la pointe technologique », nous a-t-il assuré en demandant à ne pas être nommé. Selon lui, cette société – retenue il y a près de trois ans par la Sacem/SDRM, la SCPP, la SPPF et l’Alpa après l’appel d’offres de 2008 pour identifier les adresses IP des internautes présumés pirates – n’est pas à la hauteur des enjeux de la réponse graduée.
Spécialiste de la surveillance des réseaux peer-to-peer, La société TMG, dirigée par Alain Guislain (notre photo), n’utiliserait pas toutes les techniques disponibles pour identifier plus en détail les internautes et se contenterait d’adresser aux ayants droits les adresses IP des présumés pirates. Pourtant, « aujourd’hui, tout l’arsenal technique existe pour savoir à qui l’on a affaire, que cela soit sur les réseaux peer-to-peer, ou sur les sites de streaming, de direct download, voire sur les différents noeuds du réseau Internet », a expliqué le membre de l’Hadopi.

Les internautes français pirateraient autant, voire plus de films que de musiques

Le cinéma serait plus impacté que la musique par le piratage. C’est ce que l’on peut déduire de la précision apportée à Edition Multimédi@ par Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, à propos des 340 multi-récidivistes.

Par charles de Laubier

« Un tiers des dossiers concerne le piratage de musiques uniquement ; un deuxième tiers porte sur des films/séries/spectacles vivants/concerts seulement, et un dernier tiers sur les deux à la fois (musiques et vidéos) », nous a indiqué Mireille Imbert Quaretta (notre photo), présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi. Cette répartition, qu’elle n’avait pas indiquée publiquement lors de la présentation chiffrée des « deux ans de réponse graduée » le 5 septembre, a été constatée sur l’ensemble des dossiers traités. Ces trois tiers portent ainsi non seulement sur ceux des 340 multi-récidivites – dont
14 ont été déférés au parquet au 1er juillet (« d’autres ont été transmis depuis », a-telle précisé) –, mais aussi globalement sur les 1.150.000 abonnés à Internet qui ont reçu
au cours de ces deux ans un premier avertissement par e-mail et a fortiori les 100.000 d’entre eux destinataires d’un deuxième avertissement (1).

Gestion collective et Internet en Europe : urgence ?

En fait. Le 12 juillet, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil son projet de directive sur la gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins, ainsi que sur les licences multi-territoriales pour les plateformes de musique en ligne au sein des Vingt-sept.

En clair. Selon nos informations, une procédure accélérée pourrait bientôt être retenue par le Parlement européen et le Conseil de l’Union pour que cette nouvelle directive « Gestion collective et licences multi-territoriale » puisse être adoptée d’ici la fin de l’année. Les Vingt-sept auront alors douze mois – et non les dix-huit mois habituels pour une directive – pour la transposer. Il a fallu huit ans de gestation pour que ce projet de directive voit enfin le jour. Ce sprint final viendrait en effet couronner un marathon commencé en avril 2004 avec la consultation publique sur « la gestion du droit d’auteur et des droits voisins au sein du marché intérieur ». Elle aboutit en 2005 à une recommandation peu suivie de la Commission européenne dans le domaine de la musique en ligne (1). Avec ce nouveau cadre législatif destiné à « faciliter la concession de licences de droits d’auteurs multiterritoriales et multirépertoires », les services Internet – plates-formes de téléchargements, de streaming ou de webradios – devraient enfin pouvoir obtenir plus facilement des droits de diffusion musicale en ligne sur l’ensemble des Vingt-sept. Pour l’heure, 543 licences ont été octroyées à des services en ligne (2). Ce « passeport européen de licence » encouragera l’agrégation volontaire des répertoires pour l’utilisation de la musique en ligne et la concession de licences multi-territoriales et donc transfrontalières. Quant aux titulaires de droits (artistes, interprètes, auteurs, compositeurs, …), qui seront en droit de choisir la société de gestion collective, ils pourront intervenir directement dans la gestion de leurs droits et être rémunérés plus rapidement. La directive incite les États membres à mettre en place un « organe de résolution des litiges indépendants, impartiaux, efficaces et capables de régler les litiges commerciaux opposant les sociétés de gestion collective et les utilisateurs ». Les sommes en jeu sont colossales à l’échelon européen : quelque 6 milliards d’euros de royalties perçues chaque année par plus de 250 sociétés de gestion collective des droits. La GEMA en Allemagne arrive en tête (862 millions d’euros de collecte), suivie par la Sacem (3) en France (819 millions), MCPS-PRS au Royaume-Uni (709 millions), SIAE en Italie (605 millions), SGAE en Espagne (341 millions), la SACD (4) en France (219 millions) ou encore SABAM en Belgique (192 millions). @