Claude Perdriel laisse derrière lui un « Nouvel Obs » exsangue et un « Rue89 » en perdition

Le patriarche de la presse française, Claude Perdriel (90 ans), va céder sa part minoritaire qui lui reste dans le capital de la société Nouvel Observateur du Monde. Il laisse derrière lui un hebdomadaire historique mal en point et un pionnier des médias en ligne devenu l’ombre de lui-même.

C’est en janvier 2014 que Le Nouvel Observateur était passé sous le contrôle du trio « BNP » – constitué par le milliardaire Pierre Bergé, l’industriel Xavier Niel (Free) et le banquier Matthieu Pigasse (Lazard). Ensemble, ils l’avaient acheté
13,4 millions d’euros à son fondateur Claude Perdriel (photo) qui en avait alors conservé 35 % (1). Outre Le Nouvel Obs, rebaptisé depuis L’Obs, l’acquisition incluait aussi le site de presse en ligne Rue89 qui avait été racheté par Claude Perdriel en décembre 2011 – il y a maintenant cinq ans.

Le bonheur n’est pas dans le Net
Alors que l’industriel millionnaire, inventeur du Sanibroyeur et épris de presse, va céder d’ici la fin de l’année le reste de sa participation au trio « BNP », l’hebdomadaire créé en novembre 1964 et le site web lancé en mai 2007 sont au plus mal. L’Obs est victime de la destruction créatrice du numérique et Rue89 n’a pas su trouver son modèle économique en ligne. Le monde digital fut sans doute le point faible du patriarche
de la presse française. Il n’a d’ailleurs jamais vraiment cru dans l’Internet. Et son investissement dans Rue89 en juin 2011 (moyennant 200.000 euros), suivi de son rachat six mois après (pour 7,5 millions d’euros), ne lui aura pas fait changer d’avis. Dès l’année suivant, l’audience du site de presse en ligne créé par d’anciens journalistes de Libération (Pierre Haski, Laurent Mauriac, Pascal Riché et Arnaud Aubron) fléchit. La version française du site américain The Huffington Post cofondé
par Arianna Huffington est lancé en janvier 2012 par le groupe Le Monde, qui lui
coupe l’herbe sous le pied. S’ensuivra une descente aux enfers et une perte d’identité symbolisée par le remplacement fin 2013 de Rue89.com par Rue89.nouvelobs.com. Entre temps, Rue89 a été contraint par Claude Perdriel de quitter le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) qui, contrairement au groupe Nouvel Observateur (assurant alors la présidence de l’AIPG, l’association des grands titres de presse), prônait la suppression des aides directes d’Etat à la presse (2) (*) (**).
Interrogé en mars 2014 par l’Association des journalistes médias (AJM), Claude Perdriel faisait part de son dépit : « Internet m’inquiète et me désespère un peu pour
ce qui concerne la presse écrite », avait-il confié. Celui qui s’est lancé il y a trente ans avec succès dans les fameuses messageries roses sur Minitel (les 3615 Aline ou 3615 Jane), lesquelles lui ont permis de faire oublier l’échec du Matin de Paris et de renflouer Le Nouvel Observateur, a toujours considéré qu’Internet mettait en péril la presse :
« Moi, je ne crois pas au payant en matière d’Internet. En tout cas, absolument pas pour l’information généraliste. L’information est partout et elle est gratuite. Les internautes ne paieront jamais. L’univers médiatique que je défends est menacé, y compris par Internet, par lui-même ». A-t-il regretté d’avoir acheté Rue89 pour 7,5 millions d’euros en janvier 2012 ? « C’était un peu cher. (…) Ils étaient en péril, même gravement ; ils auraient peut-être disparu. Mais on a pas vraiment fait prendre la mayonnaise : on ne les a pas ramenés à côté de l’Observateur » (dixit devant l’AJM). Finalement, Claude Perdriel aura été plus à l’aise avec les messagerie roses sur Minitel qu’avec les sites de presse en ligne ! « J’ai été à l’origine du Minitel rose en 1984. J’avais déjà imposé deux pages de petites annonces dans le journal [Le Nouvel Observateur, ndlr] contre l’avis des bien-pensants, des rédacteurs les plus âgés, et avec les jeunes. Ces pages étaient formidables, romantiques, drôles. Je m’en suis servi pour créer 3615 Aline, et Xavier Niel [aujourd’hui copropriétaire de… L’Obs, ndlr] a suivi de modèle », a-t-il confié en janvier dernier (3).
D’ici la fin de l’année, L’Obs et ce qui reste de Rue89 seront la pleine propriété du trio
« BNP » au même titre que – au sein de la holding Le Monde Libre – le quotidien Le Monde, Télérama, Courrier International et La Vie Catholique acquis en 2010 pour
100 millions d’euros. Tous ces titres seront rassemblés au futur siège près de la Gare d’Austerlitz à Paris : déménagements prévus au cours de l’été 2017.

Quel avenir numérique ?
Mais d’ici là, L’Obs – qui a perdu 2,5 millions d’euros en 2015 et chuté de 13 % en diffusion sur un an à 401.000 exemplaires en moyenne par semaine – va devoir réduire ses effectifs de 189 à 143 personnes (3,6 millions d’euros d’économie), auxquels s’ajoutera une réduction de 1,1 million d’euros de fonctionnement. Pas de quoi être vraiment « heureux » (4). Il s’agit aussi de « rassembler sur le numérique toutes les forces, aujourd’hui trop dispersées » et de trouver « une nouvelle dynamique » en ligne. La période d’information-consultation en interne a pris fin le 19 novembre. @

Charles de Laubier

Presse en ligne, au numéro ou à l’article : la guerre des kiosques numériques est engagée

LeKiosk, PressReader, ePresse, Articly, Blendle, Apple News, Google News, SFR Presse, Discover, Instant Articles, News Republic, La Presse Libre, … Pendant que les kiosques des rues souffrent, les kiosques numériques, eux, prospèrent. Quotidiens et magazines se vendent entiers ou à l’article. Passage en revue non exhaustif.

Principaux e-kiosques, par ordre alphabétique.

• Apple News : apple.com/news
News d’Apple est l’application de kiosque numérique proposée sous le système d’exploitation iOS 9 (depuis septembre 2015) et iOS 10 (depuis septembre 2016) des iPhone, iPad et iPod Touch. Apple News remplace Newsstand, qui avait été lancé en octobre 2011 et reste opérationnel jusqu’à la version iOS 8.4.1. Apple News propose des articles à la demande et prévoit aussi des abonnements payants.

Aides d’Etat à la presse : coup de pouce au digital

En fait. Le 27 août, est paru le décret daté de la veille consacré « au soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse et réformant les aides à la presse ». Il crée notamment un Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse, destiné aux « nouveaux médias d’information ».

En clair. Cette réforme des aides d’Etat à la presse est la bienvenue, en ce qu’elle prend mieux en compte l’émergence des « nouveaux médias d’information », lesquels étaient jusqu’alors moins bien lotis. Comme le soulignait le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), les aides publiques allaient en très grande majorité au seul support papier pourtant en décroissance. « Le Fonds stratégique pour le développement de la presse ne représente que 8 % des aides directes, et moins de 1% du total des aides. (…) L’introduction de telles distorsions est de nature à freiner l’adaptation de la presse à l’évolution des usages », déplorait-il lors de la publication
fin juin de son bilan détaillé et richement illustré (1) de ces aides d’Etat.
Elles se sont élevées à 1,4 milliard d’euros en 2015, soit 19% du chiffre d’affaires de la presse française en général et même 22,5 % pour la presse d’information politique et générale, dite IPG (Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, …). Ce montant est constitué essentiellement des aides indirectes, à commencer par des tarifs postaux préférentiels et des exonérations foncières (2). Comment expliquer surtout que les aides publiques directes à la presse soient très majoritairement attribuées au support papier, alors que la presse se lit autant en numérique qu’en version imprimée ? Quant aux aides indirectes de l’Etat, elle ne s’élèvent qu’à 108 millions d’euros en 2015 incluant un petit 1% pour l’innovation. Autant dire que la presse numérique recueille
des miettes de ce vaste gâteau. C’est ce que tente de corriger le décret du 27 août.
Les appels à projets seront lancés avant la fin de l’année. Le nouveau Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse sera doté de 2 millions d’euros dès cette année, somme qui sera augmentée l’année prochaine. Ces aides seront attribuées sous forme de bourse de 50.000 euros maximum, d’aides aux prestataires de nouveaux médias, ou encore d’aides aux programmes de recherche innovants.
Quant au Fonds stratégique pour le développement à la presse, il sera élargi « aux titres de presse en ligne de la connaissance et du savoir et à tous les titres de presse d’IPG, quelle que soit leur périodicité ». La réforme des aides à la presse avait été engagée par la précédente ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin. @

Droit voisin : la presse veut faire payer les moteurs Internet pour l’utilisation de liens vers les articles

La presse française demandent à bénéficier d’un « droit voisins » du droit d’auteur, afin de faire payer les moteurs de recherche et les sites web pour le référencement de leurs articles. Le CFC l’applique déjà aux liens hypertextes.
Un rapport commandité par le CSPLA doit être remis le 30 juillet.

C’est le 30 juillet que Laurence Franceschini (photo), ancienne directrice de la DGMIC (Médias et Industries culturelles) au ministère de la Culture et de la Communication, et actuelle « personnalité qualifiée »
à l’Hadopi, doit rendre au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) un rapport sur « la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse ».

 

La Commission européenne s’interroge
Cette mission a pour but d’aider le gouvernement à répondre à la consultation publique que la Commission européenne a lancée en mars pour savoir « si les éditeurs de journaux, magazines, livres et revues scientifiques rencontrent des problèmes dans l’environnement numérique en raison du cadre juridique actuel, notamment pour ce qui concerne leur capacité à délivrer des licences et à être rémunérés pour l’utilisation de leurs contenus ». En d’autre termes, il s’agit de savoir quel pourrait être l’impact de
« l’octroi d’un droit voisin » aux éditeurs en Europe sur l’ensemble du secteur de l’édition, sur les citoyens européens et sur les industries créatives. Ce droit voisin permettrait aux éditeurs – presse écrite, audiovisuelle et agence de presse – de demander des comptes aux moteurs de recherche et aux sites web agrégateurs de contenus ou de référencement d’articles en ligne (Google News, Twitter, MSN, Yahoo News, …), et d’exiger d’eux de percevoir des redevances de cette exploitation de liens hypertextes indexés. En 2012, déjà, l’Association de la presse d’information politique
et générale (AIPG) avait été à l’origine d’un projet de proposition de loi intitulé « Droits voisin pour les organismes de presse ». Pour Le Figaro, Lagardère Active, La Croix, Les Echos ou encore la SPQR (1), il s’agissait alors de punir de trois ans de prison et 300.000 euros d’amendes – prévu à l’article 335-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI) (2) – tout site web, blog, moteur de recherche ou encore agrégateur qui reproduiraient des articles de presse ou qui publieraient un lien hypertexte vers
cet article – sauf s’il est déjà accessible librement selon le souhait de l’éditeur… Actuellement, les éditeurs – notamment de presse – ne bénéficient pas de droit voisins qui est similaire au droit d’auteur sans pour autant relever de la création originale de l’auteur. En France, avant la loi « Lang » de 1985, les artistes, interprètes et comédiens ne recevaient aucune rémunération directe sur la diffusion et rediffusion des œuvres (musiques et films). Seuls le compositeur de musique, le parolier et leurs éditeurs ou producteurs percevaient une rémunération : l’artiste-interprète, lui, ne recevait pas de royalties de ses droits mais seulement un pourcentage, sur la vente des disques par exemple.

Sans attendre l’issue de la mission du CSPLA ni les conclusions encore à venir de
la consultation européenne, il est un organisme en France qui monétise déjà les référencements de la presse en ligne : le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), placé sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Chargé par les éditeurs de presse de collecter et de leur reverser les redevances dues par les entreprises ou les administrations qui effectuent des copies papier et/ou numériques (revue et panoramas de presse numériques via intranets ou extranet), ainsi que par des sociétés spécialisées dans des prestations de veille telles que l’Argus de la presse ou Kantar Media, le CFC vient en effet de rajouter une corde à son arc. Il a mis en place
« un nouveau dispositif contractuel » pour, d’une part, permettre aux éditeurs de presse de lui confier la gestion de leurs droits sur leurs contenus en matière de veille web,
et, d’autre part, d’autoriser les nouveaux prestataires de veille web et d’indexation de contenus en ligne (sites de presse, blogs, réseaux sociaux, forums, etc.) de faire des liens hypertextes pointant vers les articles recherchés. Et ce, en contrepartie d’une rémunération destinées aux éditeurs de presse. « Le contrat d’autorisation permet au prestataire de veille web de réaliser, pour le compte de ses clients, son activité de surveillance et d’analyse des sites web des éditeurs de presse qui ont confié la gestion de leurs droits au CFC », explique l’organisme de gestion collective.

La « veille web » n’est pas de reproduire
Le prestataire de veille web est tenu de déclarer à ce dernier et pour chacun de ses clients : le nombre de prestations commandées, le nombre d’hyperliens pour chacune d’elles ventilé par adresses Internet concernées, ainsi que le nombre d’hyperliens stockés. « Bien entendu, le contrat de veille web n’autorise pas la fourniture de contenus aux clients sous forme de reproduction », précise bien le CFC, étant donné que reproduire des articles sur supports papier et/ou numériques fait l’objet d’un autre contrat spécifique pour pouvoir effectuer des panoramas de presse ou de prestation dite de press clipping. @

Charles de Laubier

 

La réalité virtuelle n’est pas l’avenir des médias

En fait. Le 22 juin, le Groupement des éditeurs de contenus et de services
en ligne (Geste) a tenu son assemblée générale annuelle. Elle s’est terminée par une table-ronde : « Boom de la réalité virtuelle, quelles retombées pour les médias ? ». Une récente étude de la Knight Foundation apporte des réponses.

En clair. L’information et la réalité virtuelle vont-elle faire bon ménage au sein des médias ? Une étude publiée en mars dernier par la Knight Foundation (1), une organisation basée à Miami (en Floride) qui finance des projets liés au journalisme et à l’innovation dans les médias, s’est penchée sur le potentiel de la réalité virtuelle dans le journalisme : « Viewing the Future? Virtual Reality in Journalism » (2). Aux Etats-Unis, la VR (Virtual Reality) commence à s’inviter dans les rédactions. « Je n’irais pas jusqu’à dire que la VR est l’avenir de journalisme, comme je n’aurais pas dit que la télé, la radio ou la photographie étaient “l’avenir de journalisme” à leurs débuts. Sans aucun doute, ils étaient révolutionnaires et ont permis d’apporter des facettes supplémentaires aux histoires, lesquelles sont devenues subitement plus réelles aux publics. Mais ce n’est pas comme s’ils avaient anéantis une forme de journalisme ou une autre entièrement », a temporisé Jessica Yu, directrice adjointe de la rédaction du Wall Street Journal dont elle est responsable mondial des images, selon ses propos rapportés dans l’étude. Le quotidien financier américain, filiale du groupe News Corp de Rupert Murdoch depuis 2007, a lancé il y a quatorze mois une application de réalité virtuelle de « montagnes russes » permettant de suivre les hauts et les bas du Nasdaq (3). De son côté, le New York Times interpelle ses lecteurs : « Mettez-vous au centre de nos histoires dans une expérience de réalité virtuelle immersive ». L’application NYT VR, disponible sur iOS ou Android, a été lancée en novembre 2015 pour regarder une vidéo en 360 degrés sur les enfants réfugiés intitulée « The Displaced » (4). Plus de 1,3 million de visionneuses en carton de type Google Cardboard ont été distribuées pour regarder en réalité virtuelle – à partir d’un smarphone inséré dansms ce casque de VR – la vie réelle des réfugiés. Aux Etats-Unis, le Los Angeles Times ou encore ABC News ont fait leurs premiers pas dans la réalité virtuelle avec respectivement « Discovering Gale Crater » (5) et « Inside North Korea » (6).
En Europe, la BBC a créé en juin 2015 une vidéo 360 degrés montant la vie dans un camp de réfugiés syriens dans le Nord de la France, à Calais (7). « La technologie [VR] n’est pas encore prête à la production, et la post-production est trop lente », prévient Cyrus Saihan, directeur du développement de BBC Future Media. Quant au modèle économique…@