La prescription pénale des délits de presse sur Internet : la croisade du Sénat continue

La loi du 27 février 2017 sur la prescription en matière pénale ne modifie pas le délai de prescription des délits de presse sur Internet (trois mois), malgré une énième tentative du Sénat repoussée par l’Assemblée nationale. Au-delà de l’opposition entre les deux chambres, le problème demeure.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Après avoir modifié les délais de la prescription civile (1) à la baisse (2), le législateur vient de réformer les délais de
la prescription pénale (3) en les doublant. Ainsi, le délai de prescription de l’action publique passe de dix à vingt ans en matière criminelle et de trois à six ans pour les délits de droit commun. Pour les infractions occultes ou dissimulées, le délai de prescription démarre à compter du jour où l’infraction a été constatée. Ce délai ne peut toutefois pas excéder trente années révolues pour les crimes et douze années révolues pour les délits à compter du jour où l’infraction a été commise.

Délais de trois mois sur Internet
Lors des débats parlementaires, il a été tenté une nouvelle fois d’allonger, de trois mois à un an, le délai de prescription des délits de presse sur Internet. Cette tentative du Sénat a été, à nouveau, repoussée par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un nouvel épisode d’une opposition entre les deux chambres sur cette question mais le problème demeure. La liberté d’expression est une liberté fondamentale reconnue et protégée
par le droit (4). Cette liberté n’est ni générale, ni absolue. Elle peut être limitée sous certaines conditions (5). En droit français, la loi sur la liberté de la presse (6) fixe la liste limitative des abus de la liberté d’expression et sanctionne notamment la diffamation et l’injure. Cependant, cette sanction n’est possible que si l’action est engagée dans un délai de trois mois (à compter de la publication des propos contestés). À défaut, l’action publique comme l’action civile sont prescrites et la victime ne peut plus agir dès lors que d’autres voies, comme l’ancien article 1382 du Code civil, ne sont pas applicables aux abus de la liberté d’expression. La prescription pénale a pour finalité de « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels
à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé. » (7). En matière de presse, la prescription a pour objet et pour effet de protéger la liberté d’expression. Cette courte prescription, qui serait la plus courte d’Europe, est justifiée par le fait qu’on ne peut apprécier le caractère abusif d’une expression qu’au moment où elle est exprimée. Un rapport sénatorial (8) rappelle que l’exposé des motifs d’une des lois précédant la loi sur la liberté de la presse de 1881 (9) indiquait : « Il est dans la nature des crimes et délits commis avec publicité, et qui n’existent que par cette publicité même, d’être aussitôt aperçus et poursuivis par l’autorité et ses nombreux agents. (…) Elle serait tyrannique la loi qui, après un long intervalle, punirait une publication à raison de tous ses effets possibles les plus éloignés, lorsque la disposition toute nouvelle des esprits peut changer du tout au tout les impressions que l’auteur lui-même se serait proposé de produire dès l’origine. » La loi de 1881, quant à elle, fait référence dans
son exposé des motifs à la nature éphémère de l’actualité : « Ainsi, la rapidité avec laquelle les circonstances viennent à changer, peut faire perdre, dans un très court
laps de temps, à un écrit, tout ou partie de sa force injurieuse. Les articles des journaux, les discours des hommes politiques, sont lus, écoutés le jour même et oubliés le lendemain. L’idée de l’oubli, fondement de toute prescription, joue ici au maximum, renforcée par la rapidité avec laquelle s’efface l’impression produite par la nouvelle
du jour ». Ce mécanisme applicable à la presse écrite a été purement et simplement transposé à la publication en ligne.

Plusieurs tentatives d’allonger depuis 2004
Notons cependant que les juges du fond avaient néanmoins tenté de faire du délit de presse sur Internet un délit continu (et non plus un délit instantané). En effet, une cour d’appel avait considéré que le point de départ de la prescription devait être repoussé
à la date à laquelle les propos litigieux avaient été mis hors ligne. Cette analyse a été écartée par trois décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2001 (10) qui fixent le point de départ du délai de prescription à la date du premier acte de publication (11). Dès lors, le législateur, et notamment le Sénat, tente régulièrement d’allonger cette prescription, essentiellement pour les propos tenus, en ligne, par les non professionnels. La première tentative date de 2004, lors de l’adoption de la loi
« Confiance dans l’économie numérique ». Il avait été prévu de distinguer deux types de prescription : une pour les propos publiés en même temps sur le support informatique et le support papier, et une pour les propos publiés uniquement sur le support informatique. Dans ce dernier cas, l’action publique et l’action civile devaient se prescrire après le délai de trois mois courant à compter de la date à laquelle les propos litigieux avaient été mis hors ligne.

Le Sénat toujours et encore insatisfait
Une telle solution a été déclarée inconstitutionnelle (12) dès lors qu’elle méconnaissait le principe d’égalité devant la loi. En effet, selon le Conseil constitutionnel, « la différence de régime instaurée, en matière de droit de réponse et de prescription,
par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles
sur un support informatique ».
Dès 2007, un rapport sénatorial, qualifiait cette situation d’insatisfaisante (13).
En 2008, le Sénat a adopté une proposition de loi tendant à « allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet » (14) qui portait à un an la prescription pour
les articles publiés en ligne « sauf en cas de reproduction du contenu d’une publication de presse légalement déclarée ». Cette proposition a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale une première fois le 5 novembre 2008 et une seconde fois le
2 juillet 2012. Elle n’eut pas de suite. En avril 2016, lors de la discussion de la loi pour une République numérique (15), le Sénat a proposé un amendement fixant la prescription à un an pour les publications en ligne. Cet amendement a été rejeté.
En juillet 2016, un rapport sénatorial (16), proposait, de nouveau, d’allonger ledit
délai. En 2017, une nouvelle tentative infructueuse a été faite par le Sénat lors de la discussion sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté (17). L’amendement a été rejeté par l’Assemblée nationale. La dernière tentative infructueuse a été faite lors de
la discussion de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale. La question de l’allongement de la prescription pour les propos tenus sur Internet par des non professionnels reste une préoccupation majeure du Sénat. On ne peut que saluer l’assiduité des sénateurs. Il s’agit d’une réalité puisque d’un côté, n’importe qui peut mettre en cause n’importe qui, sur Internet et les réseaux sociaux, et ce durablement pour ne pas dire éternellement dès lors que le support numérique est impérissable (à
la différence du support papier) et immédiatement accessible (à cause des moteurs de recherche). Chaque citoyen peut donc être durablement marqué numériquement par un propos excessif s’il n’a pas agi dans les trois mois. D’un autre côté, il n’est pas envisageable – que ce soit politiquement ou juridiquement – de modifier la loi de la presse pour les journalistes qui sont soumis à une déontologie professionnelle. Serions-nous confrontés à une nouvelle quadrature du cercle numérique ? A titre de piste de réflexion, on rappellera que le Conseil constitutionnel considérait en 2004 que « la prise en compte de différences dans les conditions d’accessibilité d’un message dans le temps, selon qu’il est publié sur un support papier ou qu’il est disponible sur un support informatique, n’est pas contraire au principe d’égalité ». Il était donc considéré uniquement que la différence de régime à instaurer ne devait pas dépasser ce qui était manifestement nécessaire. Il convient donc de poursuivre l’exploration de cette voie et de rechercher une solution proportionnelle. On doit aussi se demander si la solution attendue par le public est réellement celle de l’allongement du délai de prescription. En pratique, les victimes qui ont laissé passer les trois mois de la prescription souhaitent moins une sanction de l’auteur présumé de l’abus de la liberté d’expression que de faire disparaître le propos litigieux. Plus précisément, le souci des victimes n’est pas de faire effacer les propos sur Internet mais plutôt d’éviter que le propos litigieux soit éternellement associé à leur son nom ou à leur raison sociale lors d’une recherche.

Courte prescription et liberté d’expression
La sagesse est de ne pas toucher à la liberté d’expression et de conserver ce régime de prescription très courte. Elle est le garant de cette liberté fondamentale, qui est le chien de garde de la démocratie. A l’inverse, à l’expiration du délai de trois mois, chacun, que ce soit une personne physique ou une personne morale, devrait avoir le droit d’obtenir, d’un moteur de recherche, sur simple demande, le déréférencement d’un propos excessif apparaissant lors d’une recherche faite à partir de son nom ou de sa raison sociale. @

* Auteur du livre
« Numérique : de la révolution au naufrage ? »,
paru en 2016 chez Fauves Editions.

Digital News Initiative (DNI) : le fonds européen de Google d’aide à la presse numérique a deux ans

Le fonds « Digital News Initiative » (DNI) que le géant du Net a lancé il y a deux ans, en avril 2015, entame sa dernière année budgétaire. Doté de 150 millions d’euros sur trois ans, il est venu en aide – pour ses deux premiers appels à candidatures – à 250 projets dans 27 pays européens.

Après ses deux premiers appels à projets de « journalisme numérique » (dixit Google), un troisième est en cours depuis
le 7 mars dernier, jusqu’au 20 avril prochain. Le fonds Digital News Initiative (DNI) avait été lancé il y a deux pour venir en aide aux journaux en Europe dans leurs investissements numériques (1). Il avait alors pris le relais du fonds français Finp – Fonds pour l’innovation numérique de la presse – qui s’est terminé en 2016. Sont parmi les neuf membres fondateurs du DNI : Die Zeit, El Pais, La Stampa, The Financial Times, The Guardian et Les Echos.

Google, juge et partie ?
A ce jour, 250 projets de 27 pays européens – sur 32 éligibles au fonds –ont bénéficié des financements du DNI pour un total de 51 millions d’euros. Il reste donc encore les deux tiers de l’enveloppe à distribuer. La gouvernance du fonds – lequel est dirigé par le Français Ludovic Blecher (photo), ancien directeur du Finp – est assurée par une équipe projets (project team) et par un conseil (council). L’équipe projets est composée de six personnes provenant pour moitié de chez Google et pour l’autre moitié d’experts extérieurs. C’est eux qui reçoivent les projets et disent si les dossiers sont éligibles ou pas, en fonction de trois principaux critères : l’impact sur l’écosystème de l’information (impact positif significatif sur la production journalistique originale, création de nouveaux flux de revenus, voire changement dans la manière dont le public consomme l’information numérique), l’innovation et l’utilisation de la technologie (utilisation technologique de façon innovante et transformatrice pour l’éditeur et les utilisateurs),
et la faisabilité (business plan, indicateursclés de performance et identification des risques).
Cette project team est amenée à approuver le financement des projets
« prototypes » et « intermédiaires », mais aussi formuler des recommandations auprès du conseil du fonds qui se réunit pour sélectionner les dossiers d’« envergure ». Ce conseil, présidé par le Portugais João Palmeiro (2), compte treize membres – parmi lesquels siège le Français Bruno Patino (3). Le fonds DNI intervient ainsi selon trois modes de financement, qu’il s’agisse de projets « prototype » (jusqu’à 50.000 euros d’aide), de projets « intermédiaire » (jusqu’à 70 % du budget total dans la limite d’une aide maximale de 300.000 euros), ou de projets d’ « envergure » (là aussi jusqu’à 70 % du projet, mais dans la limite cette fois de 1 million d’euro). Cela va sans dire : l’obtention d’un financement de Google n’est en rien conditionné à l’utilisation de ses produits et services… Mais en utiliser peut-il influencer la décision du jury, dans la mesure où l’on retrouve trois salariés du géant du Net dans l’équipe projets et deux autres dans le conseil (4) ?
D’après le bilan dressé par Ludovic Blecher le 7 mars devant le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste), le premier appel à projets en 2015
a permis de recueillir pas moins de 1.236 projets de candidatures, dont seulement 128 ont été sélectionnés dans 23 pays pour un total de 27 millions d’euros d’aide financière. Tandis que le deuxième appel à projets en 2016 a suscité 858 projets pour 124 retenus et aidés à hauteur de 24 millions d’euros.
Les projets soutenus par le fonds DNI peuvent être nationaux (la plupart des cas) mais aussi pan-européens (pour quelques uns). Les nouvelles technologies telles que la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, les chatbots, la blockchain, l’audio, ou encore la data, sont présentes dans bon nombre de projets, lesquels sont censés aboutir d’ici un à deux ans. Par exemple, à l’issue du deuxième appel à projets, La Nouvelle République du Centre-Ouest est aidée pour adapter ses articles sur Google AMP, une technologie open source permettant d’accélérer l’affichage des pages web sur mobile. Le quotidien suisse Le Temps a, lui, été aidé pour son robot (bot) Zombie qui propose des articles intemporels de ses archives à la republication en fonction de l’actualité. Le quotidien allemand Berliner Zeitung table de son côté sur le fact-cheking pour permettre à sa rédaction de faire du data-journalisme. Autre exemple : le site d’information français Slate.fr, il a obtenu un financement pour son baromètre graphique Slatedata.

Certaines dépenses écartées
Les éditeurs intéressés – grand, petit, start-up, pure player, projet individuel, projet collectif, … – peuvent déposer leur dossier en ligne (5) ou contacter directement le fonds (6). Google débloque 30 % de l’aide financière lors de la signature du contrat, sachant que les dépenses marketing peuvent être couvertes jusqu’à 20 % mais que les locations de bureau, les fournitures, les voyages et les dépenses de propriété intellectuelle ne le sont pas. @

Charles de Laubier

Concentration des médias et « presse d’industrie »

En fait. Le 23 janvier, Edwy Plenel, président cofondateur du site de presse en ligne Mediapart et ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde, s’est montré très inquiet de la concentration des médias en France, à l’heure du numérique, entre les mains d’industriels dont ce n’est pas le cœur de métier.

En clair. Invité par l’Association des journalistes médias (AJM), Edwy Plenel a mis en garde les journalistes présents : « Je crois que la démocratie est un écosystème (…). C’est une culture démocratique. De ce point de vue – et chacun et chacune d’entre vous défendez nos valeurs collectives là où vous travaillez – le paysage de concentration des médias, de remise en cause du pluralisme, de verticalité de cette concentration entre des médias audiovisuels, des médias papier, des propriétaires du numérique, des opérateurs de téléphonie, etc., n’a fait que s’accentuer ces dernières années », a-t-il déploré. Et de se faire plus explicite : « Nous offrons un paysage médiatique où des industriels du luxe, de l’armement, du bâtiment ou encore de la téléphonie sont aujourd’hui au cœur de notre système médiatique ».
L’ancien directeur de la rédaction du Monde, où il a été journaliste durant vingt-cinq ans (1980-2005), désigne ainsi sans les nommer LVMH de Bernard Arnault propriétaire des quotidiens Les Echos et Le Parisien, le groupe Dassault de Serge Dassault propriétaire du quotidien Le Figaro, Bouygues de Martin Bouygues propriétaire de TF1, SFR/Altice
de Patrick Drahi propriétaire du quotidien Libération et de l’hebdomadaire L’Express, Free/Iliad de Xavier Niel copropriétaire à titre personnel du quotidien Le Monde et de l’hebdomadaire Le Nouvel Obs, ou encore Vivendi de Vincent Bolloré propriétaire de Canal+ et de iTélé. C’est unique au monde. « C’est ce que le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry, appelait “la presse d’industrie” où des intérêts industriels extérieurs aux métiers de l’information se mettent au coeur de nos entreprises (de médias) », a-t-il rappelé (1). Et Edwy Plenel de poursuivre : « Ils nous laisseront faire, même avec talent et brio, tant que l’on ne menace pas leurs intérêts, tant que l’on ne touche pas à leurs intérêts. Nous avons eu plusieurs épisodes récemment qui nous ont montrés ce qu’il en était [faisant allusion à la bataille chez iTélé pour l’indépendance de la rédaction]. (…) Ce mélange des genres au niveau des actionnaires, des propriétaires et du contrôle des médias a des incidences sur nos contenus ». C’est pour défendre l’indépendance des médias qu’il a lancé le 16 mars 2008 le site Mediapart, lequel compte aujourd’hui 130.000 abonnés, 74 salariés, pour un chiffre d’affaires en 2016 d’environ 13 millions d’euros. @

Information et publicité : comment la presse se retrouve court-circuitée par les réseaux sociaux

La presse n’en finit pas d’être submergée par le tsunami numérique. Non seulement les réseaux sociaux prennent le relais dans l’accès à l’information, mais en plus ils rattrapent les journaux en termes de dépenses publicitaires. Facebook, Twitter ou Snapchat se font de plus en plus « médias sociaux ».

La presse imprimée se fait toujours plus cannibaliser par les sites web. Les habitudes de consommation de l’information ne cessent de donner la part belle à Internet.
Selon une étude de Médiamétrie, 38 % de la population en France déclarent accéder
à l’information en passant par les pages d’actualité sur Internet (à partir de portails web), les pure players de l’information en ligne (Slate, Mediapart, Huffington Post, Rue89, …) et/ou les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Google, Instagram, LinkedIn, … ).

La « délinéarisation » de l’info
Mais cette proportion de la population informée en ligne en dehors des médias traditionnels et de la presse online atteint 77 % dans la catégorie des 18-24 ans.
La jeune génération est suivie par les catégories socioprofessionnelles à hauteur de
49 %. Les réseaux sociaux sont plébiscités dans l’accès à l’information par 17 % des personnes interrogées, et même par 63 % des 18-24 ans qui les utilisent pour s’informer presque autant que les chaînes d’information en continu. Facebook est le premier à être utilisé comme média, cité par 83 % des utilisateurs de réseaux sociaux, suivi de Twitter pour 35 % d’entre eux et de YouTube pour 32 %.
Les journaux imprimés souffrent de cette « délinéarisation » de l’information, par analogie avec la délinéarisation des chaînes de télévision. Les réseaux sociaux offrent un accès à un « fil d’information » ou timline mis à jour en temps réel qui permet une
« personnalisation » de l’actualité en fonction des centres d’intérêt et préférences de l’internaute, voire les recommandations des membres de sa communauté connectée ou des algorithmes de suggestion du réseau social lui-même. L’information à la demande est à la presse traditionnelle avec sa pagination ce que le programme à la demande (replay) est à la chaîne de télévision avec sa grille. Si l’on revient à l’étude plurimédias « Actu24/7 » de Médiamétrie, plus de la moitié de ceux qui consultent les réseaux sociaux apprécient la capacité de ces dernier à proposer des contenus « personna-
lisés », centralisés et laissés au libre choix de l’utilisateur en fonction de ce qui l’intéresse. Les adeptes des réseaux sociaux s’informent d’abord, pour 84 % d’entre eux, en lisant les articles partagés par ses amis, mais sans que l’on sache quelle proportion de sujets proviennent réellement de la presse traditionnelle. Et ils sont plus de la moitié (51 %) à s’informer sur les réseaux sociaux en allant sur la page d’un média traditionnel.
La multiplication des partenariats presse-réseaux sociaux – Facebook Instant Articles, Facebook Live, Snapchat Discover, etc (1) (*) (**) – participe de cet échange. A contrario,
ils sont près de la moitié (49 %) à ne pas aller sur les sites de la presse classique.
Mais il y a un bémol à cet engouement pour les réseaux sociaux informationnels : leur note de satisfaction reste encore faible par rapport à celle de la radio, de la presse quotidienne nationale ou encore des chaînes d’information en continu. Les Facebook, Twitter et autres Google pêchent encore par manque d’analyses, de mise en perspective et de recul. Il n’empêche. Les réseaux sociaux, au déploiement fulgurant depuis quelques années seulement, prennent de l’ampleur et capitalisent sur leur immédiateté et instantanéité dans l’accès à l’actualité que l’on peut partager aussitôt avec son entourage. La société française Visibrain l’a bien compris, plateforme de
veille des médias en ligne créée en 2011, qui vient de lancer « Expresso News » pour recevoir par e-mail « le Top 10 des articles de presse les plus partagés sur les réseaux sociaux » (Twitter et Facebook).
Si la crédibilité de la presse traditionnelle, voire « institutionnelle », a été quelque peu mise à mal pour n’avoir pas vu venir tant aux Etats-Unis l’élection de Donald Trump comme président du pays qu’en France l’élection de François Fillon comme candidat de la droite, Internet en général et les réseaux sociaux en particulier ne sont pas exempts de critiques. En effet, rumeurs non fondées et fausses informations – même si les médias traditionnels peuvent aussi en être victimes – circulent sur Internet.

Zuckerberg : ombudsman du Net ?
Aux Etats-Unis, les réseaux sociaux ont été montrés du doigt (Twitter, Facebook, Google, …) et soupçonnés d’avoir « contribué à la victoire du républicain Donald
Trump ». Au point que le PDG fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a dû promettre mi-novembre de faire la chasse aux fausses informations ou hoaxes (canulars) – quitte à donner l’impression de s’autoproclamer grand régulateur du Net, ombudsman et conseil de presse en ligne. « Nous sommes persuadés qu’il faut donner la parole aux gens. [Mais] nous ne voulons pas être des arbitres de la vérité nous-mêmes », a-t-il admis sur son blog le 13 novembre dernier (2) face aux craintes de censures dans un pays où la liberté d’expression est consacrée par le premier amendement de la Constitution américaine. Et le patron du numéro un des réseaux sociaux (suivi par 78,5 millions d’« amis » sur son propre compte) de se faire encore plus prudent : « Je pense que Facebook pourrait faire beaucoup de choses pour lutter contre les fausses informations, et je pense que c’est quelque chose sur lequel tout le monde pourrait s’entendre. Mais s’il essaie de s’attaquer aux sites ayant des motivations idéologiques, il va inévitablement se trouver pris dans les guerres de culture ».

Facebook et Google : publivores
Cela n’empêche pas le réseau social de commencer à demander à ses utilisateurs
de dénoncer les titres d’articles trompeurs. Aux Etats-Unis, certains souhaitent que Facebook soit considéré comme une entreprise de médias – responsable pénalement comme un éditeur de presse l’est en cas d’infraction – et non pas comme une plateforme numérique neutre, faisant référence à son statut d’hébergeur à responsabilité limitée. Facebook a été accusé avant l’été dernier de faire des choix éditoriaux au détriment des Républicains conservateurs américains. Le groupe de
Mark Zuckerberg avait démenti.
Quoi qu’il en soit, selon lui, plus de 99 % de ce que les internautes voient sur Facebook est vrai ; seulement une toute petite partie relève de fausses informations et de hoaxes. Au lendemain de l’élection présidentielle américaine, il avait qualifié d’« assez dingue » l’idée que la publication massive de fausses informations sur Facebook ait pu favoriser la victoire de Donald Trump. Certaines d’entre elles affirmaient par exemple que
« Hillary Clinton appellerait à la guerre civile si Trump était élu », ou que « le Pape François soutient Donald Trump » !
Quoi qu’il en soit, le 15 novembre, Facebook et Google ont décidé de couper les revenus publicitaires des faux sites web d’information. Les régies publicitaires du moteur de recherche et du réseau social, en position dominante sur leur marché respectif, détiennent les plus grandes parts de marché de la publicité sur Internet.
« Nous allons commencer à interdire les publicités de Google sur les contenus trompeurs, de la même manière que nous interdisons les publicités mensongères.
(…) A l’avenir nous allons restreindre les publicités sur les pages qui dénaturent ou masquent les informations sur l’éditeur, ses contenus ou le but premier du propriétaire du site », a indiqué le géant du Net dirigé par Sundar Pichai. De son côté, Facebook va aller aussi dans ce sens : « Nous n’intégrons pas ou ne montrons pas de publicités dans des applications ou des sites dont le contenu est illégal, trompeur ou mensonger, ce qui inclut les fausses informations. (…) C’était jusqu’à présent sous-entendu, mais nous avons mis à jour notre politique pour clairement exprimer que cela concerne les fausses nouvelles ».
Au delà de la bataille de l’information entre presse traditionnelle et réseaux sociaux,
sur fond de crédibilité de l’information, la publicité en ligne est elle aussi un autre terrain d’affrontement et de cannibalisation entre les deux mondes médiatiques. Les dépenses publicitaires sur les réseaux sociaux devraient dépasser pour la première fois celles de la presse en 2020. Pour l’heure, au niveau mondial, la publicité sur les réseaux sociaux publivores devrait peser en 2016 quelque 29 milliards de dollars – soit 16 % des investissements publicitaires globaux. Mais selon l’agence média Zenith Optimedia du groupe Publicis, les réseaux sociaux devraient s’arroger 20 % de ce marché en 2019 en dépassant la barre des 50 milliards de dollars – à 50,2 milliards précisément.
La publicité dans les journaux, qui affichera cette annéelà les 50,7 milliards de dollars, est ainsi rattrapée par le tsunami numérique, avant d’être coiffée au poteau l’année suivante. Parallèlement, la publicité vidéo en ligne dépassera à cette même échéance la publicité à la radio. Facebook, Twitter et consorts profitent de la généralisation des smarphones qui consacrent le social mobile et le m-video. « Les publicités des médias sociaux s’intègrent instantanément dans les fils d’actualité et sont bien plus efficaces que les publicités interruptives sous forme de bannière, en particulier sur les appareils mobiles », explique Zenith Optimedia.

La presse perd de la pub
La presse écrite est le média qui accuse la plus sévère baisse des recettes publicitaires, comme l’illustrent les chiffres de l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep) sur les trois premiers trimestres de l’année 2016 en France :
– 6,6 % sur un an à 1,4 milliard d’euros (quotidiens nationaux et régionaux, ainsi que hebdomadaires régionaux, magazines et presse gratuite). La croissance des revenus publicitaires numériques des journaux, menacés par ailleurs par les ad-blockers et le refus préalable des cookies (3), ne compense pas la chute de la publicité commerciale imprimées et des petites annonces. @

Charles de Laubier

Le premier quotidien national Le Figaro, détenu par Serge Dassault, ne pèse plus que 20 % du groupe

Il y a un an, le groupe Le Figaro finalisait l’acquisition de CCM Benchmark qui édite Linternaute.com, Commentcamarche.net, Journaldesfemmes.com ou encore Journaldunet.com. Le groupe média de Serge Dassault poursuit sa diversification en ligne, au risque de réduire le quotidien à une portion congrue.

Le groupe Le Figaro devrait réaliser cette année 530 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit une hausse de 6 % sur un an (1). Mais son quotidien – le plus ancien de la presse française puisque né il y a… 190 ans et aujourd’hui premier au niveau national (hormis Ouest-France) – ne pèse plus lourd au sein de ce conglomérat de médias, de e-commerce et de hors médias en termes de revenu et de diffusion.

Version numérique à la rescousse
La diversification du groupe Le Figaro, détenu depuis une douzaine d’années par l’industriel milliardaire et sénateur de l’Essonne Serge Dassault (2), a été boostée il y
a un an par l’intégration de la société CCM Benchmark rachetée environ 120 millions d’euros – pour un chiffre d’affaires à l’époque de 36 millions d’euros (a priori stable en 2016) et une bonne rentabilité. Mais le quotidien s’en est retrouvé un peu plus dilué dans cette diversification numérique tous azimuts : le journal papier, déficitaire, devrait à peine dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année, soit seulement 20 % du chiffre d’affaires global du groupe.
Le titre-phare est ainsi largement dépassé par les revenus globaux du digital, lequel devrait peser 35 % du chiffre d’affaires du groupe cette année – et surtout 60 % de ses profits (3). Et à cette dilution du quotidien s’ajoute l’érosion continue de sa diffusion payée, avec un nouveau recul de 2,40 % enregistré sur 2015-2016, d’après l’APCM (ex-OJD) : Le Figaro se vend à 305.387 exemplaires en moyenne par jour. Et encore, ce décompte certifié inclut les ventes quotidiennes moyennes de 47.830 versions numériques – ces exemplaires digitaux qui sont l’équivalent de la totalité du journal papier mais au format tablette ou smartphone. Cette proportion de 20 % de versions numériques va être amenée à croître, le directeur général du groupe, Marc Feuillée (photo), tablant sur 70.000 versions numériques d’ici deux ans. Autrement dit, comme pour l’ensemble des quotidiens de la presse française, ces éditions de type PDF en croissance permettent de garder bonne figure malgré une diffusion imprimée en baisse continue.
Les ventes de celui qui se revendiquait – en Une jusqu’à fin 1999 – être « le premier quotidien national français » font pâle figure au regard de l’audience numérique de l’ensemble « Groupe Figaro CCM Benchmark » qui s’exprime, elle, en millions de visiteurs uniques : 30,5 millions provenant d’ordinateurs, de mobiles et/ou de tablettes en juillet dernier, selon les derniers chiffres « Internet global » en date de Médiamétrie. En octobre cette fois et seulement à partir d’un ordinateur, le nombre de visiteurs uniques est de plus de 23,2 millions – derrière Google (41,6 millions), Microsoft (35,5 millions) et Facebook (27,6 millions). Si l’on s’en tient à l’audience mobile à partir d’un smartphone, celle du « Groupe Figaro CCM Benchmark » dépasse les 16,8 millions de visiteurs uniques au mois d’août (dernière mesure disponible) – derrière Google (34,5 millions) et Facebook (31,8 millions). Seule consolation pour le quotidien, son site web Lefigaro.fr affiche en octobre plus de 9,6 millions de visiteurs uniques sur ordinateur,
ce qui le place devant les 7,9 millions sur Lemonde.fr.
Condamné à trouver des relais de croissance en ligne, afin de résister aux deux rouleaux compresseurs de la publicité en ligne que sont Google et Facebook, le groupe média et hors média de Serge Dassault poursuit sa stratégie d’acquisitions dans le numérique entamée dans les années 2000. Objectif revendiqué : être « le premier groupe média digital français », pendant du « premier quotidien français », quitte à s’éloigner de son métier d’origine d’éditeur de presse en étant de plus en plus e-commerçant, société de services, croisiériste ou encore touropérateur. Cela a commencé avec Météo Consult/La Chaîne Météo (infos météo), Adenclassified devenu Figaro Classifieds (petites annonces (4)), Sport24 (informations sportives), Ticketac (billetterie) et autres sites web thématiques (santé, automobile, …), en passant par la plateforme vidéo pionnière MySkreen, dont l’éditeur français The Skreenhouse Factory était détenu par le groupe Figaro et Habert Dassault Finance (5) jusqu’à sa liquidation début 2015. Après avoir acheté à l’automne dernier Lesmaisonsduvoyage.com, site qui lui apporte 40 millions d’euros de revenu, le groupe a annoncé début décembre s’être emparé de l’agence de publicité en ligne Mensquare spécialisée dans les « contenus de marques » (brand content). A noter que Le Figaro s’aventure aussi dans la VOD via le site de TV magazine (Tvmag.com).

Data, Audience, régie et programmatique
Depuis que le centre névralgique du groupe a basculé dans le numérique, la data est en passe d’occuper une vingtaine de personnes regroupées sous la houlette du Chief Data Officer (CDO), Samuel Profumo. Le groupe de plus en plus hors média a en outre confié toutes les données de ses dizaines de sites web à la société californienne Krux Digital, spécialiste de la gestion de données à des fins publicitaires (6), tandis que ses mesures d’audiences sont assurées par Google Analytics, et sa publicité programmatique par la société new-yorkaise AppNexus. Il y a un an aussi, Media.Figaro est née de la régie du Figaro et de CCM pour constituer une même
« régie globale ». @

Charles de Laubier